talents méconnus de Fourier

Le quotidien l’Yonne Républicaine, dans son édition datée du 7 février 2017 rend compte de la conférence donnée par Jean-Charles Guillaume sur l’assèchement des marais de Bourgoin, devant les membres de la société des sciences historiques. Le conférencier qui est allé sur place collecter les informations a souligné en préambule, en s’en étonnant, l’aspect lacunaire des études sur l’administration du département de l’Isère par Joseph Fourier.

Les talents méconnus de Fourier

YR – 07/02/2017 – p.11

     De 1802 à1815, la mathématicien auxerrois Joseph Fourier à été préfet de l’Isère. Et à ce titre il a mené deux gros chantiers.

     C’est un aspect méconnu* de la personnalité de Joseph Fourier, surtout connu pour ses travaux en mathématiques, qui a été mis en lumière par l’historien Jean-Charles Guillaume lors de la conférence donnée à la Société des sciences historiques et naturelles de l’Yonne.

     De 1802 à 1815, Joseph Fourier a en effet été préfet de l’Isère, et à ce titre chargé de deux chantiers conséquents : d’une part la réalisation de la route de Grenoble vers Briançon en suivant la vallée de la Romanche, d’autre part l’assèchement de marais situés entre Bourgoin et La Tour-du-Pin.

     Plusieurs tentatives, dès le XVIIe siècle, avaient échoué, se heurtant notamment à l’hostilité de la population qui craignait des conséquences néfastes. Le talent de Fourier a donc été d’abord de collecter des informations et de rechercher systématiquement la conciliation, on pourrait dire de nos jours qu’il a su entre autres « communiquer ».

     Sa probité fut le troisième point fort, garant du succès de l’opération. Le premier coup de pioche du gigantesque chantier, fut donné Ie 25 novembre 1808. En 1814, l’ensemble des marais était drainé et les terres mises en culture.

c.c.

* [NDLR] Ce talent de négociateur est méconnu aujourd’hui, mais on en avait déjà éprouvé l’efficacité en Egypte, où cela avait étonné Bonaparte, dans l’administration quotidienne (cf l’histoire des 4 oulémas) comme lorsqu’il avait fallu négocier avec les Anglais un sauf-conduit pour rapatrier les savants. Méconnu donc, mais pas si nouveau, bien dans la continuité du personnage.

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Fourier à Bourgoin

Fourier à Bourgoin

                 Parmi les travaux qui ont accaparé Joseph Fourier lorsqu’il était préfet de Grenoble, l’assèchement des marais de Bourgoin est longtemps resté à la toute première place. Nous avons déjà évoqué cela sur ce site dans un billet.

     Monsieur Jean-Charles Guillaume est allé sur place et a consulté les archives de l’Isère pour reconstituer l’histoire de l’ensemble de ce chantier. Il rend compte des éléments nouveaux qu’il a engrangé au cours d’une conférence à la Société des Sciences Historiques de l’Yonne à Auxerre, le dimanche 5 février 2017 à 14 h 30 sur le thème : Fourier et le dessèchement des marais de Bourgoin.

 

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Fourier à l’Académie

Fourier à l’Académie

      En 1817, il y a deux cents ans, Joseph Fourier était élu à l’Académie des Sciences : en fait il s’agissait alors d’un repêchage.

     L’Auxerrois a en effet été élu une première fois académicien libre le 27 mai 1816[1]. Le 29 mai 1816, l’Académie est avisée que le roi Louis XVIII n’approuve pas cette élection. Il était en effet difficile, pour Louis XVIII, d’oublier que Joseph Fourier avait été le Préfet de Napoléon ; à Grenoble d’abord où il l’avait maintenu lors de la première Restauration, puis, au début des Cent Jours, à Lyon. Un examen hâtif de ses états de service pouvaient donc le faire passer pour un suppôt de l’Empereur déchu.

     L’Académie a négligé ces considérations et n’a pas voulu se priver d’accueillir dans ses rangs un savant précoce[2], de première grandeur, qui aurait pu tutoyer les plus grands : Lagrange, Euler[3], Arago… et à distance bien sûr (ils n’étaient pas contemporains) d’Alembert[4], Isaac Newton lui-même[5], et qui sera honoré par tous les grands qui viendront après lui[6].

     Une nouvelle élection de Joseph Fourier, le 12 mai 1817, (pour la section de physique générale) est confirmée par le roi le 23 mai 1817.

     Cette entrée de Fourier à l’Académie marque le commencement de la troisième partie de sa vie : après les années de formation, à Auxerre, puis à Sully-sur-Loire et à Paris (1768-179Smilie: 8), la phase de l’Empire, inaugurée par la participation à l’Expédition d’Égypte où il a été remarqué par Bonaparte (1798-1815), il va mettre ses talents au service de ses pairs pendant treize ans (1817-1830).

     L’origine de ce qui fait sa notoriété aujourd’hui peut être daté de 1804 ; c’est cette année là en effet que le préfet de l’Isère a soumis à l’Académie des sciences un mémoire traitant de la propagation de la chaleur. Les idées étaient trop neuves pour emporter d’emblée l’adhésion des Académiciens[7]. Après avoir peaufiné sa présentation il reprendra le sujet devant l’Académie en 1811 avant d’user, en 1822, de sa position de Secrétaire de l’Académie pour faire publier, sans quasiment rien changer à son mémoire de 1811, le livre Théorie analytique de la chaleur. Les méthodes de calcul établies, ici, par Joseph Fourier ont joué un rôle fondamental dans le développement de l’analyse mathématique qui font de lui, aujourd’hui, le savant le plus cité : la Transformation de Fourier est à l’analyse mathématique, ce que le Théorème de Pythagore est à la géométrie élémentaire.

______________

[1] La classe dite d’« académiciens libres » comportait dix membres qui tout en bénéficiant d’un droit de présence ne touchaient pas d’indemnité ; ils étaint élus comme les autres académiciens.

