Travaux en cours

Contes, dessins et pédagogie. Ou l'inverse.

Archive for the 'Les contes d’Anne-Marie' Category

La jeune-fille, le train et le lampadaire

Il était une fois dans le pays des Chênes, une jeune-fille. Laura était son nom. Elle avait enfin trouvé du travail dans la grande ville après deux ans de vaines recherches. Car au pays des chênes, il est souvent très difficile pour les jeunes de trouver un emploi à la sortie de leurs études. Laura, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, avait vu sa vie prendre du sens lorsqu’un patron avait accepté de la prendre comme assistante comptable dans sa société.

Depuis lors, elle se levait tous les jours de la semaine vers 6h30, se préparait et attrapait un bus qui l’emmenait à la gare. En une trentaine de minutes, le train la déposait dans la Grande Ville où il lui restait trois stations de métro pour arriver à son bureau. Ce bureau signifiait beaucoup pour Laura. Un bureau juste à elle, qu’elle s’appropriait en apportant de petites décorations personnelles. Et puis, il y avait les autres occupants de la pièce, ses collègues. Après les deux années difficiles de recherche d’emploi, c’était pour elle un émerveillement de pouvoir retrouver chaque jour ce cadre rassurant, les petites discussions de retour de weekend, les grandes envolées de retour de vacances, les services que l’on se rend et qui facilitent un peu la vie et surtout la confiance qu’on commençait à lui renvoyer, les tâches plus intéressantes. Une fois la journée de travail finie, elle reprenait le trajet en sens inverse. Son moment préféré de la journée.

Elle observait discrètement ses voisins de compartiment, pas dans le métro où elle se retrouvait trop serrée, mais une fois assise dans le train. Une demi-heure pour laisser son esprit vagabonder à partir d’un visage, d’un vêtement, d’une attitude, de mots saisis d’une conversation. Elle s’amusait aussi à faire le compte des maisons en pierre meulière, caractéristiques de la banlieue de la Grande Ville, qui tendaient à disparaitre au profit d’immeubles. Tout l’intéressait et était prétexte à une flânerie somnolente mais tellement plaisante.

Et puis, les jours commencèrent à diminuer. Le premier signe fut donné par un rayon de soleil plus bas qui arriva directement dans ses yeux, alors qu’elle était à sa place habituelle dans le train, désagréable ! Elle comprit alors pourquoi les premiers arrivés avaient choisi les sièges contraires au sens de la marche. Ce qu’elle fit aussi dès le jour suivant. Petit à petit, elle distingua de moins en moins les alentours jusqu’à ce qu’il fasse nuit noire pendant toute la durée du trajet. Elle commença alors à emporter un livre pour passer le temps.

Arriva qu’en fin de journée, un beau jour, ou plutôt une nuit, en levant le nez de son livre elle aperçut deux yeux blancs qui la fixaient. Deux yeux blancs étirés, haut dans le ciel noir, semblant à deux yeux d’un masque de géant ; surprise, elle observa ces yeux. Oui, il pouvait s’agir d’un géant invisible, ne laissant apparaitre que ses yeux qui la regardaient avec bienveillance et semblaient lui envoyer un message rassurant : « Je veille sur toi. » Jetant un coup d’œil alentours, elle nota que personne ne semblait surpris par les yeux du géant … le train redémarra et d’autres yeux blancs de géants succédèrent aux premiers, et elle comprit que ce n’étaient que des lampadaires du quai. Soulagée par cette explication rationnelle mais en même temps vaguement déçue, elle se replongea dans son bouquin, prenant garde à ne pas rater sa station. Les jours passèrent ainsi et toutes les fins de journée, elle attendait le passage dans cette gare pour envoyer un sourire discret à son lampadaire aux yeux de géant.

Il se trouva qu’un samedi soir, à la suite d’une soirée un peu prolongée, elle dût prendre le train de 23 h pour rentrer chez elle. Pas très rassurée, elle chercha un wagon occupé par des familles, par des femmes, où une jeune-fille seule n’est pas un phare attirant tous les regards masculins. Tranquillisée, elle s’assit dans un wagon près d’une mère et son petit garçon. D’autres femmes, en groupes, s’étaient installées un peu plus loin. Elle prenait bien garde à ne pas croiser de regards se concentrant sur sa lecture.

La mère et son petit garçon descendirent assez rapidement. Toute à son livre, elle ne s’aperçut qu’elle se retrouvait seule présence féminine du wagon qu’en levant la tête pour regarder l’avancée des gares. Elle ne vit pas deux garçons se lever derrière elle mais les entendit. Leurs voix avinées ne présageaient rien de bon. Les autres hommes du wagon avaient les yeux fermés ou regardaient ailleurs pendant qu’elle se faisait chahuter. Ils commençaient à toucher ses cheveux, elle ne les voyait pas. La peur la gagnait, paralysant ses membres. Ramenant ses cheveux vers le devant, elle leur demanda de la laisser tranquille, ce qui les fit s’esclaffer, toujours plus grivois dans leurs propos. Par chance, le train entrait alors en gare, celle de son lampadaire aux yeux de géant. S’élançant de sa place, elle réussit à esquiver les mains qui voulaient la retenir et put sortir du wagon. Les deux garçons lui avaient cependant emboité le pas.

Le quai est désert, la gare aussi. Tout est endormi à cette heure dans cette ville de banlieue. Vite, l’escalator pour monter et puis celui qui permet de descendre sur l’autre quai, celui de son lampadaire ; elle court, les deux adolescents à ses trousses. Elle se jette sur le poteau de son lampadaire l’agrippant à deux bras, se serrant fort contre lui en s’attendant à ce que ses poursuivants l’attrapent.

Interloquée, elle les voit passer à côté d’elle en courant, continuer un petit moment, se retourner, la chercher. Ils ne la voient pas ! elle comprend qu’ils ne la voient pas. Elle entend l’un d’eux dire à son copain qu’elle a dû traverser les voies. Ils reprennent l’escalator pour poursuivre leur quête. Ouf ! sauvée !

Laura desserre lentement son étreinte, se remettant difficilement de son immense frayeur. Elle regarde vers le haut et ne voit que deux lampes qui éclairent le quai. Elle ne saisit pas comment elle a pu disparaitre ainsi. Elle lève les yeux à nouveau et c’est à ce moment précis que l’une des deux lampes s’éteint un instant, clin d’œil du géant invisible.

Si vous voulez voir le lampadaire aux yeux de géant de Laura, trouvez-vous un soir, à la nuit tombée, dans le train qui s’arrête à la gare de Viflauray-Rive-Gauche, au royaume des Chênes, peut-être qu’il vous fera un clin d’œil …

 

Anne-Marie, avril 2017

posted by anniedim in Les contes d'Anne-Marie and have No Comments

Ils auraient vendu 48 000 € de mauvais vin à une personne âgée

Il était une fois une très vieille dame, vraiment très vieille, qui vivait aux abords d’un village reculé du royaume des Sapins. Ce royaume n’avait pas d’autres arbres que des sapins comme son nom l’indique. Rien ne poussait dans ce royaume que des sapins. Et quand on aime bien boire un petit coup, comme cette très vieille dame, on est obligé d’acheter le vin à des marchands ambulants venant du royaume des Vignes. C’était toujours le même qui ravitaillait la très vieille dame. Il lui vendait du vin blanc issu de cépage Chardonnay, reconnaissable à son petit goût de noisette, très fin, qui se laissait bien boire …

Cette année-là, le marchand habituel tardait à passer et la très vieille dame voyait le nombre de flacons qui lui restait diminuer à vue d’œil. Tous les jours, malgré des jambes qui avaient du mal à la porter, elle se rendait en haut de la colline. De là où des sapins avaient été déplantés, elle tentait d’apercevoir un nuage de poussière sur la route qui aurait indiqué qu’un chariot n’allait pas tarder. Mais rien, pas un seul nuage de poussière, même pas un tout petit ! alors, elle repartait chez elle, dans sa petite bicoque de bois de sapin. Elle ouvrait un de ses derniers flacons et essayait de se consoler dans les vapeurs d’alcool. Sauf qu’elle avait le vin triste et elle se lamentait : « Mais comment vais-je faire ? il ne m’en reste plus que dix ! » puis que neuf, huit, sept, …

Arriva le jour funeste où elle s’aperçut qu’il n’en restait plus qu’un. Elle le but en pleurnichant dans son gobelet. Elle n’avait jamais connu de jour plus triste et angoissant depuis le jour de la mort de son mari. Elle se posait alors la même question de son devenir. Mais celle-ci avait été réglée facilement après la découverte d’un joli pactole que le défunt avait placé chez son notaire. Il s’élevait à plus de 50 000 euros. (Oui, c’était déjà le nom de la monnaie de base du royaume des Sapins ; l’euro étant le nom que dans ce royaume, on donne depuis toujours à la pomme de pin, je suis sûre de vous apprendre quelque chose !) Revenons aux aventures de la très vieille dame.

