Travaux en cours

Contes, dessins et pédagogie. Ou l'inverse.

Archive for the 'Les contes d’Anne-Marie' Category

Lucas et son ombre

Il était une fois dans un royaume lointain, un jeune homme nommé Lucas. Lucas avait une quinzaine d’années. Plutôt mignon, cheveux blonds, nez en trompette, il baladait sa silhouette fluette dans le village en copiant l’air affairé qu’il voyait aux adultes de son entourage. Il avait repéré que cela lui évitait des corvées dont il se passait aisément. Chacun le croyant occupé, il passait le plus clair de son temps à espionner et à collectionner ainsi les informations sur les habitants du village. Il amassait son butin dans un coin de son cerveau, sûr que tout cela lui servirait un jour ou l’autre. Le curé du village lui avait appris à lire et à écrire et il se sentait au-dessus du reste du monde. Malheureusement pour lui, dans ce village, aucune occupation ne correspondait à la valeur qu’il se trouvait.

Ayant remarqué que le boulanger du village se faisait livrer de la farine d’un autre village pour la payer moins cher, il fabriqua quelques affiches qu’il placarda, à la nuit tombante, se cachant de tous, sur les murs des maisons du village ; il y annonçait que certain commerçant trompait sa clientèle. Il récidiva quelque temps plus tard en annonçant que la femme d’un fermier, bien connue de tous, fricotait avec un jeune godelureau.

C’est ainsi qu’il commença sa carrière de corbeau. Ses messages étaient lus par certains qui s’empressaient de colporter ces infamies auprès de ceux qui ne pouvaient pas les lire. Quelques-uns, la conscience tranquille, se moquaient ; et ceux qui ne l’avaient pas se moquaient aussi de peur d’être identifiés comme les cibles des dénonciations. Jusqu’au moment où des noms, peut-être lancés au hasard ou peut-être pas, commencèrent à circuler. L’ambiance du village prit tout d’un coup une toute autre atmosphère. Rien ne plut tant à Lucas que de semer la zizanie entre ses voisins, de les regarder s’entre-accuser, se fâcher, voire se battre. Enfin, ses capacités se voyaient récompensées même si elles n’étaient pas reconnues. Ses nuisances continuèrent de plus belle, tant il se trouvait malin.

Les gens d’armes du roi furent dépêchés sur place pour faire cesser ces querelles. Ils devaient faire en sorte que la quiétude revienne dans ce village avant que cela ne fasse tache d’huile et ne s’étende aux alentours. Mais rien n’y faisait. Lucas jubilait tant et plus. Un soir qu’il se couchait après une nième tournée d’affichage, il se dit qu’enfin, sa vie avait pris une tournure qui lui plaisait. Où allait-il s’arrêter ?

Alors qu’il s’endormait, il ne s’aperçut pas qu’un phénomène étrange se produisait. Son ombre, fidèle à sa personne depuis toutes ces années, commença à se détacher de lui dans la pénombre. S’étirant jusqu’au plafond de sa chambrette, on aurait dit qu’elle dansait la gigue en tentant de libérer ses pieds. Les genoux montaient de manière saccadée et elle finit par s’attraper les mollets pour finir de se dégager. Dans un dernier effort, elle tira plus fort et enfin fut délivrée de l’emprise à laquelle elle était si bien habituée. Toute plate qu’elle était restée, elle se faufila sous la porte du réduit où Lucas continuait de dormir sans ne s’être aperçu de rien. Elle passa près du lit-clos où ronflaient les parents de Lucas et réussit à sortir dans la ruelle qui bordait la maison.

Elle repéra une première affiche qu’elle arracha. Elle se rappelait parfaitement tous les emplacements que Lucas avait utilisés et put rapidement récupérer la boue qu’il voulait encore répandre. Tenant précieusement les papiers dans sa main gauche, elle se dépêcha autant qu’elle le put pour les enfouir dans le tas du fumier du village. Bien sûr, elle fût obligée de brasser un peu l’odorant amas pour faire disparaitre les affiches. Elle profita de l’eau du puits pour se nettoyer et rentra retrouver le vaurien auquel elle était attachée. Dans la nuit maintenant noire, elle remit ses pieds dans ceux de Lucas et se recoucha contre lui.

Le lendemain matin, le déjeuner fût calme, la soupe épaisse avalée sans un mot. Lucas s‘apprêtait à sortir quand le Père annonça, que pour une fois, il n’y avait pas eu d’affiches placardées cette nuit. Le menton de Lucas descendit de plusieurs degrés et il dut se contenir pour ne pas sortir en courant. Derrière lui, son ombre souriait dans sa barbe. Le Père poursuivit : « La présence des gens d’armes du roi a du dissuader cet énergumène. Y’aurait que moi, des chiens féroces qu’on devrait lui mettre au train ! » Lucas se retint de ne pas faire de commentaires, il attrapa sa cape et s’en alla pour se rendre compte par lui-même.

Son ombre lui emboita le pas, bien obligée de suivre. Elle fut le témoin privilégié de la fureur qui montait en lui. Il croisa des villageois qui se montraient soulagés, ceux qui avaient été les proies de Lucas et les autres qui ne l’avaient pas encore été. Il fut contraint de faire bonne figure. Il retourna dans sa chambrette, se mit à écrire et déversa ainsi toute sa frustration. Son ombre lisait par-dessus son épaule et, si elle l’avait pu, aurait rougi de honte à lire toutes ces infamies. Elle n’allait pas dormir beaucoup cette nuit non plus. Elle accompagna Lucas qui se faufilait pour accrocher ses affiches ; elle repéra soigneusement tous les lieux et, dès qu’il se fut endormit, réussit à se libérer encore une fois.

Au moment où elle arrachait le dernier papier, elle entendit un applaudissement discret et des murmures derrière elle. Elle tourna la tête lentement et distingua dans la nuit des ombres comme elle qui s’étiraient sur les murs des maisons du village à la lueur de la lune. Les chuchotis reprirent, s’adressant à elle cette fois : « Bravo ! Nous sommes bien placées pour savoir qu’il faut beaucoup de courage pour s’extirper de sa condition d’ombre. Surtout pour s’opposer à son alter-ego ! Et un grand merci de permettre au village de retrouver de la sérénité. Toi seule a le pouvoir de défaire ce que fait Lucas. Nous, nous ne pouvions que nous lamenter des dommages qu’il causait, alors encore merci ! » À ces mots, l’ombre de Lucas se sentit émue, sans que cela ne se voit sur sa figure plate et noire. Il n’eut pas le temps de dire un mot que les autres ombres s’éparpillèrent telles des feuilles d’automne poussées par le vent. Elle se demanda si elle avait rêvé et, secouant la tête, se pressa d’aller enfouir profondément les papiers dans le tas de fumier. Encore sous le coup de la surprise causée par ses congénères, elle ne pensa pas à se nettoyer et bientôt elle retrouva sa place derrière Lucas.

Au petit matin, celui-ci se leva, bien décidé à jouir des dernières vilénies qu’il avait placardées la veille. Ses parents étaient déjà partis aux champs et il dégustait tranquillement une tranche de gros pain quand une odeur désagréable commença à l’incommoder. Il renifla ses mains, sa chemise, rien ! Son ombre tournoyait derrière lui tandis qu’il gesticulait pour déterminer d’où provenait l’odeur et plus il tournoyait, plus l’ombre se déplaçait et répandait l’odeur nauséabonde. Il finit par chercher l’eau du baquet s’en aspergea pensant être débarrassé du relent de fumier qui l’entourait. Las ! La puanteur qui l’incommodait n’avait pas disparu ! Il sortit quand même, se disant que les villageois devaient se terrer chez eux après avoir lu ses dernières affiches.

Quelle ne fut pas sa stupéfaction, dès le pas de sa porte, de rencontrer des voisins soulagés ! Cette fois encore, ses méfaits avaient été contrecarrés. Loin de pouvoir se repaitre de la gêne et de la honte des personnes qu’il avait visées, il se retrouva la cible des moqueries. Les gens qu’il croisait se détournaient en se pinçant le nez, voire en crachant par terre. Même le curé, qui semblait pourtant réjoui, l’évita en pressant le pas. Des enfants du village commencèrent une ronde autour de lui en chantant à tue-tête : « Qui c’est qui s’est roulé dans le fumier ? Devinez, devinez ! Qui c’est qui s’est roulé dans le tas de fumier ? C’est Lucas le palefrenier ! »

Vous imaginez bien combien Lucas, arroseur arrosé, eu beaucoup de mal à supporter d’être devenu la risée de son village. Non seulement ses affiches avaient encore une fois disparu sans que personne n’en ait l’explication, mais il ne comprenait toujours pas d’où provenait cette puanteur qui l’entourait et faisait de lui un être repoussant. Derrière lui, son ombre se réjouissait de cette mésaventure qu’elle n’avait pas cherchée mais qui tombait à pic. Lucas se dégagea de la ronde moqueuse. Les cris et les rires le poursuivirent jusqu’à ce qu’il se soit réfugié dans sa chambrette.

La rage au cœur, il épanchait sa honte dans les mots les pires qu’il n’ait jamais écrits quand, brusquement, une ombre gigantesque apparut devant lui, menaçante. Il se retourna vivement : personne ! L’ombre agitait les bras et secouait la tête, l’odeur devenait insoutenable. Lucas avait peur de comprendre : cette ombre … se pourrait-il que ? Il se retourna à nouveau, cherchant son ombre sur le mur derrière lui, là où elle aurait dû se trouver : rien ! Pas le moindre contour dessiné par la lueur de la fenêtre ! Devant lui, la silhouette attendait patiemment. Puis, quand Lucas, hagard, lui fit face de nouveau, elle saisit le papier sur lequel il avait déversé ces ignominies, se plaça bien en face de lui et le déchira posément. Lucas n’en crut pas ses yeux. Persuadé qu’il devenait fou, il poussa un cri déchirant et il sortit en courant de la maison. Les villageois le virent passer, se retourner et crier de plus belle comme s’il avait le diable à ses trousses.

