Témoignage de Shana, ancienne élève de Daguin, sur son expérience post-bac

Il est important pour les élèves appartenant à cette préparation de découvrir les témoignages d’étudiants ayant réussi à rentrer à Sciences Po Bordeaux, mais aussi ceux de candidats qui ont échoué. Il est en effet crucial de savoir rebondir dans le cas où, et c’est malheureusement le cas pour la majorité des candidats, la porte de l’IEP resterait fermée.

Shana, ancienne élève du lycée Fernand Daguin, a accepté de nous livrer son expérience quant aux épreuves d’admission de cet institut, et quant à son parcours qui nous l’espérons vous inspirera.

 

Pourquoi vouliez-vous intégrer l’IEP de Bordeaux ? Quels sont les éléments qui vous ont attirés dans cette formation ?

S.Z : J’ai voulu intégrer l’IEP de Bordeaux car en plus de la proximité avec mon domicile, le contenu de l’enseignement qui y est dispensé m’a vraiment attirée. La diversité des cours a, pour moi été le facteur déterminant pour que je candidate. Économie, sciences humaines, sciences sociales, histoire, droit, et même des ateliers artistiques, j’aurais eu l’occasion de m’épanouir dans plusieurs domaines, ce qui me semble tout de même plus compliqué dans une filière qui se concentre sur une discipline particulière.

 

Comment avez-vous préparé l’entrée à cette école ?

S.Z : J’ai acheté des annales « préparer le concours science po », j’ai lu des blogs d’anciens candidats, j’ai beaucoup révisé avec des quizz de culture générale et je me suis, bien entendu, vraiment impliquée en cours.

 

Que vous a-t-il semblé difficile dans cette préparation ?

S.Z : L’idée que mes chances d’entrer dans l’IEP étaient faibles a vraiment été quelque chose de difficile dans ma préparation. De nature assez anxieuse j’ai été mise à rude épreuve et souvent je me suis dit « Tu fais probablement ça pour rien ». Aussi le fait de me comparer aux autres ne m’a pas aidée à tel point que parfois j’en ai oublié mes propres qualités.

 

Quels conseils donneriez-vous à un lycéen préparant l’IEP de Bordeaux ?

S.Z : Ne pas tout miser sur Sciences Po. N’oubliez pas de choisir d’autres projets au cas où. Et surtout ça ne sert à rien de se comparer aux autres pour se déprécier. N’hésitez pas non plus à solliciter vos enseignants, ils sont là pour vous aider à progresser.

 

Quels étaient les alternatives à ce projet ?

S.Z : J’ai demandé des licences en histoire et en LLCER anglais un peu partout en France pour pouvoir retomber sur mes pieds en cas de refus de Sciences Po.

 

Que faites-vous maintenant ?

 S.Z : Je suis en L1 histoire à l’université Bordeaux Montaigne avec une mineure en Littérature et civilisation anglaise et américaine.

 

Etes-vous satisfaite de votre orientation ? Si oui, pourquoi ? Si non, pourquoi ?

S.Z : Malheureusement je pense avoir fait mon choix trop vite en ayant mes résultats sur Parcoursup et je compte me réorienter en licence de LLCER anglais. La licence d’histoire ne m’intéresse pas autant que je pensais, j’aurais aimé apprendre de nouvelles choses, travailler sur des périodes dans le temps et dans le monde que je n’ai jamais vues auparavant.

 

Avez-vous un projet professionnel en tête ? Si oui, lequel ?

S.Z : Au cours de mon premier semestre à l’université je me suis rendue compte que ce qui me manquait le plus du lycée était le fait de pouvoir m’exprimer en anglais. Je comptais déjà travailler dans l’enseignement alors je souhaiterais devenir professeure d’anglais en lycée si possible. 

 

Par Baptiste Guedon

L’art de perdre, Alice Zeniter

L’art de perdre d’Alice Zeniter

 

 

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Fiche identité de l’œuvre :

Titre : L’art de perdre
Auteure : Alice Zeniter
Date de parution : 16 août 2017
Editions : Flammarion
Genre : Roman
Distinctions : Prix Goncourt des Lycéens, prix littéraire du Monde, prix Landerneau des lecteurs, prix des libraires de Nancy
Nombre de pages : 606

 

 

Ce roman publié en 2017 a été écrit par Alice Zeniter, dramaturge, metteuse en scène et femme de lettres franco algérienne née le 7 septembre 1986 à Clamart. Elle est également l’auteure de Sombre dimanche, prix des lecteurs de l’Express et prix de la Closerie des Lilas et de Juste avant l’Oubli, prix Renaudot des lycéens. Cependant, c’est bien son cinquième roman L’art de perdre qui se distingue au sein de sa bibliographie. Celui-ci a en effet été récompensé par de nombreux prix littéraires remarquables tels que le prix Goncourt des lycéens de 2017 et le prix littéraire du Monde. Il a de ce fait reçu un accueil de la critique exceptionnel ainsi que du lectorat français. En outre, il constitue pour l’écrivaine elle-même une partie de sa quête identitaire.

Effectivement, cette œuvre décomposée en trois parties a pour point de départ l’insurrection indépendantiste en Algérie française dès les années 1950. Ainsi, ce roman retrace le parcours d’une famille provenant de Kabylie qui a fait le choix de quitter l’Algérie à sa libération en 1962 pour la France.

