B – Et assure plusieurs fonctions

Pour identifier les « fonctions » de la monnaie, il convient de se poser une question simple en apparence : à quoi sert-elle ? Ou que permet-elle de faire ?

Spontanément, il y a de bonnes chances pour qu’une personne réponse quelque chose comme « pour acheter quelque chose ». Dit autrement, la monnaie servirait d’intermédiaire des échanges. En donnant de la monnaie, disons 10 €, pour acquérir par exemple un livre, nous mettons une fin définitive à une dette (le prix du livre) et clôturons ainsi l’échange. Cette fonction est qualifiée « d’économique ». Mais d’une part, ce n’est pas la seule, et d’autre part, la monnaie remplit d’autres fonctions, politique et sociale. Commençons par les fonctions économiques.

i. Fonctions économiques

Bien souvent, la présentation des fonctions économiques se fait à l’aide d’une comparaison avec le troc. Comme l’écrit Thierry Rogel, enseignant de SES, l’explication de l’invention de la monnaie par la volonté de dépasser les impasses du troc nous vient d’Aristote (ou, plus précisément, d’une lecture d’Aristote faite au 18ᵉ siècle) ; elle fut reprise par Adam Smith en 1776 (après un long oubli) et réélaborée par Carl Menger et William Stanley Jevons au tournant du 20ème siècle (1).

La monnaie se serait substituée au troc dans la mesure où elle était (et reste) plus pratique que le troc. Mais avant de montrer en quoi l’usage de la monnaie est (ou serait) « supérieur » au troc, un point important : l’histoire que je vais vous présenter est une fable, la « fable du troc » (2). Les travaux en sciences sociales comme ceux de Jean-Michel Servet ou de l’anthropologue David Graeber (3) proposent une déconstruction factuelle de ce mythe (4).

Prenons une situation concrète pour illustrer l’avantage de la monnaie sur le troc. Imaginons que 3 groupes (HLP, SES et HGGSP) d’élèves de premières vivent chacun sur une ile différente. Sur la première île, le groupe HGGPSP produit des salades ; sur la deuxième, le groupe SES cultivent des bananes ; sur la dernière, le groupe HLP élève des poules. Comme nous apprécions une certaine variété alimentaire,  voilà donc nos élèves dans l’obligation d’échanger leur production. Le groupe HLP décide donc de se rendre sur l’île des SES afin d’échanger des poules contre des bananes qu’il souhaite. Arrivés sur l’île, les négociateurs proposent d’échanger 1 poule contre 2 kilos de bananes. Mais manque de chance, les SES refusent. Se disant végétariens, ils proposent d’échanger des bananes contre des salades. Les HLP partent donc sur l’île des HGGSP sur laquelle ils obtiennent 3 kg de salade pour une poule. Puis, ils reviennent sur l’île des SES. Au final, la négociation permet d’arrêter un prix d’échange : 1 kg de bananes pour 2 kg de salades. Malheureusement, ce prix ne permet pas aux HLP de vendre l’ensemble des salades. Ils rentrent donc avec bananes et salades. Mais, un problème n’arrive que rarement seul, ils perdent une partie de leur stock car la chaleur abime certaines des denrées (périssables).

Que pouvons-nous observer à partir de cette histoire imaginaire. D’une part, qu’en situation de troc, il faut une simultanéité des désirs d’échanger. Le premier échange ne peut avoir lieu parce que les SES veulent de la salade et non du poulet. Donc, il faut qu’existe ce que les économistes nomme la double coïncidence des besoins. D’autre part, il est possible de perdre des marchandises. Ici des denrées s’abiment. Il y a donc perte de valeur. Le transport, voire le stockage sont aussi des coûts pouvant poser problème. De plus, une partie des denrées ramenées, ici les salades, ne sont pas souhaités par le groupe HLP. Le problème vient du fait que les biens ne sont pas forcément divisibles. On ne peut pas couper une salade en 5. Ce n’est guère pratique. Mais l’idée est peut-être plus claire si vous échangez les bananes contre des tables par exemple… Enfin, plus les biens (ou services) sont nombreux à échanger, plus le nombre de prix augmente : dans notre exemple, il n’y a que 3 prix : salade / banane, salade / poule, banane / poule. Rien d’extraordinaire. Mais imaginons maintenant un système de troc avec 10 biens. Le nombre de prix sera de 45 (5).