Les dénonciations cessèrent ; les gens d’armes retournèrent auprès du roi ; les villageois se remirent peu à peu à se parler mais les plaies étaient profondes et elles mirent du temps à cicatriser. Quant à Lucas, personne ne le revit jamais. Depuis, la légende parle d’un ermite qui vit dans une grotte, au fond des bois, ne sortant que quand la nuit est noire. Seules les ombres restées au village savent le fin mot de l’histoire …

Anne-Marie,

Bordeaux, le 16/11/2019

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J’ai envie de vous parler des élèves …

Je sais que je suis arrivée au collège en septembre 2005 parce que c’est cette année-là qu’il y a eu les émeutes des banlieues en novembre et que chez moi, ils se disaient, inquiets, que j’étais un peu folle d’avoir demandé ma mut pour Trappes.

Alors, je peux vous dire que la traversée de la nationale 10 a été un vrai bouleversement (oui, la nationale 10, car j’étais précédemment en poste à Montigny). J’ai le souvenir de deux de mes classes cette année-là : la 3C de Pascale avec des élèves qui me disaient « Madame, remettez-nous des vrais chiffres au lieu de ces lettres qui veulent rien dire » quand j’essayais de leur faire faire du calcul littéral ; la 6e avec deux loustics, un grand black qui menaçait un petit rebeu par « Je vais t’égorger comme un mouton » et un autre jour, le même petit rebeu qui, saisi de peur par l’entrée de Nono (Déclic théâtre) déguisé en vieillard du bled, agitant sa canne d’un air menaçant, le petit gamin donc qui se faufile à toute vitesse sous les tables et que je retrouve au dernier rang regardant Nono, caché derrière ses camarades … et les moqueries à son encontre quand il regagne le premier rang. Toujours dans cette 6e, retour des vacances de février, une élève, visage bronzé. Je m’apprête à lui demander si elle a été au ski quand je m’aperçois que seul le carré autour de ses yeux et de ses joues est bronzé et je comprends alors qu’elle revient du bled et qu’elle y était voilée … j’étais bien de l’autre côté de la nationale …

Le voyage à Tatihou (coucou Patrick, Alain et Alain et Mme R.) d’une année suivante a été un moment de découvertes nettement plus positives. C’est difficile de faire partager les émotions et l’enthousiasme des élèves devant les jeux pour apprendre qui leurs étaient proposés … soirée inoubliable dans la tour Vauban. Mon déguisement de gitane, des élèves qui me demandent de deviner leur signe astrologique et moi qui tombe juste les deux fois, je ne sais pas qui a eu le plus peur eux ou moi ! et devant l’église où est suspendu un parachutiste-mannequin, Adrien, casque sur la tête qui nous raconte l’histoire.

Et puis toutes ces images qui reviennent, kaléidoscope de moments précieux et je ne peux pas les citer tous.

La sortie à Paris avec les 3e d’insertion sur les traces du film Amélie Poulain, tu te souviens Nolwen ?

 Les 3e d’insertion qui ont organisé une sortie à Thoiry et sous le tunnel de lions et une élève qui hurle quand l’un d’eux saute sur le plafond transparent du tunnel.

Les 6e grimpés sur les tables pour coller les post-it sur les fenêtre de la salle et faire la différence entre aire et périmètre, joli moment de maths, n’est-ce pas Gwen ?

Des élèves de 3e de remotivation qui reviennent d’une visite dans une maison de retraite avec AGIR-abcd et qui témoignent avec enthousiasme devant les autres.

Et cette élève de 4e qui découvre en levant la tête que c’est son exemple qui illustre telle partie du cours, et qui n’en revenant pas commence une danse du sioux autour de sa table en criant une invocation « Que dieu vous fasse gagner des millions à l’Euro millions ! »

L’émotion partagée à la mort de Sharif.

Le mur de la fierté et les élèves qui disent, « je vois que je suis capable alors ça m’encourage ».

Le stand de vente chez décathlon, et Zakaria qui n’en revient pas d’avoir vendu un chargeur, objet de leur mini-entreprise.

Les élèves des ateliers éducatifs qui écrivent de haïkus et se découvrent la capacité de le faire, moment magique avec Benjamin.

Et cette élève qui slame en anglais à la restitution des ateliers éducatifs et cette autre qui nous serre le cœur en parlant de la mort de son cousin.

Et Hubercha qui dit en conseil de classe que leur classe est mieux que les autres car elle est solidaire, les bons aident les moins bons mais l’inverse aussi.

Les élèves de l’atelier orientation, si fiers d’avoir organisé tous seuls le forum et si dégoutés de son annulation au dernier moment (n’est-ce pas Patrick).

Remise des bulletins en décembre dernier, un grand gaillard me dit « vous vous souvenez de moi ? » bien sûr que je me souviens de Dany, 3e d’insertion, et lui, tout fier de m’annoncer qu’il est en train de se faire recruter comme prof : une boucle est bouclée …

Merci à tous pour ces moments partagés.

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La reine des courges

Il était une fois au pays des blés, une cultivatrice qui se prénommait Gervaise. Gervaise cultivait des courges. Des courges de toutes sortes, de grandes, des petites, des allongées, des rondes, des bosselées, des plates et d’autres encore. Leurs teintes variaient du blanc cassé des pâtissons au vert foncé des courgettes et des concombres, en passant par le crème bleuté des butternuts et l’orange vif des potirons et autre potimarrons.

Gervaise aurait bien aimé produire d’autres plantes, comme des fleurs. Elle était obsédée par l’envie de voir pousser sur ses terres des pavots de toutes les couleurs. Pourquoi des pavots me direz-vous ? Parce qu’elle adorait les coquelicots qui fleurissaient dans les champs de blé, profitant des chaleurs estivales pour sortir de terre et illuminer de rouge les champs écrasés de soleil. Mais au pays des blés, chacun-chacune avait un rôle assigné et ne cultivait pas des pavots qui le voulait …

Elle se contentait donc d’admirer les dessins accrochées aux murs de la boutique du pépiniériste. Les pétales colorés des pavots, à l’aspect brillant, étaient comme froissés et semblaient révéler une faiblesse et un appel à l’attention qui touchaient le cœur de Gervaise. Les longues tiges permettaient aux fleurs de saisir le moindre souffle d’air et ainsi de se balancer gracieusement, créant une illusion de ballet au chef d’orchestre invisible, même croquées dans l’instant. Gervaise les imaginait prêtes à s’envoler pour d’autres horizons, elle qui n’avait jamais dépassé les limites de son village.

Quelles différences avec ses courges qui rampaient au ras du sol, accrochées à leur terrain, étalant leurs larges feuilles, permettant aux limaces et autres escargots de les investir, leurs fruits lourds vautrés sur la terre. Les ramasser et les porter lui cassaient le dos. Sans compter les soupes et purées innombrables qu’elle se sentait obligée de réaliser et de manger pour ne pas perdre celles qu’elle n’avait pas vendues.

« Ah oui ! Cultiver des courges n’offrait pas autant de satisfactions que de cultiver des pavots. » se disait-elle envieuse à chaque passage dans la boutique.

Un beau jour, ou plus sûrement une fin d’après-midi pluvieuse, alors qu’elle rentrait dans sa fermette trempée et fourbue, elle tomba nez à nez avec un colporteur qu’elle n’avait jamais encore rencontré. Il tirait un chariot bâché dans lequel se trouvait tous les trésors des colporteurs qui passent de ferme en ferme. Sa grande cape grise usée flottait autour de lui, laissant par moment voir des habits qui ne paraissaient pas aussi fatigués que son vêtement de dessus. Il était d’ailleurs remarquablement propre pour quelqu’un qui chemine dans les sentiers boueux. Il tenait en main un large chapeau de feutre noir, où était accroché une clochette qui tintait joliment, symbole de son métier. Pourtant, Gervaise ne l’avait pas entendu arriver.

« Bonjour Gervaise ! » la salua-t-il. Elle se demanda comment il connaissait son prénom, alors, elle ne prononça qu’un faible et circonspect salut à son tour. Il poursuivit : « Je suis nouveau sur cette tournée mais j’ai les listes de mes prédécesseurs et je sais tout de vos occupations. Je me suis promené dans vos champs, je vous ai vue à l’œuvre. Je sais quel soin vous apportez à cultiver sans relâche, à vous efforcer de tirer le maximum de ces courges, que vous ne vous découragez jamais, même si vous auriez bien quelques envies d’une autre vie. » Il se retourna brusquement et farfouilla sous la bâche du chariot en marmonnant pour lui-même : « Ça alors ! Mais où est-ce que j’ai bien pu le fourrer ? » Il finit par sorti un long parchemin, rempli de lignes et de lignes encore. Gervaise le regardait faire en ouvrant de grands yeux, se tenant les reins de fatigue …

Son parchemin en main, le parcourant des yeux, il continua : « Le comité des colporteurs a plus de pouvoirs que vous ne le pensez et nous sommes aussi missionnés pour récompenser les cultivateurs les plus méritants. J’ai le plaisir de vous annoncer que vous êtes la suivante sur notre liste et à partir de cet instant … »  Il la regardait maintenant dans les yeux. « … j’ai l’honneur de vous annoncer que vous avez obtenu votre mutation dans une ferme dont le cultivateur vient de prendre sa retraite et que dorénavant, vous allez vous occuper de vos chers pavots ! Vous êtes promue horticultrice. »

Gervaise n’en croyait pas ses oreilles … terminé le dur labeur des courges, elle allait pouvoir s’occuper de ces si gracieuses plantes, des qui ne restent pas au ras du sol, des qui peuvent s’élever et apporter tant de satisfactions autrement plus oniriques et flatteuses que les bataillons de courges qu’elle avait pourtant entretenus avec soin durant toute sa carrière !