Dans la première partie intitulée L’Algérie de papa, une famille menée par l’aîné, Ali travaillant avec ses frères dans les terres montagneuses de l’Algérie encore française est introduite. Ali est à l’origine du tournant que prend sa vie et celle de toute sa famille quand il fuit l’Algérie laissant derrière lui l’image d’un traître pour les membres du FNL(Front de libération nationale algérien) s’étant battus pour s’affranchir de la colonisation française.
A travers son histoire, un premier aspect particulièrement important du roman est mis en lumière, celui de la complexité de ce conflit qui, pour longtemps, a été maintenu sous silence. Seulement, une fois arrivés en France, bien qu’ayant fait le choix de suivre ce pays, lui et sa famille ne sont pas jugés comme suffisamment français et, dans les camps de transit, ils se sentent enfermés, délaissés et bien-sûr dépaysés. Une contradiction s’élève alors, il ne sont plus Algériens mais pas vraiment Français pour autant. Comment se reconstruire avec le sentiment d’être désormais apatrides ?

Cela amène la question de l’intégration étudiée dans la deuxième partie, La France froide, durant laquelle on suit l’évolution du fils aîné d’Ali, le brillant Hamid qui fait le choix de se détacher progressivement du passé de sa famille et de se mêler à la population française en intégrant ses moeurs, son langage et ses coutumes. Il se rend rapidement compte qu’en tant qu’immigré il doit sans cesse redoubler d’efforts. Il se bat pour être accepté et vient même jusqu’à intérioriser certains stéréotypes et mythes racistes tel que celui du “bon arabe”. Il cherche à tout prix à renvoyer une image de jeune adulte sérieux et ne causant pas de troubles pour se confondre à ces concitoyens. Mais à quel prix se fait cette intégration ?

Enfin, la troisième partie met en scène la troisième génération de cette famille catégorisée comme harki, celle menée par la fille d’Hamid, Naïma. Celle-ci apparaît comme étant le double littéraire de l’auteure, elle-même descendante de harkis. Naïma souffre du silence qui s’est installé autour de la relation entre l’Algérie et sa famille. Elle se sent perdue et comme incomplète ne connaissant rien de son pays d’origine. Elle réalise que l’essence d’un pays, d’une origine ne se trouve pas dans le sang mais bien dans ses valeurs, dans ses pratiques, dans son héritage. Un pays se doit d’être raconté, il nécessite de cette manière un réel devoir de transmission.
Elle finit par partir pour l’Algérie pour une mission d’abord artistique liée à son travail dans une galerie parisienne mais finit par accomplir ce à quoi elle aspirait sans même le savoir depuis toujours : retourner sur les traces de sa famille. Ce voyage lui permet de ne plus se représenter l’Algérie seulement à travers de vagues témoignages familiaux ou par des recherches arbitraires. Elle peut enfin construire sa propre vision de l’Algérie.

Ce roman passionnant est raconté par une narratrice extérieure à l’histoire, ce qui rend ses lignes universelles. Il soulève de nombreuses problématiques sur le devoir de mémoire, l’identité ainsi que sur le long chemin vers l’intégration. Ces thématiques sont encore aujourd’hui au cœur de nos sociétés et s’y intéresser est une absolue nécessité. L’écriture est touchante et parvient à aborder brillamment l’histoire intergénérationnelle de cette famille de harkis partagée entre ses racines et son nouveau pays. A propos de ce roman, l’auteure dit “je voulais combler les vides de mon silence”. Elle suit alors la trace de Naïma qui cherche à percevoir les multiples aspects de cette Algérie en mouvement.
La lecture de cette œuvre est particulièrement agréable et conduit à l’éveil de la conscience du lecteur.

Julie Colliou, TG07, cheffe de la rubrique “On a lu”

Comment accéder à Sciences Po Bordeaux ?

  • Entrer en cursus général

Comme beaucoup d’autres formations, Sciences Po Bordeaux est disponible sur Parcoursup. De ce fait, depuis que le portail est ouvert (20 janvier dernier), pour les élèves de terminale, il faut s’inscrire sur la plateforme et formuler le vœu d’accès à Sciences Po Bordeaux.

Une fois le vœu effectué, la procédure d’accès à Sciences Po Bordeaux se déroule en deux phases :

  • La phase d’admissibilité
  • La phase d’admission.

Premièrement, la phase d’admissibilité se base sur les bulletins (des deux semestres de première, du premier et du second trimestre de terminale), sur les notes des épreuves anticipées de français et sur celles des épreuves de spécialités du baccalauréat. L’algorithme de Sciences Po Bordeaux observe les matières suivantes :

  • Français,
  • Histoire géographie
  • LVA et LVB
  • Enseignements de spécialités

À savoir que l’écart entre la moyenne du candidat et celle de la classe est également pris en compte au-delà des notes obtenues par celui-ci. De plus, les frais de dossier pour candidater s’élèvent à 120 euros, mais ils sont réduits à 20 euros pour les candidats ayant suivi le programme JPPJV.

