La question du bonheur: Compléments de la leçon

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Compléments 1:

Plan du cours

Introduction : les mots du langage/ l’étymologie du mot – Désir et volonté – le discours publicitaire et discours raisonné – vrai et faux bonheur – Faut-il faire de la recherche du bonheur une recherche fondamentale ?

I DEFINIR LE BONHEUR

– Les genres d’être : définition économique, sociologique, psychologique et philosophique – activité et productivité
– L’étude des genres de vie : vie de plaisirs (Hédonisme et Epicurisme) – vie d’honneur – vie de vertu (Stoïcisme) – vie contemplative
– La définition mixte du bonheur : L‘Ethique à Nicomaque d’Aristote (manuel de philosophie Magnard Textes du  Chapitre Le devoir et le bonheur, p. 616-617)

Transition : la recherche raisonnée d’une définition conduit à une délimitation prudente du bonheur. Que nous enseigne l’expérience du bonheur ?

II EPROUVER LE BONHEUR : BONHEUR ET MALHEUR

– le malheur des justes : l’histoire du Livre de Job : lecture de Maïmonide – lecture de Kierkegaard
– Bonheur naïf, conscience malheureuse et « Bonheur parfait » La genèse
– L’inexistence du malheur absolu : Si c’est un homme P. Lévi

Transition : l’expérience authentique du bonheur est toujours une expérience de sa relativité au malheur. A quoi conduit l’imagination du bonheur ?

III LA FINALITE DU BONHEUR 

– Un risque d’illusion morale (Schopenhauer) :
« Il n’y a qu’une erreur innée, c’est celle qui consiste à croire que nous existons pour être heureux «  (Le monde comme volonté et comme représentation, Supplément au livre IV, §49)

– Ce qu’il est permis d’espérer du bonheur (Kant) selon une triple approche théorique, pratique et symbolique de l’humain

1/ Le bonheur est théoriquement un concept problématique cad qui demande l’impossible, soit empiriquement la synthèse harmonieuse d’éléments discordants, et raisonnablement une règle de vie claire capable d’ordonner en un tout les plus diverses représentations de l’imagination :
« Le concept de bonheur est un concept si indéterminé que malgré le désir qu’à tout homme d’arriver à être heureux, personne ne peut jamais dire en termes précis et cohérents ce que véritablement il désire et il veut. La raison en est que tous les éléments qui font partis du concept de bonheur sont dans leur ensemble empiriques, cad qu’ils doivent être empruntés à l’expérience, et que cependant pour l’idée du bonheur un tout absolu, un maximum de bien-être dans mon état présent et futur, est nécessaire. Or il est impossible qu’un être fini, si perspicace et en même temps si puissant qu’on le suppose, se fassse un concept déterminé de ce qu’il veut ici véritablement.» (Fondements de la métaphysique des mœurs, section 2)

2/ Il y a pratiquement une antinomie cad une division distinctive des principes de la raison qui n’implique pas une condamnation mais une subordination de la recherche du bonheur à celle du devoir moral qui enseigne non comment être heureux mais à quelles conditions un être raisonnable peut mériter de l’être :
« Cette distinction du principe du bonheur et du principe de moralité n’est pas pour
cela une opposition, et la raison (…) ne veut pas qu’on renonce à toute prétention au
bonheur, mais seulement qu’aussitôt qu’il s’agit du devoir, on ne le prenne pas du
tout en considération. Ce peut même être à certains égards un devoir que de prendre soin de son bonheur (…) On ne doit jamais traité la morale en soi comme une doctrine du bonheur, cad comme une doctrine qui nous apprendrait à devenir heureux car elle n’a exclusivement à faire qu’à la condition rationnelle du bonheur et non à un moyen de l’obtenir» (Critique de la raison pratique)

