Approche simpliste des séries de Fourier

SÉRIES DE FOURIER

(une approche simple et pratique)

utilisation d’un simulateur

Quelle est la problématique des séries de Fourier ? Il s’agit de décomposer une fonction périodique de période T (et donc de fréquence  N = 1/T) en une somme des fonctions trigonométriques (c’est à dire des sinus et des cosinus) de fréquences N, 2N, 3N, …. En se référant au vocabulaire de l’acoustique, N est dite la fréquence fondamentale, 2N, 3N, 4N,… sont les harmoniques de cette fréquence fondamentale, chacune des harmoniques intervenant avec une intensité donnée. On appelle spectre de la fonction initiale, la suite formée par ces intensités d’harmoniques.

 Ce problème avait déjà été abordé dès le milieu du XVIIIème siècle par Daniel BERNOULLI, EULER, LAGRANGE et D’ALEMBERT, dans le cadre de l’étude des cordes vibrantes.. Mais il revient à FOURIER d’avoir vu là un outil tout à fait général qui sera ensuite amélioré et approfondi tout au long du XIXème et XXème siècle.

Sans rentrer dans des questions mathématiques plus délicates (on pourra consulter pour cela des ouvrages classiques d’analyse ou des dizaines de sites Internet) prenons un exemple très simple, voire caricatural.

Soit la fonction périodique de période 2, définie sur l’intervalle [-?, ?] par y = x/2.

en voici sa représentation graphique :

 

Le début de sa série de Fourier (les trois premiers termes) est:

 y = sin x –(1/2) sin 2x + (1/3) sin 3x

 où sin x correspond à la fondamentale et les deux termes suivants aux deux premières harmoniques, la première d’intensité -1/2, la seconde d’intensité 1/3. Il n’y a pas de termes en cosinus; Le début du spectre de cette fonction est donc :

 0; 1; 0; -1/2; 0; 1/3;…

(La présence des 0 signalant l’absence des termes en cosinus)

Les représentations graphiques superposées de la fonction initiale et du début de sa série de Fourier montre déjà une assez bonne approximation de la première par la seconde.


 

Deux remarques:

1°) Si au lieu de prendre les 3 premiers termes de la série de Fourier de notre fonction, nous avions pris les 5, les 10, les 20 premiers termes, nous aurions une approximation de plus en plus précise de la fonction (approximation étant ici à prendre dans un sens complètement intuitif)

 2°) Evidemment on peut se poser la question de savoir comment on trouve les coefficients qui forment le spectre. Les formules générales qui permettent de les calculer sont nettement plus techniques et sortent du cadre de cette approche très sommaire, sans outillage mathématique très élaboré.

a) La simulation proposée par le PhET

[Initialement le  projet s’est focalisé sur les simulations physiques, et a donc été nommé le projet *Ph*ysics *E*ducation *T*echnology, ou *PhET*. Lorsqu’il a bifurqué vers la chimie, la biologie, les mathématiques et autres domaines, il fut décidé de garder le nom de *PhET *, mais de ne plus le décrire comme un acronyme.]

 L’Université du Colorado propose dans le cadre du projet PhET des simulateurs de phénomènes physiques interactifs. Parmi de nombreuses simulations qui intéresseront à la fois les professeurs de sciences physiques, de chimie, de biologie, de mathématique, on trouve une simulation qui permet de manipuler les séries de Fourier et de créer des ondes à partir des harmoniques. Les concepteurs de la simulation lancent une invitation à l’internaute : « Apprenez à faire des ondes de toutes les formes différentes en ajoutant des sinus ou des cosinus. Faire des ondes dans l’espace et le temps et mesurer leurs longueurs d’onde et leurs périodes. Voyez comment changer les amplitudes des différentes harmoniques changent les ondes. Comparer les différentes expressions mathématiques de vos ondes. »

 Le module consacré spécifiquement aux séries de Fourier d’un volume de 1 368 Ko peut être exécuté en ligne ou se télécharger pour être exécuté hors connexion.

 Voici une capture d’écran correspondant aux données ci-dessus introduites dans le simulateur (cliquez sur l’image pour agrandir) :

 

b) La simulation proposée par l’Université de Nantes :

Pour les lecteurs français, adeptes du marché de proximité, nous les invitons à se rendre sur le site de l’université des sciences de Nantes qui développe un projet similaire à l’Université du Colorado et propose des simulations-expérimentations à partir de phénomènes physiques.

On y trouve ainsi une animation centrée sur les séries de Fourier dont nous proposons aussi ci-dessous une capture d’écran.

 

 

 

 

 

 

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Fourier et l’expédition d’Egypte

Fourier et l’expédition d’Égypte

Si Fourier ne fut pas seul a participer à l’expédition d’Égypte, il y joua un rôle non négligeable et il est légitime de l’associer à la publication du monumental ouvrage : Description de l’Egypte ou Recueil des observations et des recherches qui ont été faites en Egypte pendant l’expédition de l’armée française, publié entre 1821 et 1830.

 Arago dans son discours de 1833 s’étend longuement sur l’expédition d’Égypte et nous livre des détails précis. Il y rapporte que Fourier y fut secrétaire perpétuel de l’Institut d’Égypte créé dès le lendemain de la bataille des Pyramides.

« Sur les bords du Nil, Fourier se livrait à des recherches assidues sur presque toutes les branches des connaissances que comprenait le vaste cadre de l’Institut. La Décade et le Courrier de l’Égypte font connaître les titres de ses divers travaux. J’y remarque un mémoire sur la résolution générale des équations algébriques ; des recherches sur les méthodes d’élimination ; la démonstration d’un nouveau théorème d’algèbre ; un mémoire sur l’analyse indéterminée ; des études sur la mécanique générale ; un travail technique et historique sur l’aqueduc qui porte les eaux du Nil au château du Kaire ; des considérations sur les Oasis ; le plan de recherches statistiques à entreprendre sur l’état de l’Égypte ; le programme des explorations auxquelles on devrait se livrer sur l’emplacement de l’ancienne Memphis, et dans toute l’étendue des sépultures ; le tableau des révolutions et des mœurs de l’Égypte, depuis sa conquête par Sélim. »