D’un pas encore plus lent que d’habitude, la voilà grimpant comme elle peut sur le sentier de la colline, tête basse, mains accrochées aux pommeaux de ses cannes en bois de sapin. Ses pauvres vieux yeux essaient de distinguer un rien de poussière sur le chemin. Le temps passe. Tout à coup, elle sursaute croyant mourir de peur : un grand gaillard vient de lui taper sur l’épaule en criant « Eh bien la mère ! qu’est-ce qu’on regarde comme ça ? » Elle ne l’a pas entendu arriver et se demande qui il peut bien être. Le gaillard lui redemande en criant ce qu’elle fait là toute seule, la nuit allant bientôt tomber. La très vielle dame, peu méfiante et soulagée de parler de son problème, lui explique qu’elle guette son marchand de vin. « Oh, la Vieille, ça tombe bien, nous venons mes frères et moi du royaume des Vignes et nous pouvons te vendre du vin comme tu n’en as jamais bu ! Nous sommes arrivés hier soir et fatigués comme nous étions de la route, nous nous sommes endormis et nous n’avons pas encore eu le temps d’écouler notre marchandise. »

Les deux redescendent vers le village. La nuit tombe. Des habitants se hâte de rentrer chez eux, ils prennent juste le temps de dévisager l’étranger et de demander à la très vieille dame ce qu’ils font ensemble. Celle-ci ne veut pas se faire soustraire de la marchandise avant d’en avoir pris son content. Elle répond donc que c’est un camarade de son fils, venue lui apporter des nouvelles de celui-ci. Ils arrivent devant la cabane et le grand gaillard annonce qu’il part chercher ses frères et le chariot. C’est dit, c’est fait. Les voilà qui déchargent des tonnelets de vin blanc chez la très vielle dame. Celle-ci n’en croit pas sa chance et voit la pile de tonnelets atteindre quasiment le plafond de sa cave. La voilà pourvue de munitions pour l’année. Tellement satisfaite qu’elle paie sans broncher la somme exorbitante que les gredins lui extorquent : 48 000 euros !

Les gredins ne demandèrent pas leur reste et se pressèrent de regagner le royaume du Blé dont ils venaient. Quant à la très vieille dame, elle finit sa vie dans un aimable brouillard vineux sans même s’apercevoir que ce vin était une abominable piquette. Son fils, revenu à temps pour recueillir son dernier soupir, ne comprit jamais où avait disparu l’argent laissé par son père et qu’il comptait utiliser à son profit. Il eut beau détruire planches après planches la vieille cabane, il n’y trouva que quelques tonnelets vides qui sentaient fort mauvais !

 

Anne-Marie, le 24/9/16

 

Suite à l’atelier d’écriture des Rencontres du CRAP de 2016, je me suis prise au jeu d’écrire un conte à partir d’un titre de faits divers, sans aucun rapport avec l’article en question d’ailleurs.

Pour ceux qui seraient intéressés, voici le lien : http://www.ouest-france.fr/normandie/le-havre-76600/au-havre-ils-auraient-vendu-48-000-eu-de-mauvais-vin-une-retraitee-4490838

posted by anniedim in Les contes d'Anne-Marie and have No Comments

Un grain de café dans un massif de rhododendrons.

Cinq heures du matin. Il fait encore très chaud dans la grande ville du Sud-Ouest. Le docteur se demande si les grilles du Jardin Public sont ouvertes, ça lui ferait gagner du temps pour rentrer chez lui. Ses mains tremblent encore un peu de la dernière opération qu’il a dû réaliser. Ce gosse est passé à rien de l’amputation …

Ah, les grilles sont ouvertes. Il s’engage dans l’allée sous les marronniers centenaires. Il passe le pont de bois en sentant la sueur lui couler lentement dans le dos. Il s’efforce de ne penser à rien, rien qu’à marcher pour rentrer chez lui. Tout à coup, un bruit criard le fait sursauter : deux corneilles se chamaillent un peu plus loin. Il s’apprête à passer son chemin lorsqu’il se dit que vraiment, ces oiseaux font un drôle de boucan. Curieux malgré sa fatigue, il s’approche du massif de rhododendrons en fleurs. Dans les lueurs de l’aube, il ne voit pas grand-chose.

Prêt à reprendre son chemin, il se dit qu’elles doivent se battre pour un morceau de pain oublié par un gamin, au pire, le cadavre d’un hérisson. Il contourne le massif de fleurs rouges quand il se raidit soudain : une chaussure marron sous les basses branches. Et dans le prolongement de cette chaussure, il voit maintenant nettement une jambe. Pliée au genou, elle fait un drôle d’angle, pas ce qu’un docteur considère comme normal. Ni personne d’ailleurs. Soulevant le feuillage, il n’en croit pas ses yeux. Ce n’est pas un hérisson qui git là mais un homme, mort s’il en croit les yeux grands ouverts sur les fleurs rouges qui l’entourent. Les corneilles n’ont pas encore fait de ravages.

Reculant prestement, le docteur saisit son téléphone portable. Le 15 ? le 17 ? Le docteur inspire un grand coup pour retrouver son calme. Il doit donner correctement les indications à la police.

Ce n’est pas maintenant qu’il pourra rentrer dormir. Il s’assoit sur un banc, la tête dans les mains. Cette dernière journée a ressemblé à l’enfer. Dès ce matin, la voiture qui a refusé de démarrer. Le monde dans le tram, les odeurs de transpiration mêlées aux parfums bon marché des midinettes. La meilleure infirmière s’est cassé la jambe et ne l’a pas assisté sur les différentes opérations de la journée. Il a dû supporter cette idiote qui ne comprend rien et qui l’a déconcentré quand il s’occupait du gamin. Elle a failli lui faire perdre son sang-froid juste au moment où le bistouri s’approchait de l’artère fémorale. Le tremblement le reprend, comme à la sortie du bloc.

C’est déjà le lendemain et l’enfer continue. Des policiers arrivent. Ils lui posent les questions d’usage, enfin, celles que les policiers posent dans les films. Pendant ce temps, d’autres agents prennent des mesures et des photos. Sur la promesse de passer au commissariat, il se lève pesamment du banc et titubant de fatigue, se dirige enfin vers son appartement et son lit.

Il remonte le cours de Verdun et tourne vers son immeuble. Un détail le tracasse cependant. Mais il n’arrive pas à savoir quoi. Dormir ! Arrivé enfin, il fait quelques pas en semant ses fringues autour de lui et se jette sur son lit, sombrant dans un sommeil profond. Un sentiment d’aveuglement le réveille. Le store n’est pas baissé et un rayon de soleil le fusille inexorablement. En grognant, il se lève difficilement et se fait un café serré sur sa nouvelle machine expresso. Un cadeau qu’il s’est offert pour fêter sa nouvelle vie. Vite, s’éclaircir les idées. Le bruit du tram, au loin, lui rappelle qu’il doit s’occuper de sa voiture. Pas question de refaire le trajet d’hier. La première tasse lui fait du bien, il s’en refait une autre. Et il doit aller voir les flics. Mais pourquoi s’est-il arrêté voir ce que faisaient ces fichues corneilles ?

De fil en aiguille, il remonte jusqu’à la découverte du corps sans vie. Quelque chose ne va pas, mais quoi ? Il revoit le massif de rhododendrons, les magnifiques fleurs rouges, la chaussure marron qui attire l’œil … là, c’est là que se situe le problème : sous la chaussure, un grain de café, pris dans les rainures de la semelle épaisse. C’est quand même étrange ce grain de café, là sous la chaussure.

La douche fraiche finit de lui éclaircir les idées. Il enfile des vêtements propres et sort affronter la chaleur de midi. Sa voiture ne démarre toujours pas. Un coup de fil au garagiste le rassure, ils vont s’en occuper dans la journée. Le bureau de police, rue Ducau, n’est pas si loin qu’il doive s’y rendre en tram. Les fenêtres à barreaux du rez-de-chaussée lui indiquent qu’il est au bon endroit. Un officier de police judiciaire le reçoit et prend sa déposition.

Il redit les corneilles, la chaussure, le corps. Le policier tape consciencieusement sur son ordi, imprime et le fait signer. Au moment où ils se lèvent, le policier lance : « Au fait, vous connaissez peut-être la victime, c’est un de vos collègues à l’hôpital Pellegrin. Laurent Beauvoisin, vous le connaissiez ? ». Le docteur, ébahi, ouvre grand les yeux et répond : « Non, c’est pas possible, pas Laurent ! ». Il se rassoit. « Que s’est-il passé ? » reprend-il. Le policier lui répond que l’enquête le déterminera. « D’ailleurs, quand avez-vous vu la victime la dernière fois ? » Le docteur cherche dans sa mémoire, il l’a vu hier midi, oui, c’est cela, hier midi à la cafétéria de l’hôpital. Ils se sont salués de loin. Secouant la tête, il répète : « Pas Laurent, non, pas Laurent. »

« Pour ne pas vous faire revenir, pouvez-vous me donner votre emploi du temps d’hier, s’il vous plait Docteur. » lui demande l’OPJ. La journée de l’enfer défile dans la tête du médecin et il revit ses déboires en les racontant. Enfin, il sort du bâtiment et retrouve la touffeur de la rue. Marchant à l’ombre autant que possible, il retourne chez lui.

