Morphine, Souris et Travestis 

Paru en 1950, Elles se rendent pas compte de Vernon Sullivan, soi-disant traduit par Boris Vian, alors qu’il en est l’auteur, raconte les péripéties de deux frères, Francis et Richie, au milieu d’une bande de bandits trafiquants de drogue. Avec humour, il caricature le roman noir américain des années 50 qui est à prendre au quatrième, voire cinquième degré !

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Nous sommes à Washington dans les années 50. Francis Deacon est très occupé à se déguiser en femme car, ce soir, son amie d’enfance, Gaya, fête ses 17 ans et son entrée dans le monde à l’occasion d’un bal costumé. Durant cette fête, Francis surprend Gaya, montée dans sa chambre, en compagnie d’un homme qu’il ne connaît pas. L’homme redescend et Francis trouve son amie quelques minutes plus tard dans sa salle de bain dans un état lamentable : elle s’est droguée ! Oui mais voilà, Gaya annonce son intention de se marier avec un certain Richard, qui se met du maquillage sur le visage, et qui se trouve être son approvisionneur de drogue, autrement-dit, son dealer. Quoi qu’il en soit, Francis décide de mener l’enquête, et quand il s’avère que c’est un clan de lesbiennes et d’homosexuels qui revend sa came à Gaya, il appelle son frère Richard à la rescousse. Francis ne désarme pas, il se demande pourquoi Gaya accepte un mariage contre nature, comment elle en est arrivée à se droguer, et pourquoi autant de lesbiennes et d’homosexuels gravitent autour d’elle? Ils auront besoin d’être deux pour remettre tout ce petit monde dans le droit chemin…

Non mais, elles se rendent pas compte, les souris ! 

Ce fut ma première lecture d’un roman noir « américain », et quand on se rend compte que Boris Vian a écrit cette œuvre sans aller en Amérique, on comprend qu’il s’est fait une très bonne et très précise représentation des États Unis. Que ce soit les noms des personnages, la description des lieux, on a vraiment l’impression qu’il a seulement traduit ce roman ! Cela dit, ma première impression est très mitigée. En effet, les sujets que l’on peut retrouver sont parfois choquants, mais j’ai trouvé la lecture plus facile car le surréalisme de Vian n’est pas au rendez-vous. On retrouve dans cette œuvre des passages où l’on parle de sexe, de drogue, de machisme et d’homophobie, ce qui m’a énormément étonné. Par contre, pour les lecteurs/lectrices qui aiment les histoires où l’on retrouve beaucoup d’action, ce roman est pour vous ! L’histoire est très violente, il n’y a pas un seul moment de répit, ce qui m’a un peu embêté. 

Cependant, j’ai tout de même apprécié cette lecture par les thèmes que Boris Vian a choisi d’y aborder. En effet, dans ce roman noir il dénonce le machisme et l’homophobie, des sujets tabous et/ou dont on ne parlait pas vraiment dans les années 50. Encore une fois, Boris Vian fait preuve de modernité pour son époque. On identifie le machisme et l’homophobie à travers les différentes remarques que peut faire sans aucune gène Francis, le personnage principal. La phrase la plus machiste qui sort de sa bouche apparaît lorsqu’il sauve Sally de la noyade. En lui demandant pourquoi son bateau a coulé, il affirme : « Sur qu’elle n’entend rien à la mécanique, y a pas une souris qui y comprenne quoi que ce soit, elles confondent l’admission avec l’échappement et prennent les bougies pour un éclairage de secours. »  Cette phrase sous entend clairement que comme elle est une femme, elle n’y connaît rien en mécanique, tout simplement parce que c’est un passe temps d’hommes. En ce qui concerne les expressions homophobes, celle qui m’a le plus marquée est prononcée quand Francis est piégé par Gaya dans une sorte de cave fréquentée par des lesbiennes et homosexuels: « Si une seule des bonnes femmes qui sont ici a jamais couché avec un homme, alors moi je suis une méduse ; et si ces gars-là taquinent le sexe opposé, Washington vendait du popcorn. Des gouines et des tatas, voilà le public… ». Francis insulte ouvertement ces personnes, ce qui nous montre clairement qu’il est homophobe. Grâce à ce passage, nous pouvons constater que Boris Vian s’exprime ouvertement sur ce sujet qui était très mal vu dans les années 50. On y voit les préjugés que la population pouvait avoir envers les homosexuelles à cette période. Il critique donc l’homophobie, en la mettant en scène à travers des personnages comme Francis, homophobe et sexiste. Il s’en moque même à travers certaines situations, comme lorsque Francis se travestit en femme pour draguer Sally et Donna Watson. Il fait complètement l’inverse de ce qu’il « déteste » ! Cela nous laisse penser que Vian fait une dénonciation, et que la modernité réside alors dans sa façon de parler et de pointer cette discrimination, ce que j’admire beaucoup car c’était très osé pour l’époque ! 

