II – Dont la création …

Les banques commerciales peuvent créer de la monnaie. Toutefois, ce pouvoir exorbitant est encadré et limité par la puissance publique incarnée par la (ou les) banques centrale(s). Par commodité, dans le paragraphe qui suit, je parlerai de la banque centrale (1).

Mais avant de nous pencher sur le rôle particulier de cette institutions, il importe de faire un petit complément sur la création monétaire. Ce qui suit n’est pas au programme mais il est utile de le connaitre. Vous l’avez compris, l’endettement des agents économiques suppose l’octroi de crédits qui engendre de la création de monnaie. Or, nous l’avons vu précédemment dans le chapitre sur le financement de l’économie, l’État peut s’endetter pour couvrir son besoin de financement – son déficit budgétaire. Comme vous vous en souvenez surement, l’État finance son déficit budgétaire par l’émission d’obligations qui ne constituent pas de la monnaie (2). Mais, l’État peut aussi s’endetter auprès de banques commerciales ou, demander à une banque centrale de créer de la monnaie. C’est l’utilisation de la fameuse « planche à billets ». Mais ces deux méthodes, désormais rares, sont à l’origine de création monétaire.

B – Et surveillée et encadrée par les banques centrales

Mais revenons à la banque centrale, institution qui s’avère être la banque de premier rang. Elle a en charge la surveillance et le contrôle de la masse monétaire. Nous verrons pourquoi en abordant le sujet essentiel de la politique monétaire. Pour cela, elle recourt à des instruments bien particulier.

i. Les taux d’intérêt directeur, principaux leviers pour réguler la masse monétaire

En pratique, une banque centrale dispose de trois leviers conventionnels pour limiter la création monétaire des banques de second rang : deux sont de nature économique, le troisième de nature règlementaire. Commençons par ce dernier. Non parce qu’il est au programme. Il ne l’est pas. Mais parce qu’il montre l’intérêt que revêt la régulation par la puissance publique.

De quoi s’agit-il ? De ce que l’on nomme la règlementation prudentielle, c’est-à-dire des règles dont le but est d’éviter que les banques ne prennent trop de risque. Souvenez-vous, nous avons montré qu’une banque n’a pas besoin d’avoir en dépôt la somme qu’elle peut être amenée à prêter. Selon ce principe, elle pourrait donc prêter sans limitation. Schématiquement, la règlementation pose une limite à l’aide du ratio de solvabilité suivant :

Ratio de solvabilité = Fonds propres / Engagements ≥ 8%

Pour simplifier, les fonds propres correspondent aux ressources pérennes dont dispose une banque. Elles sont inscrites au passif du bilan (3). Les engagements sont ce qu’elle fait des ressources dont elle dispose et inscrites à l’actif du bilan. Par exemple, l’octroi de crédits.

Concrètement, et de façon simplifiée, une banque peut prêter pour un montant qui doit satisfaire un ratio. Si elle dispose de fonds propres d’un montant de 1 000 000 d’euros, elle peut prêter jusqu’à : 1 000 000 / 0,08 = 12 500 000 €.

Bien que nécessaires, ces règles prudentielles ne suffisent pas. En effet, il suffit aux banques de faire « disparaitre » des engagements de leur bilan, pour leur permettent d’augmenter le volume de crédits octroyés aux agents économiques. Mais c’est une histoire qui nous emmènerait trop loin du programme (4).

Retenons juste que ces règles existent, ont leur utilité mais ne suffisent pas.  Ce qui nous amène aux deux outils économiques que le programme requiert de voir : les taux d’intérêts directeurs et l’obligation de réserve.