L’hôpital ne l’attend qu’en fin de journée, il a le temps de faire un peu de ménage. Il commence par brancher le ventilateur. Il passe l’aspirateur, nettoie tous les meubles avec une lingette désinfectante. Malgré l’air plus frais brassé par les pâles qui tournent, il a trop chaud. Après une deuxième douche, il se vautre sur son canapé face au ventilateur.

Le carillon de sa porte d’entrée le sort de son demi-sommeil. Il va ouvrir et se trouve devant la carte professionnelle d’un policier. Le capitaine, après s’être assuré de son identité, lui demande de le suivre au commissariat. Sans protestation, le docteur demande juste le temps de se rendre présentable.

Embarqué dans la voiture tricolore, il réfléchit à ce qui lui vaut d’être convoquer ainsi. Ne pas en dire trop ! Ne pas paraitre coupable, ni trop détendu ! Les journaux sont remplis d’erreurs judiciaires, le pseudo-coupable ayant craqué en interrogatoire. D’ailleurs, coupable de quoi ? Il s’efforce de respirer calmement en se disant que sa transpiration est naturelle vu la chaleur.

Celle-ci est encore pire dans le bureau où on l’emmène. Il prend place là où on lui dit et le capitaine, affable, lui demande de raconter à nouveau sa journée de la veille. Ce qu’il fait sans problème. Il commence à se sentir mieux quand le policier attaque : « Alors comment expliquez-vous que l’on vous a vu partir avec lui vers 17 heures ? »

–          Mais qui vous a dit ça ?

–          Peu importe, répondez !

–          Non, je veux savoir qui raconte n’importe quoi sur moi ! Je vous ai déjà dit ce que j’ai fait hier toute la journée ; à 17 heures,  j’étais en pause et je me concentrais avant une intervention qui promettait de durer une partie de la nuit. On nous avait annoncé l’arrivée de polytraumatisés d’un accident de voiture sur l’A660 vers Arcachon.

Le docteur sent qu’il donne trop de détails qu’en face on ne lui demande d’ailleurs pas. Signe de nervosité qui pourrait laisser penser qu’il ne se maitrise pas bien. Il cesse de parler et attend. Le capitaine sourit légèrement et attend également. Le docteur commence à regarder ostensiblement dans la pièce. Son regard erre lentement. Il s’arrête un instant sur un gobelet de café. Il se rappelle maintenant le grain de café dans la chaussure de ce pauvre Laurent. Maintenant franchement mal à l’aise, il se tortille sur la chaise inconfortable. Contrairement à ce qu’il avait décidé, il reprend la parole : « Alors, je peux partir ? Mon service recommence dans une heure. »

–          Pas tout de suite, Docteur, nous avons encore besoin de quelques précisions. Vous nous avez dit que la victime était juste un collègue de travail pour vous. N’avez-vous pas omis quelque chose au sujet de votre compagne ?

–          Ex-compagne !

–          Oui, votre ex-compagne n’était-elle pas devenue l’amante de la victime ?

–          Elle fait ce qu’elle veut, couche avec qui elle veut depuis que je l’ai virée de chez moi !

–          Virée de chez vous, … c’est élégant !

L’agaçant petit sourire revient sur les lèvres du capitaine qui se tait à nouveau. Le docteur sent une sorte de rage s’emparer de lui, mêlée à la touffeur de la pièce. Il repense à cette fille, une sale garce qui profitait de ses horaires à rallonge pour se taper tout ce qui bougeait.

La sueur coule maintenant sur son dos mais aussi sur son visage. Il s’essuie du revers de sa manche. Le capitaine fait comme s’il ne voyait rien et lui dit :

–          Alors, vous partez avec le docteur Bonvoisin vers 17 heures et vous allez où ?

–          Je veux voir mon avocat. Vous m’accusez ! Je veux voir mon avocat, je ne dirais vous plus rien.

–          Je vois que Monsieur regarde les séries américaines. Ça ne se passe pas comme ça ici. Nous ne vous accusons de rien, je vous demande juste ce que vous avez fait avec le docteur Bonvoisin une fois sortis de l’hôpital. Nous avons d’autres témoins qui vous ont vu avec lui vers chez vous vers 17 heures trente puis il est ressorti seul un quart d’heure plus tard. La caméra du cours de Verdun le montre entrant dans le Jardin Public.

–          Alors, vous voyez bien que je n’y suis pour rien ! Quand il est parti de chez moi, je me suis dépêché d’attraper un tram pour retourner à Pellegrin.

–          Effectivement, vous n’étiez plus avec lui au moment de sa mort.

–          Ah ! Vous voyez bien. Je m’en vais maintenant !

–          Asseyez-vous ! Vous venez de reconnaitre que la victime était chez vous, avec vous juste avant sa mort, n’est-ce pas docteur ?

–          Certes, mais cela ne vous permet pas de m’accuser de l’avoir tué.

–          Vous allez signer votre témoignage. Vous n’êtes accusé de rien mais nous aurons peut-être besoin de vous recontacter. Ne sortez pas des limites de la ville.

Le docteur, soulagé, repart du commissariat. Il n’a pas le temps de retourner chez lui, il se douchera à l’hôpital. L’infirmière idiote l’accueille, l’air apeuré, en lui tendant les fiches des urgences. Agacé, il la rembarre : « Vous voyez bien que je dégouline de partout ! »

Après sa douche, il se sent mieux. La même infirmière lui indique les opérations qui pourront se succéder dans la nuit. Il se dit qu’il faudrait mieux qu’il se calme vis-à-vis de l’idiote. Ce n’est pas le moment de faire une boulette en salle d’opération. Il va prendre  sur lui. La nuit est moins bousculée et il se retrouve chez lui à une heure correcte grâce au taxi qu’il s’est offert.

Quelques jours passent. Pas de nouvelles du commissariat. Ils ont enfin reconnu son innocence. Il fait moins chaud et la vie reprend tranquillement. Il a récupéré sa voiture et se dit qu’il est sans doute sorti de ces journées d’enfer. Il sirote son café en écoutant son morceau préféré de Wagner quand la sonnette de l’entrée se fait entendre. Grognant contre ce dérangeant intrus, il ouvre, prêt à rembarrer l’importun. Il ne voit que la carte de police du capitaine qui l’a déjà interrogé.

Cette fois-ci, ils sont plusieurs avec une commission rogatoire pour fouiller son appartement. Ils prélèvent différents objets dont son ordinateur et son téléphone portable. Ils tournent autour de sa machine à expresso et ramassent un paquet de café en grains entamé. « Veuillez nous suivre au commissariat, Docteur. » lui dit le capitaine. L’enfer recommence ! Arrivés dans la salle d’interrogatoire, ils lui demandent de répéter encore une fois sa version. Ce qu’il fait sans variante. Ils ressortent, le laissant seul. Le temps passe et il se demande ce qui se passe.

La porte s’ouvre enfin. « Vous êtes en état d’arrestation pour le meurtre de Monsieur Bonvoisin » lui annonce le capitaine. Ses dénégations ne changent rien, ils le laissent s’enferrer dans ses explications oiseuses. Que s’était-il passé ? Le policier raconte à son commissaire que les deux médecins s’étaient retrouvés chez le docteur et avaient bu un café, fraichement moulu. Seulement, dans la tasse du docteur Bonvoisin, il y avait de la digitaline, ce qui avait causé son décès dans le Jardin Public. Se sentant mal, il s’était assis sur un banc et s’était endormi doucement pour ne plus se réveiller. Personne n’avait dérangé de dormeur qui avait fini par glisser à bas du banc pendant la nuit. Quelque animal rodeur l’avait tiré sous le massif de rhododendrons, lui tordant la jambe. Il avait dû être dérangé par les cris perçants des corneilles et par l’arrivée du docteur qui ne s’attendait sûrement pas à retrouver ici sa victime.

Le contenu de l’estomac montrait l’empoisonnement à la digitaline en présence de café. Or le docteur avait facilement accès à la pharmacie de l’hôpital. De plus, une charmante infirmière, qui avait l’air d’avoir peur de ce médecin, leur avait confirmé qu’il était sorti de la pharmacie avec un paquet qu’il avait l’air de cacher sous sa blouse. C’était elle aussi qui avait vu les deux médecins partir ensemble à 17 heures le jour de la mort de Bonvoisin.