Une fois la première phase terminée, le candidat sait s’il est éligible pour la phase d’admission. Si tel est le cas, le candidat est convoqué pour un oral qui se déroule dans les locaux de Sciences Po Bordeaux entre fin avril et début mai. Cet oral dure 20 minutes et s’effectue en présence de deux professeurs de Sciences Po. Un document en lien avec l’actualité des six derniers mois est proposé au candidat qui doit s’appuyer sur sa culture générale pour analyser les enjeux liés au sujet et commenter le document dans le temps imparti. En suivant, le candidat s’entretient avec le jury et doit mettre en valeur ses qualités et son intérêt pour Sciences Po ainsi que ses centres d’intérêts.

En parallèle de cet oral, une étude attentive du dossier déposé par le candidat sur Parcousup est menée.

L’accent est mis sur :

  • Les bulletins disponibles sur Parcoursup
  • La fiche avenir
  • La « meilleure copie », une copie rédigée à la main dans le cadre d’un devoir sur table (français, histoire géographie, LVB ou LVB, Enseignements de spécialités, philosophie), permettant d’observer les compétences rédactionnelles
  • La rubrique « activités et centres d’intérêt »
  • Le projet de formation motivé.

À la suite de cela, le candidat obtient deux notes correspondant à l’oral et à l’étude du dossier, ce qui le classe parmi les autres candidats et lui permet d’intégrer ou non Sciences Po Bordeaux. Lors de la session 2020, 275 places étaient à pourvoir.

 

  • Entrer en filière intégrée binationale

Pour les filières binationales, la procédure est similaire à celle du cursus général. La « meilleure copie » doit cependant être rédigée dans la langue de la filière escomptée.

L’oral se fait également dans la langue de la filière d’où la nécessité d’avoir pratiqué la langue en LVA ou LVB au lycée.

Pour rappel, il existe 6 filières intégrées binationales à Sciences Po Bordeaux :

  • France – Allemagne (en allemand)
  • France – Caraïbes (en anglais)
  • France – Espagne (en espagnol)
  • France – Portugal (en portugais)
  • France – Hong-Kong (en anglais)
  • France – Italie (en anglais avec obligation de pratiquer l’italien en LVB)

Par Margaux Jocaille, élève en terminale 7

Biographie de Simone Veil !

SIMONE VEIL


Simone Veil née le 13 juillet 1927 et décédée le 30 juin 2017, est une politicienne qui a fait adopter, en 1974, la loi dépénalisant l’avortement. Simone Veil, née dans une famille juive, est déportée à Auschwitz à l’âge de 16 ans, durant la Shoah. Elle et ses deux sœurs sont les seules survivantes. De retour en France après la guerre, elle s’inscrit, en 1945, à l’Institut d’études politiques de Paris (IEP Science Po). En 1974, elle est nommée ministre de la Santé par le président Valéry Giscard d’Estaing, qui la charge de faire adopter la loi dépénalisant le recours à l’interruption volontaire de grossesse (IVG), loi qui sera ensuite couramment désignée comme la « loi Veil ». Elle apparaît dès lors comme icône de la lutte contre la discrimination des femmes en France.

Ses ouvrages :
Une vie – 2007
Ce livre est une autobiographie de Simone Veil qui retrace sa vie depuis les années 30 jusqu’à la période précédant son élection à l’Académie française en 2008. Au moment de sa parution, le livre a un succès phénoménal en partie grâce à la notoriété de Simone Veil et par ses confessions dans des témoignages sur la déportation qu’elle a vécue. Cette autobiographie est un livre rempli de force et d’espoir. On y découvre au fil des pages le courage d’une jeune fille devenue femme qui permettra de faire avancées les droits de la femme.
Les hommes aussi s’en souviennent – 2004
Le 26 novembre 1974, Simone Veil présente son projet de loi sur l’interruption volontaire de grossesse devant l’Assemblée nationale. Les débats qui suivent révèlent à la France entière une personnalité courageuse et déterminée, défendant à la fois la dignité de la femme et l’intérêt de la nation. Ce discours, publié dans cet ouvrage, est accompagné d’un entretien avec Annick Cojean,
journaliste au Monde, qui éclaire le contexte de l’époque et mesure l’évolution des mentalités.

FIFH : Où est Anne Frank !, Ari Folman

Un voyage de tolérance entre passé et présent

Par Emilie Mistrot, élève de terminale 7 et membre de l’atelier critique du Festival international du film d’histoire de Pessac

Avec Où est Anne Frank !, Ari Folman s’adresse à la jeune génération sur la question de la tolérance.

Par des allées et venues dans le passé d’Anne Frank, Ari Folman met en scène la Seconde Guerre Mondiale, dans unr Amsterdam occupér par les nazis, figurés en grands méchants de films enfantins. Seuls personnages masqués, et rappelant le Sans-visage (Kaonashi) dans Le Voyage de Chihiro, on comprend alors que le choix de représentation de ces derniers n’est pas anodin. Le Sans-visage de Miyazaki semblait être dévoué à la jeune fille, prêt à réaliser les pires folies, masquant en réalité un réel besoin de solitude. Son masque de nô symbolisant par ailleurs la dissimulation de soi et la confusion des identités, que l’on pourrait voir dans la représentation des nazis par Ari Folman, formés et endoctrinés dès leur plus jeune âge à servir aveuglement leur führer. En les déshumanisant ainsi, tous représentés de la même manière, Ari Folman lance un message politique antifasciste.