Alors, Gervaise fit son baluchon et suivit le colporteur vers son nouveau lieu de vie. S’en rapprochant, elle perçut d’abord comme un murmure autour d’elle, les fleurs se penchaient, curieuses, pour voir leur nouvelle soigneuse. Dans la lumière faiblissante, elle ne vit pas bien, ce premier soir, à quoi ressemblaient ses nouvelles protégées mais elle se sentait remplie d’allégresse.

Dès le lendemain matin, elle s’informa des différentes espèces de cette grande famille ; elle s’étonna de sa diversité parmi les vivaces et les annuelles. Elle compris les différents types de sol et  d’engrais. Elle s’attacha à découvrir ce qui leur permettrait de s’épanouir pour le mieux. Et elle se mit au travail. En passant dans les allées bien nettes, elle se permettait parfois de frôler de la main ces chères têtes qui se dressaient fièrement vers le ciel, éprouvant un véritable bonheur et un épanouissement qu’elle avait cru ne jamais obtenir.

Les saisons passèrent, avec elles tant et tant de fleurs de toutes les couleurs, toujours si gracieuses, qui donnaient à Gervaise l’envie de se surpasser tant elles lui rendait bien la sollicitude dont elle les entourait. Jusqu’au jour où sa vie bascula à nouveau.

Elle se rendit compte qu’une sorte de spleen l’envahissait chaque fois qu’elle voyait sur un étal une courgette, un concombre, un potiron. Et les soupes qu’elle mangeait maintenant ne lui paraissaient pas si savoureuses qu’avant. Sa nostalgie ne l’empêchait pas de continuer à bien s’occuper de ses si jolies fleurs mais tout le monde peut s’occuper de jolies fleurs, tout le monde aime les jolies fleurs. Elle se rendait compte que ses courges bosselées, cabossées, non seulement lui manquaient mais aussi qu’elles nécessitaient des soins plus pointus, des idées nouvelles pour toujours leur permettre de donner le meilleur d’elles-mêmes. Cette sorte de challenge, elle ne le trouvait pas à ne s’occuper que de ces belles fleurs. Elle finit pas se dire que son caractère la poussait à ne jamais être satisfaite et à toujours envier la vie des autres. La déprime la plus profonde la gagnait.

C’est alors que réapparu le colporteur, agitant cette fois la clochette caractéristique. « Eh bien Gervaise ! Qu’est-ce que je comprends ? En fin de compte, les courges vous manquent ? Savez-vous qu’à votre place, cinq cultivateurs se sont succédé, ne sachant empêcher la maladie des courges. Elles ne donnent plus, ne grandissent plus. En un mot, elles ont besoin de vous et vous vous languissez d’elles. Allez, venez, je vous ramène auprès de celles qui vous attendent avec la plus grande impatience ! »

Avant de repartir, le cœur à nouveau léger, Gervaise prit le temps d’aller saluer les fleurs si gracieuses. Celles-ci la regretteraient sûrement un peu mais l’oublieraient au profit d’un nouvel horticulteur. Elles les remercia néanmoins des joies qu’elles lui avaient offert et les assura de ne jamais les oublier. Puis elle se mit en route, pressée maintenant de retrouver celles qui avaient besoin d’elle.

Il fallut un bon moment à Gervaise pour retrouver la confiance de ses courges mais elle prit grand soin d’elles et réussit à les aider à grandir à nouveau. Ce ne fut pas une mince affaire mais c’était un bonheur différent qui l’enveloppait maintenant, loin des fulgurances de plaisir que donne une fleur parfaite. Et, au mois de juin, quand la chaleur commença à faire murir les blés, elle aperçut dans ses champs de timides coquelicots se mêler au vert des courges et trembler dans les moindres souffles d’air. Elle se sentit alors baigner dans la sérénité.

La sérénité, oui, je crois bien que c’est le mot juste.

Anne-Marie, le 12 janvier 2019

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La petite fille

La petite fille est assise dans un square. A quoi songe-t-elle ? Songe-t-elle à l’instant présent ? à sa vie d’avant ? à celle de demain ?  Il faut dire que Tatiana vient de loin. De loin par la distance, elle vient de l’est des montagnes de l’Oural. Le voyage en train a été long et fatigant. Assise entre sa grand-mère qui psalmodiait et un inconnu qui sentait fort la transpiration, elle a pourtant bien dormi, bercée sans doute par le rythme des prières. Arrivée à la gare, sa grand-mère l’a serrée fort contre elle, parfum de cuisine au beurre du kolkhoze. Elle lui a donné un bout de feuille jauni où sont écrits quelques mots en cyrillique. Puis elle l’a laissée …

Soudain, elle se lève, intriguée par les personnes sur un promontoire qu’elle aperçoit au loin. Que contemplent-ils ? Cela a le mérite de la sortir de sa léthargie. Elle s’avance doucement vers cet arc de cercle et se penche à son tour. Son image s’ajoute aux reflets dans l’étang. Cela ne trouble pas le couple de cygne qui déjà s’en va au loin … Tatiana se demande si parmi ces gens, quelqu’un connait la rue écrite sur le papier que lui a donné sa grand-mère.

Elle voit bien ce que regardent ces gens : une basilique de métal aux formes géométriques sort de terre. Le soleil envoie ses rayons sur les multiples faces, l’aveuglant un petit peu. Que c’est beau ! elle n’a jamais imaginé qu’une basilique pouvait avoir cette forme. Sûr que les prières vont aller droit au ciel avec un bâtiment si imposant. Comme sa grand-mère aurait été impressionnée. Si elle revient un jour, il faudra l’emmener ici. Le bruit que font les machines ne la trouble pas. Son regard redescend vers son poing serré, elle se rappelle le papier.

Va-t-elle oser les déranger ?

Anne-Marie, Lorient,  le 19/8/16

Texte écrit à l’atelier d’écriture des Rencontres du CRAP

 

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L’inventeur aux ailes d’or

Il était une fois, au pays des bulots, une femme prénommée Anne-Marie. Elle était grande, blonde et ses yeux bleus posaient sur la vie un regard serein. C’était une belle femme comme il en est au pays des bulots. Elle vivait avec son mari, pêcheur de bulots, ses deux grands garçons et son petit chien, pas très loin de l’usine dans laquelle elle travaillait, l’usine de biscottes. Tous les jours de la semaine, elle enfourchait son vélomoteur vers les cinq heures du matin en s’en allait gagner de quoi faire vivre sa famille, qu’il fasse beau ou qu’il vente et pleuve comme souvent au pays des bulots. Cela ne l’empêchait pas d’illuminer la journée de qui la croisait de son grand et lumineux sourire.

Ce sourire, elle le garda malgré sa frayeur, quand un après-midi qu’elle était seule chez elle, elle entendit un grand bruit venant de le ruelle bordant sa maison. Intriguée, elle arriva bientôt à la porte d’entrée et l’entrouvrant, elle jeta un coup d’œil dehors. Un gros nuage de poussière l’empêcha tout d’abord de voir quoi que ce soit. Et petit à petit, une tête émergea en toussant sous les cris moqueurs de goélands. Les yeux écarquillés, elle observait l’apparition. « Vous êtes tombé ? Vous êtes blessé ? » lui dit-elle. Le jeune homme s’épousseta en secouant négativement la tête. Le nuage retombait à terre et elle aperçut avec stupeur les bouts d’ailes dorées qui dépassaient de derrière les épaules de son vis-à-vis. Celui-ci, remarquant son étonnement, leva les bras au ciel et s’excusa : « Désolé si je vous ai fait peur. Je crois que mes ailes ne sont pas encore au point. Heureusement que je ne volai pas trop haut … je ne me suis pas fait mal, merci. » Il s’essuya les mains sur ses pantalons et se présenta. Elle comprit qu’il était inventeur, qu’il se nommait Joanes mais elle avait beaucoup de mal à suivre son propos, tellement intriguée qu’elle était par ces ailes.

Mettant précipitamment ses mains derrière son dos pour s’empêcher d’y toucher, elle évita de poser toutes les questions qui lui venaient. Elle s’obligea à l’écouter. Elle entendit qu’il essayait de mettre au point des ailes de son invention. Il les testait mais elles manquaient encore de fiabilité, sans doute lestées par l’or qui les recouvrait. « Oh ! La mécanique est bonne mais il faut que j’augmente encore la puissance énergétique du mini-moteur pour qu’il compense la masse de la couche de métal, voyez-vous cela n’est pas comparable aux plumes de ces goélands ! ». Ces derniers ricanèrent à ces mots. Il s’adressait maintenant à eux : « Oui, je sais qu’il a fallu des milliers d’années d’évolution pour que vous soyez dotés de vos merveilleuses ailes mais je vais y arriver ! Vous n’imaginez pas tout ce que l’électronique peut faire ! » Ce qui calma un peu les hurlements des oiseaux. Anne-Marie était de plus en plus stupéfaite : « Ils vous comprennent ? » Joanes répondit qu’à force de les côtoyer dans les airs, il avait fini par faire connaissance avec quelques-uns d’entre eux et que ceux-ci ne manquaient jamais une de ses sorties.

Elle proposa à l’inventeur de se rafraichir chez elle et au moment de repartir, il lui communiqua son adresse en lui disant qu’elle serait toujours la bienvenue à son atelier.