L’accusé entend ce récit et se maudit d’avoir sous-estimé cette pauvre fille ! Le capitaine poursuit ainsi son rapport. « Ce qui les avait mis sur la voie ? Le grain de café retrouvé sous une chaussure du mort. En allant chercher le docteur la première fois, il avait remarqué la magnifique machine à café neuve, un percolateur dans lequel le connaisseur ne met que du café fraichement moulu. Il en aurait bien pris une tasse ! C’est à cause du café qu’il a fait le lien. D’ailleurs, ce grain de café provient bien du paquet entamé prélevé chez le docteur. L’accusé n’a jamais pardonné à son confrère de lui avoir piqué sa compagne. Il s’agit bien d’un meurtre avec préméditation ! »

De l’autre côté de la cloison, l’accusé, atterré, se lamente : « Un grain de café ! Mais comment n’ai-je pas pensé à l’enlever de la chaussure, sous le massif de rhododendrons, dans le Jardin Public de Bordeaux, ce matin-là ? »

 

Anne-Marie, 11 juin 2017

Bordeaux

(A partir de 4 mots donnés par Juliane et Xavier : lesquels ?)

posted by anniedim in Les contes d'Anne-Marie and have No Comments

Le cordonnier philosophe

Il était une fois au pays des Châtaigniers, un cordonnier. Pas n’importe quel cordonnier, un cordonnier philosophe. Sa petite boutique de cordonnier se trouvait à une extrémité de la grande gare de la capitale du pays des Châtaigniers, à la sortie d’un couloir du métro, au débouché d’un escalator descendant des quais de la gare.

On peut dire qu’il en voyait passer du monde. Des tas de gens pressés, avec des valises à roulettes ou des sacs à dos, des serviettes à documents ou des cartables à ordinateurs portables, des gibecières en bandoulière ou des musettes à repas, certains les mains dans les poches … des gens un peu perdus aussi, dans un sens ou dans l’autre, cherchant leur chemin sur les panneaux, s’arrêtant net ou rebroussant chemin au risque de se faire bousculer.

Et puis, de temps en temps, une de ces personnes s’arrêtait dans son échoppe. Qui pour refaire une clé, un talon, une couture sur une chaussure … Le temps d’effectuer ces menues réparations, il en profitait pour s’entretenir avec ses clients d’un jour. Certains, à sa place, auraient discuté de la pluie et du beau temps, mais pas lui ; il faut dire qu’il ne voyait pas grand-chose du temps qu’il faisait dehors. Lui, il aimait discuter de littérature et de philosophie. Il faisait collection de ces rencontres improbables en décrivant ses auteurs favoris, lançant ainsi une discussion : Marguerite Yourcenar et Cabu mais pas Sartre, Maupassant, ses livres et ses contes, et tant d’autres. Aux connaisseurs, il avouait son admiration inconditionnelle, sa passion, pour Pic de la Mirandole qui parlait tant de langues, connaissait tout sur tout et abordait chaque sujet avec différents points de vue. Une discussion sur les mérites des uns et des autres s’engageait alors. Il finissait par demander humblement quel était le métier de ces gens si intéressants qui avaient partagé avec lui ces quelques instants volés au temps qui passe. Cela était si précieux à ses yeux qu’il ne manquait pas de remercier chaleureusement ses clients. Il ajoutait immédiatement cette belle rencontre à sa collection.

Et puis un jour, ou peut-être une nuit, un client arrêté par le besoin de porte-clés de différentes couleurs, se mit à lui raconter ses voyages, quarante-cinq pays visités, poussé par les obligations de son travail. Quarante-cinq pays ! Le cordonnier se rendit compte qu’il n’avait jamais voyagé que dans ses livres. Ce qui ne lui avait jamais posé de problème auparavant devint à ce jour une sorte d’idée fixe et une intense matière à regrets. Le nez dans ses livres, n’était-il pas passé à côté de la vraie vie ? C’était un sujet pour un philosophe mais cela le touchait trop pour qu’il en fit un thème de réflexion et d’échanges. Il en perdit peu à peu l’appétit. La seule vue d’un livre le dégoutait. Il ne discutait plus avec ses clients, faisant machinalement les gestes de son métier, saluant au minimum, sans sourire. D’un œil sombre, il regardait ces gens avec leurs valises, remarquant maintenant les étiquettes prouvant leur passage dans des contrées variées. Il s’étiolait au fin-fond de la grande gare de la capitale, lui si joyeux et si avenant auparavant.

Cet état dura quelques semaines jusqu’à l’apparition au comptoir de sa petite boutique d’un jeune homme d’une trentaine d’années. De longs cheveux, un visage en longueur surmonté d’un petit chapeau rouge vif. « Buongiorno, je m’appelle Giovanni ». Sans hâte, le cordonnier leva les yeux et lui demanda ce qu’il voulait d’un ton apathique. Giovanni le contempla un long moment avant de répondre « Toi qui m’as étudié, ne penses-tu pas que la vie mérite quelques efforts ? Tu sais à quel point il est important pour moi de regarder chaque chose de différents points de vue. »

Le cordonnier ébahi fixait le jeune homme. Un éclat commençait à renaitre dans son regard. L’autre continua : « Tu le sais, j’ai moi-même beaucoup voyagé en mon temps mais je me suis aussi beaucoup instruit dans les livres. Je t’invite à faire un pas de côté et à regarder cette affaire de voyage d’un autre œil. Demande-toi ce que cet homme, que tu considères si chanceux, a pu voir de la richesse de ces quarante-cinq pays. Que connait-il de la vie et des pensées des hommes qui y demeurent ?  A-t-il pu découvrir les merveilles naturelles et architecturales de ces contrées ? Doit-il être forcément plus heureux que toi, lui qui passe sa vie entre deux avions ? » Il reprit : « Voltaire, qui pourtant ne m’aimait pas, apporte une réponse dans son Candide, l’as-tu lu ? » sur ces mots, il tourna les talons et disparut dans la densité de la foule, ne laissant à voir que le sommet de son chapeau rouge.

Pic de la Mirandole ! En personne, il était venu redonner le courage d’affronter la vie au cordonnier philosophe. Celui-ci n’en revenait toujours pas. Il ferma sa petite échoppe et se rendit dans une des multiples librairies de la grande gare pour y trouver le livre conseillé. Son esprit, réveillé par les propos de celui qu’il admirait tant, fonctionnait à nouveau. Et si le grand voyageur n’était en fait qu’une sorte de collectionneur de pays ? De cette sorte de collectionneur qui thésaurise, amoncèle, accumule et contemple son trésor en se félicitant de son ampleur. Et si ? et si ?

Il rentra chez lui, fort de ses nouvelles pensées. Il s’installa confortablement. Il commença par écouter un peu de cette musique lyrique qui lui mettait des larmes de bonheur aux yeux avant de se plonger dans la lecture. Le lendemain matin, il ouvrit sa boutique le sourire aux lèvres, encore immergé dans les aventures et la conclusion du héros voltairien, de Pangloss et de Cunégonde. « Il faut cultiver notre jardin. » ; oui, tout homme est capable d’améliorer sa condition et courir le monde n’est pas une solution convenant à tous. Les doutes qu’il avait rencontrés s’évaporaient maintenant. Il retrouva sa joie de vivre et de philosopher. Il la partagea de nouveau avec ses clients. Il les fit profiter de sa nouvelle sagesse tout en les écoutant, faisant son miel de ces rencontres éphémères.

Voilà pourquoi, dans le fin-fond de cette grande gare de la capitale du pays des Châtaigniers, parmi tous ces gens pressés, il en est qui le salue et lui sourit, donnant un peu d’humanité à cette fourmilière géante.

Anne-Marie, le 24 mai 2017

posted by anniedim in Les contes d'Anne-Marie and have No Comments

Un joueur de cornemuse tué par son instrument

Il était une fois, dans le royaume des elfes, un joueur de cornemuse. C’était le meilleur joueur de cornemuse du royaume et le roi des elfes l’avait appelé à sa cour pour qu’il distrait la reine son épouse. Habituellement, le joueur de cornemuse accompagnait l’armée du roi des elfes au combat, sans doute pour qu’on n’entende pas les cris des mourants et les supplications des blessés. Mais pour l’instant, ce joueur de cornemuse avait donc été appelé au palais royal. Dès qu’il aperçut la reine, il n’eut de cesse de composer des airs pour encenser sa beauté. Il les jouait le matin pendant qu’elle se préparait. Il les jouait le midi pendant le repas. Et encore l’après-midi pendant qu’elle brodait et pendant le souper et pour accompagner jongleurs et acrobates.