[2] « A seize ans et demi je fus nommé professeur de mathématiques à l’école militaire d’Auxerre, les mémoires que j’écrivis 4 ans après et que je lus à l’Académie des Sciences de Paris indiquent assez un goût exclusif pour ce genre de recherche. » Fourier, lettre au député de l’Yonne Villetard, 1795

[3] « Il résulte de mes recherches sur cet objet que les fonctions arbitraires même discontinues peuvent toujours être représentées par les développements en sinus ou cosinus d’arcs multiples, et que les [solutions de l’équation de la chaleur] qui contiennent ces développements sont précisément aussi générales que celles ou entrent les fonctions arbitraires d’arcs multiples. Conclusion que le célèbre Euler a toujours repoussée. » Fourier (1805), cité par I. Grattan-Guinness

[4] « À l’égard des recherches de D’Alembert et d’Euler, ne pourrois-je point ajouter que s’ils ont connu ces développements, ils n’en ont fait qu’un usage bien imparfait, car ils étoient persuadés l’un et l’autre qu’une fonction arbitraire et discontinue ne pourroit jamais être résolue en séries de ce genre. » Fourier , Lettre à [probablement] Lagrange

[5] « Hier, j’ai eu 21 ans accomplis; à cet âge Neuton et Paschal (sic) avaient acquis bien des droits à l’immortalité. » Fourier, lettre à Bonard, professeur de Mathématiques à Auxerre , 1789

[6] Ainsi, Helmholtz « La multiplicité des diverses formes de vibration qu’on peut obtenir ainsi en composant des vibrations pendulaires n’est pas seulement extraordinairement grande; elle dépasse toute limite assignable. C’est ce que le célèbre physicien français Fourier a prouvé dans une loi mathématique, que nous pouvons formuler de la manière suivante, en l’appliquant à notre sujet: toute forme quelconque de vibration, régulière et périodique, peut être considérée comme la somme de vibrations pendulaires, dont les durées sont une, deux, trois, quatre, etc… fois moins grandes que celle du mouvement donné. […] Les amplitudes des vibrations simples composantes […] peuvent être déterminées, ainsi que l’a montré Fourier, par des méthodes de calcul particulières qui ne comportent pas une exposition élémentaire. Il en résulte qu’un mouvement donné, régulier et périodique, ne peut être décomposé que d’une seule manière , en un certain nombre de vibrations pendulaires. »   Helmholtz, Théorie Physiologique de la Musique (1863)

[7] Fourier utilisait des méthodes de calculs utilisées aussi par Lagrange pour déterminer le mouvement des planètes. Fourier pouvait être certain, dans le cas de la chaleur, que ses calculs convergeraient ; Lagrange n’avait pas la même certitude en appliquant des méthodes comparables au problème des trois corps.

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Shannon

Shannon …et Fourier

     A l’heure où les maisons de retraite rivalisent à qui hébergera le plus grand nombre de centenaires, l’Américain Claude Elwood Shannon (30 avril 1916 – 24 février 2001) aurait presque pu être l’un d’eux. C’est donc d’un quasi contemporain qu’il est question ici. Quel rapport avec Joseph Fourier dont on fêtera bientôt, en 2030, le bi-centenaire du décès ?

Shannon : Voyons ce que dit Wikipedia : Claude Shannon, ingénieur en génie électriaffiche Shannonque et mathématicien, le père fondateur de la théorie de l’information. Son nom est attaché à un célèbre « schéma de Shannon » très utilisé en sciences humaines[1]. Claude Shannon, utilise l’algèbre de Boole pour sa maîtrise soutenue en 1938 au Massachusetts Institute of Technology (MIT). Il y explique comment construire des machines à relais en utilisant l’algèbre de Boole pour décrire l’état des relais (1 : fermé, 0 : ouvert).

      Shannon travaille vingt ans au MIT, il travaille aussi aux laboratoires Bell. Claude Shannon est connu non seulement pour ses travaux dans les télécommunications, mais aussi pour l’étendue et l’originalité de ses hobbies, comme la jonglerie, la pratique du monocycle et l’invention de machines farfelues etc. L’un de ces « gadgets » présente un intérêt conceptuel : « Claude Shannon voulut élaborer une Machine inutile, sans finalité : on la met en marche en appuyant sur une touche « on » ; mais les choses prennent alors une tournure surprenante, car cette mise sous tension déclenche un mécanisme provoquant aussitôt l’arrêt du gadget en mettant l’interrupteur sur « off » ! Ce type de comportement insolite caractérise les situations ubiquitaires où la communication réside paradoxalement dans l’absence de communication, l’utilité dans l’absence d’utilité. Exemples : « La mode, c’est ce qui se démode » (Jean Cocteau).

      Il popularise l’utilisation du mot bit comme mesure élémentaire de l’information numérique. Ainsi, il faut au moins un bit (ou 1 Shannon) pour coder deux états (par exemple « pile » et « face », ou plus généralement 0 et 1). Dans le domaine des télécommunications, la relation de Shannon permet de calculer la valence (ou nombre maximal d’états) en milieu perturbé.

      Un apport essentiel des travaux de Shannon concerne la notion d’entropie. Il a ainsi établi un rapport entre augmentation d’entropie et gain d’information, montré l’équivalence de cette notion avec l’entropie de Ludwig Boltzmann en thermodynamique. La découverte du concept ouvrait ainsi la voie aux méthodes dites d’entropie maximale, donc au scanner médical, à la reconnaissance automatique des caractères et à l’apprentissage automatique. Son nom est associé à plusieurs théorèmes, le théorème d’échantillonnage de Nyquist-Shannon sur l’échantillonnage (aussi appelé critère de Shannon), le premier théorème de Shannon sur la limite théorique de la compression, le deuxième théorème de Shannon sur la capacité d’un canal de transmission.

     Souffrant de la maladie d’Alzheimer dans les dernières années de sa vie, Claude Shannon meurt, à 84 ans, le 24 février 2001, à Medford, dans le Massachusetts.

Pour marquer le centenaire de sa naissance la Société Mathématique de France a proposé une conférence de Josselin Garnier à la Bibliothèque nationale de France le 13 avril 2016 : Claude Shannon et l’avènement de l’ère numérique.

Un colloque est organisé à l’Institut Henri Poincaré du 26 au 28 octobre 2016 dont le programme détaillé est ici au format .pdf. Ceux qui n’ont pu y assister peuvent découvrir les conférences mises en ligne sur YouTube par l’Institut Henri Poincaré. Le Mathouriste qui lui a assisté à l’événement en rend compte sur son site, sous forme de morceaux choisis, enrichi par d’autres conférences (dont celles du cirm à recommander aux débutants) et une sélection de liens vers des textes originaux ou ceux de commentateurs choisis.

Citons encore une exposition est proposée au Musée des Arts et Métiers, du 13 décembre 2016 au 12 mars 2017 : Shannon, le Magicien des Codes, avec aussi des conférences.

 

 … et Fourier

     Oui, mais où est Fourier dans tout cela ? Le mot échantillonnage qui apparaît ci-dessus peut mettre sur la voie. En associant Shannon et échantillonnage dans un moteur de recherche, on découvre un article qui confirme l’intuition première. Le théorème d’échantillonnage et la FFT sont les deux mamelles du traitement numérique de l’information ! Quelqu’un le dit très bien, c’est Barbara Burke-Hubbard, dans un délicieux petit livre dont nous avons parlé déjà ici : « Ondes & Ondelettes » (Belin). Rappelons qu’il s’agit d’un ouvrage d’excellente vulgarisation, prix d’Alembert 1997. Le rôle du théorème est présenté aux pages 47-48, sa démonstration aux pages 216-217 (sans s’attarder sur les détails , mais faisant bien ressortir les idées). Laquelle démonstration a recours à la transformée de Fourier…

[1] Pour décrire la communication entre machines, l’article de 1948 et le livre de 1949 commencent tous deux par un « schéma » qui connut dès lors une postérité étonnante en sciences de l’information et de la communication (SIC), au point que Shannon s’en étonna et s’en dissocia. Le schéma modélise la communication entre machines :

    source ? encodeur ? signal ? décodeur ? destinataire, dans un contexte de brouillage.