Anne-Marie poursuivit alors sa vie au pays des bulots entre son mari, ses deux grands garçons et son petit chien. Elle continua à sourire à la vie même le jour où elle apprit qu’elle devait subir une opération chirurgicale pour empêcher un vilain crabe de grignoter son corps de l‘intérieur. « Puisqu’il le faut … » se disait-elle. L’opération se fit et elle retourna chez elle privée de son sein droit. Elle se posait beaucoup de questions sur sa vie de femme privée de son sein droit. Son merveilleux sourire apparaissait moins sur ses lèvres. Elle allait voir des spécialistes, médecins de femmes, médecins du vilain crabe, médecins de la tête. Rien n’y faisait, la mélancolie la gagnait jusqu’à ne plus vouloir sortir de chez elle. Sa famille ne savait pas trop comment la soutenir dans cette épreuve. Mais un jour que son fils cadet Éric l’aidait à ranger la commode de sa chambre, il trouva un petit papier où était noté le prénom Joanes et une adresse. Il demanda à sa mère ce qu’il devait en faire. Il vit alors dans son regard une lueur qui en avait disparu ces derniers temps. Sa mère lui prit vivement le papier des mains en grommelant. Mais il avait pu mémoriser l’adresse et dès qu’il le put, il laissa un mot pour son père, emprunta le vélomoteur de sa mère et parcourut sans s’arrêter la grande distance qui le séparait de l’atelier de ce Joanes.

Il arriva le soir venu. L’atelier était encore baigné de lumière. Bien qu’ayant eu tout le temps pour l’imaginer durant le long trajet, il entra ne sachant pas trop comment présenter l’affaire. À son grand soulagement, il fut accueilli par : « Bonjour. Entrez, je vous en prie. Vous venez de la part de votre mère ? Ne soyez pas surpris vous lui ressemblez tellement ! » Un peu gêné par le côté sans doute incongru de sa démarche, guidé seulement par la lueur qu’il avait vu dans les yeux de sa mère, Éric raconta. Il termina en demandant à Joanes s’il pouvait faire quelque chose pour elle. Celui-ci se grattait la tête machinalement, signe d’une intense réflexion. Tout à coup, il se précipita vers son ordinateur portable et tapa fougueusement quelques mots. « Ah ! s’exclama-t-il. C’est bien ce que je pensai. Il existe un pays où votre mère pourrait reprendre goût à la vie. Mais, c’est trop tard pour cette nuit, je verrais demain matin. » Et il proposa à Éric de ne pas reprendre la route de nuit mais de rester dormir chez lui. Il en profita pour lui expliquer comment il avait fait la connaissance de sa mère. Il lui montra également les nouvelles paires d’ailes qui étaient maintenant bien au point.

Le lendemain matin, ils s’apprêtaient à partir chacun de leur côté, l‘un en poussant le vélomoteur pour le faire démarrer, l’autre en enfilant ses ailes dorées, quand Joanes rentra précipitamment dans l’atelier. Il en ressortit presque aussitôt portant une seconde paire d’ailes. « Allez, on y va ! » dit-il à Éric. Il décolla dans un doux ronronnement qui attira près de lui une demi-douzaine de goélands. L’un sur la route, les autres dans les airs, ils arrivèrent devant la maison d’Anne-Marie. Dans le silence devenu habituel, auquel même les goélands n’osaient pas déroger, ils avancèrent de concert et trouvèrent la maitresse de maison avachie sur la table devant son bol de café. Elle leva vers eux un regard éteint.

« Anne-Marie, j’ai une surprise pour vous. » annonça Joanes. Interloquée, elle regardait alternativement l’un et l’autre. « Votre fils a eu la très bonne idée de venir me trouver et je pense que je peux vous proposer quelque chose. » et il lui expliqua doucement ce qu’il avait imaginé. Elle ne réagit que très mollement sans dire oui, sans dire non … Ils attendirent tranquillement le retour de son époux Daniel et de leur aîné, partis en mer. Ceux-ci eurent du mal à accepter la proposition qui n’était pas sans dangers mais Éric avait maintenant tant confiance dans le jeune inventeur qu’ils finirent par acquiescer.

Joanes compris qu’il lui faudrait brusquer un peu la femme flétrie qu’Anne-Marie était devenue, et lui posa sans trop d’égards la deuxième paire d’ailes sur les épaules. Daniel l’aida à les enfiler correctement sans qu’elle n’ait de réaction. Elle écouta sans rien dire les ordres du jeune inventeur et décolla en même temps que lui, agitant les ailes dorées qui l’avaient tant intriguée naguère.

En compagnie des goélands qui ne voulaient pas rater ça, ils volèrent pendant un bon moment. Petit à petit, les joues d’Anne-Marie reprenaient des couleurs, le bleu de ses yeux devenait plus vif et elle se mit à écouter les histoires que racontait Joanes. Ils arrivèrent au pays des steppes et le jeune homme expliqua que c’était le but de leur voyage.

Ils atterrirent près de yourtes en peaux de yack. De la fumée en sortait par le sommet. Quelques enfants jouaient aux alentours, surveillés par des femmes à la peau brunie au soleil et aux longs cheveux noirs ramassés en chignons lâches. Des troupeaux de petits chevaux paissaient un peu plus loin. D’autres femmes sortirent des habitations et tournèrent autour d’eux en poussant de petits cris de stupéfaction.

L’une d’elles prit la parole dans la langue que parlait les deux voyageurs. Elle leur posa mille questions et aux réponses de Joanes saisit ce qui les amenaient, si loin de chez eux. Elle expliqua ensuite à ses compagnes de quoi il retournait et celles-ci regardèrent Anne-Marie en souriant largement. Elles l’emmenèrent dans une yourte, la firent s’asseoir parmi elles, lui proposèrent de boire du lait et, à sa grande surprise, baissèrent le haut de leur vêtement en disant « Nous sommes les Amazones. » Elles avaient toutes une cicatrice à la place de leur sein droit !

La première femme qui avait accueilli Anne-Marie expliqua que leur peuple était composé de femmes et que depuis la nuit des temps, pour survivre, elles se coupaient le sein droit afin de chasser et se défendre à l’aide de leurs arcs. Elles lui montrèrent les sachets remplis d’herbes sèches cousus dans le haut de leur corsage pour remplacer l’absent. Elles lui proposèrent de rester parmi elles le temps de comprendre comment elles vivaient ainsi. Ce qu’Anne-Marie accepta, tellement elle était intriguée par ces femmes mythiques dont elle croyait le peuple disparu. Les goélands partirent vers des mers accueillantes. Joanes l’attendrait dans la ville voisine, trouvant à s’occuper en rendant service comme il le pourrait. Les amazones fabriquèrent un petit sachet d’herbes spécialement pour elle.

Les herbes odorantes contribuèrent à apaiser la colère qu’elle ne se soupçonnait pas d’éprouver. Elle apprit à chevaucher les fiers petits chevaux, les takhs, descendants directs des chevaux préhistoriques, laissant sa chevelure blonde flotter derrière elle au plus grand plaisir des enfants pour qui l’image était inhabituelle. Elle apprit aussi à se servir de l’arc. Elle participait à la vie de cette communauté, aidant du mieux qu’elle pouvait, réapprenant à vivre, à sourire.

Le jour où elle réussit à planter un flèche au cœur de la cible alors qu’elle menait le cheval au grand galop, elle comprit qu’elle pouvait maintenant retourner chez elle, retrouver sa vie. Elle demanda qu’on fasse prévenir Joanes.

Le moment du départ arriva. Les adieux furent touchants. En pleurs, Anne-Marie dit sa gratitude mais les amazones étaient fières de lui avoir permis de se retrouver. Elle enfila ses ailes dorées et, au signal de Joanes, décolla gracieusement en faisant de grands signes. Le voyage du retour passa relativement vite tellement elle avait de choses à raconter. Ils arrivèrent au pays des bulots accompagnés par les goélands qui avaient fini par les rejoindre.

Leur approche fit sensation. Daniel et ses fils, l’attendaient sur le pas de la porte, anxieux. Le beau sourire retrouvé leur indiqua qu’ils pouvaient espérer le meilleur pour elle, pour eux. Les cris des goélands, qui avaient eux aussi beaucoup à dire, les empêchèrent un peu de se comprendre mais les rires et les embrassades se passent de mots, n’est-ce pas ? Les voisins attirés par la liesse se joignirent aux remerciements envers Joanes. Un journaliste qui passait par là, se fit raconter l’histoire. Sans parler d’eux, au grand soulagement de la petite famille, il publia un article vantant l’ingénieux système d’ailes dorées. Ce qui permis à Joanes de connaitre un franc succès et je sais que quand vous le verrez passer dans les airs avec ses ailes dorées, vous aurez une petite pensée pour le beau sourire retrouvé d’Anne-Marie.

Pour Anne-Marie qui s’est envolée avec ses ailes dorées un jour de mai.

Une autre Anne-Marie, Bois d’Arcy le 8 juillet 2018

 

 

 

 

 

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Charlie et la fée

Il était une fois au pays des Hêtres, un petit garçon dont le prénom était Jean-Charles. Mais tout le monde l’appelait Charlie. Charlie avait tout pour être heureux : une famille aimante, des jouets, de bonnes notes à l’école, des copains du foot et d’ailleurs. Mais Charlie n’était pas heureux : il avait de grandes oreilles. Sa mère essayait bien de le rassurer mais, c’était sa mère … Son père essayait bien de le rassurer mais, c’était son père … Lui, il entendait les commentaires rieurs derrière son dos et parfois même face à lui. Oh, rien de bien méchant direz-vous, mais à force, ça blesse et ça fait mal. Parfois, quand le vase débordait, il essayait de faire rentrer ces vilénies dans la gorge du moqueur à l’aide de ses poings mais, cela ne résolvait en rien le problème. Alors, Charlie se cachait pour pleurer un petit peu.