Commençons par l’obligation de réserve. Comme le nom l’indique, il s’agit d’un mécanisme contraignant : toutes les banques de second rang ont pour obligation de détenir un compte auprès de la banque centrale (nationale pour la zone euro). La monnaie qui se trouve sur ce compte est de la monnaie de banque centrale ou monnaie centrale (ici scripturale). Revenez au schéma qui clôt la partie I-A, la monnaie centrale y est représentée. Il s’agit de ces fameux comptes et de la monnaie fiduciaire dont la banque centrale détient le monopole de la création. Mais à la différence des billets et pièces de monnaie, la monnaie centrale qui se trouve sur les comptes des banques de second rang ne circule qu’entre les banques, notamment sur le marché interbancaire (5).

En pratique, les banques de second rang ont pour obligation de détenir des réserves qui sont fonction du niveau des crédits qu’elles octroient. Cette obligation est fixé par le taux des réserves obligatoires. Prenons un exemple pour bien comprendre le mécanisme. Imaginons que le taux des réserves obligatoires soit de 3 %. Cela signifie que pour un crédit de 10 000 €, la banque commerciale doit avoir ou mettre en réserve un montant de 300 € de monnaie centrale sur son compte à la banque centrale. Que se passe-t-il lorsque le taux des réserves obligatoires varie ? Quel est l’effet sur l’évolution de la masse monétaire ? Prenons un exemple fictif pour observer le mécanisme.

Supposons qu’une banque commerciale dispose de réserves d’un montant de 1200 €. Pour un taux de 3 %, elle peut donc prêter jusqu’à 40 000 €. Par contre, si le taux n’était que de 2 %, la banque commerciale pourrait prêter 60 000 €. Par conséquent, l’augmentation du taux des réserves obligatoires limite l’octroi de crédit. Il limite donc la création monétaire. Bien entendu, une baisse du taux des réserves obligatoires incitera les banques a augmenter le volume de prêts à leurs clients, ménages et entreprises.

Le dernier instrument conventionnel (6) est ce que l’on nomme le taux directeur (de la banque centrale). Il s’agit du taux d’intérêt auquel les banques commerciales empruntent auprès de la banque centrale. Reprenons l’exemple de la compensation. C’est l’occasion d’expliquer ce mécanisme avec trois banques fictives. : la banque SES, la banque HG et la banque HLP. Les opérations entre les clients des banques (paiement par chèque, CB …) sont récapitulés ci-dessous. Les couleurs permettent d’identifier la banque dont le paiement est issu. 

Banque SES     Banque HG       Banque HLP
Débit Crédit Débit Crédit Débit Crédit
– 400  100 – 300 200 – 200 400
– 200 500 – 200 1000  – 100 300
– 1000 100 – 100 200  – 500 200
-1 600 + 700  – 600 + 1 400 – 800 + 900
SOLDE : – 900 SOLDE : + 800 SOLDE : + 100

Pour bien lire le tableau, un petit exemple avec le premier montant (en gras italique et orange) : un client de la banque SES achète par CB un vélo de 400 € dans le magasin Byclyclerie qui détient un compte à la banque HLP. Les 400 € sont débités sur un compte de la banque SES et crédité sur une compte de la banque HLP.

En fin de journée, la banque SES a un besoin de financement – un déficit – qu’elle va combler en allant sur le marché interbancaire. Les banque HG et HLP dispose d’un excédent qu’elles peuvent placer sur le marché interbancaire.

Comme nous traitons du taux directeur de la banque centrale, nous allons supposer que la banque SES sollicite la banque centrale pour un emprunt de 900 €. La banque centrale lui accorde ce prêt en monnaie centrale moyennant un coût, un taux d’intérêt de 2 %. Ce taux d’intérêt est le fameux taux directeur.

Dans la réalité, il existe trois taux directeurs : le taux de refinancement, le plus classique. Il implique un remboursement de la banque centrale à échéance d’une semaine. C’est de ce taux que l’on parle en général quand est évoqué le « taux directeur ».