Conçu pour décrire la communication entre machines, ce schéma modélise imparfaitement la communication humaine. Pourtant, son succès est foudroyant. L’une des explications de ce succès est le fait qu’il se fond parfaitement dans une approche béhavioriste des médias. De plus, ce schéma dit canonique donne une cohérence et une apparence de scientificité.

 

 

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Fourier et Bézout

Fourier revisite Bézout

 chronologie

     Joseph Fourier s’est formé en étudiant notamment le Cours de mathématiques à l’usage de la marine et de l’artillerie par Bézout (1730-1783). Cet ouvrage nous donne l’occasion, sur un sujet abordable par un bachelier, de saisir le fonctionnement de la pensée de Fourier qui ne vénère jamais ses devanciers de façon aveugle.

la ligne droite : Pour Bézout : « La trace d’un point qui seroit mû de manière a tendre toujours vers un seul et même point, est ce qu’on appelle une ligne droite. C’est le plus court chemin pour aller d’un point à un autre : AB (fig. 1) est une ligne droite. ».

Bézout, 4e édition, complétée par Peyrard

Bézout, 4e édition, complétée par Peyrard

Remarque : Si Joseph Fourier a parfaitement compris et maîtrisé le contenu de l’ouvrage de Bézout, certains mathématiciens de l’époque n’en acceptaient pas facilement les nouveautés ; ainsi, F. Peyrard (1759-1822) qui préface en 1808 la quatrième édition du cours de Bézout écrit : « Dans cette nouvelle édition, toutes les démonstrations où Bézout fait usage de la méthode des indivisibles, ont été remplacées par des démonstrations à la manière des anciens Géomètres. »

     On trouve dans les papiers de Fourier, accessibles en ligne sur Gallica, des fragments d’un brouillon (écrit vers 1828 ?) de ce qui aurait pu devenir un manuel d’enseignement de la géométrie : « Si ayant marqué sur un plan deux points A et B, on considère tous les points m m’ m’’ m’’’ etc dont chacun est tellement situé que la distance Am est égale à la distance à Bm, et que les distances Am’ soit aussi égale à la distance Bm’ et qu’il en soit de même respectivement pour les autres points m’’ m’’’ etc  la suite de ces points est la ligne droite. Les noms A et B peuvent être regardés de même par la ligne droite m m’ m’’ m’’’»

manuscrit de Joseph Fourier

manuscrit de Joseph Fourier

Gallica : f. fr. 22.519 vue 8.

      La définition de Bézout, intuitive, n’est guère utile pour choisir la meilleure ligne droite entre Paris et New-York : celle du neutrino qui traverse la Terre sans interagir avec la matière ? Celle du projectile qui reçoit une impulsion unique au départ ? Celle du véhicule -bateau, avion- qui se propulse lui-même ?

Fourier propose une construction de la ligne droite basée sur la notion d’équidistance de points. Sa construction est valable ainsi dans une géométrie de Lobatchevski (1792-1856) ou de Riemann (1826-1866) (les grands cercles de la sphère  sont une bonne illustration, simple des droites de Riemann) et plus généralement dans tout espace muni d’une norme et d’une mesure.

Ainsi, aujourd’hui, le voyageur qui interroge son ordinateur pour trouver un itinéraire reçoit des réponses diverses[1] : trajet le plus court en kilomètres ; trajet le plus court en temps ; trajet le moins onéreux… .

[1] Le résultat de ces calculs proviennent d’algorithmes d’optimisation combinatoire -les plus connus étant Bellman-Ford et Dijkstra-. Dans le routage Internet ils s’appellent par vecteurs d’état ou par vecteurs de liens mais, en dépit du mot ont peu ou pas à voir avec les espaces vectoriels.

deux trajets minimum dans un réseau de communication

deux trajets minimum dans un réseau de communication

Il semble que les auteurs de manuels scolaires, soit qu’ils s’y sentent contraints par les programmes officiels, soit par facilité, suivent la pente de F. Peyrard et réprouvent la nouveauté. Ils associent souvent la ligne droite au fil tendu, allant au-delà de Bézout dans l’allégorie. Nous n’avons trouvé que A. Marijon pour présenter la droite comme le préconise Fourier dans ses notes : Géométrie du brevet élémentaire, ouvrage conforme aux programmes de 1920, Hatier, 1923. Les éditeurs quand à eux, s’ils sont frileux dès qu’on leur propose de sortir du cadre des programmes officiels, ne sont pas opposés à introduire dans leurs manuels quelques exercices expérimentaux[1].

[1] Cf. Godinat, Timon, Worobel, MATH CM2, Hachette, 2000, page 216, les Angles cornus (exercice n°745) et Le Trajet le plus court sur un quadrillage (exercice n° 746).

 

 

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Fourier en creux

Fourier en creux

YR 6 août 2016

YR 6 août 2016

     Le 6 août 2016 paraît, à Auxerre, dans le journal local, l’Yonne Républicaine, une page consacrée aux Auxerrois célèbres représentés par une statue dans la ville.

     Huit gloires locales ont ainsi droit à un développement de dix à vingt lignes : Paul Bert, Jean Moreau, le maréchal Davout, Charles Surugue, Marie Noël, Rétif de la Bretonne, Cadet Roussel et saint Amatre.

     La journaliste, Laurenne Jannot prouve qu’elle connaît bien son terroir : Fourier, dont la statue a disparu dans les conditions que connaissent les lecteurs de ce blog, s’il n’est naturellement pas à l’image, a droit à une mention spéciale un peu plus étoffée que celles de ses « rivaux » sous le titre, en grosses lettres « Fourier n’a qu’un médaillon ».

     Il est probable, que dans une prochaine édition, ce souvenir en creux, d’un Fourier voué aux Gémonies par l’occupant, soit gommé lorsque à l’action entreprise par le CCSTIB, sous l’impulsion de Tadeusz Sliva aboutira. Nous en reparlerons alors plus largement.

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Fourier en médaillon

Fourier

Fourier

 

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Panorama de la physique

Un panorama :

Serge Haroche,

leçon inaugurale

        Au cours des après-midis de cet été 2016, France Culture diffuse 40 des leçons inaugurales du Collège de France. C’est ainsi, qu’un peu par hasard, m’est tombé dans l’oreille la leçon prononcée par Serge Haroche le 13 décembre 2001 traitant de la physique quantique. En une heure, Serge Haroche, dressant le panorama du domaine d’application de la physique quantique, balaye beaucoup de thèmes dont il a été trait sur ce site. A ce stade, Serge Haroche n’entre pas dans les calculs et n’a donc pas l’occasion de citer les séries et transformations de Fourier ; les outils qu’il sera amené à utiliser  apparaîtront plus tard. Nonobstant, la méthode de séparation des variables pour la recherche des modes propres s’applique à l’équation de Schrödinger comme à celle de la chaleur ou celle des ondes. Trois équations différentes, mais trois équations qui ont en commun une propriété essentielle, la LINEARITE  -et Haroche prononce le mot-. C’est elle qui permet à la méthode de Fourier de réussir dans trois domaines si distincts du point de la physique, mais pas des maths, et c’est là l’intérêt de leur vision unificatrice (ce qui justifie le gagne-pain des mathématiciens, quoi!).