« Je trouve encore, dans la Décade égyptienne, que le premier jour complémentaire de l’an VI, Fourier présenta à l’Institut la description d’une machine destinée à faciliter les irrigations, et qui devait être mue par la force du vent. nos généraux lui donnèrent des missions diplomatiques … Bonaparte chargea alors deux commissions nombreuses d’aller explorer dans ces régions reculées, une multitude de monuments dont les modernes soupçonnaient à peine l’existence, Fourier et Costaz furent les commandants de ces commissions … Les deux commissions savantes étudièrent avec un soin scrupuleux, le temple magnifique de l’ancienne Tentyris, et surtout les séries de signes astronomiques qui ont soulevé de nos jouis de si vifs débats ; les monuments remarquables de l’Ile mystérieuse et sacrée d’É1éphantine ; les ruines de Thèbes aux cent portes…

De retour en France, ses premières, ses plus constantes démarches eurent pour objet l’illustration de l’expédition mémorable dont il avait été un des membres les plus actifs et les plus utiles. L’idée de rassembler en un seul faisceau les travaux si variés de tous ses confrères, lui appartient incontestablement. J’en trouve la preuve dans une lettre, encore manuscrite, qu’il écrivit à Kléber, de Thèbes, le 20 vendémiaire an VII. Aucun acte public dans lequel il soit fait mention de ce grand monument littéraire, n’est d’une date antérieure. L’Institut du Kaire, en adoptant dès le mois de frimaire an VIII le projet d’un ouvrage d’Égypte, confiait à Fourier le soin d’en réunir les éléments épars, de les coordonner, et de rédiger l’introduction générale.

Cette introduction a été publiée sous le titre de Préface historique. Fontanes y voyait réunies les grâces d’Athènes et la sagesse de l’Égypte. …Napoléon aurait donc participé par des avis, par des conseils, ou, si l’on veut, par des ordres impératifs, à la composition du discours de Fourier. Ce qui naguère n’était qu’une conjecture plausible est devenu maintenant un fait incontestable. Grâce à la complaisance de M. Champollion-Figeac, je tenais ces jours derniers dans mes mains, quelques parties des premières épreuves de la préface historique. Ces épreuves furent remises à l’Empereur, qui voulut en prendre connaissance à tête reposée avant de les lire avec Fourier. Elles sont couvertes de notes marginales, et les additions qui en ont été la conséquence s’élèvent à près du tiers de l’étendue du discours primitif. Sur ces feuilles, comme dans l’œuvre définitive livrée au public, on remarque l’absence complète de noms propres : il n’y a d’exception que pour les trois généraux en chef. Ainsi Fourier s’était imposé lui-même la réserve que certaines vanités ont tant blâmée. J’ajouterai que nulle part, sur les épreuves si précieuses de M. Champollion, on n’aperçoit de traces des misérables sentiments de jalousie qu’on a prêtés à Napoléon. Il est vrai qu’en montrant du doigt le mot illustre appliqué à Kléber, l’Empereur dit à notre confrère: QUELQU’UN m’a fait remarquer CETTE ÉPITHÈTE ; mais après une petite pause il ajouta : Il est convenu que vous la laisserez, car elle est juste et bien méritée. Ces paroles, Messieurs, honoraient encore moins le monarque qu’elles ne flétrissaient dans le quelqu’un, que je regrette de ne pouvoir désigner autrement, ces vils courtisans, dont toute la vie se passe à épier les faiblesses, les mauvaises passions de leurs maîtres, afin de sen faire le marchepied qui doit les conduire aux honneurs et à la fortune ! »

 Les planches de Description de l’Egypte :

Trois sites permettent d’avoir accès aux remarquables planches de la Description de l’Égypte. L’un est une réalisation du Centre de recherche en informatique de MINES ParisTech. Il présente des reproductions l’ouvrage.  http://description-egypte.org/

L’autre, en anglais, est présenté par la bibliothèque d’Alexandrie : http://descegy.bibalex.org/

On retrouve un lien vers ses mêmes illustrations depuis le site de la bibliothèque numérique mondiale à la page http://www.wdl.org/fr/item/80/

L’intégralité de l’œuvre Description de l’Egypte 

Pour un accès à l’intégralité de l’œuvre Description de l’Égypte, c’est vers Gallica qu’ il convient de se tourner (signalons que la Bibliothèque municipale d’Auxerre, possède un exemplaire de l’ouvrage) :

Description de l’Egypte ou Recueil des observations et des recherches qui ont été faites en Egypte pendant l’expédition de l’armée française. Tome 1 / [par Edme- François Jomard… et al.] -impr. de C.-L.-F. Panckoucke (Paris)-1821-1830

 

Description de l’Egypte ou Recueil des observations et des recherches qui ont été faites en Egypte pendant l’expédition de l’armée française. Tome 2 / [par Edme- François Jomard… et al.] -impr. de C.-L.-F. Panckoucke (Paris)-1821-1830

 

Description de l’Egypte ou Recueil des observations et des recherches qui ont été faites en Egypte pendant l’expédition de l’armée française. Tome 3 / [par Edme- François Jomard… et al.] -impr. de C.-L.-F. Panckoucke (Paris)-1821-1830

 

Description de l’Egypte ou Recueil des observations et des recherches qui ont été faites en Egypte pendant l’expédition de l’armée française. Tome 4 / [par Edme- François Jomard… et al.] -impr. de C.-L.-F. Panckoucke (Paris)-1821-1830

 

Description de l’Egypte ou Recueil des observations et des recherches qui ont été faites en Egypte pendant l’expédition de l’armée française. Tome 5 / [par Edme- François Jomard… et al.] -impr. de C.-L.-F. Panckoucke (Paris)-1821-1830

 

Description de l’Egypte ou Recueil des observations et des recherches qui ont été faites en Egypte pendant l’expédition de l’armée française. Tome 6 / [par Edme- François Jomard… et al.] -impr. de C.-L.-F. Panckoucke (Paris)-1821-1830

 

Description de l’Egypte ou Recueil des observations et des recherches qui ont été faites en Egypte pendant l’expédition de l’armée française. Tome 7 / [par Edme- François Jomard… et al.] -impr. de C.-L.-F. Panckoucke (Paris)-1821-1830

 

Description de l’Egypte ou Recueil des observations et des recherches qui ont été faites en Egypte pendant l’expédition de l’armée française. Tome 8 / [par Edme- François Jomard… et al.] -impr. de C.-L.-F. Panckoucke (Paris)-1821-1830