3/ Le bonheur est symboliquement une recherche naturelle à l’homme mais non la destination ultime de son être raisonnable et libre :
« La nature (…) ne fait rien de superflu et elle n’est pas prodigue dans l’usage des moyens pour atteindre ses fins. (…) (Elle) semble ici s’être complue dans sa plus grande économie et elle a mesuré au plus juste, avec beaucoup de parcimonie, sa dotation animale pour le besoin [pourtant] extrême d’une existence commençante; comme si elle avait voulu que l’homme, quand il se serait hissé de la plus grande inculture à la plus grande habileté, à la perfection intérieure du mode de penser, et par là (autant qu’il est possible sur terre) à la félicité, en eût ainsi le plein mérite, et n’en fût redevable qu’à lui-même; comme si également elle avait eu plus à cœur l’estime de soi d’un être raisonnable que le bien-être. » (Idée d’une histoire universelle…, prop 3)

Conclusion : nécessité de minorer la valeur de l’idée de bonheur: une définition imparfaite (I)– une expérience relative au malheur (II)- une fin pas aussi suprême qu’elle n’y paraît (III). Ouverture : limiter le bonheur pour laisser une place à la morale.

 

Complément 2:

« Les souhaits ridicules »

de C.Perrault (A écouter aussi ici)

Si vous étiez moins raisonnable,
Je me garderais bien de venir vous conter
La folle et peu galante fable
Que je m’en vais vous débiter.
Une aune de Boudin en fournit la matière.
Une aune de Boudin, ma chère !
Quelle pitié ! c’est une horreur
S’écriait une Précieuse,
Qui toujours tendre et sérieuse
Ne veut ouïr parler que d’affaires de coeur.
Mais vous qui mieux qu’âme qui vive
Savez charmer en racontant,
Et dont l’expression est toujours si naïve,
Que l’on croit voir ce qu’on entend ;
Qui savez que c’est la manière
Dont quelque chose est inventé,
Qui beaucoup plus que la matière
De tout Récit fait la beauté,
Vous aimerez ma fable et sa moralité ;
J’en ai, j’ose le dire, une assurance entière.

Il était une fois un pauvre Bûcheron
Qui las de sa pénible vie,
Avait, disait-il, grande envie
De s’aller reposer aux bords de l’Achéron :
Représentant, dans sa douleur profonde,
Que depuis qu’il était au monde,
Le Ciel cruel n’avait jamais
Voulu remplir un seul de ses souhaits.

Un jour que, dans le Bois, il se mit à se plaindre,
À lui, la foudre en main, Jupiter s’apparut.
On aurait peine à bien dépeindre
La peur que le bonhomme en eut.
Je ne veux rien, dit-il, en se jetant par terre,
Point de souhaits, point de Tonnerre,
Seigneur demeurons but à but.
Cesse d’avoir aucune crainte ;
Je viens, dit Jupiter, touché de ta complainte,
je faire voir le tort que tu me fais.
Ecoute donc. Je te promets,
Moi qui du monde entier suis le souverain maître,
D’exaucer pleinement les trois premiers souhaits
Que tu voudras former sur quoi que ce puisse être.
Vois ce qui peut te rendre heureux,
Vois ce qui peut te satisfaire ;
Et comme ton bonheur dépend tout de tes voeux,
Songes-y bien avant que de les faire.

À ces mots Jupiter dans les Cieux remonta,
Et le gai Bûcheron, embrassant sa falourde,
Pour retourner chez lui sur son dos la jeta.
Cette charge jamais ne lui parut moins lourde.
Il ne faut pas, disait-il en trottant,
Dans tout ceci, rien faire à la légère ;
Il faut, le cas est important,
En prendre avis de notre ménagère.
Ça, dit-il, en entrant sous son toit de fougère,
Faisons, Fanchon, grand feu, grand chère ;
Nous sommes riches à jamais,
Et nous n’avons qu’à faire des souhaits.
Là-des jus tout au long le fait il lui raconte.
A ce récit, l’Epouse vive et prompte
Forma dans son esprit mille vastes projets ;
Mais considérant l’importance
De s’y conduire avec prudence :