[Le lecteur peut se reporter à la page du Mathouriste : « Prélude à la Théorie Analytique, #0.2 » ; le parallèle est fait entre le cas des ondes et celui de la chaleur, et on y annonce, vers la fin, des applis modernes que l’auteur développera prochainement : « Quelques Applications Modernes de la Recherche des Modes Propres… Si la musique qui nous a servi d’illustration était du XXème siècle, la physique et les mathématiques utilisées dataient indiscutablement du XIXème …  L’élégante simplicité de la recherche de modes propres est-elle encore d’actualité dans la science récente? La réponse est oui… en trois exemples ! 1- Niveaux d’Énergie de l’Atome d’Hydrogène 2- Chaos en Météo : le Système de Lorentz 3- Héliosismologie, Ondes Gravitationnelles »

La démonstration de  la quantification des états d’énergie d’un atome d’hydrogène piégé dans un puits de potentiel utilise la méthode de Fourier, appliquée à l’équation de Schrödinger. On peut renvoyer le curieux AU Cohen-Tannoudji : Mécanique quantique.]

[Ce dont parle Haroche (ondes, corpuscules, interférences) est aussi brièvement évoqué dans la page sur Fresnel du même mathouriste, « des ondes partout », notamment dans un petit paragraphe « Fresnel et Fourier »-aux 2/3 de l’article-, où la citation de Lochak renvoie à Haroche qui nous occupe aujourd’hui : le « domaine » des séries de Fourier, c’est l’espace de Hilbert; or l’outil mathématique sans lequel il n’y a pas de Phy quantique, c’est l’espace de Hilbert!!! ]

 

Pour entendre cette leçon inaugurale, le mieux est de revenir à la source, c’est-à-dire au site du Collège de France :

https://www.college-de-france.fr/site/serge-haroche/inaugural-lecture-2001-12-13-18h00.htm

Les internautes qui n’ont pas la chance de bénéficier de bonnes transmissions peuvent se contenter d’accéder au podcast au site de France-Culture .

Serge Haroche

Serge Haroche

Serge Haroche, né le 11 septembre 1944 à Casablanca, est un physicien français travaillant dans le domaine de la physique quantique. Le 2 juin 2009, il reçoit la médaille d’or du CNRS. Le 9 octobre 2012, il est colauréat du prix Nobel de physique avec l’Américain David Wineland.

« Fasciné » par les mathématiques dont la simplicité élégante rend compte de « l’étrangeté quantique » – mieux que le langage, Serge Haroche se passionne très vite pour la physique atomique à son entrée à l’Ecole Normale Supérieure dans les années 1960. Dans le laboratoire Kastler-Brossel, il se spécialise dans l’optique quantique. Chercheur au CNRS, professeur à Paris VI et dans les plus grandes universités américaines, il dirige le groupe d’électrodynamique des systèmes simples au département de physique de l’ENS, de 1994 à 2000. De 2001 à 2015, il est titulaire de la chaire de physique quantique au Collège de France.

     Entre sa leçon inaugurale et celle de clôture donnée sur la lumière, Serge Haroche a reçu la médaille d’or du CNRS en 2009 et il a été co-lauréat du Prix Nobel de Physique pour ses « méthodes expérimentales novatrices » en 2012. Depuis 20 ans avec son équipe, il rêvait de construire un « piège à photons » qui les garde intacts. Une première expérience en 1996 le permet pendant moins d’un millième de secondes, mais c’est en 2006 qu’ils observent un photon unique pendant un dixième de seconde. Leur recherche passe sous les feux de la rampe. Cette même année 2012, il devient administrateur du Collège de France pour 3 ans. Les laboratoires de physique et de chimie ont été rénovés pour fabriquer un « incubateurs de jeunes chercheurs » en partenariat avec le CNRS.

(merci à Alain Juhel qui a relu cette page et a permis de la compléter)

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Kahane, 90 ans

Colloque

en l’honneur de

Jean-Pierre Kahane

     Jean-Pierre Kahane, né le 11 décembre 1926, a 90 ans en 2016, ce qui est l’occasion de rendre hommage à ce mathématicien éminent. Il est professeur émérite à l’Université Paris Sud Orsay et membre de l’Académie des sciences. Un colloque en ce sens s’est déjà tenu (1), début juillet 2016, à Orsay où le comité scientifique a souhaité que soient aussi évoquées ses activités pour l’enseignement et une petite session sur l’enseignement a clôturé le colloque l’après-midi du jeudi 7 juillet 2016, à l’Institut Henri Poincaré, avec des exposés de Michèle Artigue et Etienne Ghys.

Jean-Pierre Kahane

Jean-Pierre Kahane

      La Société Joseph Fourier a des raisons particulière d’être reconnaissante envers Jean-Pierre Kahane : dans les années 1970, il a milité pour que soit reconnu à sa juste valeur le nom de Fourier, encore ignoré en France, mais déjà honoré par les chercheurs du monde entier. En 2011, il écrivait « Fourier, selon Riemann, est le premier à avoir compris complètement la nature des séries trigonométriques, en associant ce que j’appellerai l’analyse, les formules intégrales donnant les coefficients, et la synthèse, la représentation d’une fonction par une série trigonométrique. C’est à cause de Riemann que nous parlons aujourd’hui de séries de Fourier. En France, Fourier a été longtemps méconnu. »

Lorsque l’Association Société Joseph Fourier fut créée, en 2012, Jean-Pierre Kahane en a accepté la Présidence d’honneur.

Nous nous associons donc tout naturellement ici à ces hommages.

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(1) Avec la participation de Nalini Anantharaman (Université de Strasbourg) ; Vincent Beffara (Université de Grenoble) ; Jean Bourgain* (IAS Princeton) ; Zoltan Buczolich (Eötvös University) ; Emmanuel Candes (Stanford University) ; Ronald Coifman (University of Yale) ; Nicolas Curien (Université Paris Sud) ; Sophie Grivaux (CNRS/Université de Picardie) ; Peter Jones (University of Yale) ; Michael Hochman (Hebrew University) ; Yves Meyer (ENS Cachan) ; Gilles Pisier (Université Paris 6 and Texas A&M University) ; Kristian Seip (Norwegian University of Science and Technology) ; Stéphane Seuret (Université Paris-est Créteil) ; Vincent Vargas (Ecole Normale Supérieure) ; Julien Barral (Université Paris Nord) ; Frédéric Bayart (Université Blaise Pascal) ; Ai Hua Fan (Université de Picardie) ; Tom Körner (University of Cambridge) ; Eric Saias (Université Pierre et Marie Curie) ; Hervé Queffélec (Université de Lille) ; Emmanuel Trélat (Université Pierre et Marie Curie)

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Fourier et son temps

Fourier et son temps

Relire Jacques-Joseph Champollion, auteur d’une biographie de Joseph Fourier publiée en 1844, permettra au lecteur curieux de patienter en attendant de découvrir la biographie de Joseph Fourier qui est aujourd’hui (juillet 2016) en instance de publication chez Hermann.