L’esthétique animée du film, permet à la fois d’atténuer la violence et la terreur des événements mais aussi d’utiliser l’imaginaire. C’est alors par des graphismes doux et chaleureux
(hormis lors des scènes représentant les nazis) que Ari Folman peut inventer et créer l’imaginaire. En effet, les couleurs sont harmonieuses et ne sont jamais trop vives, les traits des visages expressifs et les yeux d’Anne Frank pétillants. Les dessins sont par ailleurs accompagnés de musiques mélodieuses et lumineuses lorsque les scènes portent un message de paix. À l’inverse, les scènes représentant les nazis donnent une impression d’enfermement, le ciel est nuageux et sombre, et seul le bruit des pas lourds des soldats se fait entendre. L’imaginaire du réalisateur et surtout de la jeune Anne Frank en adoucissent alors les contours lors des affrontements, par l’intervention des créatures mythologiques et du mythe grec des enfers qui fascinent tant Anne Frank et de nombreux autres enfants.

Par-delà une démarche historique, le réalisateur expose son opinion politique, critiquant la marchandisation moderne des figures du passé. « Anne est partout », tout autour de cet appartement les bâtiments modernes et des ponts ont repris son nom, des pièces de théâtre lui sont dédiées, les centaines d’éditions de son journal sont vendues dans le monde entier et ses mots en deviennent déformés. Le propriétaire du musée qu’est devenu l’immeuble nous apparaît d’ailleurs caricaturé, semblant détaché de l’histoire de la jeune fille et vivant pourtant sur le dos de celle-ci. La façon dont Ari Folman représente ce musée et les touristes qui le visitent semble également faire le rapprochement avec toute l’économie développée sur les souffrances des autres. Notamment, les visites des camps de concentration et d’extermination où les employés sont décrits avec le même détachement que l’homme enrobé.

On remarque par ailleurs tout au long du film l’affichage de sortes d’avis de recherches du fameux journal, en l’échange d’une somme importante en récompense, comme si l’on pouvait donner un prix journal… Ces affiches peuvent alors être vues comme la satire de la propagande, de la publicité, et des préoccupations parfois futiles des sociétés contemporaines. Le rôle central de la mémoire et de la réelle portée des messages de ces anciennes figures est alors présenté comme une responsabilité collective par le réalisateur, mettant en scène la jeune Kitty défendant Anne Frank et critiquant la pièce qui lui est dédiée : « Elle n’a jamais dit ça ! ». Ari Folman veut ainsi faire de ses spectateurs, et notamment de la jeune génération, des héritiers du passés et acteurs du présent. Le parallèle fait avec la situation actuelle des réfugiés et des enfants de réfugiés, longuement décrite et illustrée, s’inscrit alors également dans sa démarche politique. En effet ces derniers sont finalement sauvés par le message d’Anne Frank rappelé par la jeune Kitty : « Faites tout votre possible pour préserver une seule âme. Une seule âme ! ». On peut alors voir un slogan dans le titre du film, dont le point d’exclamation apporte une dimension politique.

Les scènes de flashback finissent toutefois par être lassantes, donnant l’impression que Ari Folman aborde des passages obligatoires de la vie d’Anne Frank, et se prive de raconter l’histoire du présent pour faire retourner Kitty dans le passé. En effet, lorsque Kitty plonge dans le passé de Anne au travers de la lecture du journal, l’encre qui s’évapore donne lieu à des scènes qui deviennent répétitives au point d’avoir le sentiment d’observer un générique de dessin animé à maintes reprises. Elles donnent ainsi lieu à une scène qui paraît indispensable pour le réalisateur, au théâtre Anne Frank, dans laquelle Kitty s’installe parmi les spectateurs, non pour observer le spectacle mais pour plonger dans le journal, demandant à son voisin de la lumière pour lire dans la salle plongée dans le noir. Le sentiment que le réalisateur avait une scène à placer, dans le but d’aborder tous les moments clés de la vie d’Anne Frank mais sans réellement savoir où est alors déplaisant. On se sent par ailleurs soulagé lorsque celles-ci n’apparaissent plus, comme s’il en était de même pour lui, ayant rempli ses obligations. Il est également dommage que certaines répliques et scènes semblent parfois trop enfantines et idéalistes bien que cet aspect pourrait être lié à la jeunesse d’Anne Frank (décédée à 15 ans seulement) et de Kitty. Par ailleurs, la relation que Kitty développe tout au long du film avec un jeune garçon (Peter, apparemment orphelin), alors décrite comme une relation amoureuse dès la première rencontre s’inscrit également dans une démarche plutôt naïve. Si elle peut être vue comme un parallèle avec l’histoire d’Anne Frank et de Peter dans l’appartement d’Amsterdam, elle n’apporte
rien au film. Kitty a été envoyée dans le présent pour faire perdurer le réel message d’Anne Frank et le faire entendre dans le monde entier. La relation amoureuse développée, entre une personne réelle et imaginaire, paraît dès lors superflue, en plus d’être un peu gênante.

Reste que l’appel d’Ari Folman à ses spectateurs retentit avec force, amplifié par un mégaphone. Au travers d’un message de tolérance et d’espoir, le cinéaste apporte son soutien aux familles et enfants réfugiés, victimes d’une histoire en perpétuelle répétition.

Où est Anne Frank !

