2.2.2. Inégalités sociales et discriminations liées à la situation économique

Depuis les années 1960, avec les travaux des sociologues Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, la sociologie a mis en lumière la manière dont le système scolaire et l’enseignement supérieur reproduit les inégalités de classe sociale.

L’apport de Pierre Bourdieu est d’avoir montré comment ce n’est pas seulement le capital économique, mais également le capital culturel (comme le niveau de diplôme des parents) qui constitue un facteur pertinent pour analyser la trajectoire scolaire d’un élève.

Il montre ainsi que les enfants d’ouvriers ont une trajectoire scolaire moins favorable que les enfants de cadres supérieurs et de professions intellectuelles.

(Voir : Bourdieu Pierre. Les trois états du capital culturel. In: Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 30, novembre 1979. L’institution scolaire. pp. 3-6.

URL : www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1979_num_30_1_2654)

Les études internationales PISA1 ont depuis plusieurs années montré que la France était parmi les pays de l’OCDE qui reproduisaient le plus les inégalités sociales liées à l’origine socio-économique des élèves.

(Christian Monseur et Ariane Baye, « Quels apports des données PISA pour l’analyse des inégalités sociales », CNESCO, 2016. URL : http://www.cnesco.fr/wp-content/uploads/2016/09/monseur1.pdf )

Néanmoins, les élèves issus des classes populaires ou de milieux défavorisés ne sont pas tous en situation de pauvreté économique. La lutte contre la discrimination liée à la situation de pauvreté ou de précarité sociale porte plus particulièrement sur les cas d’élèves ou d’étudiants qui sont en situation de pauvreté.

Plusieurs travaux ont sensibilisé à cette question de la pauvreté dans le système scolaire et dans l’enseignement supérieur :

– Le rapport de Jean Paul Delahaye, Grande pauvreté et réussite scolaire, mai 2015 (URL : http://cache.media.education.gouv.fr/file/2015/52/7/Rapport_IGEN-mai2015-grande_pauvrete_reussite_scolaire_421527.pdf )

-L’avis du Conseil économique, social et environnemental, Une école de la réussite pour tous, mai 2015. (URL :http://www.lecese.fr/sites/default/files/pdf/Avis/2015/2015_13_ecole_reussite.pdf )

– Concernant les étudiants, il est possible de citer les études de l’Observatoire de la vie étudiante : On estime en 2017 que ce sont 20 % des étudiants qui sont confrontés à une situation de pauvreté économique.

(Voir par exemple: « Les étudiants en difficulté : pauvreté et précarité », 2003. URL : http://www.ove-national.education.fr/medias/files/publications/c346_rapport_precarite_2003.pdf

Enfin, il est possible de préciser que le fait d’avoir un travail n’empêche pas d’être en situation de pauvreté. Il existe ainsi ce que l’on appelle les « travailleurs pauvres ». Il est possible de travailler dans la fonction publique, par exemple avec un statut précaire, et d’être un travailleur pauvre.

(Ponthieux Sophie, « Les travailleurs pauvres : identification d’une catégorie », Travail, genre et sociétés, 2004/1 (N° 11), p. 93-107. DOI : 10.3917/tgs.011.0093. URL : https://www.cairn.info/revue-travail-genre-et-societes-2004-1-page-93.htm )

2.2.3. Discrimination, inégalités sociales et pédagogie

Si comme on l’a vu, les classes populaires et la situation de pauvreté ne se recouvrent pas, pour autant il est pertinent d’avoir des connaissances concernant la sociologie de l’éducation sur les classes populaires dans la mesure où les élèves en situation de pauvreté sont principalement des élèves issus des classes populaires.

– Dans le premier degré :

Si les travaux de Pierre Bourdieu se sont attachés a mettre en avant comment l’école reproduit les inégalités sociale, d’autres sociologues ont étudié comment les pratiques pédagogiques des enseignants pouvaient être un facteur de construction des inégalités sociales.

Cette dimension a été en particulier mis en lumière pour l’école primaire par les chercheurs de l’équipe ESCOL2. L’école primaire est aujourd’hui un des axes sur lesquels la lutte contre les inégalités sociales doit porter ses efforts car 20 % des élèves sortent de l’école primaire avec des difficultés scolaires.

Comme le souligne le réseau de lutte contre les discriminations à l’école, la distinction effectuée par Jean-Yves Rochex entre différentiations passive et active est utile pour comprendre comment s’effectuent les micro-discriminations dans la salle de classe en fonction de l’origine sociale.