 

Description de l’Egypte ou Recueil des observations et des recherches qui ont été faites en Egypte pendant l’expédition de l’armée française. Tome 9 / [par Edme- François Jomard… et al.] -impr. de C.-L.-F. Panckoucke (Paris)-1821-1830

 

Description de l’Egypte ou Recueil des observations et des recherches qui ont été faites en Egypte pendant l’expédition de l’armée française. Tome 10 / [par Edme- François Jomard… et al.] -impr. de C.-L.-F. Panckoucke (Paris)-1821-1830

 

Description de l’Egypte ou Recueil des observations et des recherches qui ont été faites en Egypte pendant l’expédition de l’armée française. Tome 11 / [par Edme- François Jomard… et al.] -impr. de C.-L.-F. Panckoucke (Paris)-1821-1830

 

Description de l’Egypte ou Recueil des observations et des recherches qui ont été faites en Egypte pendant l’expédition de l’armée française. Tome 12 / [par Edme- François Jomard… et al.] -impr. de C.-L.-F. Panckoucke (Paris)-1821-1830

 

Description de l’Egypte ou Recueil des observations et des recherches qui ont été faites en Egypte pendant l’expédition de l’armée française. Tome 13 / [par Edme- François Jomard… et al.] -impr. de C.-L.-F. Panckoucke (Paris)-1821-1830

 

Description de l’Egypte ou Recueil des observations et des recherches qui ont été faites en Egypte pendant l’expédition de l’armée française. Tome 14 / [par Edme- François Jomard… et al.] -impr. de C.-L.-F. Panckoucke (Paris)-1821-1830

 

Description de l’Egypte ou Recueil des observations et des recherches qui ont été faites en Egypte pendant l’expédition de l’armée française. Tome 15 / [par Edme- François Jomard… et al.] -impr. de C.-L.-F. Panckoucke (Paris)-1821-1830

 

Description de l’Egypte ou Recueil des observations et des recherches qui ont été faites en Egypte pendant l’expédition de l’armée française. Tome 16 / [par Edme- François Jomard… et al.] -impr. de C.-L.-F. Panckoucke (Paris)-1821-1830

 

Description de l’Egypte ou Recueil des observations et des recherches qui ont été faites en Egypte pendant l’expédition de l’armée française. Tome 17 / [par Edme- François Jomard… et al.] -impr. de C.-L.-F. Panckoucke (Paris)-1821-1830

 

Description de l’Egypte ou Recueil des observations et des recherches qui ont été faites en Egypte pendant l’expédition de l’armée française. Tome 18 / Partie 1 / [par Edme- François Jomard… et al.] -impr. de C.-L.-F. Panckoucke (Paris)-1821-1830 

 

Description de l’Egypte ou Recueil des observations et des recherches qui ont été faites en Egypte pendant l’expédition de l’armée française. Tome 18 / Partie 2 / [par Edme- François Jomard… et al.] -impr. de C.-L.-F. Panckoucke (Paris)-1821-1830 

 

Description de l’Egypte ou Recueil des observations et des recherches qui ont été faites en Egypte pendant l’expédition de l’armée française. Tome 18 / Partie 3 / [par Edme- François Jomard… et al.] -impr. de C.-L.-F. Panckoucke (Paris)-1821-1830 

 

Description de l’Egypte ou Recueil des observations et des recherches qui ont été faites en Egypte pendant l’expédition de l’armée française. Tome 19 / [par Edme- François Jomard… et al.] -impr. de C.-L.-F. Panckoucke (Paris)-1821-1830

 

Description de l’Egypte ou Recueil des observations et des recherches qui ont été faites en Egypte pendant l’expédition de l’armée française. Tome 20 / [par Edme- François Jomard… et al.] -impr. de C.-L.-F. Panckoucke (Paris)-1821-1830

 

Description de l’Egypte ou Recueil des observations et des recherches qui ont été faites en Egypte pendant l’expédition de l’armée française. Tome 21 / [par Edme- François Jomard… et al.] -impr. de C.-L.-F. Panckoucke (Paris)-1821-1830

 

Description de l’Egypte ou Recueil des observations et des recherches qui ont été faites en Egypte pendant l’expédition de l’armée française. Tome 22 / [par Edme- François Jomard… et al.] -impr. de C.-L.-F. Panckoucke (Paris)-1821-1830

 

Description de l’Egypte ou Recueil des observations et des recherches qui ont été faites en Egypte pendant l’expédition de l’armée française. Tome 23 / [par Edme- François Jomard… et al.] -impr. de C.-L.-F. Panckoucke (Paris)-1821-1830

 

Description de l’Egypte ou Recueil des observations et des recherches qui ont été faites en Egypte pendant l’expédition de l’armée française. Tome 24 / [par Edme- François Jomard… et al.] -impr. de C.-L.-F. Panckoucke (Paris)-1821-1830

 

 

 

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Prosper Vedrenne

Présentation de Fourier, par Prosper Vedrenne, dans son ouvrage

sur les Fauteuils de l’Académie française

FOURIER

Né en 1768, académicien en 1827, mort en 1830

Le baron Jean-Baptiste Fourier est un des plus grands mathématiciens de ce siècle, peut-être le plus grand de tous. Son nom rappelle la théorie analytique de la chaleur qu’il a inventée et qui lui donne une place parmi les hommes les plus éminents dans les sciences positives et les découvertes précieuses. « Supposez, dit M. Cousin, l’histoire la plus abrégée des sciences physiques et mathématiques où il n’y aurait place que pour les plus grandes découvertes, la théorie mathématique de la chaleur soutiendrait le nom de Fourier parmi le petit nombre des noms illustres qui surnageraient dans une pareille histoire. Fourier n’a pas seulement perfectionné une science, il en a inventé une, et, en même temps, il l’a presque achevée, et il n’avait pas devant lui plusieurs générations d’hommes supérieurs, Newton à leur tête ; il est en quelque sorte le Newton de cette importante partie du système du monde. »

 Toute la vie de Fourier et toute sa gloire sont là. En 1806, l’Institut ayant proposé la question de déterminer les lois de la propagation de la chaleur dans les corps solides, Fourier créa pour résoudre ce problème en l’agrandissant encore des méthodes entièrement nouvelles ; il les vérifia par des expériences extrêmement curieuses, faites avec les instruments les plus précis dont on eût encore fait usage et donna en 1807 une solution complète de la question proposée. Elle obtint le prix et plaça l’auteur au nombre des hommes rares qui savent prouver, quelque illustres qu’aient été leurs prédécesseurs, que le génie peut toujours faire faire un progrès à la science. En 1820, après douze ans de nouvelles études, il ajouta à ses découvertes la solution d’une nouvelle question et plus difficile encore touchant le même sujet. Elle consiste à former les équations différentielles qui expriment la distribution de la chaleur dans les liquides en mouvement, lorsque toutes les molécules sont déplacées par des forces quelconques, combinées avec les changements de température. Ces équations appartiennent à l’hydrodynamique générale et l’on doit à M. Fourier d’avoir complété cette branche de la mécanique analytique.