Je ne sais si vous pouvez imaginer les tortures auditives que ces plaintes déchirantes provoquaient chez les membres de la famille royale et leurs serviteurs, même les plus âgés déjà un peu sourds. Toujours est-il que le château royal se désertifiait du lever au coucher. Les repas donnaient lieu à des quiproquos sans noms, tant le peu de personnes qui n’avaient pas pu se défiler, n’arrivaient pas à se comprendre dans ce vacarme. En rentrant de la chasse, le roi se demandait ce qu’il se passait, personne ne venait plus l’accueillir et aucun n’osait lui donner la véritable raison. Mais personne ne comprenait non plus pourquoi il laissait le joueur de cornemuse importuner les habitants du château de la sorte.

Ce fut le petit mitron qui découvrit le pot aux roses : il arriva qu’un jour, les serviteurs se firent tous porter pâle pour ne pas avoir à supporter le vacarme produit par l’instrument qu’ils haïssaient maintenant. Ce fut le petit mitron qui fut unanimement désigné pour aller porter le pain à la table royale. Le roi, remarquant ce nouveau serviteur, lui demanda son nom. Très intimidé, le petit n’osa relever la tête pour répondre et marmonna dans ce qui serait plus tard sa barbe : « Je suis Jehan le Petit, votre Majesté ». Le roi, n’entendant pas la réponse, lui reposa la question et le garçon répéta. Cela se produisit une fois, deux fois, et ainsi de suite. Le petit, au bord des larmes malgré le ton toujours gentil du souverain, finit par relever la tête et redire sa réponse. Cette fois-ci le roi l’entendit… l’entendit est un bien grand mot … On s’aperçut alors que le roi était sourd comme un pot et qu’il avait développé la très forte capacité de lire sur les lèvres de ses sujets.

C’est là que la reine entra dans le jeu. Celle-ci n’était pas seulement belle ; la reine des elfes était surtout une grande magicienne. Pourtant, elle ne s’était jamais aperçue du handicap de son époux, d’une part parce qu’elle ne le voyait que rarement et d’autre part parce que celui-ci ne lui demandait pas souvent son avis. Elle n’avait pas osé agir contre le joueur de cornemuse, pensant que celui-ci avait le plein accord du roi. Maintenant, elle comprenait pourquoi il était le seul à ne pas être tourmenté par le son continuel du sinistre instrument.

Elle s’arrangea avec sa fidèle suivante pour tendre un piège au joueur détesté. Par cette intermédiaire, elle le fit venir discrètement dans sa chambre. Le musicien n’en croyait pas sa chance. Elle le fit s’assoir sur le coffre au pied de son lit. Il était bien obligé de se défaire de l’instrument maudit. Il le déposa à côté de lui. L’instrument émit un souffle qui faisait penser au dernier soupir d’un être malfaisant. Pendant que la suivante lui apportait une choppe d’hydromel, la reine envoutât l’instrument honni. Sans le laisser reprendre une de ses complaintes, la reine congédia le musicien qui était déjà tout content de sa future bonne fortune … croyait-il !

A peine arrivé dans le cabanon qui lui servait de chambre, il se retrouva avec une cornemuse folle, complétement folle. Elle dansait devant lui une gigue endiablée, les tuyaux de démenaient en tous sens, elle émettait un son strident très inhabituel. Tout à coup, elle se raidit et l’anche du tuyau central fut projetée dans la gorge du pauvre musicien. Il mourut sur le coup.

La reine des elfes était descendue avec sa suivante pour voir les effets de sa magie. Quand elle vit que l’instrument avait bien obéi à ses ordres, elle fit entrer sa sujette dans la cabane pour réveiller le joueur de cornemuse.

Celui-ci ne comprit jamais ce qui lui était arrivé mais il fut pris d’un soudain dégout pour l’objet qui lui avait occasionné un tel cauchemar. Il se jura de ne plus jamais en jouer. Comme c’était un vrai bon musicien, il apprit rapidement à jouer de la vièle et put régaler la cour de ses poèmes chantés, rythmés par un son maintenant délicieux.

Depuis ce temps, le château se réveille aux cris du coq et gare à celui qui pousse son cri en dehors des heures autorisées ; sinon, c’est la marmite !

 

Anne-Marie, Le 10/9/16

Suite à l’atelier d’écriture des Rencontres du CRAP de 2016, je me suis prise au jeu d’écrire un conte à partir d’un titre de faits divers, sans aucun rapport avec l’article en question d’ailleurs … Pour ceux qui seraient intéressés, voici le lien : http://www.france24.com/fr/20160823-gb-joueur-cornemuse-tue-son-instrument

 

posted by anniedim in Les contes d'Anne-Marie and have No Comments

Une jument envasée dans une rivière

Il était une fois un pays de dragons. Le prince de ce pays vivait sans se poser de problème sa vie de prince des dragons. Il avait une gueule dorée et ses jets de flammes étaient du plus bel effet en s’y reflétant. Sa vie n’était qu’insouciance et plaisirs.
Un jour, c’était un mardi, il fut convoqué par son père le roi des dragons : « Mon fils, tu es en âge de te marier et j’ai choisi pour toi la princesse d’un royaume un peu éloigné mais j’ai ouï dire qu’elle est fort belle et intelligente. Tu dois aller la chercher dans le royaume de son père. C’est assez loin mais tu y seras en un coup d’aile. Ramène-la vite, j’ai hâte de la connaitre. Prends la direction du sud-nord et tu seras arrivé quand tu verras la lune se lever. »

Le jeune prince, très heureux de cette bonne fortune, déploya ses ailes et s’envola vers sa promise. Le sud-nord, facile ! un coup d’aile, facile ! la lune se lève, le voilà arrivé.

Le prétendant se posa sur la Grand Place et s’avança vers le château. Personne en vue. Intrigué, il regarda de gauche et de droite poursuivant son chemin. La porte principale s’ouvrit à son arrivée. Il entra. Deux garde-chevaux lui firent signe de ne pas faire de bruit. Il poursuivit sa route sans émettre le moindre son et entendit des sanglots et des cris. « Ma fille ! où est ma fille ?» hennit le souverain sur son trône.

Le prince avait peur de comprendre : « Comment cela, ta fille a disparu ? s’agit-il de ma promise ? » « ouiiii » hennit le roi. Le prince ne savait pas s’il devait être inquiet ou en colère, il reprit : « Grimpe sur mon dos, nous allons la chercher ! » Ainsi fut fait.

En quelques battements d’ailes de dragon, vous pensez bien que le royaume des chevaux fut vite exploré. Ils repérèrent la jeune pouliche envasée dans une rivière.

L’histoire ne dit pas comment ils la sortirent de là … mais la princesse expliqua qu’elle avait une peur bleue de se faire rôtir et elle préférait finir ses jours dans l’eau plutôt que par le feu. Le jeune prince lui jura qu’il ne se servirait jamais de ses flammes en sa présence.

On dit que les dravaux nés de cette union règnent toujours sur le royaume des dragons.

Anne-Marie, 21/8/16

Texte écrit pendant l’atelier d’écriture des Rencontres du CRAP de 2016.
Consigne : transformer un fait divers en conte à partir d’un titre, ici Une jument envasée dans une rivière (Indre)

posted by anniedim in Les contes d'Anne-Marie and have No Comments

Le petit renne du Père Noël

Il était une fois là-haut, tout là-haut, près du pôle Nord, le pays du Père Noël. Dans le pays du Père Noël, vivaient tous ceux qui travaillent pour que Noël soit un moment magique. Tout ce monde vivait dans un paysage blanc et froid. Mais la joie réchauffait leurs cœurs : ils travaillaient pour que tous les enfants du monde soient heureux, au moins le soir de Noël.

Il y avait le Père Noël, toujours habillé de rouge, avec sa barbe blanche et ses petite lunettes rondes. Assis à son grand bureau, il lisait les lettres que tous les enfants du monde lui avaient envoyées avec leur liste de cadeaux. Il en faisait à son tour une immense liste, bien rangée dans l’ordre des pays du monde que le soleil réveillait tour à tour.

Il y avait aussi les lutins. Eux étaient habillés de vert et de rouge, avec un drôle de petit bonnet pointu. Ils étaient chargés de fabriquer tous ces jouets commandés par les enfants du monde. Certains étaient dans l’atelier « Jouets en bois » , d’autres dans l’atelier « Nounours et peluches » et d’autres ailleurs encore. Tout le monde travaillait fort pour que tous les enfants du monde aient leurs cadeaux le soir de Noël.

Et puis, il y avait les rennes du Père Noël. Ils étaient grands et majestueux, très fiers de tirer le traineau du Père Noël. Dès leur naissance, ils étaient sélectionnés pour leur belle attitude. Ils vivaient dès lors dans une écurie près de la fabrique des jouets et les lutins venaient se détendre avec les bébés rennes. Puis arrivait le temps d’apprendre leur métier.

Il leur fallait apprendre à tirer le traineau du Père Noël là-haut dans le ciel. Il leur fallait apprendre à aller aussi vite que la lumière – plus, ce n’est pas possible – pour que tous les enfants du monde aient leurs cadeaux le jour de Noël. Ils s’entrainaient dur pour faire partie des rennes sélectionnés pour le grand soir. Mais il n’y avait pas de jalousie entre eux, chacun ferait au moins une fois le tour du monde du Père Noël.