Blaise, mon cher ami, dit-elle à son époux,
Ne gâtons rien par notre impatience ;
Examinons bien entre nous
Ce qu’il faut faire en pareille occurrence ;
Remettons à demain notre premier souhait
Et consultons notre chevet.
Je l’entends bien ainsi, dit le bonhomme Blaise ;
Mais va tirer du vin derrière ces fagots.
À son retour il but, et goûtant à son aise
Près d’un grand feu la douceur du repos,
Il dit, en s’appuyant sur le dos de sa chaise :
Pendant que nous avons une si bonne braise,
Qu’une aune de Boudin viendrait bien à propos !
À peine acheva-t-il de prononcer ces mots
Que sa femme aperçut, grandement étonnée,
Un Boudin fort long, qui partant
D’un des coins de la cheminée,
S’approchait d’elle en serpentant.
Elle fit un cri dans l’instant ;
Mais jugeant que cette aventure
Avait pour cause le souhait
Que par bêtise toute pure
Son homme imprudent avait fait,
Il n’est point de pouille et d’injure
Que de dépit et de courroux
Elle ne dît au pauvre époux.
Quand on peut, disait-elle, obtenir un Empire,
De l’or, des perles, des rubis,
Des diamants, de beaux habits,
Est-ce alors du Boudin qu’il faut que l’on désire ?
Eh bien, j’ai tort, dit-il, j’ai mal placé mon choix,
J’ai commis une faute énorme,
Je ferai mieux une autre fois.
Bon, bon, dit-elle, attendez-moi sous l’orme,
Pour faire un tel souhait, il faut être bien boeuf !
L’époux plus d’une fois, emporté de colère,
Pensa faire tout bas le souhait d’être veuf,
Et peut-être, entre nous, ne pouvait-il mieux faire :
Les hommes, disait-il, pour souffrir sont bien nés !

Peste soit du Boudin et du Boudin encore ;
Plût à Dieu, maudite Pécore,
Qu’il te pendît au bout du nez !
La prière aussitôt du Ciel fut écoutée,

Et dès que le Mari la parole lâcha,
Au nez de l’épouse irritée
L’aune de Boudin s’attacha.
Ce prodige imprévu grandement le fâcha.
Fanchon était jolie, elle avait bonne grâce,
Et pour dire sans fard la vérité du fait,
Cet ornement en cette place
Ne faisait pas un bon effet ;
Si ce n’est qu’en pendant sur le bas du visage,
Il l’empêchait de parler aisément,
Pour un époux merveilleux avantage,
Et si grand qu’il pensa dans cet heureux moment
Ne souhaiter rien davantage.
Je pourrais bien, disait-il à part soi,
Après un malheur si funeste,
Avec le souhait qui me reste,
Tout d’un plein saut me faire Roi.
Rien n’égale, il est vrai, la grandeur souveraine ;
Mais encore faut-il songer
Comment serait faite la Reine,
Et dans quelle douleur ce serait la plonger
De l’aller placer sur un trône
Avec un nez plus long qu’une aune.
Il faut l’écouter sur cela,
Et qu’elle-même elle soit la maîtresse
De devenir une grande Princesse
En conservant l’horrible nez qu’elle a,
Ou de demeurer Bûcheronne
Avec un nez comme une autre personne,
Et tel qu’elle l’avait avant ce malheur-là.

La chose bien examinée,
Quoiqu’elle sût d’un sceptre et la force et l’effet,
Et que, quand on est couronnée,
On a toujours le nez bien fait ;
Comme au désir de plaire il n’est rien qui ne cède,
Elle aima mieux garder son Bavolet
Que d’être Reine et d’être laide.

Ainsi le Bûcheron ne changea point d’état,
Ne devint point grand Potentat,
D’écus ne remplit point sa bourse,
Trop heureux d’employer le souhait qui restait,
Faible bonheur pauvre ressource,
A remettre sa femme en l’état qu’elle était.

Bien est donc vrai qu’aux hommes misérables,
Aveugles, imprudents, inquiets, variables,
Pas n’appartient de faire des souhaits,
Et que peu d’entre eux sont capables
De bien user des dons que le Ciel leur a faits.

Auteur/autrice : JFC

Professeur de philosophie au lycée du Loquidy

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