            La biographie est un genre bien particulier : hagiographie souvent lorsqu’elle concerne un contemporain, elle appelle des recherches historiques lorsqu’elle concerne un personnage plus ancien. Écrire une biographie, c’est rassembler des éléments épars afin de rendre une vie cohérente et intelligible. Des éléments de la vie de Fourier sont épars dans bien des dossiers, et, déjà, plusieurs auteurs se sont proposés d’établir les grandes lignes de la vie du savant : Girard, Vieilh de Boisjolin, Victor Cousin, Arago, Mauger, Champollion-Figeac, Marie, et plus près de nous J.B. Robert et J. Dhombres (199Smilie: 8).

page de garde des Mémoires de Champollion

page de garde des Mémoires de Champollion

            Nous proposons ici, en mode pdf le texte des souvenirs de Jacques-Joseph Champollion-Figeac ; en le lisant, on découvrira aussi les limites du genre.

            La biographie que Jacques-Joseph Champollion-Figeac consacre à Joseph Fourier est un acte de reconnaissance qui vise à conserver le souvenir du savant pour lequel il a manifestement voué une grande admiration.

            Celle signée par par J.B. Robert et J. Dhombres, publiée en 1998 visait à combler un vide : les travaux de Fourier sont chaque jour plus incontournables ; il était nécessaire de présenter les conditions de la genèse d’une œuvre qui après avoir été méconnue était revenue sur d’actualité.

L’ouvrage de Robert et Dhombres est épuisé ; les outils initiés par Fourier restent une valeur sûre dans les calculs scientifiques, la réimpression à l’identique de l’ouvrage, vingt ans après sa parution, ne s’impose pas, il convient d’actualiser le texte du livre. En effet, l’actualité de Joseph Fourier évolue très vite. Si les faits biographiques restent vrais, des recherches nouvelles ont permis de préciser quelques points, mais surtout, les progrès de la recherche scientifique rendent nécessaire la mise à jour des chapitres qui rendent compte des applications des théories de Fourier. Ces dernières années, des découvertes majeures dans des domaines divers ont été faites et ce n’est pas faire injure au génie de leurs découvreurs que constater qu’elles reposent sur une exploitation rationnelle de résultats de calculs exploitant les Transformées de Fourier.

Jacques-Joseph Champollion

            Lorsqu’il a pris son poste à la préfecture de l’Isère, Joseph Fourier a fait la connaissance de Jacques-Joseph Champollion, dit Champollion-Figeac (né le 5 octobre 1778 à Figeac dans le Lot et mort le 9 mai 1867 à Fontainebleau). Animés l’un et l’autre par le désir de mieux connaître l’Égypte, l’archéologue et le mathématicien se lient d’amitié. Jacques-Joseph Champollion (qui prend l’habitude d’accoler le nom de sa ville natale à son patronyme) devient membre de la Société des Arts et de Sciences de Grenoble, en décembre 1803. A partir de 1804, Fourier associe Champollion aux travaux devant aboutir à la Description de l’Égypte. Pour un temps, la destinée des deux hommes va être réunie. Sentant chez le jeune frère de Jacques-Joseph une vocation solide, Fourier l’encourage lorsqu’il entreprend de déchiffrer l’écriture hiéroglyphique.

Le 1er juillet 1807, Jacques-Joseph CHAMPOLLION épouse Zoé BERRIAT, fille du président du conseil des avoués de la ville et sœur d’un futur maire de Grenoble, Honoré-Hugues BERRIAT. En 1813, il se retire à Valjouffrey dont il est élu maire et se voit nommé membre correspondant de l’Institut de France en 1814.

De douze ans l’aîné de Champollion le jeune, il est son précepteur et lui transmet son goût pour l’archéologie. Bien que grand érudit, il reste dans l’ombre pour mieux mettre en valeur son frère cadet. Après la mort prématurée de celui-ci, en 1832, il éditera ses travaux inachevés, auxquels il avait d’ailleurs contribués.

            Jacques-Joseph Champollion est aussi l’auteur d’une biographie de Joseph Fourier où, au long de dix chapitres, il développe essentiellement la partie de la vie du savant à laquelle il fut associé. Deux ouvrages originaux de cette biographie ont été numérisés sur Internet. L’un est sur le site de la Bibliothèque de France, Gallica : http ://gallica.bnf.fr/ark :/12148/bpt6k96340418/f27.item.r=champollion-figeac.texteImage

L’autre sur le site américain, books-Google : https://books.google.fr/books/about/Fourier_et_Napol%C3%A9on_l_%C3%89gypte_et_les_ce.html?id=UOgDAAAAQAAJ

Planisphère de Dendérah

Planisphère de Dendérah

Planisphère de Dendérah au Musée du Louvre

Planisphère de Dendérah au Musée du Louvre

Jacques-Joseph Champollion est un témoin fiable. Il a vécu les événements dont il rend compte. Sa culture lui permet d’appréhender la plupart des sujets que Fourier eut à traiter en tant que préfet à Grenoble. Cependant, lorsqu’il rend compte de la mission que lui a confié Joseph Fourier, on le sent un peu amusé des élans qu’il ne comprend manifestement pas, mais puisque les académiciens n’ont pas su voir l’originalité et la profondeur des travaux de Fourier, on ne peut lui reprocher de n’en avoir rendu compte qu’au travers des enthousiasmes du savant.

Mais de telles considérations ne détournèrent point Fourier du projet et de l’obligation de terminer son mémoire, selon le programme publié par l’académie. Le sujet s’agrandit sensiblement sous sa plume par ses vastes calculs, par ses nombreuses expériences ; son manuscrit forma un volume in-folio de plusieurs centaines de pages. Je devais l’apporter à Paris, où j’allais me rendre dans les premiers jours de septembre 1811 ; il ne fut pas prêt pour le jour de mon départ : en fait de textes en chiffres, Fourier était aussi difficile que pour les phrases d’un discours, et il y avait pour lui une manière plus élégante que toute autre d’écrire une proposition ou un théorème avec les signes et la langue des calculs. L’ouvrage fut terminé dans le délai prescrit ; mais l’auteur ne livra son manuscrit qu’à la dernière extrémité ; il me le fit remettre à Paris. Je vois encore par les trois lettres dont l’envoi de ce manuscrit fut le sujet, à quelles inquiétudes l’auteur fut livré, jusqu’au jour où il eut dans ses mains la preuve du dépôt que j’en avais fait, avant l’expiration du délai donné, au secrétariat de l’Institut.