Et parmi eux, il y avait Tony. Tony avait été choisi pour devenir un renne du Père Noël mais Tony rêvait d’une autre vie. Il avait compris qu’il existe des pays où il ne fait pas si froid, où il ne fait pas si nuit l’hiver. Et il rêvait … Il rêvait d’être accueilli dans une famille où il serait entouré de chaleur et d’amour. Mais un renne du Père Noël n’a pas cette vie. Alors il faisait bravement, comme les autres, l’entrainement qui devait lui permettre de devenir renne du Père Noël.

Le Père Noël était très attentif à tous ceux qui vivaient près de lui. Il remarqua vite ce petit renne pas comme les autres. Un matin, il lui demanda de s’expliquer. Tony trouva les mots qui troublèrent le Père Noël. Celui-ci lui dit : « Je comprends que tu préfèrerais vivre une vie familiale comme un petit chien, dans une maison, avec des enfants qui jouent avec toi, te promènent et te font des câlins. Eh bien d’accord, je vais te transformer et t’envoyer pour Noël dans une famille que je connais et qui se désespère d’adopter un petit chien. »

Et voilà comment Tony, le petit renne du Père Noël, fut transformé en petit chien et déposé près d’un sapin le soir de Noël. Comme il geignait doucement, la petite fille de la maison descendit et le trouva. Elle fut transportée de joie et le prenant doucement dans ses bras, elle s’empressa de le montrer à ses parents qui dormaient encore. Ils acceptèrent de le garder et ce fut le début d’une amitié qui dure encore aujourd’hui.

 

Anne-Marie, décembre 2016

 

posted by anniedim in Les contes d'Anne-Marie and have No Comments

La petite crevette, l’étrille et le bernard-l’ermite.

Il était une fois une petite crevette qui s’appelait Suzette. Elle vivait sa vie de petite crevette, ni triste, ni gaie, une vie de crevette, pensait-elle. Près d’elle, se trouvaient un bernard-l’ermite et une étrille. Tous les trois étaient les meilleurs amis du monde. Le bernard-l’ermite se nommait Bernard comme il se doit et la si jolie étrille répondait au doux nom de Bertille. Tous trois ne bougeaient pas beaucoup. De temps en temps un homard et un tourteau venaient leur tenir compagnie … Ils avaient tous passé toute leur vie à Portbail, dans le pays des havres, en bord de Manche, l’English Channel des anglais. Mais nos trois amis n’avaient jamais vu la mer. Ils étaient nés des mains d’un artiste-artisan, Jean-Marc de son prénom, leur père à tous. Crées à partir d’un bout de zinc, découpés, taillés, retaillés, courbés, poinçonnés, ils avaient pris vie grâce à lui et rejoint ensuite le présentoir. Depuis lors, sans le savoir, ils attendaient qu’un touriste de passage, les admirant, ait envie de les adopter. Ils vivaient donc tranquillement, tous les trois, sans se rendre compte que leurs vies pouvaient être bouleversées du jour au lendemain selon les envies d’un client, voire d’une cliente. Il faut dire que Jean-Marc s’était bien gardé de leur expliquer, en leur donnant vies, que celles-ci allaient surtout servir à lui faire gagner la sienne. Ils étaient son gagne-pain, tous : crevette, étrille et bernard-l’hermite et les autres ! Inconscients de leur séparation prochaine, ils continuaient de papoter, de se raconter des histoires et de se moquer des mini-poupées en papier crépon qui leur faisaient face. Ils s’admiraient se reflétant dans le zinc des uns et des autres, il faut dire que Jean-Marc avait la main pour les rendre admirables !

Un jour de vacances de la Toussaint, entrèrent dans le magasin deux dames de Paris qui s’extasièrent sur ces si jolies figurines. L’une d’elle acheta Bertille et l’autre Suzette. Sans rien comprendre de ce qu’il leur arrivait, elles se retrouvèrent chacune dans un sac de papier. Sans plus rien voir, elles se sentirent ballotées d’un sens, de l’autre, au rythme du pas de ces deux dames, au demeurant fort aise de leurs trouvailles. Elles les entendaient se réjouir de pouvoir gâter qui son mari, qui son fils. Elles avaient beau crier et appeler à l’aide, rien n’y faisaient. Les sacs se stabilisèrent enfin et elles crurent qu’elles allaient se retrouver. Las ! Certes les deux sacs étaient maintenant côte à côte, mais Suzette et Bertille ne furent pas délivrées pour autant. Elles pouvaient néanmoins s’entendre au travers du papier et elles purent échanger leur désarroi tout en sentant que les sacs se déplaçaient. Ne connaissant pas grand-chose à la vraie vie, elles ne pouvaient pas savoir qu’elles se trouvaient dans la voiture qui les emmenait loin de leur copain Bernard.

Celui-ci, sous le coup de la surprise, mit un certain temps à réaliser ce qui s’était passé. Il finit par entendre ces pestes de mini-poupées en papier crépon qui se moquaient de lui, « Ah ! Comment tu vas faire pour t’admirer maintenant ? Elles t’ont laissé tomber, tes belles ! Tu te retrouves tout seul comme un idiot ! » Et elles continuèrent ainsi en faisant entendre un rire strident qui lui arrachait les tympans. Avec son buccin sur le dos, il se sentait gauche, il se demandait ce qu’il pouvait faire pour les retrouver. Avec les hurlements des vilaines, il avait du mal à se concentrer …

Pendant ce temps, les deux crustacées se réconfortaient comme elles le pouvaient. Mais l’angoisse du futur commençait à les prendre et c’était difficile de garder l’espoir. Chacune essayait bravement de ne pas effrayer davantage sa copine mais elles n’en menaient pas large. Le transport finit par s’arrêter. Qu’allait-il se passer maintenant ? Aucune d’elles ne pouvait imaginer la suite bien sûr. Tout à coup, Suzette sentit le sac se soulever et reprendre le balancement du début de cette affaire. Elle appela Bertille d’une voix implorante que personne n’entendait plus. Dans le noir, toute seule, coupée de tous ses repères, elle se sentit prise d’une indicible frayeur doublée d’un sentiment intense d’incapacité d’agir. Mais comme elle était assez courageuse pour une petite crevette, elle prit sur elle et se dit qu’elle n’avait plus qu’à attendre la suite. Elle pensa très fort à sa copine Bertille et à son copain Bernard, à leurs bons moments passés ensemble pour que le temps passe plus vite.

Bernard, quant à lui, avait repris le contrôle de lui-même depuis qu’un touriste avait emporté plusieurs mini-poupées de papier crépon. Le rire strident qui l’empêchait de se concentrer avait cessé brusquement et il pouvait maintenant essayer de trouver une solution. Il commença à faire le tour des possibilités qui s’offraient à lui. Non, il ne pouvait pas se déplacer ; non, il ne savait pas où ses amies avaient été emmenées ; non, elles ne reviendraient sans doute pas toutes seules : mais c’était à lui d’agir ! En se tortillant, il réussit à entrer en contact avec une élégante statuette africaine en bronze qui se trouvait près de la caisse. Elle ne parlait pas bien le français des crustacés mais il réussit à se faire comprendre. Elle parvint à lire sur le chèque, encore posé sur la grande table, l’adresse d’une des deux dames. Hourra ! Voilà déjà une précieuse information. Le temps passa et tous les jours, Bernard le bernard-l’ermite essayait d’imaginer comment il pourrait retrouver Suzette et Bertille. Mais le temps passait et il ne trouvait rien. Le luisant de son zinc se ternit, ses antennes s’abaissèrent un peu plus chaque jour jusqu’au moment où la statuette en bronze réussit à attirer son attention. Dans un langage des plus châtié, elle lui fit comprendre que les personnes qui étaient en train de repartir habitaient la même ville que les dames qui avaient emmené ses amies. Vite une idée, ils étaient presque sortis, il fallait se presser.

Il se passa lors quelque chose d’extra-ordinaire : la boutique entière se mobilisa pour aider Bernard à partir en même temps que ces touristes. Usant de toutes ses forces mentales, il sauta sur un collier qui se balança et le propulsa dans un panier de rotin qui roulant sur lui-même le fit atterrir dans une tasse. Cette tasse se renversa et l’envoya sur un chapeau de feutre bordeaux qui se mit à tourbillonner et l’éjecta à la toute fin dans le cabas de la dame au moment où celle-ci passait la porte. Un joyeux tintamarre salua le départ de Bernard en lui souhaitant bonne chance dans sa quête.
Le bernard-l’ermite clandestin vécu à son tour le trajet vers Paris sans être enfermé dans un sac en papier. A travers les mailles larges du filet, il put voir des paysages qu’il n’avait jamais imaginés et se disait qu’il aurait bien aimé partager ces moments avec ses amies. Ils arrivèrent à destination. En défaisant ses bagages, la femme vit un morceau de zinc ouvragé dépasser de son sac trouva et le drôle de coquillage. Elle appela son mari en le remerciant pour cette surprise. C’est le mari qui fut surpris et chacun se demanda si l’autre n’avait pas embarqué par mégarde ou par envie cet objet original. Mais bon, ils n’allaient pas retourner en Normandie pour rendre cette babiole, n’est-ce pas ? Ils s’habituèrent si bien à cette étrange bestiole qu’ils l’adoptèrent et la traitèrent avec beaucoup d’égards. Cela ne rendait pas à Bernard ses amies mais sa vie était des plus douces.