 En 1822, ce grand géomètre livra au monde savant son bel ouvrage intitulé : Théorie analytique de la chaleur. Le discours préliminaire suffirait seul pour mettre M. Fourier au nombre des géomètres philosophes auxquels il appartient d’arracher à la nature quelques-uns de ses secrets les plus cachés. Ses principes sont déduits, comme ceux de la mécanique rationnelle, d’un très petit nombre de faits primordiaux dont les géomètres ne considèrent point la cause, mais qu’ils admettent comme résultat des observations communes et confirmées par toutes les expériences. Les principaux résultats de cette théorie, ainsi qu’on l’a dit, sont les équations différentielles du mouvement de la chaleur dans les corps liquides ou solides et l’équation générale qui se rapporte à la surface. Ces équations, comme celles qui expriment les vibrations des corps sonores ou les dernières oscillations des liquides, appartiennent à une des branches de la science du calcul les plus récemment découvertes et qu’il importait beaucoup de perfectionner. Après avoir établi ces équations différentielles il fallait en obtenir les intégrales, ce qui consiste à passer d’une expression commune à une solution propre assujettie à toutes les solutions données. Celle recherche difficile supposait une analyse spéciale que M. Fourier a créée et qui est fondée sur des théorèmes nouveaux. Il suffira de dire que la méthode qui en dérive ne laisse rien de vague ni d’indéterminé dans les solutions, qu’elle les conduit jusqu’aux dernières applications numériques, condition nécessaire de toute recherche et sans laquelle on n’arriverait qu’à des transformations inutiles.

 Il est digne de remarque que ces mêmes théories s’appliquent à des questions d’analyse générale et de dynamique dont on désirait depuis longtemps la solution. On peut facilement juger de quelle importance doit être cette théorie toute nouvelle pour les sciences physiques et pour l’économie civile, et quelle peut être son heureuse influence sur les progrès des arts qui exigent l’emploi et la distribution du feu. En général, et c’est ici un des caractères de son génie, M. Fourier, dans toutes ses recherches, se propose toujours d’en déduire de nouveaux avantages pour la société. La théorie de la chaleur a aussi une relation avec le système du monde. Un ordre de phénomènes très important s’accomplissent dans ce système par suite des lois de la distribution de la chaleur. Pourquoi les températures terrestres cessent-elles d’être variables à une profondeur si petite par rapport au rayon du globe ? Quel temps a dû s’écouler pour que les climats pussent acquérir les températures diverses qu’ils conservent aujourd’hui et quelles causes peuvent faire varier leur chaleur moyenne ? Indépendamment des deux sources de chaleur pour notre globe, l’une intrinsèque et primitive, l’autre due à l’action du soleil, n’y a-t-il pas une cause plus universelle qui détermine la température du ciel dans la partie de l’espace qu’occupe le système solaire ? Comment pourrait-on déterminer cette valeur constante de la température de l’espace et en déduire ce qui convient à chaque planète ? Si nous ajoutons à ces questions principales celles qui dépendent des propriétés de la chaleur rayonnante et plusieurs autres non moins importantes, nous nous formerons une idée de l’ensemble des conceptions de ce savant écrivain, et nous entreverrons les données qu’il fournit à l’esprit de l’homme, même au-delà de la sphère déjà si vaste de toutes les sciences positives. La critique historique et chronologique, la théologie, la philosophie, n’étaient pas moins intéressées à ses prodigieux travaux que la physique, l’astronomie, la géologie et les autres sciences naturelles.

 Tant de génie, une contemplation si sereine et si lumineuse des lois les plus sublimes de la nature ne peuvent se concevoir sans un vif sentiment du grand et du beau ; un tel homme ne pouvait être dépourvu de ces aspirations exaltées vers l’infini, de cette harmonie naturelle de l’imagination et du langage qui constituent le poète et l’orateur. Sans faire profession de cultiver les lettres et les arts, M. Fourier a montré dans quelques occasions qu’il y était admirablement propre et qu’il aurait eu, en s’y appliquant, les plus beaux succès. Le général Bonaparte l’ayant amené en Egypte avec d’autres savants attachés à sa suite, cet incomparable géomètre eut plusieurs fois occasion de faire admirer à toute l’armée son étonnante éloquence. On le pria de prononcer l’éloge de Kléber peu de jours après que le fer d’un fanatique assassin l’avait frappé au milieu de ses victoires. Du haut d’un bastion naguère enlevé par nos armes, M. Fourier célébra en face-des légions victorieuses la gloire du héros d’Héliopolis et de Maëstricht. Quand il fit entendre ces mots : « Je vous prends à témoin, intrépide cavalerie qui accourûtes pour le sauver sur les hauteurs de Coraïm », l’armée se troubla en agitant ses étendards et l’orateur partageant la douleur commune s’arrêta interrompu par le bruit des armes et le frémissement des soldats en pleurs.

 Pourquoi faut-il, avec ces aptitudes prodigieuses pour la science, et ce génie de découvertes, que M. Fourier ait voulu avoir une histoire politique ? La politique a été la passion de tous les hommes éminents de notre époque, et en même temps leur malheur. Les plus heureux favoris des muses, lès rois de l’éloquence et de la poésie ont abandonné leur sceptre d’or et le temple du génie où ils régnaient pour se mêler aux luttes des partis et s’y amoindrir de toute la part de leur temps et de leur génie qu’ils y ont perdus. Chateaubriand, Lamartine, Lamennais, Victor Hugo, Villemain, Salvandy, Cousin, Arago, tous ceux enfin qui brillaient au premier rang parmi les littérateurs et les savants, ont laissé la plume et la lyre pour entrer dans l’arène des passions. Tous y ont dépensé leur génie et compromis leur gloire. Estimant l’écharpe et les galons plus beaux que leur couronne de laurier, quand tout un peuple admirait leur puissance, ils ont cessé de chanter pour discuter à la tribune, ou pour administrer et gouverner. C’est la manie de notre temps. En ces tristes jours, Racine serait sous-préfet, Descartes solliciterait un portefeuille.