« Voilà, monsieur (m’écrivait-il le 17 septembre 1811), une des commissions les plus importantes que je puisse donner de ma vie. »

Le 17 octobre, il m’exprimait sa satisfaction de l’heureuse arrivée de son mémoire, et Millin qui était chez lui dans ce temps-là, m’a dit qu’il montrait avec une joie d’enfant le récépissé venu du secrétariat de l’Institut. Cependant cette satisfaction ne fut que de peu de durée, elle se changea même pour Fourier en une source de chagrines réminiscences, qui ne se sont jamais éteintes dans son esprit.

Le mémoire fut couronné : mais les termes du jugement favorable de l’académie, ou plutôt de la commission qui avait examiné le mémoire, car les commissions sont souveraines à l’Institut, étaient quelque peu restrictifs, sans que les motifs de ces réserves fussent exprimés, ce qui semblait intolérable dans une matière où la diversité bien légitime des goûts, la diversité moins équitable des opinions, et la diversité toujours condamnable des vues personnelles ne peuvent trouver à se produire, puisqu’en ces matières, tout se pèse, se mesure, et se résume en faits authentiquement démontrés et constatés.

A l’occasion de ce qui arriva à Fourier, le secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences n’a pas hésité à déclarer publiquement que les académies qui jugent, doivent, comme les autres tribunaux, motiver leurs jugements. Cette règle nous semble impérieuse, même dans les contrées que Fontenelle a nommées le Pays des démonstrations. Ailleurs cette règle serait parfois tyrannique, dans les domaines du goût par exemple, et dans ceux où les opinions les mieux motivées ne sont parfois encore qu’une affaire de goût. L’académie des inscriptions et belles-lettres, en l’année 1760, proclamait Bullet son oracle celtique[1] . Aujourd’hui pour la même académie tous les oracles sont morts, et il est juste d’avouer qu’il y a en érudition tant de degrés de bien, qu’on peut dire que certaines choses ne sont pas mauvaises quand même elles ne sont pas bonnes. Le laborieux assemblage des passages écrits qui concernent un sujet, est presque un mérite ; il n’y a cependant ni esprit, ni invention, conséquemment point de génie, rien qu’on ne puisse faire, quand même on n’est pas membre d’une académie, car ce secret a vieilli ; mais c’est un ensemble, c’est curieux, c’est surtout du temps épargné aux autres. Aussi les jugements rendus en matière d’érudition exigent-ils plus de politesse que de vérité ; le vieux Dacier, qui jugea pendant plus de cinquante ans les morts et les vivants, a fondé les bonnes doctrines sur cette partie des coutumes littéraires, et toute bonne tradition réside dans ses exemples.

Le mémoire de Fourier sur la théorie de la chaleur fut imprimé vingt ans après dans les volumes de l’académie, et tel qu’il l’avait présenté au concours : c’était de sa part une tacite protestation contre un jugement qui l’affligea toute sa vie[2].

L’élévation des sujets scientifiques auxquels il s’attacha par une préférence réfléchie, lui promettait de la gloire, suave aliment des nobles esprits, et des contradictions, qui s’assimilent moins aisément à notre nature. Comme la théorie de la chaleur, les zodiaques d’Egypte tourmentèrent, la vie de Fourier ; je m’arrête un moment sur cet autre sujet intarissable de ses conversations : quoique ancien, et fort débattu depuis quarante ans, il me reste encore quelque chose de nouveau à en dire.

[1] Dictionnaire celtique, tome 3e, au frontispice.

[2] Il en écrivit au secrétaire perpétuel Delambre, qui disait, pour toute réponse, que deux ou trois mots de plus ou de moins n’étaient rien à l’honneur d’un grand prix de mathématiques décerné par l’Institut. Les traditions du temps disent enfin que ces deux ou trois mots furent généralement désapprouvés : l’opinion publique juge parfois autrement que les académies, qui d’ailleurs n’ont pas droit de vie et de mort dans la république des lettres. C’est pourquoi elles n’ont jamais fait ni défait aucune renommée. C’est pourquoi encore on peut décéder à peu près obscur dans un fauteuil académique : il y a des hommes qui ont obtenu quelque réputation quoique mourant comme tout le monde.

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Retour de Fourier à Auxerre

En 1790, les événements révolutionnaires conduisent à la fermeture l’abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire où le novice Joseph Fourier vient de passer trois ans. Celui-ci revient donc dans sa ville natale.

L’auteure, Bernadette Oudiné, nous propose de revivre ce moment. Née à Auxerre, elle a été élève au lycée Paul Bert (à l’époque c’était de la 6ème à la terminale), a quitté Auxerre après la terminale mais y revenait voir sa mère. Elle est aujourd’hui retraitée après avoir travaillé dans l’éducation nationale.

RETOUR A AUXERRE

     Le heurtoir retentit sur la porte d’entrée alors qu’il venait de terminer son repas. Qui pouvait bien venir le voir par

Abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire (Wikipédia)

Abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire (Wikipédia)

cette journée glaciale d’hiver ? A grand peine monsieur PALLAIS se leva de son fauteuil et fit quelques pas en s’appuyant sur sa canne. Le visiteur impatient avait déjà manœuvré le heurtoir une seconde fois. Le vieil homme entrouvrit prudemment la porte. L’homme qui se tenait dans l’embrasure était emmitouflé et on voyait à peine son visage. Cependant il reconnut presque aussitôt les yeux : un regard à la fois vif et calme, posé, bienveillant. « Joseph, mon cher petit, entrez donc ! »

     Il conduisit le visiteur dans la grande cuisine où pétillait un feu vif. Joseph s’approcha de la cheminée, se frotta les mains pour les réchauffer. Il était jeune, âgé d’environ vingt ans, de carrure modeste. Il avait un visage rond, encadré par des cheveux bruns qui ondulaient souplement. Son sourire charmeur était irrésistible.

Cathédrale d'Auxerre, vue de la rue Fourier (Wikipedia)

Cathédrale d’Auxerre, vue de la rue Fourier (Wikipedia)

« Je suis venu vous voir en passant, cher Monsieur PALLAIS. Cela fait quelque temps que je ne l’ai pas fait, j’en suis désolé, mais je ne vous oublie pas. Je reviens de la cathédrale Saint-Etienne où j’espérais vous entendre répéter à l’orgue. On m’a appris que vous aviez été souffrant et qu’une dame vous remplaçait fréquemment.