Noël pointa le bout de ses sapins et à leurs pieds, le mari d’une des dames et le fils de l’autre trouvèrent Suzette et Bertille. Ne sachant trop comment interpréter ces cadeaux, ils n’en firent pas grand-chose et profitèrent du premier vide-grenier pour essayer de s’en débarrasser. Suzette se retrouva donc sur un tréteau devant le domicile de son acheteuse et Bertille à l’autre bout de la rue sur une table de camping. Les deux demoiselles crustacées ne comprenaient rien de ce qui leur arrivait quand une main saisit Suzette en s’exclamant : « Regarde Charles, on dirait que cette crevette vient du même endroit que notre bernard-l’ermite ! … Combien la vendez-vous ? Cinquante centimes ? Charles, donne-moi cinquante centimes s’il te plait ! » Et la jolie petite crevette passa dans le cabas de la dame qui avait déjà, sans qu’elle le sache, convoyé le copain de la crevette. La même scène se reproduisit une demi-heure plus tard et Bertille se retrouva à son tour dans le même sac. Les deux copines n’en croyaient pas leur chance, elles se mélangèrent les antennes en signe d’allégresse.

Mais leur liesse ne connut pas de limite quand elles arrivèrent dans leur nouveau logis. Leurs acheteurs s’empressèrent de les placer à côté de leur passager clandestin devenu leur chouchou, sans imaginer une seule seconde qu’ils les rendaient à la vie en quelque sorte.
Et c’est ainsi que les trois amis se retrouvèrent, en grande partie grâce à la solidarité de la boutique d’artisanat d’art. Les deux bienfaiteurs qui avaient permis ces retrouvailles n’oublièrent d’ailleurs pas de passer à la boutique rembourser l’involontaire emprunt. Ils racontèrent comment ils étaient entrés en possession des deux autres figurines sans imaginer que tous les objets de la boutique buvaient leurs paroles. Ceux-ci comprirent que leurs efforts avaient porté leurs fruits et ce fut l’occasion à nouveau d’une grande réjouissance, à la nuit tombée, loin des regards des hommes.

Anne-Marie, le 3 novembre 2017, Saint Germain sur Ay

posted by anniedim in Les contes d'Anne-Marie and have No Comments

Plus de 350 cactus protégés saisis à Roissy

Plus de 350 cactus protégés saisis à Roissy

 

Il était une fois un jeune homme. Un jeune homme d’une trentaine d’année, de taille moyenne, de belle tournure. Ses yeux verts qui lui faisaient un regard parfois glaçant, mais il avait un visage si avenant que tout le monde lui donnait dix ans de moins, à son grand désespoir. Il avait sérieusement économisé sur ses derniers salaires et s’était offert un beau voyage en Birmanie, au Myanmar comme on dit maintenant.

Assis sur le siège dur d’une salle d’attente de l’aéroport international de Rangoon, il se remémorait les étapes de son séjour merveilleux. Les bonzes en rouge avec leurs cranes rasés, les femmes et petites filles toujours souriantes avec leurs disques de thanaka sur les joues pour les protéger du soleil. Les trajets en train ou en car qui lui avaient permis de déguster le paysage. Les pécheurs des lacs, debout dans leurs barques étroites lançant des filets ou des paniers, équilibristes se jouant de l’eau à l’aide de leurs perches. Les rizières, les montagnes, la brume, les temples, les pagodes, les banians immenses … il rapportait des photos et quelques vidéos mais les images étaient dans sa tête.

Les hauts parleurs de l’aéroport diffusaient leurs messages en flots ininterrompus, mélange d’anglais et de birman auquel il ne prêtait pas une grande attention. Puis vint l’heure de son embarquement. Attrapant son sac à dos de cabine, il s’apprêta à rejoindre son avion. Un petit homme pressé, de type européen le bouscula sans s‘excuser. « Pas grave, » se dit-il « il doit être en retard pour son vol. » L’embarquement se passa sans autre incident. Au changement de vol à Bangkok, il repéra le petit bonhomme, un peu plus loin dans la file. Les six cents passagers finirent de monter à bord de l’Airbus A380, prêts pour un long vol de plus de onze heures pour rejoindre Paris.  Il se retrouva à côté de l’incivil personnage ; onze heures à côté de lui, le vol s’annonçait mal.

Pourtant, son voisin, visage souriant lui tendit la main en se présentant : « Daniel Hermoni ». Sans méfiance, notre jeune homme se présenta à son tour. Tous deux revenant de Birmanie, ils évoquèrent leurs séjours respectifs pendant un long moment. La conversation était aimable et intéressante. Puis sans prévenir, le petit homme attrapa le poignet de notre héros. « Qu’est-ce qui sera le plus important pour toi quand on sera en France ? » lui demanda-t-il brusquement. « Tu veux l’argent, l’amour, la vie éternelle ? je peux te donner tout ce que tu veux. Il te suffit de signer ce parchemin de ton sang. » et il sorti de sa poche un parchemin craquelé. Le jeune homme, d’abord interloqué, et on le serait à moins, retira vivement son bras de l’emprise de l’autre. Il remarqua alors le sourire satanique de son voisin. Daniel, Hermoni, des noms d’anges déchus ! Il aurait dû se méfier mais il ne connaissait pas les textes anciens. Réagissant avec un temps de retard, il chercha à se lever pour mettre le plus de sièges possibles entre lui et ce personnage qu’il prenait pour un fou.

Seulement, ce fou n’était pas seulement fou, il était l’incarnation du Mal, recruteur de Lucifer, doté de pouvoirs effrayants. A petits pas, il se rapprocha de sa proie en essayant encore de l’amadouer. « Cela ne t’affaiblira pas, tu es en pleine santé et tu pourras obtenir tout ce dont tu as toujours rêvé. » Le jeune homme, ne comprenant toujours pas à qui il avait à faire, se mit à crier pour appeler hôtesses et stewards à sa rescousse. Voyant ces derniers arriver en nombre, le suppôt de Satan jeta un terrible sort en tonnant : « Par Lucifer, que les hommes de cet avion soient changés en cactus ! Que plus une femme ne les approche de peur de se piquer ! Et que les femmes de cet avion oublient ce qu’elles ont vu ici ! » Il reprit : « Ce sort durera ce que durent les sorts, l’éternité ! » Les hommes présents dans l’avion se transformèrent instantanément en cactus. Des grands, des petits, des moches, des beaux, des sphériques, des cylindriques, un monde de cactus. Le pilote et le co-pilote homme n’échappèrent pas à cette métamorphose. La co-pilote ne comprenait rien à ce qui se passait, comme la plupart des femmes dans l’avion. Où étaient passés ses collègues ?

Proche du cœur du drame, une courageuse jeune femme intervint alors que le sort concernant ces dames n’avait pas encore agi : « Par pitié, pas l’éternité : vous ne pouvez pas priver de son père l’enfant que j’attends ! » supplia-t-elle. Comment le démon de l’enfer entendit cette requête et fut pris d’une envie soudaine d’y accéder ? Nul ne sait ! sauf peut-être à savoir que les anges déchus sont connus pour aimer les humaines … il accepta donc de réduire notablement le sort : « Lorsqu’une femme acceptera d’embrasser un de ces cactus, à la descente de l’avion, le sort d’arrêtera ! Mais qu’à l’instant tous les cactus soient transportés en soute. »

Ainsi fût fait et les femmes oublièrent qu’il y avait eu d’autres hommes dans cet avion que ce petit bonhomme qui les regardait en souriant comme s’il se moquait d’elles. La co-pilote parvint sans peine à poser le géant des airs sur le tarmac de Roissy. Les bagagistes déchargèrent la soute et emmenèrent son contenu vers la douane. Les douaniers stupéfaits découvrir ainsi plus de 350 cactus d’espèces protégées. Personne ne savait comment ils avaient été placés en soute et ils ne parvinrent pas à retrouver leur propriétaire. Et pour cause !