 Fourier n’a pas échappé à ce triste mal. Né à Auxerre en 1768, il fut élevé d’abord à l’école militaire, puis employé très jeune par les Bénédictins de Saint Maur, qui lui confièrent dans leur collège une chaire de mathématiques. La Révolution étant arrivée, Fourier en embrassa vivement les principes sans toutefois en approuver les forfaits ; aussi, après avoir été membre d’un comité de surveillance, fut-il proscrit comme modéré et plusieurs fois emprisonné et relâché parles jacobins ; Bonaparte, qui l’avait amené en Egypte où ses travaux devaient encore intéresser la science, le fit préfet à son retour. Heureusement pour lui et pour tous, la Restauration lui ôta cette place et le rendit à ses travaux qui le firent connaître au monde et entrer à l’Académie des sciences dont il devint secrétaire perpétuel. Ses éloges de Herschel, de Delambre et de Breguet lui ouvrirent en 1827 les portes de l’Académie française, où il aimait à se trouver avec les premiers littérateurs contemporains. Il mourut un mois avant la révolution de 1830. Depuis longtemps déjà il travaillait avec beaucoup de peine, à cause de sa mauvaise santé, usée par des veilles continuelles. Louis XVIII et Charles X, qui au début de la Restauration l’avaient traité avec une défiance facile à comprendre, n’étaient restés que fort peu de temps dans ces dispositions envers lui. Il jouissait de toute leur faveur depuis 1818, et il n’y était pas insensible. Napoléon Ier, en 1807, lui avait donné des lettres de noblesse avec le titre de baron.

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Fourier, géomètre

Fourier, géomètre

analyse sommaire de la cote XIX des manuscrits de Joseph Fourier

Le site Gallica de la Bibliothèque nationale de France a mis en ligne des manuscrits de Joseph Fourier, soit 17 cotes (18 en y incluant la correspondance avec Sophie Germain) dont la logique de numérotation ne nous apparaît pas encore clairement. Un rapide coup d’œil au contenu de la cote que nous analysons ci-dessous permet d’imaginer la provenance des fonds : il semble s’agir de notes, de brouillons, ramassés après le décès de Fourier, classés et segmentés par l’archiviste, mais pas nécessairement mis en ordre.

Afin de permettre un travail ultérieur éventuel sur le contenu de ces papiers, il convient d’indexer les vues, on verra ci-dessous le relevé en cours de cette cote (première dans l’ordre d’apparition à l’écran).

Collection des papiers du mathématicien FOURIER. XIX Recherches de géométrie–1801-1900 , 104 vues

/lecture incertaine, proposition à confirmer/

Vue 1- FR 22,519

Vue 2 et 3 – (vides)

4-(titre) Fourier XIX ; Recherches de Géométrie

5 à 7 -(vides)

8-Principes de la géométrie

Le volume est une partie de l’espace

La surface est le terme du volume, elle sépare deux parties contiguës de l’espace

La ligne est le terme de la surface elle est commune à deux surfaces contiguës.

Le point est ce qui sépare deux parties d’une même ligne il est le terme à chacune de ces parties. /3 lignes rayées/

Si deux points a et b d’un volume peuvent coïncider par la superposition avec deux points a’ et b’ d’un autre volume on exprime cette relation en /disant/ que la distance ab est la même que la distance a’b’. Cette notion de l’équidistance ne dépend aucunement de la nature de la ligne qui joint les points a et b du premier volume ni de la nature de la ligne qui joint les points a’b’ du second. L’équidistance ne dépend que de la possibilité de /superposer/ les points a’ et b’ lorsque les points a et b sont superposés.

Si l’on considère dans l’espace un point fixe A et si on considère tous les points m m’ m’’ m’’’ etc  tels que les distances Am  Am’ Am’’ Am’’’ etc sont égales ces points m m’ m’’ m’’’ etc forment la surface sphérique. Cette surface termine la sphère. A est le centre.

Si l’on marque dans l’espace deux points A et B et si l’on considère tous les points m m’ m’’ m’’’ etc  tels que la distance Am est égale à la distance à Bm, la distance Am’ est égale à la distance Bm’ ainsi de même pour tous les points m m’ m’’ m’’’ etc  la suite de tous les points forment le plan

A et B sont la …. Du plan.

Si ayant marqué sur un plan deux points A et B on considère tous les points m m’ m’’ m’’’ etc dont chacun est tellement situé que la distance Am est égale à la distance Bm et que les distances sont de même ….. pour les autres points m m’ m’’ m’’’ etc  la droite de ces points est la ligne droite les mêmes A et B peuvent être rangé de ….. les petites de ceseee droite m m’ m’’ m’’’ etc  /… Les surfaces inter…. m m’ m’’ m’’’ etc et M M’ M’’ M’’’ etc et qui ont le même centre A ont deux rayons de même étant aucun point commun la plus petite est ceux qui ont grand est Am’ la droite qui le ran AM est plus grande le re Am/

Le triangle rectiligne est formé de trois droites que dirigent les points ABC

 9-(vide) nombreux versos blancs

10- (folio 4) La géométrie considère l’espace elle en suppose la notion chaque partie de l’espace à une figure on se représente ces parties de l’espace que l’on appellent solides pouvant changer de lieu en conservant leur figure.[1]

On peut toujours  concevoir qu’un solide est compris de deux/ …./ surface ce qui sépare ces deux solides contigus la surface termine le solide c’est à dire qu’elle sépare l’espace dans lequel il est placé. Tout ce qui dans l’espace est commun à deux surfaces différentes se nomment lignes

c’est à dire que lorsque deux surface se rencontrent leur intersection est une ligne

et comme une surface peut toujours être composée de deux centres la ligne sépare les deux surfaces contiguës et termine chacune d’elles quelconque. Une ligne peut être regardée comme étant composée de deux autres.