Belgique, France, Israël, Pays-Bas, Luxembourg, 2021

Titre original : Where Is Anne Frank
Réalisation : Ari Folman
Scénario : Ari Folman, d’après Le Journal
d’Anne Frank
Musique : Ben Goldwasser et Karen O
Genre : animation, historique, fantastique
Durée : 99 minutes
Date de sortie en France : 8 décembre 2021

FIFH : Le Diable n’existe pas, Mohammad Rasoulof

Le lien exécutif

Par Emilie Mistrot, élève de terminale 7 et membre de l’atelier critique du Festival international du film d’histoire de Pessac

Dans un Iran totalitaire et répressif, Mohammad Rasoulof met brillamment en scène quatre récits liés par l’extrême violence d’une loi toujours en vigueur dans le pays : la peine de mort.

C’est dans une dimension politique que Mohammad Rasoulof fait de son film un plaidoyer contre la peine de mort, nous entrainant dans la vie quotidienne de personnages sans cesse tourmentés. Les quatre récits indépendants s’imbriquent ainsi les uns les autres comme s’il s’agissait de courts-métrages, séparés par des écrans noirs. Le premier est particulièrement perturbant : la responsabilité individuelle et la liberté de conscience rongent les personnages, magnifiquement interprétés. Les interprétations d’Heshmat (Ehsan Mirhosseini), le père de famille hanté par son travail, de Pouya (Kaveh Ahangar), jeune homme conscrit réticent à tuer, de Javad (Mohammad Valizadegan), prisonnier d’un dilemme cornélien ou encore de Bharam (Mohammad Seddighimehr), prenant une décision cruciale pour sa fille, sont toutes d’une justesse et d’un réalisme impressionnants. Si certains personnages répondent alors avecobéissance au régime, d’autres affirment leur refus catégorique et se rebellent, chacun à leur manière.

Tourné en clandestinité, toute la puissance du film réside dans des scènes clés, parfois choquantes. La toute première scène nous induit d’ailleurs en erreur, montrant Heshmat aidé par un autre homme en train de porter un grand sac lourd dans le coffre de sa voiture. On pense alors à un meurtre avec Heshmat dans le rôle de l’assassin , possiblement sous les ordres du régime. Puis vient
le contrôle du véhicule. Un garde ouvre le coffre et lui demande ce dont il s’agit. Un simple sac de riz, la provision annuelle du père de famille. Bienvenue en Iran, un pays où l’on cache son
approvisionnement de riz comme on dissimulerait un cadavre. Bienvenue dans la dictature. Par ailleurs, la dernière scène de ce premier récit ébranle : la découverte du métier complétement
inhumain de Heshmat, appuyant sur un simple bouton qui met fin à toute une vie, plongeant la caméra et notre regard dans la pièce d’en face, où le dernier jugement des prisonniers est rendu. Heshmat, le jeune Pouya du deuxième récit et Javad, du troisième sont en réalité des bourreaux, forcés sous la pression du régime, sous peine de passer de l’autre côté de cette pièce. La scène dure, et nous force à regarder uniquement les pieds et les jambes tendues des prisonniers impuissants, pendus, pour lesquels nous savons que l’acte qu’ils subissent n’est pas justifié. Dans un contexte aussi oppressif, la magnifique esthétique de l’œuvre impressionne. La voie des hurlements et de la rébellion violente n’est pas la bonne, et Mohammad Rasoulof l’a compris. Il nous transporte alors
avec délicatesse vers le régime totalitaire, au travers de paysages splendides et d’une photographie attentionnée. Le réalisateur n’hésite pas à prendre son temps afin de capter tous les moments de la vie de ses personnages. Pour autant, au fil des scènes, une colère profonde se fait ressentir. La ferme volonté de la paix et de la libération de son pays. Pour cela, Rasoulof n’hésite pas à filmer le quotidien des hommes et des femmes vivant en Iran. Il s’amuse d’ailleurs à accompagner cette esthétique des plans par des musiques parfois entrainantes, comme « Bella Ciao », qu’il utilise à deux reprises afin de nous faire comprendre le lien qui unit le deuxième et le dernier récit, dans le cadre d’une insurrection du peuple, d’une rébellion, au cœur d’un soulèvement révolutionnaire. Pour autant, le réalisateur sait aussi poser un silence lorsqu’il le faut. Certains plans fixes nous plongent alors dans des sons naturels et un calme plat : Heshmat en voiture, très tôt le matin alors qu’il fait encore nuit, laissant le feu passer au vert plusieurs fois avant de démarrer, comme s’il prenait le temps de devenir quelqu’un d’autre, d’être absent, hors de lui-même, afin d’aller vers l’horreur quotidienne qu’il est forcé de réaliser ; Javad et la femme qu’il souhaite épouser, appuyés chacun sur le côté d’un arbre, le regard perdu vers la rivière, faisant face à une affreuse nouvelle, comme surveillés par l’uniforme du militaire disposé de façon humaine sur les branches d’un arbre à leur droite, tel un spectre de la terreur du régime qui les observe. La représentation des femmes est d’ailleurs une facette importante du film tout au long des quatre récits. En effet, si les personnages principaux semblent toujours être des hommes, ils sont tous accompagnés par des rôles féminins, les guidant à travers le régime despotique. Elles aussi voguent entre intégrité et révolte, avec force et fragilité, poussant parfois les hommes à l’acte de rébellion : Elle m’a dit « Tu peux le faire », titre du deuxième récit s’opposant aux ordres du régime : « C’est ton devoir. Tu n’as pas le choix ».