– Oui, Marie-Anne CHAPUY me supplée de plus en plus souvent. Que voulez-vous, il faut le reconnaître, me voilà presque infirme. Je vais avoir 78 ans bientôt. Et ma pauvre Jeanne est encore moins vaillante que moi, elle est presque toujours alitée. Mais assez parlé de moi. Asseyez-vous, vous prendrez bien un petit verre avec moi ? Prenez la bouteille dans le buffet et servez-nous car mes mains tremblent. Je suis si heureux de vous revoir. Alors, dites-moi, vous excellez toujours en latin j’espère.

– A votre santé. Bien sûr que j’aime toujours le latin ! Et je vous remercie encore pour tout ce que vous avez fait pour moi. Mon premier prix de version latine en classe de rhétorique, jamais je ne l’aurais obtenu sans tout le travail que vous avez fait avec moi quand j’étais encore enfant.

– Mon pauvre petit, c’était un plaisir de vous enseigner le français et le latin.

– C’est curieux le destin, si je n’avais pas été orphelin si jeune jamais je n’aurais pu entrer au collège militaire royal et aujourd’hui je serais peut-être tailleur comme mon père. J’ai eu la chance de rencontrer des gens si généreux dans la paroisse. Il but quelques gorgées. Ce vin est excellent !

– C’est un Clos de la Chaînette, il attendait une grande occasion comme votre visite. Mais dites-moi, qu’est ce qui vous amène à Auxerre ?

– J’ai rendez-vous avec Dom ROSMAN tout à l’heure, à 16 h. Il me propose un poste d’enseignant.

– De mathématiques je suppose. Je suis heureux pour vous. Vous n’avez pas prononcé vos vœux ?

– Non, les Bénédictins de la confrérie de Saint-Maur me pressaient de le faire, mais j’ai refusé car je n’étais pas prêt. Et puis, toutes ces idées révolutionnaires qui circulent ne me laissent pas indifférent. Il y a tant de choses qui devraient évoluer dans notre société. Je suis encore meurtri de ne pas avoir été accepté à l’école militaire de Paris, au prétexte que je ne suis pas noble.

– Je ne suis pas surpris, vous avez toujours prôné l’égalité ; mais vous savez, ici nous avons peur de cette décision qu’a prise l’assemblée constituante il y a deux mois de mettre les biens de l’église à disposition de l’état. Que va-t-il arriver maintenant ?

– Comment tout cela va-t-il évoluer, nul ne peut le dire. J’ai peur que pour l’instant une classe ait simplement pris le pouvoir. J’attends davantage.

– Enfin, il faut que vous les jeunes restiez confiants en l’avenir. Moi je ne verrai pas tous les changements qui vont advenir ».

Ils passèrent encore un peu de temps ensemble à évoquer leurs souvenirs, puis Joseph mit son chapeau, serra son grand manteau, et prit la direction de l’église Saint Germain au pied de laquelle se trouvait le collège.

     A son arrivée le portier, qu’il ne reconnut pas, demanda qui devait être annoncé. « Jean Joseph Fourier ». Quelques instants plus tard il était assis devant le prieur, Dom ROSMAN.

« Bienvenue dans cette maison qui est un peu la vôtre, cher Joseph.

Portail du Lycée d'Auxerre (DP)

Portail du Lycée d’Auxerre (DP)

– Merci mon père. C’est avec grand plaisir que je reviens dans ces murs. J’y ai passé les années les plus extraordinaires de ma vie.

–  Que je sache vous n’avez pas eu trop à souffrir auprès de nos bons pères de Saint-Benoît-sur-Loire !

– La vie d’un novice est tout de même difficile, il faut se contenter de très peu. Pour ma part j’ai reçu un traitement qui m’a fort bien convenu et pour lequel je pense avoir bénéficié de vos recommandations, ce pour quoi je vous remercie. On m’a en effet chargé d’enseigner les mathématiques aux autres novices, certes à un niveau assez élémentaire, mais cela m’a rempli de satisfaction. J’ai aussi beaucoup étudié : la théologie, l’histoire, les antiquités, autant de disciplines qui m’ont passionné ; l’antiquité égyptienne m’a subjugué.

– Vous avez un esprit brillant, vous êtes un homme accompli. Savez-vous que j’ai entendu dire que vous aviez écrit un article sur la théorie des équations ?

– J’en ai fait une présentation orale à l’Académie des sciences devant, entre autres, Messieurs MONGE et LAPLACE. Dans le contexte perturbé que nous connaissons actuellement il n’y a cependant pas eu de publication.

– Il n’empêche, ici au collège nous serons toujours fiers de vous avoir eu comme élève. J’ai la conviction que vous serez un jour un grand scientifique reconnu. Votre goût pour les études est un modèle. Je vais vous faire une confidence. Lorsque vous aviez une douzaine d’années, souvenez-vous, vous vous cachiez avec une bougie au fond de la grande armoire qui est dans la salle d’étude, et vous y passiez la nuit enfermé, à lire. Vous vous êtes plongé dans les sept volumes de BEZOUT. Eh bien j’étais parfaitement au courant, mais je ne vous ai pas empêché de continuer. Votre ardeur, votre soif de connaissance, étaient étonnantes et émouvantes chez un enfant si jeune. J’ai préféré vous laisser vous abreuver de connaissances.

– Si vous aviez sévi, j’aurais compris que le règlement devait s’appliquer. Mais je vous sais gré de votre bienveillance.

Cour d'honneur du lycée d'Auxerre (Wikipedia)

Cour d’honneur du lycée d’Auxerre (Wikipedia)

– Ah, FOURIER, c’est que j’aime les mathématiques moi aussi ! Ce qui m’amène à vous entretenir d’un projet pédagogique. Notre plan d’enseignement demande à être révisé. Je voudrais moins de latin, davantage de français, des langues étrangères, et bien sûr des mathématiques et de la physique, à bon niveau. Nous en reparlerons très vite, car c’est urgent. Voyez-vous les temps changent, et nous devons orienter notre enseignement vers davantage de réflexion, donner à nos élèves une ouverture d’esprit en résonance avec les idées humanistes.

– Je ne peux que souscrire à cette analyse. D’autant que, puisque vous parliez de BEZOUT, je pense contrairement à lui que la géométrie ne doit pas être abordée en premier. Je serai heureux d’apporter ma contribution à votre projet. »

     Dom ROSMAN proposa alors à Joseph FOURIER de faire le tour du collège. Tandis qu’ils cheminaient il s’ouvrit de son inquiétude quant au délabrement des locaux. La situation était devenue catastrophique. Joseph intervint :

« Je ne voudrais pas paraître impertinent mais lorsque j’étais élève les bâtiments étaient déjà en mauvais état. J’ai plusieurs fois manqué de tomber dans le corridor à cause des planches mal nivelées, et je me souviens que la porte de la chapelle était toute vermoulue.