C’est ce qui attira l’attention d’Elfie. Elfie était la dernière-née d’une fratrie – ou peut-on dire sœurie ? – de fées. Ses sœurs avaient déjà expérimenté tous les gestes des fées. Elles avaient lancé des sorts, alloué des dons à des bébés et réalisé les vœux de dizaines de personnes méritantes. Elles raillaient un peu cette petite sœur, arrivée bien après elles, de vouloir à tout prix effectuer une action tout à fait inédite. Sans se désespérer, ce n’était pas son genre, Elfie cherchait encore et encore ce qu’elle pourrait bien faire pour devenir une fée accomplie. Un jour, ou était-ce plutôt une fin de journée quand le ciel s’assombrit, elle entendit des pleurs étouffés provenant d’un endroit difficilement accessible. C’est là que se cachait Charlie quand les larmes débordaient de ses yeux. Après force escalades et reptations en tous genres, elle parvint au réduit où se trouvait le petit garçon.

« Bonjour » lui dit-elle, un peu essoufflée. Charlie leva ses yeux embrumés vers elle, surpris. Tout à son chagrin, il ne l’avait pas entendue arriver. Embarrassé par ses larmes, il ne savait pas trop comment réagir à cette intrusion. Il attendit. Elfie regardait autour d’elle. « Tu as trouvé un bel endroit pour venir méditer. » reprit-elle. « Je me nomme Elfie et toi tu dois être Charlie, n’est-ce pas ? » Le petit garçon, interloqué, ne sut que hocher la tête. « Tu te demandes comment je connais ton surnom ? C’est que je suis une fée, enfin pour tout dire une apprentie-fée. Je suis sûre que je vais réussir à t’aider. Vois-tu, je ne suis pas comme mes sœurs, elles sont déjà des fées aux pouvoirs confirmés mais je sens monter en moi un flot de facultés que je n’ai jamais ressenties auparavant. Ce doit être le signe que je suis enfin prête à accomplir mon destin. Si tu l’acceptes,  nous pouvons faire l’essai de mes dons ensemble. » Elfie, toute à la pensée d’avoir enfin trouvé de quoi exercer ses talents naissants, n’en finissait plus de babiller.

Charlie ouvrait des yeux grands comme des soucoupes. Il n’était pas sûr d’avoir bien saisi le discours de la fille. Alors qu’elle lui demandait ce qui lui causait chagrin, il se dit qu’elle n’était pas bien maline pour une fée, si elle n’avait pas remarqué ses grandes oreilles ! « T’as pas vu ce qui me sert d’oreilles, peut-être ? » rétorqua-t-il peu amène. La jeune fille se sentit déstabilisée par cette réponse hargneuse, elle qui offrait son don, mais également parce ce qu’elle avait imaginé un problème autrement dramatique. Si elle avait pu choisir, elle aurait préféré s’essayer à la magie des fées sur une situation plus tragique. Bon, elle qui cherchait depuis si longtemps quelqu’un à aider, elle n’allait pas faire la fine bouche maintenant. D’ailleurs, si ce petit bonhomme se cachait pour en pleurer c’est bien, qu’au moins pour lui, cette affaire était sérieusement cruelle. Restait à savoir ce qu’elle pouvait lui proposer …

Il ne rentrait pas dans ses pouvoirs de transformer physiquement quelque partie du corps. Elle pouvait certes lui faire voir des oreilles moins grandes quand il se regarderait dans une glace mais cela ne supprimerait pas les moqueries. Elle pouvait jeter un sort aux moqueurs mais combien et qui étaient-ils ? De plus, il y aurait toujours le risque qu’un nouvel arrivant le replonge dans ses souffrances. Alors que faire ?

Pendant qu’elle réfléchissait, Charlie s’était quelque peu ressaisi. Voilà déjà quelqu’un qui ne faisait pas de plaisanteries douteuses sur ses oreilles et qui semblait même essayer de l’aider. Il ne croyait pas un mot, bien sûr, de ce qu’elle avait raconté, les filles, c’est bien connu, inventent sans cesse des histoires et prennent les petits garçons pour des poupées sur lesquelles s’exercer dans leurs fonctions de futures mères, il l’avait bien remarqué ! Jamais en retard, comme tant d’autres, pour des remarques sexistes, il se disait que celle-ci devait être en manque de Barbie  … Mais, tant qu’elle ne se moquait pas ! Elle lui changeait les idées et cela ne coûtait rien de voir jusqu’où elle voudrait l’entrainer. Il ne se doutait pas de ce qui allait arriver …

Elfie avait enfin trouvé une idée qui lui semblait géniale. Elle se rappelait parfaitement du dessin animé Dumbo, l’éléphanteau aux si grandes oreilles qu’elles lui permettent de voler. Elle allait lui donner le pouvoir de faire de même. Elle l’emmena donc en haut du bâtiment et lui demanda de lui faire confiance, ce que Charlie accepta du bout des lèvres. Bien sûr qu’il connaissait l’histoire de Dumbo, le prenait-elle pour un analphabète comme ses pieds ? « Quoi, me jeter dans le vide ? » s’exclama-t-il quand il comprit, stupéfait, la proposition de la soi-disant fée. « Oui, tu peux me faire confiance … » répéta-t-elle l’air assuré, alors qu’elle n’en menait pas large. « Comme Kaa … » murmura-t-il dans son absence de barbe. « Allez, vas-y ; tu sais bien que Dumbo est devenu une vedette ensuite ! » N’étant quand même pas si insouciante, elle avait fait bien attention de le placer à la verticale d’un tas de vieux cartons. Respirant un bon coup, le petit s’élança pendant qu’Elfie prononçait les paroles magiques permettant aux grandes oreilles de battre comme les ailes des oiseaux.

Ce qui se passa alors reste un mystère dans le monde des fées. Est-ce parce que les incantations n’étaient pas les bonnes ? Est-ce parce que le temps n’était pas encore venu pour Elfie de devenir une fée accomplie ? Est-ce parce que les oreilles de Charlie n’étaient tout de même pas assez grandes ? Toujours est-il que le malheureux s’écrasa lamentablement dans le tas de vieux cartons. Encore heureux qu’elle y avait veillé ! Charlie éprouva de grandes difficultés à s’extraire de l’amas écrabouillé, tout endolori qu’il était après cette chute digne des meilleurs cascadeurs d’Hollywood. « Espèce de fée de pacotille ! » lui asséna-t-il alors qu’elle le rejoignait, penaude.

Elfie ne s’avouait pas vaincue pour autant. « Attends, ne t’en vas pas, nous allons essayer autre chose … » l’implora-t-elle. « Comment cela, autre chose ? Tu veux ébouillanter mes oreilles, me pendre par les pieds jusqu’à ce qu’elles tombent, les découper avec un couteau de boucher ? Tu es pire que ceux qui se moquent, au moins ils ne cherchent pas à me détruire ! » Charlie ne décolérait pas. Cette fille était dangereuse, fée ou pas. « Attends, je pense à quelque chose sans danger pour toi, je te le jure. » Charlie, indécis maintenant, la laissa parler, sans doute du fait de sa bonne éducation.

Elle le prit par la main et l’entraina au pas de course vers une autre partie de la ville. Charlie était trop occupé à trottiner de manière à rester à ses côtés pour protester. Elle le fit se faufiler par une entrée dérobée dans ce qui se révéla être le théâtre municipal. « Chut, écoute ! » lui intima-telle alors qu’il voulait protester. Ils étaient arrivés juste au moment où Cyrano proclame sa fameuse tirade du nez. Tapi dans l’avant-scène, Charlie ne quittait pas l’acteur du regard, subjugué. A la fin, il se tourna vers Elfie en arborant un large sourire et lui dit : « Je ne sais pas si tu es une vraie fée mais pour moi, tu le seras toujours. J’ai compris … »

Et c’est ainsi que Charlie accepta ses oreilles pour ce qu’elles étaient : des oreilles qui remplissaient merveilleusement bien leur fonction d’oreilles. Comme il les acceptait maintenant, les moqueries cessèrent petit à petit et finirent par disparaitre. La vie de Charlie avait changé du tout au tout grâce à Elfie.

Quant à elle, plusieurs années plus tard, elle se demandait encore ce qui lui avait pris de raconter ces fadaises d’histoires de fées à ce petit garçon si triste à cause de ses oreilles. Elle avait failli le tuer avec ses bêtises, mais heureusement, elle s’était rappelée de la pièce donnée en cette fin d’après-midi au théâtre municipal. Elle reverrait toute sa vie le beau sourire qu’il lui avait retourné et même si elle ne l’a plus jamais rencontré, il est resté dans un coin de sa mémoire, là où sont rangés les souvenirs honteux où se mêlent une sorte de fierté.

Anne-Marie

Granville, le 2 janvier 2019

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Le train de 18h33

–          Je m’appelle Romain mais maintenant, on m’appelle Romane. Je prends ce train de banlieue tous les soirs, toujours le même, celui de 18h33. Je rejoins mon studio, tout en haut d’une tour, mais je vois loin… Je ne m’assois pas toujours à la même place, des fois en bas, des fois en haut de ces wagons qui sentent fort l’humanitude. Je m’appelle Romain mais on m’appelle Romane maintenant.

–          Bonsoir, je suis Sidibé. Je viens du Sénégal et je n’aurais jamais cru avoir si froid en France. Vous savez, cette impression que même mes os sont gelés. Je vais retrouver ma famille, ma femme sera déjà partie travailler, ma grande garde ses petits frères et sœurs. Je prends tous le soirs le train de 18h33. Je suis Sidibé et j’ai froid.

–          Allo ! Oui, c’est Mickaël. Comment ça va, gros ? T’es où ? Ah ! Moi c’est com’ d’hab’, dans le train de 18h33. Ouais, je passe ce soir chez ouate jouer à la PS4. Comment on va les défoncer à kolof … Allo ! C’est Mickaël.