La portée philosophique du film rappelle alors le concept de la « banalité du mal » théorisé par Hannah Arendt. Lorsqu’elle est acceptée par les populations, elle leur permet de vivre aisément, mais sous peine d’une force mentale incorruptible (Heshmat). Elle apporte également le mensonge et la souffrance, et pousse à créer une opposition : « À quoi bon dire une vérité qui détruit la vie de l’autre ? ».

Mohammed Rasoulof blâme alors avec brio et poésie la situation alarmante de son pays, condamné par son régime à vivre dans l’oppression, la peur et la révolte. Film humaniste, poignant et lumineux, Le Diable n’existe pas s’inscrit ainsi parmi les nombreux chef-d’œuvre, cherchant à prouver toute la beauté que l’Iran peut nous offrir.

Le Diable n’existe pas

Allemagne, Iran, République Tchèque, 2021

Réalisateur : Mohammad Rasoulof
Acteurs : Ehsan Mirhosseini, Kaveh Ahangar, Alireza Zareparast, Salar Khamseh
Genre : Drame
Distributeur : Pyramide Distribution
Durée : 2h32mn
Titre original : Sheytan vojud nadarad
Date de sortie : 1er décembre 2021

Visite de Sciences Po Bordeaux – 1er décembre 2021

Le mercredi 1er décembre 2021, les élèves de la prépa JPPJV du lycée Fernand Daguin de Mérignac se sont rendus à Sciences Po Bordeaux, sur le campus de Pessac-Talence-Gradignan. Nous avons rencontré de nombreux lycéens provenant d’autres lycées partenaires du programme JPPJV. Nous avons alors profité de la fin de matinée pour visiter les locaux de Sciences Po Bordeaux, puis d’un déjeuner dans l’atrium. Par la suite, un temps a évidemment été consacré à la présentation de l’établissement, de ses formations et programmes, du parcours d’admission ou encore des
débouchés. Le sport faisant partie intégrante de la formation dispensée par Sciences Po Bordeaux, l’Association Sportive (A.S.) de l’établissement a ensuite proposé aux élèves JPPJV de pratiquer des activités sportives. Ainsi, les élèves ont pu choisir entre du football, du rugby et de l’athlétisme.

Photographie de l’atrium de Sciences Po Bordeaux

 

Durant la visite, nous avons pu découvrir les locaux de Sciences Po Bordeaux restaurés récemment. Ainsi, nous avons découvert les différents amphithéâtres de l’établissement ou encore les salles de classes où sont dispensées les conférences de méthode. À taille humaine, ces dernières sont plutôt semblables à nos salles de classe habituelles. De même, nous avons également pu apprécier la bibliothèque de Sciences Po Bordeaux qui abrite une collection d’ouvrages très riche, étendue sur deux niveaux. Nous avons été fascinés par cette dernière et par le nombre important de salles mises à la disposition des élèves de l’établissement afin d’étudier. De plus, nous avons été agréablement surpris par celles comprenant des tableaux numériques et autres écrans afin de permettre aux élèves de préparer des présentations. Les salles ont toutes des fenêtres donnant soit sur l’atrium soit sur la façade extérieure du bâtiment.

Photographie d’une salle de conférence de méthode de Sciences Po Bordeaux

Après le déjeuner, lors de la présentation, nous avons pu échanger avec Yves DELOYE, enseignant-chercheur en science politique et en sociologie historique mais également ancien directeur de Sciences Po Bordeaux et chargé de mission à l’égalité des chances de Sciences Po Bordeaux ; Magalie DESCOURSIERE, gestionnaire des admissions de Sciences Po Bordeaux ; Grégory CHAMPEAUD, professeur et responsable du centre de ressources numériques JPPJV à Sciences Po Bordeaux, que certains élèves de la prépa connaissent également en tant que professeur d’histoire-géographie, EMC et DNL au lycée Fernand Daguin ; Sophia SNIHJI, responsable du programme JPPJV ainsi que Martin CHAUMONT, assistant du programme JPPJV mais également ancien élève de la prépa JPPJV du lycée Fernand Daguin.

Photographie d’un amphithéâtre de Sciences Po Bordeaux

En quelques mots, cette journée a été une expérience immersive très enrichissante pour des élèves espérant un jour de pouvoir revenir dans ces locaux, cette fois ci en tant que sciencepistes.
Tous les élèves de la prépa JPPJV du lycée Fernand Daguin remercient l’ensemble des intervenants et organisateurs de cette sortie.

MISTROT Émilie, TG07, cheffe de la rubrique « On a vu »

FIFH : Miss Marx, Susanna Nicchiarelli

Une flamme mal ravivée

Par Orakoch Srijumong, élève de terminale et membre de l’atelier critique du Festival international du film d’histoire de Pessac

Pour son 4ème long métrage, Susanna Nicchiarelli s’attaque à la figure méconnue d’Eleanor Marx, fille cadette de Karl Marx. La réalisatrice met en avant, tant bien que mal, la femme brillante et intelligente que Tussy, comme ses proches l’appelaient, était. Elle met ainsi en lumière ses combats politiques sur le travail des prolétaires et son activisme féministe. Sa passion pour Edward Aveling causera sa fin. Susanna Nicchiarelli raconte ce pan de l’histoire moderne en l’accompagnant d’une musique punk-rock, afin de créer un effet anachronique.