Ce dernier problème permet de comprendre l’une des fonctions économiques de la monnaie : partagée par tous, elle sert d’une unité de compte. Dans notre exemple à 10 biens, nous n’aurions que 10 prix, ce qui facilite grandement la comparaison. Le problème de la double coïncidence des besoins permet de découvrir la deuxième fonction de la monnaie. Dès lors que la monnaie est acceptée par tous – ce qui implique une grande confiance en elle – nul besoin de passer par un ou plusieurs trocs supplémentaires pour obtenir ce que nous souhaitons. Il suffit d’échanger le bien désiré contre de la monnaie. Celle-ci pourra toujours être utilisée par le vendeur pour qu’à son tour, il acquiert ce qu’il souhaite.  Si nous reprenons notre exemple :  les HLP achètent des bananes avec des coquillages, la monnaie en vigueur sur les îles. Puis, les SES achètent des salades aux HGGPSP avec les coquillages obtenus lors de la vente des salades. Elle sert donc, nous l’avions indiqué en préambule, d’intermédiaire universel des échanges. Où que vous vous trouviez en France, un billet de 10 € vous permettra d’acheter le même livre. Ou autre chose, car elle permet de tout acheter ou presque auprès de tout le monde. On parle d’actif liquide (6). Dernier avantage de la monnaie, celui que nous suggèrent les coûts liés au stockage ou aux pertes du voyage. La monnaie se conserve. Il n’y  pas de perte de valeur liée au fait qu’elle ne s’abime pas. Une pièce dont la valeur faciale est de 2 € aujourd’hui aura la même valeur faciale dans un mois. En assure la fonction de réserve de valeur.

Résumons-nous. La monnaie assure 3 fonctions économiques. Elle est : unité de compte, intermédiaire des échanges et réserve de valeur.

Si vous appartenez aux économistes mainstream (7) vous vous en arrêterez surement à ces 3 fonctions. Mais un peu de curiosité implique d’aller juste un peu plus loin… Évoquons les choses très brièvement.

ii. Et fonctions politique et sociale

La monnaie n’est pas seulement un instrument économique. Elle est aussi une institution sociale et politique. Comprendre sa dimension politique est simple. Il suffit de se demander qui crée (ou créait la monnaie). Le monarque ou la banque de France aujourd’hui. Deux institutions qui incarnent le pouvoir politique ou en découlent. En effet, le gouvernement délègue à la banque de France la charge de « battre monnaie ». En ce sens, elle est politique et, « violence » (elle est imposée) pour reprendre une partie d’un ouvrage de A. Orléan et M. Aglietta (8).

Elle est aussi « confiance » (8), c’est-à-dire, l’expression d’une appartenance à un groupe, donc, l’expression d’un lien social. Comme indiqué au sujet de la monnaie scripturale, la monnaie ne peut exister sans confiance dans sa valeur. Elle est donc l’expression d’un accord collectif qui lie ou relie les individus.

Mais la monnaie n’est pas seulement un bien qui permet les transactions contre un bien ou un service. Elle est aussi un moyen de payer une dette au sens large. Par exemple une dette de sang. Ici le paiement se fait en guise de réparation de la vie prise. Citons aussi les sacrifices faits aux « êtres surnaturels » que souligne Thierry Rogel (1) en se référant aux travaux de P. Rospabé sur l’origine de la monnaie : la fonction première des biens précieux et des paléo-monnaies, c’est donc le « paiement » (qu’il convient de distinguer de la « transaction ») et les paiements renvoient d’abord à la compensation d’une vie par une vie. Ainsi, pour Rospabé, « Les biens précieux sont donnés comme substituts de vie, comme gage par lequel les donneurs de biens s’engagent à rendre une vie pour celle qu’ils ont prise à un autre groupe » (9). 

Nous le voyons, même si son statut et son origine fait l’objet de débat scientifique, la monnaie n’est pas qu’un simple intermédiaire de nos échanges. Elle est plus complexe qu’il n’y parait au premier abord.

Ce qui peut nécessiter exercice et synthèse…


EXERCICE OBLIGATOIRE : faire la question 1 du document 2 – manuel Hachette p. 94

Et une courte synthèse de cette première partie : formes et fonctions de la monnaie


(1) Thierry Rogel, Que faire de la fable du troc, http://mondesensibleetsciencessociales.e-monsite.com/pages/articles/anthropologie-de-l-argent-1/que-faire-de-la-fable-du-troc.html (attention article scientifique qui n’est pas nécessairement destiné à des premières).

(2) Servet Jean-Michel. La fable du troc. In : Dix-huitième Siècle, n°26, 1994. Économie et politique. pp. 103-115.

(3) David Graeber, Dette : 5000 ans d’histoire, Paris, Les liens qui libèrent, 2013

(4) Ce ne sont pas les seuls chercheurs à en faire ainsi. Plus largement, la monnaie est un objet de controverse scientifique en économie.

(5) Le nombre de prix (en fait des prix relatifs, c’est-à-dire, exprimé en quantité d’autre chose) se calcule à partir de la formule suivante : n(n-1)/2 avec n le nombre de bien. Vous pouvez tester simplement avec 4 ou 5 biens.

(6) : un actif est ce que l’on possède. Son degré de liquidité dépend de sa capacité à être transformé en monnaie sans délai, coût et risque. La monnaie est l’actif le plus liquide. Un actif comme une action suppose d’être vendu, une commission payée et la valeur monétaire ensuite récupérée pour payer un achat avec. Une action est donc peu liquide.

(7) Ceux dont l’approche théorique est dominante aujourd’hui. De façon très caricaturale, celles et ceux qui se réfèrent au cadre théorique du marché.

(8) Michel Aglietta et André Orléan, La monnaie entre violence et confiance, édition Odile Jacob, 2002.

(9) Philipe Rospabé, La dette de vie. Aux origines de la monnaie, Paris, édition La Découverte/MAUSS, 1995