Ce qui sépare ces deux parties d’une ligne se nomme point.

Lorsque la ligne est terminée, sont extrémité est un point.

Lorsque deux lignes se rencontrent leur intersection est un point.

La superposition des figures est le fondement de la géométrie

Deux figures sont égales lorsqu’on peut les superposer.

Lorsqu’une figure est posée sur une autre ont dit que les points que tombent l’un sur l’autre sont à égale distance ainsi si deux points A et B d’une figure s’appliquent lors de la superposition sur deux points a et b on dit que les deux premiers sont aussi distants que les deux seconds.

Si on marque deux points de l’espace et que l’on prenne tous les points également distants de ces deux points on aura un plan.

Su sur un plan on marque deux points et que l’on prenne tous les points également distants de ces deux premiers on aura une ligne droite.

Tous les points aussi distants les uns que les autres d’un point fixe formant une surface qui termine la sphère

Tous les points pris sur un plan a égale distance d’un point du plan forment une circonférence qui termine le cercle.

11- (verso couvert de calculs littéraux, apparemment sans lien avec le recto, commençant par : )

z²dr = fgdt

dz² +z²dr²/dr² + 2?Pdz=g²

….

12 – Notes sur les développées de lignes courbes

Un polygone d’un nombre indéfini de côtés représente d’autant plus exactement une ligne courbe que la valeur de chaque côté est plus petite en sorte que la ligne courbe est la limite d’une suite de polygones variables. C’est pour cette raison qu’on aperçoit les propriétés des lignes courbes en recherchant celles des polygones et déterminant ce que deviennent ces propriétés des polygones à mesure que le nombre de côtés devient plus grand et la valeur de chaque côté plus petite.

Si chaque polygone que l’on considère n’a point tous les côtés dans le même plan, les propriétés des limites seront celles des lignes courbes à double courbure.

Supposons que sur une ligne courbe on marque divers points successifs m m’ m’’ m’’’ etc en sorte que l’arc se trouve divisé entre un certain nombre de parties que l’on tire les cordes mm’ m’m’’ m’’m’’’  etc on formera un polygone inscrit dans la courbe. Si l’on prend le milieu de chaque arc tel que mm’ et que l’autre les cordes successives on formera un second polygone inscrit. Si l’on continue à sous diviser les cordes, on formera un troisième polygone  la figure de l’un de ces polygones et approche d’autant plus d’être celle de la ligne courbe que le nombre de côtés est plus grand. Or on va reconnaître des propriétés qui appartiennent à l’un quelconque de ces polygones et on en conclura qu’elles appartiennent aussi à la courbe.

On aurait pu faire varier la suite des polygones inscrits autrement qu’en divisant les arcs en parties égales et cette loi de la variation du polygone est absolument arbitraire.

On peut remarque qu’un polygone dont les côtés ne sont point dans un même plan est affecté de deux fluxions. Chaque côté faisant avec le suivant un certain angle on peut considérer séparément la suite de ces///////// en déterminant comment le contour de polygone fléchi et si l’on ajoute successivement tous ces angles la somme pourra indiquer combien tout le contour a été fléchi jusqu’au point ou l’on s’arrête on appellera cette somme la mesure de la flexion du contour.

Si l’on prolonge chaque côté du polygone dans le même sens on  aura la suite de tangente qui d’un côté s’éloigneront indéfiniment du polygone et de l’autre viendront toutes aboutir à cette courbe. Deux tangentes consécutives sont dans un même plan puisqu’elles se coupent mais le plan d’une troisième tangente et de la seconde ne sera pas le même que le plan de la seconde tangente et de la première. On appellera plan memendeur celui qui passe entre les deux tangentes …..

13 (suite de la vue 12)

14- notes sur les développées

On formera ainsi sur le polyhèdre un polygone que l’on pourra considérer comme la ligne développante du polygone proposé si l’on …. Que le polyhèdre est développé et qu’il porte la trace du polygone développé il est aisé de voir que le développement du polyhèdre portera aussi la trace de la développante que sera comise sur le plan de la même manière que nous avons décrété ci-dessus.

Soit S l’arc d’une ligne courbe depuis un npoint donné M jusqu’au point m

…..

15- (suite de la vue 14)

16- Notes sur les développées

Ce plan osculateur fera avec le premier plan osculateur de la développée un angle ……

17- (vide)

18- La géométrie considère les noms des figures tracées dans l’espace
Le volume est une partie de l’espace.

Lorsqu’un volume est divisé en deux parties, ce qui est commun à ces deux parties ……

19- Le triangle rectiligne est formé de trois droites dont chacune coupe deux autres il est facile de conclure des définitions précédentes et il est d’ailleurs rigoureusement prouvé dans la géométrie des grecs que dans un triangle rectiligne un côté quelconque est moindre que la somme des deux autres ; nous omettons ici pour plus de brièveté la démonstration de cette proposition qui n’est nullement fondée sur la propriété qu’a la ligne droite d’être la plus courte des lignes tracées entre deux points cette dernière proposition se démontre comme /étant/   soit une ligne quelconque a m m’m’’m’’’m’’’’….b tracée entre les deux extrémités a et b pour  se former une notion exacte de la longueur de cette ligne on marque sur la ligne a m m’m’’m’’’m’’’’….b différents points m m’ m’’ m’’’ etc et ensuite tracé une ligne droite indéfinie ? ? ? etc on porte sur cette droite la distance ? m de ? en m puis on porte la distance mm’ sur la même droite ? ? ? de m en m’ puis la distance m’m’’ de m’ en m’’ puis la distance m’’ m’’’ ainsi de suite jusqu’à ce qu’on  arrive au point b cette première opération donne un premier résultat qui est la somme des distance am mm’ m’m’’ m’’m’’’…. après cette première opération il faut concevoir que l’on a marqué un point p entre a et m à égale distance de a et de m et de m un point p’ entre m et m’ à égale distance de m et de m’ un point p’’ entre m’ et m’’ à égale distance de m’ et m’’ ainsi de suite ; ayant marqué ces points intermédiaires p’ p’’ p’’’ etc on fait une seconde opération semblable à la première et qui en diffère seulement en ce que les points