Le film s’ouvre par un gros plan sur le visage d’Eleanor, bercé par les guitares et les cris de « Wave of History » des Downtown Boys. Le ton est donné. Le personnage principal nous apparaît déjà comme en marge de sa société. Elle nous est montrée comme visionnaire, à la tête du mouvement féministe. Elle se distingue par ses costumes moins habillés et plus colorés, synonyme de sa part d’excentricité, marquée durant l’entièreté du film. Très colorées, les images sont belles, comme dans la scène où les cendres d’Engels sont jetées : le paysage bucolique (une barque sur une rivière mouchetée de rayons de soleil) apporte de la douceur et un moment de calme au film. Avant que « l’Internationale » entonnée a capella par le cortège se transforme, dans la scène d’archives qui suit, en hymne punk. Le calme côtoie ainsi toujours la tempête, comme dans la relation toxique dans laquelle la jeune Marx se trouve, nous montre bien les malheurs qu’a pu rencontrer l’héroïne durant sa vie.

Filmer et raconter le destin d’Eleanor est un choix judicieux et une prise de risque importante, mais qui ne paye pas vraiment. Voir Miss Marx c’est faire face à un univers décalé accentué par la bande-originale moderne au film mais qui n’est pas en adéquation avec les idéaux politiques véhiculés, au lieu de renforcer ceux-ci, elle crée simplement un décalage qui ne produit pas grand-chose. La musique exprimant la rage et la vivacité de Tussy crée des fractures, que l’on ne peut rater, avec son personnage aux allures calmes. Nous pouvons aussi regretter que le long métrage soit plus centré sur son histoire d’amour avec Edward Aveling que sur les combats menés par E. Marx. Bien que les acteurs soient convaincants, on s’attend au départ à une mise en scène et des dialogues plus concrets, nous éclairant sur la vie d’Eleanor Marx. Les scènes s’enchaînent et se brouillent, nous laissant parfois dans une incompréhension totale. À la fin du film, Tussy, après qu’Aveling soit enfin rentré après des mois, délivre un long discours sur la condition des travailleurs et des femmes de son siècle, puis se met à danser comme une folle sur un nouveau morceau des Dowtown Boys. Dans la séquence suivante, elle se suicide, ce qui ne peut que laisser dubitatif.

Sur le papier, le fait de faire un biopic sur une femme avant-gardiste semble être une bonne idée, mais les choix forts de mise en scène de Susanna Nicchiarelli rendent le long métrage confus. On ne s’attarde que trop peu sur Eleanor Marx et ses idéaux, et plus le film avance, plus l’intérêt disparaît. Il ne reste finalement qu’une impression de fadeur et d’ennui.

 

Italie, Belgique, 2020

Réalisation : Susanna Nicchiarelli

Image : Crystel Fournier

Décors : Igor Gabriel, Alessandro Vannucci

Son : Aldriano Di Lorenzo

Durée : 107 minutes

Casting : Ramola Garai (Eleonor Marx), Patrick Kennedy (Edward Aveling), John Gordon Sinclair (Friedrich Engels)

Présentation de l’Atelier critique du FIFH

Présentation de l’Atelier Critique du FIFH

La 31ème édition du Festival International du Film d’Histoire de Pessac s’est déroulé au sein de cinéma Jean Eustache du 15 au 22 novembre 2021

Au cours de la semaine du 15 au 22 novembre 2021, s’est déroulée la 31ème édition du Festival International du Film d’Histoire de Pessac (FIFH). Cette édition s’articule autour du thème “Le XIXème siècle à toute vapeur”. Ainsi, durant près d’une semaine, de nombreux films inédits ou non sont projetés au cinéma Jean Eustache de Pessac. Ceux-ci vont du grand classique de Minnelli, La Vie passionnée de Vincent Van Gogh au film d’animation Où est Anne Frank, sorti cet été. En plus de ces projections, une multitude de conférences et d’interventions de spécialistes de cinéma ou d’histoire sont organisées et dont l’accès est gratuit et permet à tous d’assister à une discussion hautement instructive.

Ce festival présidé par Alain Rousset est en partenariat avec des organismes privés et publics tels que la revue L’Histoire, la chaîne télévisée France TV ou l’école de Science Po Bordeaux. Diverses compétitions visent à élire notamment le meilleur film de la catégorie fiction ou le meilleur documentaire autour de l’histoire du cinéma. Et c’est bien cette catégorie qui est au cœur de l’atelier critique des lycéens. Cet atelier dépendant du festival et organisé par deux professeurs passionnés de cinéma, Jean-François Cazeaux et Mateusz Panko vise à présenter à neuf lycéens de la Métropole bordelaise les clés de l’écriture d’une critique de cinéma. Cela est possible grâce à l’intervention extrêmement riche de Marin Gérard, jeune critique professionnel. Cette semaine du festival s’est ouverte avec l’adaptation du roman d’Annie Ernaux, L’événement par Audrey Diwan est marquée par de nombreuses découvertes cinématographiques ainsi que par l’apprentissage de l’analyse critique de film.

L’atelier critique a ainsi une organisation simple et flexible, les jeunes ont pour consigne de s’amuser tout en ayant en tête de rédiger deux critiques parmi la sélection fiction et tous les autres films projetés. Les lycéens choisissent eux-mêmes les films pour leurs critiques et sont accompagnés par Marin Gérard pour la mise en forme de leurs idées et de leurs opinions. Trois séances d’écriture d’environ 4 heures ont lieu vers la fin de la semaine et au-delà de ces impératifs, l’accréditation dont ils bénéficient leur permet de voir l’ensemble des films désirés, et ce, sans limites.