Le deuxième est le taux de prêt marginal. Il est similaire au précédent dans la mesure où il permet d’obtenir des liquidités (de la monnaie centrale). Seule différence, il s’agit d’un prêt qui doit être remboursé au bout de 24 heures. Le dernier, différent, est le taux de dépôt (ou facilités de dépôt). Il s’agit du taux auquel la banque centrale rémunère les comptes qu’ont ouverts les banques commerciales auprès d’elle. Les comptes sur lesquels se trouve les réserves des banques commerciales. C’est un peu comme un livret A qui vous rapporte en fonction de l’argent que vous avez dessus et du taux du livret.

Comme le taux directeur permet-il d’agir sur la masse monétaire. De deux façons : lorsque la compensation se fait entre les banques commerciales, les banques qui doivent de l’argent peuvent utiliser leur réserves, ce qui limite leur capacité de crédit. Deuxième possibilité, elles empruntent auprès de la banque centrale. Or, en octroyant des crédits, une banque permet à ses clients d’utiliser de la monnaie. Si ceux-ci le font, la banque peut se trouver en situation de devoir payer à d’autres banques lors de la compensation. Et donc devoir emprunter de la monnaie centrale. Ce qui a un coût. Nous voyons là l’utilité du taux directeur comme outil de pilotage de la masse monétaire. S’il est haut, les banques vont limiter l’octroi de crédits car ces derniers génèrent des opérations économiques qui impliquent (ou peuvent impliquer) un refinancement coûteux. Pour cela, les banques répercutent l’évolution du taux de refinancement sur le taux d’intérêt des crédits. Dit autrement, un taux de refinancement élevé donnera des emprunts chers. A l’inverse, un taux de refinancement faible, incitera les banques a augmenter le volume de prêts aux agents économiques en pratiquant des taux d’intérêt peu élevé. C’est le cas aujourd’hui dans la zone euro. Le taux directeur est de 0 % (7).

Ce qui nous conduit à aborder la question de la politique monétaire (après avoir vu la politique budgétaire avec la politique de relance au chapitre précédent).

ii. Et instruments de la politique monétaire

Qu’est-ce que la politique monétaire ? Nous pouvons la définir comme l’ensemble des actions qui visent à agir sur l’économie par le bien de l’évolution de la masse monétaire. Ce qui nous amène à une question : pourquoi réguler la masse monétaire ?

La réponse est simple. Vous en avez certainement une partie que nous pouvons résumer par le mécanisme suivant : en augmentant la quantité de crédits accordés aux agents économiques, principalement les ménages et les entreprises, nous permettons qu’ils consomment ou qu’ils investissent plus, ce qui augmente la demande globale de biens et de services. Ce faisant, la production augmente pour satisfaire ces nouveaux besoins, ce qui génère une création de richesse. Or, cette richesse créée est converti en revenus (salaire, dividendes, etc.) qui, à leur tour, engendre une augmentation de la consommation et de l’investissement. Ce cercle économique vertueux permet de saisir l’intérêt de taux d’intérêt bas (donc d’un accès facilité au crédit). Et donc d’une politique monétaire qui privilégie, comme aujourd’hui dans la zone euro, des taux directeur très bas. Semblable politique permet de soutenir la croissance économique. A contrario, une politique monétaire qui repose sur des taux directeurs élevés aura un effet contraire : elle ralentira la croissance économique en durcissant l’accès au crédit. Selon le cas la politique monétaire est dite expansive ou restrictive.

Mais l’évolution de la masse monétaire est supposée avoir une autre effet bien décrit par cette petite vidéo sur la création monétaire. Elle fait varier le niveau général des prix. Il faudrait prendre plus de précaution quant aux effets le la variation de la masse monétaire sur l’inflation. Ce sujet fait l’objet de débats et donc de désaccords entre économistes.

Mais dans le cadre de ce cours, nous admettrons qu’existe une relation entre masse monétaire et évolution des prix (8). Elle peut se résumer ainsi : si la variation de la quantité de monnaie en circulation dans une économie est supérieur à la variation de la quantité de biens et de services produits, cela produit une augmentation des prix, c’est-à-dire de l’inflation.

Dans le cas contraire, cela génère de la déflation soit, une baisse générale des prix (à ne par confondre avec la désinflation qui est un ralentissement de l’inflation). 