Boris Vian et son double en plâtre. Il avait aussi de nombreux doubles littéraires. Source : https://www.nouvelobs.com/bibliobs/ 20200310.OBS25833/ma-vie-avec-boris-vian-par-michelle-vian.html

On retrouve également le style d’écriture particulier de Vian dans le récit, avec des phrases typiques telles que : « Je me réveille un beau matin de printemps, en plein mois de juillet, et ceci n’est pas si invraisemblable que ça en a l’air, car le printemps est aussi une qualité et il n’y a pas de raison pour qu’un jour de printemps ne prenne pas place à n’importe quel moment de l’année ». Ici, il se fiche des codes et laisse place à ses propres saisons tel le pataphysicien qu’il était. Certes, comme j’ai pu l’affirmer plus haut ce roman n’est pas  surréaliste, mais Vian y met quand quelques notes de poésie dadaïste.  

Ici contrairement à beaucoup d’œuvres de Vian, le titre a un lien avec son histoire. En effet, nous lecteurs, pouvons en conclure que Francis et Richie se déguisent en femme pour piéger les lesbiennes dans le but qu’elles (re)deviennent hétérosexuelles : elles devraient avoir des relations avec les hommes et non entre elles …  ce qui est encore une fois plutôt misogyne et homophobe ! Mais Vian pousse sans doute jusqu’au bout la charge pour mieux la dénoncer. Il ne faut pas oublier que pour piéger les souris, Richie et Francis se déguisent en femmes pour courir après les filles, alors qu’ils sont homophobes et sexistes ! 

Je mets donc 4 étoiles à ce roman noir pas si Américain justement !

Bonne lecture !

 

 Vian B, Elles se rendent pas compte. Librairie Générale Française, 10/2020. 126 p. Le Livre de poche, 14921. ISBN 978-2-253-14921-7

Lucie SAIMPOL, 1ST2S1

La quête du bonheur

Source: https://0620056z.esidoc.fr/ document/id_0620056z_445.html

LHerbe rouge est un roman écrit par Boris Vian en 1947, juste après L’écume des jours. Le jazzman emblématique de Saint-Germain-des-Prés nous y offre une autobiographie. Si son récit ne connaît pas un très grand succès lors de sa parution, cest en 1985, grâce à l’adaptation télévisée de Pierre Kast, que le public redécouvrira son ouvrage, lui apportant reconnaissance et faisant (re)découvrir la modernité de son œuvre. J’ai personnellement découvert cette œuvre grâce au Prix littéraire Carnot, œuvre qui m’a plu grâce aux thèmes que Boris Vian y aborde.