Cette expérience a été pour moi très riche en tant que passionnée de cinéma et m’a permis de percevoir les œuvres cinématographiques sous un nouvel angle, plus objectif, plus critique. Aussi, de prêter davantage attention aux messages que le réalisateur cherche à transcrire à l’écran ainsi que de la manière dont il le fait. Toutes les rencontres que j’y ai faites ont été très instructives et intéressantes et l’ambiance générale a été particulièrement conviviale et chaleureuse, notamment au cours des cérémonies d’ouverture et de clôture où les intervenants du festival prenaient la parole et exprimaient leur gratitude face aux salles remplies et au public souriant. Les nombreux acteurs mobilisés au cours de cette semaine ont rythmé les échanges et ont encouragé la diversité de témoignages et des points de vue ce qui a rendu cette expérience d’autant plus intense.

Julie Colliou, élève de terminale 7 et membre de l’atelier critique

 

FIFH : Leave no traces, Jan P. Matuszynski

Parole en guise de parure

Par Orakoch Srijumnong, élève de terminale et membre de l’atelier critique du Festival international du film d’histoire de Pessac

Ne pas laisser de traces. Alors que reste-t-il ? Mis à part le combat, mis à part la parole. Dénoncer les miliciens c’est se jeter dans la gueule du loup. Jurek (Tomasz Zietek) décide de témoigner dans un régime où l’on cherche à faire taire. Dès le début du film, dans une scène où un jeune homme se fait passer à tabac en hors champ, les policiers masquent la vue du témoin de leur violence. On ne voit pas, on entend : les cris suffisent à remplir les images. Cela nous plonge dans une atmosphère de répression et de manipulation étatique qui restera présente du début à la fin. En 1983, Jurek, jeune poète, rejoint son ami Grzegorz Przemyk pour fêter la fin de son baccalauréat à Varsovie. Ces derniers se font arrêter sans raison et le jeune bachelier meurt quelques jours après après le lynchage subi. Commence alors une quête de vérité opposant le régime polonais et son peuple, sur laquelle repose Leave no traces.

La pomme de la discorde vient d’être jetée au sein du gouvernement du Général Jaruzelski, marquant ainsi un réel jeu d’ombre et de lumière autour de cette affaire, appuyée par la mise en scène jouant sur les points de vue des différents partis. Les scènes alternent politiques et personnages centraux et sont contrastées. Du côté des politiques, des couleurs froides nous ramènent vers les enjeux du gouvernement cherchant à étouffer l’affaire afin de préserver son pouvoir. Il s’agit pour les hommes politiques d’écarter ce lynchage, pourtant pas anodin et isolé, des projecteurs des médias et de l’opinion publique. Dans le camp où on lutte pour la vérité, les nuances chaudes des costumes choisis ou des plans toujours bien éclairés créent un fossé avec le gouvernement. Ici, c’est la vérité qui est recherchée, non le secret. De plus, le point de vue changeant et les scènes filmées à l’épaule donnent au long métrage un rythme soutenu, tout comme le combat que mène Jurek et Barbara, mère de Grzegorz (Sandra Korzeniak). Ce combat d’une vie, confrontation directe avec le régime totalitaire polonais, est le témoignage de la manipulation que subit le peuple, vivant dans une peur quotidienne.

Le film nous entraîne alors de plus en plus dans le destin de Jurek et Barbara, tout aussi décourageant qu’illusoire. Ils sont victimes d’un système corrompu qui met tous les moyens d’action en place pour faire oublier les faits. Chaque victoire se transforme en échec minutieusement organisé par un régime machiavélique et l’espoir est évincé. L’intériorité des personnages se dévoile à travers leurs doutes et trahisons. L’un voit son père (Jacek Braciak) le dénoncer et sa famille se dissoudre lentement, l’autre finit par se retirer du procès sous la pression et la fatigue morale. Dans la scène de procès longtemps repoussée, Jurek se retrouve face à une procureure indifférente et corrompue. Matuszynski capte alors de manière poignante l’abandon progressif de Jurek, qui finira par ne plus répondre aux questions et simplement répéter sans cesse une même phrase, reflétant son désespoir de ne pouvoir avoir droit à un procès juste.

Jan P. Matuszynski nous livre une critique des systèmes politiques post-soviétiques. L’adaptation de ce fait divers controversé est un témoignage fort de la violence policière en Pologne durant l’Etat de siège. Le réalisateur parvient à nous plonger dans la nostalgie, à travers les décors, les costumes ou encore le choix de la musique centré sur le rock des années 1980. Ce sont certainement les bascules de point de vue et le jeu des acteurs qui font de Leave no traces un film fidèle à ses idéaux de liberté et de justice qui laissera, sans aucun doute, des traces.

Pologne, 2021

Réalisation : Jan P. Matuszynski

Costumes : Malgorzata Zacharska

Photographie : Kacper Fertacz

Montage : Przemyslaw Chruscielewski

Durée : 2h40

Casting : Tomasz Zietek (Jurek Popiel), Jacek Braciak (Tadeusz Popiel), Sandra Korzeniak (Barbara Sadowska)