La notion de « différentiation passive » décrit une situation que Bourdieu pouvait qualifier « d’indifférence aux différences ». L’enseignant produit un cours identique pour tous les élèves. Mais, il n’explicite pas les attendus implicite du système scolaire. Ceux-ci sont perçus en revanche par les élèves les plus connivents avec le système scolaire du fait du capital culturel de leur milieu familial.

La notion de « différentiation active » indique au contraire une situation où l’enseignant effectue une différence dans son enseignement entre deux élèves en fonction de leur niveau scolaire. Cette différence peut être consciente ou inconsciente. Ce cas interroge la légitimité de la différentiation pédagogique. En effet, une différentiation pédagogique peut accroître les inégalités sociales au lieu de les réduire.

Pour aller plus loin :

Bautier Elisabeth, « Pratiques scolaires dominantes et inégalités sociales au sein de l’école », CNESCO, 2016. URL : http://www.cnesco.fr/wp-content/uploads/2016/09/bauthier_solo1.pdf

Bonnery, Comprendre l’échec scolaire, Paris, La Dispute, 2007. (Voir un extrait : http://centre-alain-savary.ens-lyon.fr/CAS/documents/documents-smd/texte-de-bonnery-sur-bassekou_2.pdf )

Bourdieu Pierre. L’école conservatrice. Les inégalités devant l’école et devant la culture. In: Revue française de sociologie, 1966, 7-3. Les changements en France. pp. 325-347. URL : www.persee.fr/doc/rfsoc_0035-2969_1966_num_7_3_2934

Christophe Joigneaux, « La construction de l’inégalité scolaire dès l’école maternelle », Revue française de pédagogie [En ligne], 169 | octobre-décembre 2009, mis en ligne le 01 octobre 2013. URL : http://journals.openedition.org/rfp/1301

Rochex Jean-Yves, « Au cœur de la classe, contrats didactiques différentiels et production d’inégalités », in Rochex Jean-Yves, Crinon Jacques (dir.), La construction des inégalités scolaires. Au cœur des pratiques et des dispositifs d’enseignement, éd. Presses universitaires de Rennes, 2011, p.91-92 (Voir également : Rochex, « Processus de différentiation et inégalités scolaires », Dialogue, n°155, 2015. URL : http://www.gfen.asso.fr/images/documents/publications/dialogue/dial_155_proc_diff_ineg_scol_rochex.pdf )

– Dans le secondaire :

Dans le secondaire, les pratiques pédagogiques peuvent elles aussi défavoriser les élèves issus de milieux populaires. Jérôme Deauvieau a souligné par exemple cela concernant le cours dialogué en SES.

(Deauvieau Jérôme, Enseigner dans le secondaire, Paris, La Dispute, 2009. Voir également : Deauvieau Jérôme, « Cours dialoguer ou activisme langagier ? », APSES, 2009. URL : http://formation.apses.org/index.php?option=com_content&view=article&id=72:cours-dialogue-ou-activisme-langagier&catid=30&Itemid=126 )

– Dans l’enseignement supérieur :

Avec la demande ministérielle d’amener 80 % d’une classe d’âge au baccalauréat, l’enseignement supérieur se trouve confronté à un nouveau public qui a pu être formé dans les filières technologiques ou professionnelles des lycées.

Ces nouveaux étudiants sont plus éloignés de part leur formation antérieures des attendus des filières universitaires.

(Voir :

Stéphane Beaud, 80 % au bac et après ?, Paris, La Découverte, 2003

Stéphane Beaud, « Enseignement supérieur : la « démocratisation scolaire » en panne », Formation emploi [En ligne], 101 | janvier-mars 2008. URL :

http://journals.openedition.org/formationemploi/1146 )

– L’évaluation  et l’orientation:

Il existe des biais inconscients dans la notation ou l’orientation scolaire. Ainsi un enseignant n’attribue pas les mêmes notes et ne propose par les mêmes choix d’orientation scolaire selon ce qu’il connaît du profil sociologique d’un élève : selon qu’il s’agit d’un enfant d’ouvrier ou de cadre, d’une fille ou d’un garçon…

Pour aller plus loin :

Pierre Merle (entretien), « Les notes sont-elles justes ? », Le café pédagogique, 2007. URL : http://www.cafepedagogique.net/lemensuel/laclasse/Pages/2007/86_Lesnotessontellesjustes.aspx

Landrier Séverine et Nakhili Nadia , « Comment l’orientation contribue aux inégalités de parcours scolaires en France », Formation emploi [En ligne], 109 | janvier-mars 2010, mis en ligne le 01 mars 2012,. URL : http://journals.openedition.org/formationemploi/2734