20-(folioté 3e) qui terminent les distances partielles sont moins distants de l’un à l’autre qu’ils n’étaient auparavant il faut ensuite marquer dans chaque intervalle ap pm mp’ p’m’ etc sur la ligne dont on veut mesure la longueur des points intermédiaires v v’ v’’ v’’’ etc dont chacun est à égale distance des deux extrémités de l’intervalle  enfin /et ponce/ sur la droite indéfinie a…b les distances /partiera/ av vp pm mv’ v’p’ p’m’ etc enfin il faut concevoir que des équations conventions semblables se succèdent continuellement et que l’on porte toujours sur la droite indéfinie a….b la somme des distances partielles marquées sur la ligne dont on veut mesurer la longueur. Cela posé il est facile de prouver 1° que chaque nouvelle opération augmentera la somme des distances partielles marquées sur la droite 2° que cette somme des distance partielles ne pourra jamais devenir plus grande qu’une certaine longueur déterminée /aB/ portée sur la droite de ce côté au contraire, la somme des distances partielles portées sur la droite sera toujours plus petite que cette longueur déterminée aB donc cette somme des distances partielles qui augmente continuellement à mesure que le nombre des opérations augmente s’approchera de plus en plus d’une certaine grandeur fixe aB’ qu’elle ne pourra point outrepasser et elle en pourra différer d’une quantité ? qui deviendra moindre que toute grandeur donnée si l’on augmente continuellement le nombre des opérations c’est cette limite aB’ qui est la mesure exacte de la longueur de la ligne courbe amm’m’’m’’’… Il est nécessaire d’introduire cette notion de limite dès l’origine même de la géométrie des courbes à défaut de cette notion il est impossible de se former une idée exacte de la longueur d’une ligne courbe. On ne pourrait donc pas sans avoir établi cette notion concevoir le véritable sens de cette proposition que la ligne droite est la plus courte de toutes celles que l’on peut tracer entre deux points. Il serait encore plus contraire à une théorie exacte de supposer cette propriété comme pouvant servir de fondement à la définition de la ligne droite après avoir donné une définition exacte de la longueur d’une ligne quelconque tracée entre deux extrémités a et b, il est facile de prouver rigoureusement que la ligne droite est plus courte qu’aucune de /cone/ qui n’étant pas une ligne droite joint les deux points a et b. En effet supposons que la ligne droite ab tracée entre les deux points a et b et que l’on substitue à une partie quelconque de cette droite une partie différente de la ligne droite et qui s’en /centre/ d’une manière quelconque dans un intervalle ?B la ,portion ?pq r s B sera plus longue que la partie droite ?B qu’elle remplace /en cet endroit/ de longueur /zaux/ a lieu fait que la partie substituée soit formée de deux droites ?mmB formant un angle au point m et sur cette partie ?mmB soit formée de plusieurs lignes droites soit  et à plus forte raison que la partie substituée soit une ligne courbe ?pq r s B

donc on ne peut faire aucun changement dans une partie quelconque de la ligne droite tracée et l’écarter de cette droite d’une manière quelconque sans augmenter sa longueur donc la droite ab est une ligne unique plus courte qu’aucune de celles que ne seraient pas entièrement droite et qui joindraient les deux extrémités a et b . q e d (fin)

21- Il est facile de conclure des discussions précédentes et il est d’ailleurs rigoureusement prouvé dans la géométrie des grecs qu’une /ligne/ quelconque AB est moindre que la somme des deux autres AC et CB nous omettons sur ……. De brièveté de démontrer ceci.

Parse pern ;;;; qui est  …..ement fondée … propriété que la ligne droite serait les courte entre deux points

Et nous /mesurerons / ainsi ….. ligne quelques p… am m’ m’’ m’’’ etc b varie …. …. Entre a et b pour … une …. …. De la longueur de cette ligne. Il faut considérer la convention suivante on marque sur la ligne a m m’ m’’ m’’’ b différents points m m’ m’’ etc ayant tracé une ligne droite indéfinie AB, on porte la distance am …. Comme un rayon de A entre sur la droite AB puis on porte la ………….. comme rayon sur le centre sur B de m est m’ P… les …. M’ m’’ sur la droite m’B ..m’ en m’’ puis la mesure m’’ m’’’ ……….. jusqu’à ce qu’on arrive au point B ce qui va permettre dans la figure à la …..  m’’’b qui ………….. am mm’ m’m’’ m’’m’’’b après cette première opération il faut concevoir que l’on a marqué un point entre A et ….[relevé à continuer]

22- Notes sur les éléments de la géométrie sphérique

I

Étant données une sphère, on marque les pôles en faisant usage des instruments de la géométrie ordinaire savoir le plan, la ligne droite et le cercle, ou ce qui est la même chose, la tables, la règle et le compas.

 

D’un point pris comme pôle et d’un ouverture arbitraire sur la sphère un cercle. Marquer sur le cercle trois points placés à volonté mesurez les cordes qui seront ab, bc, ac. Si les trois points sont a, b, c tracer sur le plan le triangle abc inscrit au parallèle décrit sur la sphère puis inscrivant un cercle au triangle abc on aura ce parallèle sur le plan  le rayon de ce parallèle l’ouverture qui a servi à le décrire sur la sphère et la flèche qui lui répond sont les trois côtés d’un triangle rectangle on connaît les deux premiers lieux la flèche sera facilement connue si on prolonge la flèche et qu’au sommet de l’angle opposé on élève une perpendiculaire sur l’hypoténuse le point où elle rencontrera le prolongement de la flèche sera l’extrémité du diamètre de la sphère on aura ainsi la longueur de ce diamètre. Si l’on décrit le cercle et que l’on prenne la longueur de la corde de 90° puis qu’on ouvre le compas de cette quantité, on pourra du pôle choisi sur la sphère décrire l’équateur et si de deux points quelconque de l’équateur on décrit un grand cercle, on aura le pôle opposé.

II

Par deux points donnés faire passer un grand cercle au moyen des mêmes instruments.

On cherchera d’abord par le problème précédent l’ouverture de compas sphérique qui répond à l’arc de 90°, puis de chacun des points donnés, on décrira deux grands cercles qui se coupant donneront au point d’intersection le pôle du grand cercle qui doit passer par les deux points donnés.

III

Étant donnés deux points, trouver le grand cercle dont chaque point est également éloigné des deux points donnés.