–          Hein ? Oui, c’est pourquoi ? Attendez, j’enlève un écouteur. Josie, c’est mon nom. Ce que j’écoute ? C’te blague, c’est Djohny ! Ça fait une semaine que mes yeux y s’arrêtent pas de pleurer. Quand j’y pense, c’était comme un grand frère pour nous.  Le train ? Oui, tous les soirs le train de 18h33. Mon nom c’est Josie et j’écoute Djohny.

–          Je suis Jeanne, je rentre de mes cours de droit. En fait, j’aime bien prendre le train, je peux relire mes cours et quand j’arrive chez moi, j’ai moins de travail, alors c’est bien ! Je prends presque toujours le train de 18h33, ça dépend de mes cours. Je suis Jeanne et je suis en fac de droit.

–          Mesdames et messieurs, je vous demande votre attention. Je suis Jean-Daniel, le conducteur de votre train. Nous sommes arrêtés en pleine voie car la signalisation m’oblige à stopper. Je vous tiens au courant dès que j’en sais plus et vous prie de bien vouloir excuser ce contretemps.

–          Comment ? On est où ? J’ai loupé ma station ? je m’appelle Jacques et je crois bien que je me suis assoupi. Je pars vraiment tôt tous les matins. Ça m’a réveillé ce message. Mais c’est bien qu’il nous explique un peu. Je prends tous les jours le train de 18h33. Je m’appelle jacques et je suis fatigué.

–          Moi, c’est Michel. J’ai 73 ans. Je ne peux plus écrire, ma main droite tremble trop. Je suis sûr que tout le monde le voit, comme ma main tremble. Mais je la cale sur ma jambe et j’arrive à lire le « 20 minutes » en le tenant de la main gauche. Je prends souvent le train de 18h33 quand je rentre de chez ma fille. Moi, c’est Michel et je tremble.

–          Pardon ? Mon nom est Hélène, je vais vous demander de m’excuser mais il faut absolument que je termine ce travail sur mon ordi. Tiens, on est arrêté. Ça fait longtemps ? Oh la la, je vais être en retard ! Je m’y remets, désolée. Si cela ne vous dérange pas, pouvez-vous me prévenir quand nous arrivons ? Je ne prends jamais le train de 18h33, je termine plus tard d’habitude, mais ce soir j’ai un rendez-vous ultra-important pour mon job. Mon nom est Hélène et je suis stressée.

–          Je m’appelle Rose-Marie, je mange un morceau, c’est toujours long ces journées. J’aime bien prendre ce train de 18h33, et comme je m’assois toujours à la même place, je vois souvent les mêmes personnes. Je leur dis bonjour sans les connaitre et on parle du temps. Ça coupe le trajet. Je m’appelle Rose-Marie et je mange un morceau.

–          Attendez, je finis ma phrase. Oui ? je suis Patrick, je profite du train pour lire. C’est tranquille le train, oui sauf quand y en a qui parlent trop fort. Oui, je prends presque tous le jours le train de 18h33 et je lis. Oui, c’est le dernier livre de Grangé, vous connaissez ? oui, j’ai lu tous les autres. Je suis Patrick et j’ai lu tous les Grangé.

–          Mesdames et messieurs, c’est encore Jean-Daniel, le conducteur de votre train. Cela fait 20 minutes que nous sommes à l’arrêt en pleine voie. Je vous rappelle qu’il est formellement interdit de descendre sur les voies. C’est extrêmement dangereux. Je n’ai aucune information à vous donner car je n’en ai pas ! Vous avez remarqué qu’aucun train ne nous a doublé ou croisé depuis que l’on est arrêté. Personne ne me contacte et la nuit noire ne nous permet pas voir quoique ce soit. Je suis comme vous, j’attends …

Anne-Marie, septembre 2018

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J’ai cru qu’on maltraitait un chien au vu des cris aigus

Il était une fois un lion. Sa couleur fauve, son imposante crinière, ses canines fières montrait qu’il était lion. Mais ce lion ne se savait pas lion. Sa naissance avait été dramatique puisque sa mère et ses frères bébés avaient été tués par des chasseurs. Vous savez, ceux qui viennent en Afrique tuer les animaux qu’ils n’ont pas chez eux. Mais ce premier sorti du ventre de sa maman lionne avait miraculeusement échappé aux fusils meurtriers. Il avait en effet atterri sous un épais buisson d’épineux et par chance, n’avait pas manifesté sa présence. Par chance ? à voir … car il s’était retrouvé seul au monde, dans une savane aux mille dangers sans personne pour le protéger. Poussant de petits cris de douleur et de faim, il arpentait la grande plaine, caché par les hautes herbes, s’arrêtant de temps à autre sous un acacia pour profiter de son ombre. Et il appelait lamentablement au secours.

C’est là, dans la plaine, sous cet acacia, que l’impensable se produisit : une maman zèbre entendit ces plaintes déchirantes, trouva le bébé lionceau et accepta de partager avec lui le lait destiné à son propre bébé. Elle dira ensuite : « J’ai cru qu’on maltraitait un chien au vu des cris aigus ». Comment cette maman zèbre connaissait-elle les cris aigus des chiens ? sans doute en avait-elle entendu quand elle passait près, mais pas trop, d’un village d’humains.

Toujours est-il que ce lionceau fut élevé par cette maman zèbre. Son frère de lait était un adorable petit zèbre. Et les deux compagnons apprirent à partager les jeux, le lait maternel et le plaisir de gambader dans la savane. Les autres zèbres du troupeau regardaient avec une méfiance légitime cet enfant adopté mais la maman zèbre défendait son deuxième petit avec force et fierté. Le conseil des zèbres décida qu’il était urgent … d’attendre et de voir ce qui pouvait se passer. Le lionceau apprit à se nourrir de la viande laissée par les hyènes et les vautours, il se fortifia par les jeux avec son frère. Leur jeu préféré était « Je cours, tu me rattrapes, mais fais bien attention car je change de direction quand je veux ! » auquel ils participaient en changeant de rôle. Le petit zèbre était bien conscient que son frère ne ressemblait pas aux frères habituels mais le plus important était leur bonne entente. On peut dire qu’ils s’aimaient.

C’est ainsi que se passa leur enfance dans l’insouciance relative des grandes plaines africaines. De temps à autres, un guépard essayait bien de happer un membre de la troupe ; des hyènes, toujours à l’affût d’un bon repas, guettaient la bonne occasion mais les mamans savaient bien comment regrouper les petits au milieu des adultes pour les protéger.

Cependant, il arriva qu’un jour, les deux frères s’éloignèrent et se retrouvèrent isolés. Ils croisèrent des girafes réticulées qui broutaient le haut des acacias, des phacochères qui grattaient la terre, des gnous aux aguets. Au loin un rhinocéros chargeait un groupe de gazelles qui s’étaient sans doute trop approché de lui. Bien sûr, le spectacle était fabuleux et les deux jeunes, captivés par ce qu’ils voyaient autour d’eux ne se méfiaient pas. Or, un léopard était nonchalamment allongé sur une branche. Le bruit que faisaient les deux frères l’avait réveillé. Il descendit souplement, la tête la première et s’approcha des jeunes inconscients. Le souffle léger de l’animal fit détaler le zèbre. Le léopard le prit en chasse sans se douter de la présence du lion. Celui-ci, aguerri par les jeux, rattrapa les deux coureurs, se plaça devant le léopard, ouvrit la gueule et pour la première fois, poussa un rugissement à faire s’immobiliser tous les animaux aux alentours. Le léopard comprit qu’il n’était pas de taille devant ce lion magnifique. Il fit demi-tour sans demander son reste, c’est bien le cas de le dire car il pensa que le lion allait se réserver sa part.

Retrouvant leur troupeau, ils racontèrent leur mésaventure et le conseil des zèbres se jugea une fois de plus très avisé, cette fois d’avoir accueilli au sein de leur groupe un si bon défenseur. La maman des deux impulsifs leur passa quand même un bon savon, tout en étant ravie de la conclusion de l’affaire ; elle se disait que sa bonne action avait été récompensée et elle n’avait pas tort. Elle avait quand même conscience que ses deux petits étaient devenus grands et qu’elle allait devoir les laisser partir vivre la vie des grands.

Comme ça se passe habituellement dans le monde des zèbres, le conseil se réunit et fit venir les jeunes mâles. Un long discours leur fut servi sur la nécessité de devenir de bons ambassadeurs de leur groupe, de toujours se rappeler des principes et des valeurs qui leur avaient été données … comme dans toutes les réunions de cette sorte chez tous les animaux ! Puis ils leurs demandèrent de partir pour vivre leur vie d’adultes et pour pérenniser leur espèce.

A la suite de cette réunion, les deux frères eurent juste le temps de saluer leur mère qui n’allait pas tarder à mettre bas de nouveau. Ils s’en allèrent formant un petit groupe à la recherche d’un nouveau territoire. Il allait falloir faire preuve de courage pour affronter des dominants et conquérir des dames zèbres mais ils se sentaient fort capables, la savane n’attendait qu’eux.

L’histoire pourrait s’arrêter là mais comment un lion pourrait-il conquérir une dame zèbre, me direz-vous ! eh bien, ce n’est pas possible dans la savane comme elle est actuellement. Mais tout proche de là où s’établit le groupe de jeunes zèbres, il se trouva un clan de lionnes dont le grand mâle s’était fait attrapé pour aller garnir une cage de zoo. La deuxième chance de sa vie pour notre héros.