Ne sachant trop quoi faire de cet encombrante forêt d’arbustes, les douaniers les entreposèrent dans un des salons VIP. La jeune femme enceinte que nous avons découverte dans l’avion, attendait là sa correspondance. Elle vit alors un cactus dont l’aspect l’intrigua. Pourquoi lui faisait-il penser à son compagnon disparu ? Nous ne les connaissons pas assez pour le deviner. Toujours est-il qu’elle s’approcha, les larmes aux yeux en pensant à son amour perdu.  Vous avez deviné la suite : elle posa un baiser sur le cactus. La forêt de cactus se transforma alors en une foule d’hommes éberlués, retrouvant leur humanité.

L’histoire ne dit pas ce dont les hommes se souvinrent. Mais on voit souvent dans l’aérogare de Roissy un jeune homme d’une trentaine d’année, de taille moyenne, de belle tournure, se diriger vers les portes d’embarquement pour le Mexique, pays des cactus !

 

Anne-Marie, 16/10/2016

Suite à l’atelier d’écriture des Rencontres du CRAP de 2016, je me suis prise au jeu d’écrire un conte à partir d’un titre de faits divers, sans aucun rapport avec l’article en question d’ailleurs … Pour ceux qui seraient intéressés, voici le lien : http://www.ouest-france.fr/faits-divers/trafic/plus-de-350-cactus-proteges-saisis-roissy-4492923

 

 

posted by anniedim in Les contes d'Anne-Marie and have No Comments

La petite tortue et le grand incendie

Il était une fois, au royaume des Chênes verts,  une petite tortue. Plus précisément une tortue d’Hermann, de ces tortues en voie d’extinction que l’on trouve encore dans deux lieux dans le monde et en particulier dans le maquis du royaume des Chênes verts. Cette petite tortue vivait sa vie de petite tortue dans les fourrés de la forêt de chênes verts, de pins parasol, de pins d’Alep et de chênes lièges. Elle se délectait de jeunes pousses mais aussi de cistes cotonneux, de lentisques odorants et autres plantes du sous-bois. Elle trouvait parfois de la marjolaine ou du romarin pour donner d’autres goûts. Elle était encore jeune, une trentaine d’années ; sa carapace s’ornait de petites tâches jaunes du plus bel effet, caractéristiques de cette espèce et elle était courtisée par les mâles des environs.

Elle vivait en bonne intelligence avec les autres animaux du maquis, les lièvres et les sangliers, les serpents de toutes sortes et les oiseaux bien sûr, sans parler des insectes et des gastéropodes ; même si elle trouvait que les cochons sauvages étaient de plus en plus nombreux et envahissants. Un jour, l’un d’eux, un chenapan, l’avait retournée en passant à toute vitesse et elle n’arrivait pas à se retrouver les quatre pattes sur terre. Cela l’avait occupée une bonne journée et elle avait bien cru sa dernière heure arrivée cette fois-là. C’est un autre sanglier qui l’avait aidée en fouissant la terre de son groin à côté d’elle. Elle s’était sentie propulsée à quelques pas mais cette fois-ci dans le bon sens. Comme elle était très polie et surtout très soulagée, elle avait tout de même remercié sans grommeler ce deuxième olibrius.

Mais bon, en général, tout ce monde était de bonne fréquentation et s’entendait correctement. Jusqu’aux hommes dont elle voyait les pattes de temps en temps. Elle connaissait chaque pouce de son territoire et pratiquement tous les animaux résidents ou de passage. Il faut bien reconnaitre que les terres explorées par la petite tortue étaient bien limitées, c’est qu’une tortue ne se déplace pas aussi vite que vous et moi …

Et voilà qu’un jour d’été, elle dégustait sans se presser de délicieuses feuilles de ciste ; a-t-on déjà vu d’ailleurs une tortue se presser ? Et voilà donc qu’un jour d’été, elle entendit le bruit d’une galopade effrénée. Elle avait beau tourner sa tête en tous sens, elle ne voyait rien de spécial pourtant ce bruit continuait et semblait faire trembler la terre. Elle percevait également une sorte de mugissement terrible dont elle ne comprenait pas la provenance. Il lui semblait également sentir une odeur inconnue, très désagréable. Mais que se passait-il donc ?

La galopade s’approchait, elle se tourna lentement vers d’où elle provenait. Le ciel s’était obscurci d’oiseaux s’enfuyant à tire d’ailes. Tout à coup, débouchèrent plusieurs hardes de sangliers, dont elle ne reconnaissait aucun membre. Des lièvres couraient aussi en sautant, évitant ainsi assez gracieusement de se retrouver au milieu des impressionnants fonceurs. Elle rentra précipitamment la tête et les pattes sous sa carapace pour écarter le danger d’être écrasée. Elle sentit quand même que certains lui marchaient dessus, l’enfonçant un peu dans la terre dure. Quand elle fut sûre que tous étaient passés, elle sortit la tête précautionneusement. Les serpents rampaient maintenant dans la même direction accompagnés par des insectes bruissants de panique. Mais que se passait-il donc ?

La petite tortue n’y comprenait rien. D’ailleurs, eût-elle voulu s’enfuir avec les autres animaux qu’elle ne l’aurait pas pu. Et elle commença à percevoir ce qu’il se passait tandis que les retardataires continuaient à passer autour d’elle, la contournant sans s’arrêter. Ses sens étaient sollicités à la fois  par une odeur effrayante et qui devenait suffocante, par un bruit de ronflement terrifiant accompagné des soupirs des arbres qui s’effondraient tordus dans des flammes jaunes et rouges, le tout dégageant une fumée épaisse et âcre. Le feu, c’était donc le feu que tous ces animaux fuyaient.

Dans un sentiment de panique, la petite tortue se rendit compte qu’elle ne pouvait rien faire. A part se réfugier dans sa carapace, car elle savait qu’elle ne pouvait pas déguerpir comme les autres animaux. Deux escargots étaient arrivés à côté d’elle, ils n’en pouvaient plus. Elle leur proposa de partager son abri relatif. Elle se recroquevilla autant que possible dans sa carapace et sentit que les deux petites bêtes se faufilaient à côté de ses pattes. Le bruit devenait assourdissant, l’odeur irrespirable et une chaleur sans nom commença à les entourer de ses tentacules, leur faisant sentir que leur mort était proche. Ils l’attendaient, acceptant leur sort funeste.

Tout à coup, alors qu’elle s’attendait à se faire lécher par les flammes dans une chaleur létale, la petite tortue ressentit un grand choc sur sa coque de protection. Les flammes cessèrent instantanément et elle se retrouvait flottant dans une mare de boue mêlant terre et cendres. L’eau fut vite avalée par le sol. Les deux escargots furent éjectés quand elle sortit la tête et les pattes. Prudemment, ils restèrent enfouis dans leurs coquilles tandis que la petite tortue regardait autour d’elle. Le feu avait été neutralisé par une brusque averse localisée à ses alentours. Mais il poursuivait sa course folle plus loin, dans un grondement qui s’éloignait.

La petite tortue n’en croyait pas sa chance. Parmi les ruines fumantes de ce qui avait été un maquis superbe, elle survivait. Elle n’osait pas trop bouger, toujours traumatisée par ce qui s’était passé. Les vapeurs l’aveuglaient encore, l’empêchant de respirer correctement mais elle vivait ! Plus tard, des pattes d’hommes passèrent près d’elle. Cuirassés dans des habits protecteurs, ils jetaient de l’eau par des sortes de serpents cracheurs sur les débris fumants. Ils continuèrent en s’avançant vers l’incendie qui continuait à faire rage.

Un long moment passa, sans aucun autre signe de vie sur cette terre dévastée. Jusqu’à ce qu’elle se sentit soulevée par des mains d’homme. Elle se retrouva dans un lieu totalement inconnu où d’autres tortues d’Hermann l’accueillir comme une héroïne en lui faisant fête.

Dans ce centre de protection des tortues d’Hermann, elle devint une attraction. Elle fut prise en photo d’innombrables fois et devint la référence de toutes les campagnes de lutte contre les incendies. Des gens vinrent de tout le royaume des Chênes verts pour admirer la rescapée d’un des plus grands feux de forêt. Ils prirent conscience de la disparition de milliers d’animaux dans ces catastrophes et commencèrent à prendre soin des alentours de leurs maisons.

C’est ainsi qu’au royaume des Chênes verts, les sous-bois sont dégagés, de grands pare-feux sont aménagés dans le maquis et par temps de grands vents, après une période de sécheresse, de nombreux guetteurs scrutent les forêts en prévenant du moindre départ de feu. La flotte d’avions Canadair, comme celui qui avait sauvé la vie de la petite tortue, a été renouvelée et agrandie. Moyennant quoi, il arrive que quelques départs de feu aient encore lieu au royaume de Chênes verts mais plus aucun grand incendie n’a décimé une population de tortues d’Hermann.

 

Anne-Marie, Sainte Maxime, le 28 juillet 2017

posted by anniedim in Les contes d'Anne-Marie and have No Comments

buy windows 11 pro test ediyorum