Or, inflation et déflation sont réputées nocives pour l’économie. L’inflation diminue le pouvoir d’achat des ménages. Ils serait donc susceptibles de consommer moins. Et dans ce cas, la demande globale diminuerait. Nous obtiendrions donc un effet récessif inverse de celui décrit un peu plus haut. La déflation jouerait différemment sur la demande globale. Schématiquement voici comment : constatant une baisse des prix, les ménages reporteraient leurs achats en espérant une nouvelle baisse. De ce fait, des entreprises se trouveraient en difficulté. Elles baisseraient encore les prix pour vendre impérativement. Ce qui engendrerait des pertes financières avec possibles faillites et licenciements. Je vous laisse imaginer la suite …

En résumé, si nous acceptons l’hypothèse que masse monétaire et prix sont liés, les deux effets que nous venons de décrire militent pour une évolution raisonnable de la masse monétaire. Le pilotage de la politique monétaire devrait donc  être soucieux d’avoir comme objectif une certaine stabilité des prix. Du reste, c’est l’objectif prioritaire de la Banque centrale européenne (BCE). Or, nous venons de voir que :

– l’augmentation de la masse monétaire favorise la croissance via le crédit (mais génère aussi de l’inflation)

– la diminution de la masse monétaire limite ou freine la croissance économique (tout en garantissant un faible inflation positif pour le pouvoir d’achat).

Il existe donc de possibles contradictions entre certains objectifs de politique monétaire. Par conséquent, selon que l’un ou l’autre de ces objectifs est privilégié, la politique monétaire cherchera à obtenir une évolution spécifique de la quantité de monnaie en circulation. 


EXERCICE OBLIGATOIRE : (pour les vacances de Pâques) Sujet proposé p 110 du manuel Hachette.


(1) Dans la zone euro, les banques centrales des pays membres, la banque de France par exemple, cohabitent avec la banque centrale européenne (BCE).

(2) Les obligations qui sont émises par le Trésor public ne font parti d’aucun des 3 agrégats monétaires M1, M2 et M3.

(3) Au passif, de façon simplifiée, vous trouvez : les dépôts des clients (voir la vidéo de la partie I), les dettes de la banques sous formes d’obligations ou d’emprunt auprès d’autres banques (sur le marché interbancaire) et les fonds propres

(4) Les engagements ne disparaissent pas. Ils sont juste transformés de façon à sortir du bilan des banques, ce qui conduit à sous-estimer le risque d’insolvabilité. C’est ce qui s’est produit lors de la crise de 2007-2008. 

(5) Marché sur lequel les banques se prêtent entre elles afin de solder leur compte en fin de journée. Les banques regardent les transactions effectuées par leurs client.e.s et calcule laquelle doit de l’agent à l’autre. Ce paiement appelé  « compensation » se règle en monnaie centrale.

(6) Et oui, il existe des instruments non conventionnels. Sinon ce serait trop simple ! Heureusement pour vous, ce point n’est pas au programme. Mais pour les curieux et curieuses, il est possible de se renseigner ici : le quantitative easing (lire le ii. avant pour bien comprendre)

(7) Le taux de dépôt fonctionne différemment. Plus il est faible, plus les banques seront incitées à octroyer des crédits aux ménages et au entreprises car laisser leurs excédents sur le compte à la banque centrale ne rapporte rien. En fait, aujourd’hui il coûte car le taux de dépôt est négatif.

(8) Cette relation peut se formaliser mathématiquement : m + v = p + y avec m, v, p et y les taux de variation de la masse monétaire (m), la vitesse de circulation de la monnaie (v), des prix (p) et de la quantité de B&S produits (y) – la croissance. En admettant de la vitesse de circulation de la monnaie reste constante (v=0), on obtient : p = m – y. Ce qui veut dire que pour avoir une faible inflation (p) il faut que la masse monétaire (m) évolue à peine plus vite que la croissance économique (y).