Il n’était pas le seul jeune lion à convoiter ces belles. Mais contrairement à ses adversaires, il ne passait pas son temps à dormir, se levant seulement pour déguster sa part du gibier tué par les femelles. Non, sa jeunesse lui avait appris à courser les proies et à se forger une musculature digne d’un Usain Bolt. Les lionnes apprécièrent particulièrement ce lion capable de participer aux affaires du ménage. Elles votèrent à l’unanimité pour lui et c’est ainsi que notre lion devint le roi de cette partie de la savane.

On dit que dans ce coin de savane, aucun zèbre ne fut jamais mangé par un lion. On dit aussi que parfois, au couchant, on peut apercevoir un lion magnifique et un zèbre aux belles rayures cheminer de concert, se racontant peut-être leurs bonnes fortunes.

 

Anne-Marie, 2/10/16

 

Suite à l’atelier d’écriture des Rencontres du CRAP de 2016, je me suis prise au jeu d’écrire un conte à partir d’un titre de faits divers, sans aucun rapport avec l’article en question d’ailleurs … Pour ceux qui seraient intéressés, voici le lien : http://www.lavoixdunord.fr/39974/article/2016-08-31/j-ai-cru-qu-maltraitait-un-chien-au-vu-des-cris-aigus

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La dame d’un certain âge et la connexion internet

Il était une fois au pays des Chênes lièges, une dame que nous dirons d’un certain âge, voire même d’un âge certain. Passant ses vacances à mille bornes de ses meilleures amies, cette dame cherchait à leur répondre par le biais d’une connexion internet. Mais celle-ci ne fonctionnait pas correctement malgré les publicités de l’opérateur Marron.

Ce jour-là, elle essaya très tôt le matin, comme d’habitude. Elle avait remarqué en effet que la connexion n’avait aucune chance de se réaliser passé 7h45. Très tôt donc, elle cliqua sur les diverses propositions pour arriver enfin, au bout d’une demi-heure, à écrire sa réponse. A peine avait-elle pensé qu’elle devait se presser pour que la connexion ne se coupe pas, … que la connexion se coupa ! Le deuxième essai se déroulant de la même manière, cette dame, tout à fait charmante au demeurant, eut envie de jeter son ordinateur portable par la fenêtre. Ce qu’elle ne fit pas, heureusement pour le jeune homme qui sortait à ce moment chercher ses croissants. Lui vint ensuite l’envie de hurler. Ce qu’elle ne fit pas, heureusement pour les résidents qui poursuivaient leurs rêves à cette heure encore bien matinale.

Cela faisait une dizaine de jours que cela se répétait avec plus ou moins de bonheur. Parfois elle réussissait à lire un message, mais souvent, cela même lui était refusé par cette sorte de géant virtuel, invisible, sans nom et sans recours possible.

Peut-être pensez-vous qu’elle aurait dû se rendre dans une boutique de l’opérateur Marron ? Déjà tenté : qui dit boutique dit lieu de vente de téléphones, de box et autres babioles connectées et non d’aide à la connexion. Peut-être pensez-vous qu’elle aurait dû appeler au téléphone l’assistance de l’opérateur Marron ? Déjà tenté mais au bout de trente minutes, le délicieux jeune marocain lui expliqua que cela ne dépendait pas d’eux. Peut-être pensez-vous qu’elle aurait dû passer par l’aide proposée sur le site ? Rappelez-vous qu’elle rencontre justement un problème de connexion. Peut-être pensez-vous qu’elle aurait dû se rendre chez un réparateur informatique ? Déjà tenté, elle s’était vu répondre qu’il n’existe pas d’amplificateur de Wifi, que cela ne dépend que de l’opérateur. Autre idée ? … Vous en êtes au même point que notre dame d’un certain âge. Mais elle vous remercie bien de tenter de l’aider et de compatir à ses problèmes certes non vitaux mais juste très énervants.

Ce n’était pas son genre de se mettre à pleurnicher et à se lamenter, alors elle chercha ce qu’elle pourrait faire d’autre. En écoutant une chanson de sa jeunesse, elle eut l’idée de mettre en paroles et en musique ce qu’elle vivait. Elle écrivit donc un texte sur la mélodie de cette chanson. Un air gai, chic et entrainant, des paroles drôles, fines et percutantes ; voilà le travail fait et bien fait. Elle fit appel à des amis de ses enfants pour s’enregistrer et, de chez eux, posta l’enregistrement sur Youtube.

Sur internet, tout se diffuse très vite et de plus en plus de monde connaissait ce morceau. Des twitts le relayaient. Les posts sur Facebook ne parlaient que de lui. Des jeunes gens s’emparaient de cette histoire et la mimaient en se déguisant puis ils postaient à leur tour leur vidéo sur le Net. Des flashmobs s’organisaient dans les rues des villes du royaume des Chênes lièges. Et cet internet, qui ne fonctionnait pas pour la dame d’un certain âge commençait à faire d’elle une vedette de la Toile.

Les radios et les télévisions, toujours à l’affut de ce qui fait polémique, cherchèrent alors à la contacter. Mais comment retrouver cette dame d’un certain âge ? Ils lancèrent leurs meilleurs reporters sur ses traces et finirent par la localiser. Son interview passa sur toutes les chaines en boucle.

Il en est que cela n’amusait pas du tout : les directeurs de l’opérateur Marron. Sans compter leurs actionnaires qui les inondaient de coups de téléphone rageurs. L’un d’eux eut une idée de génie, correspondant bien à leur philosophie : acheter la dame d’un certain âge en lui offrant une hyper- connexion pour le restant de son existence.

Les autres opérateurs en profitèrent pour faire monter les enchères et c’est à celui qui lui proposerait le meilleur contrat augmenté de cadeaux au titre d’ambassadrice de la marque.

On en était à des voyages dans les contrées les plus exotiques quand tout à coup, elle se réveilla en sursaut. Tout cela n’était qu’un rêve, un beau rêve mais un rêve quand même. Elle avait même un peu froid … Cependant, elle restait avec, dans la tête, ce goût sans prix de la satisfaction d’avoir un peu mis à mal cette multinationale, même si ce n’était qu’en rêve. C’est alors qu’elle se rendit compte que la fraîcheur venait de la climatisation, que par la fenêtre, elle apercevait des palmiers et des cocotiers balancer mollement leurs feuillages. Elle n’avait donc pas rêvé …

Elle se retrouvait ambassadrice d’un opérateur concurrent. Celui-ci lui avait proposé un périple dans l’Ile-royaume des fleurs, en outremer.  D’une part, elle permettrait la vente de leurs produits connectés en signant des autographes pour les autochtones et d’autre part, elle tournerait une série de publicités dans lesquelles elle chanterait cette fois un hymne à la gloire de ses nouveaux employeurs. Profitant de l’aubaine, elle avait pu emmener ses deux grandes copines. L’avion en business classe, la limousine venu les chercher à l’aéroport, l’hôtel de grand luxe, toutes trois n’en croyaient pas leurs yeux ni leurs papilles en dégustant langoustes, fruits frais délicieux et en sirotant un planteur au bord de la piscine à débordement. Profiter …, profiter ?

La dame d’un certain âge commençait à douter du bien-fondé de sa conduite. Elle qui s’était énervée d’une impossibilité technique, qui en avait voulu à la firme Marron de sa frustration, n’était-elle pas en train de jouer le jeu de ces multinationales ? Après tout, elle aurait aussi bien pu se rendre dans un des multiples cafés qui offrent la Wifi, ou encore passer un coup de téléphone et même, suprême décadence, écrire une lettre à ses amies. Bien sûr, écrire cette petite chanson lui avait procurée une immense satisfaction. Voir les jeunes s’en emparer l’avait mis dans un état d’euphorie sans commune mesure avec sa vie d’avant. Mais cet état ne l’avait-il pas empêché de se rendre compte qu’elle s’était laissé embarquer dans ce qui justement posait problème : la course à l’équipement informatique ? Celle-ci n’autorisait plus aucun retard dans une communication qui se voulait instantanée. Le libre arbitre et la réflexion individuelle se délitaient dans cette sorte de course à l’armement. Elle voyait maintenant clairement qu’elle profitait actuellement de ce qu’elle reprochait à l’opérateur Marron.

Elle convoqua un conseil des copines. Toutes trois tombèrent rapidement d’accord sur le côté illégitime du nouvel emploi de la dame d’un certain âge. Elle n’avait pas à participer à cette opération publicitaire. Elles discutèrent longuement de la manière de se sortir de cette affaire. Il apparut que le plus simple serait de rembourser les sommes dépensées. Ce qui fut fait sans poser de problème, l’opérateur n’ayant en fait que l’embarras du choix pour poursuivre son expansion et viser ses prochains clients.

Les trois copines avaient quelques sous de côté et elles purent profiter de trois journées supplémentaires dans ce paradis, en changeant d’hôtel bien sûr. Elles rentrèrent dans un avion en seconde classe, moins confortable mais les ramenant tout de même à la maison.

Rentrées chez elles, elles se sentirent somme toute assez fières d’avoir pris conscience de leur responsabilité individuelle face à la consommation outrancière qui est maintenant proposée. Cette petite aventure leur avait ouvert les yeux et quelques chansons plus tard, elles devinrent les reines de cette nouvelle façon de vivre au pays des Chênes lièges.

 

Anne-Marie, Sainte Maxime, le 26 juillet 2017

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Il menace un autre résident de la maison de retraite avec un fusil chargé

Il était une fois, au royaume des Peupliers, une maison un peu spéciale. Cette maison n’abritait pas une famille comme la plupart des maisons. Elle abritait des vieux … on dit d’ailleurs plutôt des personnes âgées. Agées d’un certain âge, et même d’un âge certain¸ ces personnes ne pouvaient plus vivre dans leurs propres maisons et leurs familles ne s’occupaient pas d’eux autrement qu’en payant d’autres gens pour le faire. Ou alors, ils n’avaient plus de proches assez familiers pour avoir envie de le faire. Des patrouilles de fonctionnaires formés ad hoc sillonnaient le royaume pour les récupérer et les amener dans cette immense maison, au grand soulagement des voisins qui souvent étaient les premiers à les dénoncer. Le royaume des Peupliers se voulait le royaume des Djeuns.