LHerbe rouge nous raconte lhistoire de deux couples, celui de Wolf et son épouse Lil, et celui de Saphir Lazuli et de son amie Folavril. Le personnage principal, Wolf, est atteint dune profonde tristesse dont il aimerait se débarrasser. Persuadé que cette source de mal-être et dangoisses multiples provient de son passé, il décide de construire une machine capable d’effacer les souvenirs qui lont traumatisé. N’avez-vous jamais rêvé vous-même d’effacer vos mauvais souvenirs ? Mais, pour pouvoir les effacer à tout jamais de sa mémoire, Wolf va devoir revivre ses souvenirs avec les sentiments qu’il a refoulés durant son enfance et expliquer devant un jury imaginaire les raisons de son souhait de les oublier ! Il devra alors refaire face à des parents trop protecteurs, des études trop longues, des relations amoureuses compliquées et bien d’autres problèmes qui ne lui ont pas facilité la vie…

Un surréalisme abondant et complexe

Malgré l’entrée difficile dans cette œuvre par son côté surréaliste, j’en ai tout de même apprécié la lecture. Il y a également de nombreuses descriptions et le fait que le roman soit structuré en plusieurs chapitres peut paradoxalement compliquer la lecture et la perception du bon déroulement de lhistoire. Jai moi-même rencontré des problèmes dans certains passages du récit. Cependant, j’ai beaucoup apprécié les thèmes abordés, les trouvant très intéressants. En effet, nous, les lecteurs et lectrices, avons limpression d’être le psy de Wolf qui nous raconte ses traumatismes denfance. On peut avoir limpression que le jeune homme nous fait directement part de son mal-être, ce qui ma particulièrement plu. On éprouve des sentiments envers ce personnage, on a l’impression d’avoir une sorte d’échange avec lui, on peut le comprendre sur certains points comme lorsqu’il revient sur ses études trop longues et épuisantes. Par ces retours, Boris Vian rend la lecture moins monotone et plus divertissante. De plus, on se rend compte que Wolf crée sa machine dans le but de trouver le bonheur et d’être épanoui dans sa vie. Or, nous cherchons – voire nous rêvons – toutes et tous de trouver le remède miracle pour être heureux lorsque nous avons « le moral dans les chaussettes ».

Un récit aux échos autobiographiques

Boris Vian en 1948 Source: https://fr.wikipedia.org/wiki/ Boris_Vian#/media/Fichier:Boris_Vian .jpg

Pour moi, cette œuvre a une part autobiographique. En effet, Boris Vian y fait des références à sa séparation avec sa première femme, Michelle Léglise, à travers Wolf et Lil. Par exemple, lorsque Wolf casse volontairement le saladier de cristal de Lil en lui disant qu’il ne ressent plus rien et qu’il est temps qu’il parte : c’est ce que Michelle aurait dit à Vian lors de leur séparation. Il fait aussi référence à son parcours d’ingénieur avec linvention de la machine de Wolf. Par ailleurs je trouve qu’au début de lœuvre, Lil et Folavril sont caricaturées. Leurs personnalités sont stéréotypées et renvoient à des images de femmes amoureuses, obéissantes et méprisables comme lorsque Lil veut dormir avec Wolf et qu’elle ne le fait pas, ce dernier étant occupé avec son ami Saphir, ce qui la renvoie à l’image d’une femme obéissante qui n’ose pas déranger son mari. Cependant, plus nous avançons dans le récit, plus elles deviennent indépendantes et même féministes ce qui m’a, personnellement, beaucoup plu et marqué. N’oublions pas que Boris Vian a écrit ce roman dans les années 50, années où les femmes sont perçues – et sont – comme des mères au foyer qui s’occupent des tâches ménagères, des enfants et de leur mari. Il fait donc preuve d’une grande modernité dans son approche de la psychologie féminine ! Je pense aussi que le titre que Boris Vian a donné à son roman rappelle, par son surréalisme, que tout peut être inventé. Vian s’inspire du monde qui l’entoure pour créer le sien et c’est là que résident la force et la singularité de son œuvre !

Pour ces raisons, j’attribue trois étoiles à ce roman qui, très captivant, nous « retourne un peu le cerveau » par l’écriture surréaliste de notre cher Boris Vian !

Bonne lecture à vous !

Vian, Boris. L’herbe rouge. Librairie Générale Française, 03/2021. 188 p. Le Livre de poche, 2622. ISBN 978-2-253-00135-5

 

SAIMPOL Lucie, 1ST2S1