– A l’époque j’avais fait faire des réparations urgentes, comme la toiture, et des consolidations. Cependant mon successeur Dom ROUSSEAU n’a pas poursuivi ma politique qu’il a jugée dispendieuse. Cela fait un peu plus d’un an que j’ai repris la tête du collège ; il y a trop à faire. Il n’y a guère d’autre solution que de transférer les élèves à Saint-Germain, ce que j’ai commencé ; les enseignants y logent aussi. »

     Ils traversèrent quelques salles de classe, celle de musique et celle d’escrime, la grande salle d’étude, le cabinet de physique, la bibliothèque, les dortoirs. Joseph voulut s’attarder dans le jardin, dont une partie était utilisée comme cour d’exercice. Il y avait là le poulailler, la petite cabane du jardinier.

     Il sourit en pensant aux moments passés là, à poser des questions au jardinier. Pourquoi faisait-il plus chaud dans une serre que dehors ? Pourquoi fait-il très froid les belles nuits dégagées d’hiver, et plus doux quand les nuages cachent les étoiles ? Est-ce la terre qui est chaude en son centre nous réchauffe ? Il n’avait que 13 ans. Il avait réfléchi à tout cela, aux parois de verre qui concentraient la chaleur du soleil dans cette sorte de boîte, aux nuages, à l’air. Il s’était dit qu’il lui fallait continuer à dévorer les livres, à apprendre, et un jour, qui sait, parviendrait-il à comprendre, à expliquer. Se retrouvant dans le jardin aujourd’hui il se promit de répondre aux questions du petit garçon qu’il avait été. Il commencerait par se pencher sur l’expérience qu’Horace de SAUSSURE avait conduite quelques années auparavant en construisant sa boîte de verre. C’était certain, il étudierait cela plus tard.

     Tout en marchant ils continuaient à échanger, et Dom ROSMAN, sans entrer dans les confidences, dit simplement : « Nous vivons une époque bien tourmentée. Il parait que la suppression des ordres religieux va avoir lieu sous peu. » Il soupira, mais ne s’appesantit pas sur le sujet. Joseph respecta son silence.

     Ils venaient d’entrer dans l’église. Ils s’y recueillirent. Joseph ne put s’empêcher de compter les chandeliers. Il y en avait toujours sept, et les deux reliquaires dorés étaient encore là, rien n’avait changé. Puis ils retournèrent dans le bureau de Dom ROSMAN.

« Vous ne m’avez pas demandé quels enseignements je souhaitais vous confier.

– Je servirai de mon mieux. Vous connaissez mes compétences, surtout en mathématiques, puisque vous y avez fait appel il y a quelques années.

– Oui, mais dans cette discipline j’ai déjà un professeur remarquable en la personne de Monsieur BONNARD.

– Je l’apprécie beaucoup. J’ai été son élève, et je suis toujours resté en contact avec lui. Nous avons eu de nombreux échanges épistolaires. Nous sommes devenus amis, et je me confie volontiers à lui, je lui parle de mes projets, de mes questionnements. Je lui ai d’ailleurs écrit récemment qu’il était grand temps que je m’illustre. Comprenez-moi, il ne s’agit pas de vanité de ma part, je ne recherche pas la gloire. Ce que je veux par-dessus tout c’est faire avancer la science, la connaissance.

– Je sais, je ne suis pas inquiet, vos motifs sont nobles ; soyez convaincu que je partage votre enthousiasme et vous accorde toute ma confiance. Vous êtes passionné de mathématiques et vous réaliserez de grandes choses dans ce domaine, j’en suis certain. Cependant, comme je vous l’expliquais, je ne puis actuellement vous proposer exclusivement des cours de mathématiques. Vous en aurez quelques uns mais vous serez essentiellement chargé de la classe de rhétorique, du moins au début. A la rentrée de septembre je pense que je la confierai à l’abbé DAVIGNEAU, et alors peut-être verrons-nous à vous donner également de la philosophie si vous le souhaitez, ou encore de l’astronomie. Vous êtes un homme si complet que j’ai l’embarras du choix ».

     Puis ils sortirent du collège et gagnèrent Saint Germain. Dehors il gelait, les étoiles brillaient déjà bien qu’il ne soit que 17 h30. Dom ROSMAN le conduisit dans son logement qui consistait en une chambre meublée d’un lit, d’une table de nuit, d’une étagère, d’un bureau, d’une petite armoire et d’une table de toilette sur laquelle étaient posés un broc et une cuvette de porcelaine blanche. Un feu réconfortant brûlait dans la petite cheminée et répandait une clarté accueillante.

« J’ai fait monter votre malle. Le cocher l’a déposée tout à l’heure, avant votre arrivée.

– Je vous en remercie, je suis en effet venu à pied. J’ai voulu rendre visite à Monsieur PALLAIS, que j’ai trouvé fort diminué.

– Il se fait tard, installez-vous. Les vêpres sont à 18h et vous pourrez souper à 18h45 avec les abbés. Retrouvez-moi dès demain matin à 8 heures pour que je vous entretienne plus en détails du nouveau plan d’enseignement qui, je l’espère, se mettra en place à la prochaine rentrée 1790-1791. Excusez-moi, je dois me retirer maintenant ».

Dès que don ROSMAN fut parti Joseph ouvrit sa malle et rangea quelques livres sur l’étagère, puis il posa sur la cheminée une bande de papier sur laquelle il avait calligraphié une phrase qu’il affectionnait : « Et ignem regunt numeri ». Il sourit en relisant ces mots. La puissance des mathématiques ! Bien sûr que les nombres régissent tout. Même le feu.

     Il était maintenant prêt pour les vêpres. Ensuite il se rendrait au réfectoire où il retrouverait Monsieur BONNARD. Ils parleraient de mathématiques et de projets. En refermant la porte il jeta un coup d’œil circulaire sur sa chambre. Il se sentait chez lui ici.

     Cette journée avait été marquante. Tant de choses semblaient s’acheminer vers leur fin : Monsieur PALLAIS en si mauvaise santé, les locaux du collège dans un état déplorable, le renouvellement des professeurs après les démissions dont il avait eu vent mais que Dom ROSMAN n’avait pas osé évoquer devant lui, la menace sur la congrégation et peut-être à court terme sur le devenir du collège militaire lui-même.

     Pourtant il y avait aussi beaucoup d’espoir en germe : la détermination de Dom ROSMAN pour sauver l’école, la nouvelle société qui se mettait en place, et puis son entrée officielle comme enseignant à part entière. Une vie pleine d’action s’ouvrait à lui, dans laquelle tout était à inventer, dans tous les domaines. Il était heureux, l’aventure commençait vraiment. Il sourit et se dit : « Auxerre, me revoilà, je suis prêt ! »

 

Bernadette Oudiné

Juin 2016

Lettre de Fourier à Bonard (coll. part.)

Lettre de Fourier à Bonard (coll. part.)

 

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Banon, le 10 février 1808 Le Préfet du département de l’Isère [J. Fourier] à monsieur Bonard… …je me suis efforcé d’exprimer tout ce que je vous dois d’attachement et de reconnaissance comme votre élève votre collègue et votre ami…

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