C’était donc une maison pleine de Vieux. Des femmes, des hommes, surtout des femmes. La guerre avec le royaume de Pins avait décimé une bonne partie de la population masculine et le cancer des poumons causé par l’industrie du charbon de bois avait supprimé bon nombre de mâles survivants. La vie dans cette maison s’organisait donc autour des soins que les vieux nécessitent : les laver, les faire manger, les faire jouer, les poser devant la télévision, leur faire avaler des médicaments et les coucher.

 

Des équipes de « soignants » se relayaient donc pour effectuer ces tâches, sans grande compassion. Ils se seraient occupé d’animaux, à part la télévision, cela n’aurait pas changer grand-chose, il faut bien le dire … C’était comme cela qu’au royaume des Peupliers, on attendait le décès de ces pauvres Vieux et surtout Vieilles comme on l’a dit. Le plus important était qu’ils ne se plaignent pas, d’où les médicaments, ce qui permettaient accessoirement une fin de vie avec moins de souffrances physiques tout en donnant bonne conscience.

Dans cette maison pleine de Vieux, il ne se passait jamais rien, la routine seule occupait sa place et si les départs définitifs rythmaient les semaines, ils n’occasionnaient aucunes grandes manifestations de tristesse puisque personne ne reconnaissait plus personne : chacun des résidents était totalement abruti par les médicaments. Et puis un jour, un jour de juillet me semble-t-il, les fonctionnaires spéciaux amenèrent une petite vieille. Cette petite vieille allait changer la vie au royaume des Peupliers. Laissez-moi vous raconter comment.

Elle s’appelait Nicolette. Et Nicolette était une petite vieille super dynamique qui ne s’était pas vue prendre de l’âge. Dans sa tête, elle avait toujours vingt ans ! Il est peu de dire qu’elle ne comprit rien à rien quand elle se retrouva dans cette maison de Vieux. Elle regardait les autres pensionnaires, résignés qu’ils étaient, laisser la place aux Djeuns, acceptant de vivre leur fin de vie sans saveurs ni plaisirs.

Elle décida donc de se faire passer pour une des « soignantes ». Elle saisit très vite l’effet des médicaments sur le comportement apathique des Vieux et jugea bon de ne pas croire en leur pouvoir de guérison, elle qui n’était pas malade. Tous les soirs, elle recrachait consciencieusement les pilules rouges et jaunes que l’on voulait lui faire avaler. Se cachant de tous et faisant semblant de somnoler la plupart du temps, elle réussit à subtiliser une blouse rose et une charlotte en papier. Elle s’attachait également à découvrir les personnalités enfouies sous les anxiolytiques-sédatifs. Elle avait également identifié les couloirs et les emplacements de chambres de plusieurs pensionnaires.

Elle avait notamment repéré un Vieux dont l’aspect lui plaisait particulièrement et elle se demandait ce qu’il aurait à raconter s’il n’était pas sous l’emprise des médicaments administrés.  Une nuit, profitant de la pénombre des couloirs et déguisée dans les habits subtilisés, elle se glissa dans sa chambre. Le secouant légèrement, elle finit par le réveiller. Il grommela et ouvrit grand la bouche, attendant sa potion. Surpris que rien n’atteigne sa bouche, il ouvrit enfin les yeux et se retrouva devant une petite figure simiesque coiffée de la charlotte réglementaire.

Nicolette, sans se démonter, lui expliqua qu’il était possible de ne pas se laisser abrutir et que, malgré leur grand âge, ils pouvaient encore espérer des années de bonheur. Oh, peut-être pas d’immenses bonheurs mais au moins des petits bonheurs au fil des jours. La dictature des Djeuns devait être abolie pour leur permettre de retrouver une certaine joie de vivre plutôt que d’en attendre la fin !  Le Vieux s’était redressé dans son lit et il considérait la petite bonne femme en écarquillant les yeux. Celle-ci lui laissa le temps de retrouver ses esprits en allant s’asseoir au bout du lit.

Bon sang de bonsoir, bien sûr qu’elle avait raison ! Comment avait-il pu se laisser convaincre par tous ces tyrans qu’un vieux n’est plus bon qu’à se laisser mourir en avalant des cachets pour ne pas y penser ? Ce monde de Djeuns fabriqué par des médias toujours prêts à donner des recettes pour « rester jeune », à vilipender ceux qui tardaient à entrer dans les maisons de Vieux, à servir leur propagande sans s’imaginer qu’un jour leur place serait revendiquée par des plus jeunes qu’eux … il était grand temps de réagir.

Les deux complices, entrant dans la Résistance décidèrent de rallier discrètement le plus possible de pensionnaires à leur cause. Au bout de quelques jours, ou plutôt quelques nuits, la petite armée de rebelles ne comptait pas moins d’une vingtaine de personnes, et les toilettes absorbaient maintenant les pilules de ces réfractaires. Restait à imaginer des actions qui permettrait de reprendre du pouvoir sur leurs vies.

 

Forts de leur nombre grandissant, ils squattèrent la salle à manger hors des heures de repas, prétendant avoir trop bien mangé pour en bouger. Quelques-uns commencèrent à apporter des jeux, des livres, des revues et la salle à manger devint insidieusement une salle de vie. Les regards se firent plus clairs même masqués sous des paupières tombantes. Les « soignants » ne s’en aperçurent que trop tard et ne purent réagir assez vite. Il faut dire que ces gens commençaient aussi à y trouver leur compte. Moins de travail avec ces vieux qui se lavaient et mangeaient tout seuls. S’installa alors une sorte de statut quo : vous ne créez pas de problème et on vous laisse la salle à manger.

Tous les Vieux n’étaient cependant pas d’accord avec cette nouvelle façon de vivre dans leur maison. En particulier, le vieux Maurice. Celui-ci avait apporté en douce de chez lui son vieux tromblon datant de la guerre avec le royaume des Pins. Tous ses proches avaient disparu et cette nouvelle joie de vivre l’indisposait plus que de le dire. Il n’aspirait qu’à une fin de vie dans les vapeurs des cachets et lorsque Nicolette et son compère pénétrèrent une nuit dans a chambre, ils se trouvèrent face à la gueule du fusil d’un autre temps. Nicolette eut juste le temps de plonger sous le lit sans prendre garde à ses rhumatismes, ce qu’elle paya fort cher pendant la semaine suivante. Quant à son compère, retrouvant des réflexes oubliés, il parvint à détourner le terrible engin dont le coup partit se perdre dans la nuit au travers de la fenêtre, heureusement ouverte par ces temps cléments.

Le boucan produit par le fusil réveilla toutes les pensionnaires, sauf peut-être quelques-unes qui avec l’âge, avaient perdu une bonne partie de leur audition. Tout ce petit monde se précipita dans la chambre et Nicolette eut juste le temps de cacher la blouse empruntée ainsi que la charlotte sous ses propres vêtements. Le vieux Maurice se débattait en criant qu’il avait eu peur d’une agression et qu’il ne faisait que se défendre. Il prononça quelques excuses envers les personnes présentes et celles-ci eurent le bon goût de les accepter. Quand même honteux à l’idée qu’il aurait pu gravement blesser Nicolette et son complice, il devint l’un de leur plus fervent supporter et retrouva ainsi goût à la vie.

Les soignants étaient de plus en plus charmés par les histoires racontées par les pensionnaires, par leurs esprits maintenant réveillés qui leur permettaient des occupations jusque-là prohibées. Les mamies tricotaient à nouveau ou bien elles fabriquaient de ravissants carnets décorés qui vendus à l’extérieur rapportaient quelques sous. Cela améliorait l’ordinaire de tous. Les papys n’avaient jamais vraiment eu l‘habitude de s’occuper mais certains se rappelaient maintenant des gestes simples de bricolage, ce qui permettait de faire quelques économies. Les médicaments n’étaient plus réservés qu’au traitement de la douleur et des maladies.

 

Mais Nicolette et son compère de la première heure ne voulaient pas s’en tenir là. Leur objectif était de changer la maison de Vieux pour changer la société, ou bien était-ce l’inverse ! Il leur fallait trouver le moyen d’alerter les générations futures de vieux, qu’ils ne se laissent pas enfermer dans ces mouroirs. Une des soignantes eût une idée de génie : il fallait passer par les « Résocios[1] ». Les pensionnaires découvrirent ainsi les joies de la communication virtuelle et purent alerter les Djeuns de la vie qui les attendaient après …

Une réelle prise de conscience secoua alors le royaume des Peupliers. Le roi, jeune homme qui avait reçu la couronne à la mort prématurée de son père, se rendit à la maison des Vieux pour se rendre compte de lui-même. Comprenant enfin les conditions de vie, ou plutôt de mort lente, de ses propres sujets, il tint à orner la poitrine menue de Nicolette de l’Ordre Royal du Coquelicot, plus haute décoration civile du royaume. Une nouvelle vie commença pour tout le royaume où chacun pût enfin trouver une vraie place selon sa propre volonté.

 

Anne-Marie, 22 janvier 2017

Suite à l’atelier d’écriture des Rencontres du CRAP de 2016, je me suis prise au jeu d’écrire un conte à partir d’un titre de faits divers, sans aucun rapport avec l’article en question d’ailleurs … Pour ceux qui seraient intéressés, voici le lien : http://www.nordeclair.fr/6127/article/2016-10-27/roubaix-il-menace-un-autre-resident-de-la-maison-de-retraite-avec-un-fusil

 

[1] Emprunt à Philippe qui se reconnaitra peut-être un jour … bises.

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