D’un des points donnés et d’une ouverture arbitraire, on décrira un paeallèle sur la sphère, de l’autre point et de la même ouverture, on décrira un second parallèle qui coupera le 1er en deux points par ces deux points d’intersection et passer (prolo..) un grand cercle qui sera le cercle cherché.

IV

Étant donnés trois points sur la sphère, faire passer un parallèle par ces trois points entre le point a et le point b on mènera un grand cercle qui coupera le 1er grand cercle. Le point d’intersection de ce deux grand cercles sera le pôle d’un cercle parallèle qui passera par les trois points donnés.

V

Étant donné un arc sur la sphère on le divisera aisement en deux parties égales soit qu’il appartienne à un parallèle ou a un grand cercle.

23- Notes sur les éléments de la géométrie sphérique (folioté 2, folioté 13)

 

VI

Deux grands cercles faisant un angle entre eux, partager cet angle en deux parties égales.

Du sommet de l’angle et d’une ouverture arbitraire on marquera deux points sur chacun des deux côtés de l’angle, puis menant un grand cercle à égale distance de ces deux points le grand cercle partagera l’angle donné en deux parties égales.

VII

Par un point donné, abaisser un arc de grand cercle perpendiculaire sur un arc donné de point donné et d’une ouverture arbitraire. On marquera deux points sur l’arc donné et l’on mènera un grand cercle à égale distance de ces deux points ce grand cercle sera le perpendiculaire cherché.

VIII

Si d’un point on abaisse sur un arc de grand cercle un grand cercle perpendiculaire puis que de l’ouverture qui inclura la grandeur de la perpendiculaire on décrive un cercle ce sera un parallèle qui touchera le grand cercle donné.

IX

Si un angle formé par deux grands cercles est partagé en deux parties égales par un troisième grand cercle tout point de ce troisième sera à égale distance des deux autres et si d’un de ces points on décrit le grand cercle qui touche l’un des deux côtés de l’angle, ce même grand cercle touchera l’autre côté.

X

Étant donné un triangle composé de trois arcs de grands cercles, trouver le centre d’un parallèle qui touche les trois côtés.

On divisera deux angles du triangle en deux parties égales en menant dans chacun de ces angles deux grands cercles. Ces deux grands cercles se couperont et l’intersection sera le centre du parallèle cherché.

XI

Par un point donné, mener un parallèle à un grand cercle donné

Par le point donné on abaissera un grand cercle perpendiculaire au grand cercle donné /( prob precad))/ On cherchera l’ouverture de la corde de 90° (prob precad) on la portera depuis le pied de la perpendiculaire sur le grand cercle qu’on vient de décrire on aura ainsi le pôle de parallèle cherché.

XII

Par un point d’un grand cercle mener un grand cercle perpendiculaire on portera de part et d’autre du point donné deux ouvertures quelconque et entre les deux points ainsi trouvés, on élèvera un grand cercle à égale distance ce sera le perpendiculaire cherché.

 

24- Notes sur les éléments de la géométrie sphérique (folioté 3, folioté 14)

XIII

Par un point donné, mener un parallèle à un parallèle donné.

On marquera trois points sur le parallèle donné et cherchant comme dans ceux des problèmes précédents à faire passer un parallèle par ces trois points on trouvera le pôle du parallèle donné après quoi il sera aisé de décrire le parallèle cherché qui doit avoir le même pôle.

XIV

Par un point donné sur une grand cercle, mener un grand cercle qui fasse avec le premier un angle égal à un angle donné.

Du sommet de l’angle donné et d’une ouverture arbitraire on décrira un parallèle qui coupera les deux côtés on mesurera avec le compas l’intervalle des deux points d’intersection et après avoir du point donné décrit avec la 1ère ouverture un parallèle on portera sur ce parallèle l’intervalle trouvé puis par le sommet de l’angle cherché et par le dernier point qu’on aura trouvé, on fera passer un grand cercle lequel fera avec le grand cercle donné l’angle demandé.

XV

Par un point donné, mener un grand cercle qui fasse avec un grand cercle donné un angle donné.

Par un point du grand cercle donné, on mènera un grand cercle qui fasse l’angle donné puis par le point donné on  mènera un parallèle au grand cercle donné lequel rencontrera le grand cercle qui fait avec le grand cercle donné l’angle proposé de ce point d’intersection on abaissera la perpendiculaire sur le grand cercle donné ce qui fera connaître sur ce grand cercle la base d’un triangle rectangle on abaissera du point donné sur le grand cercle donné une perpendiculaire et du pied de cette perpendiculaire on portera sur le grand cercle donné la base trouvée ce qui fera connaître un second point par où doit passer le grand cercle qui fera l’angle donné.

XVI

Le cercle pouvant être divisé en plusieurs parties avec le compas, on pourra trouver sur la sphère tous les angles correspondant en prenant la mesure à l’extrémité des arcs de 90°.

XVII

Trouver sur un cercle d’une ouverture donnée qui touche deux cercles donnés ces cercles /tent/ des parallèles et par ouverture on entend la corde qui sert à décrire le cercle.

On cherchera le pôle des deux parallèles donnés puis de chacun de ces pôles et d’une ouverture non commune et qu’on trouvera comme il va être dit, on décrira deux parallèles qui se couperont au point cherché pour déterminer chacune de ces ouvertures, on décrira sur le plan un grand cercle de la sphère, on portera l’ouverture du premier cercle donné et à la suite des deux cordes précédentes c’est l’ouverture dont on a besoin. On trouvera la seconde ouverture par un procédé analogue en se servant de l’ouverture du second cercle donné.

 

25- Notes sur les éléments de la géométrie sphérique (folioté 4, folioté 15)

XVIII

Mener un grand cercle qui passant part un point donné touche un parallèle donné par le point donné et de la corde de 90° on  décrira un grand cercle par le centre du parallèle donné et d’une ouverture égale à la corde qui sert à décrire le parallèle suivie de la corde de 90° on décrira un cercle qui coupera celui qu’on a décrit précédemment le point d’intersection est le pôle du cercle cherché et en le décrivant avec la corde de 90° on touchera le cercle donné et on passera par le point donné.

XIX

Étant donnés deux petits cercle, trouver un grand cercle qui les touche tous les deux le grand cercle devant être décrit avec la corde de 90° et cette corde étant connue, ce problème est le même que le problème XVII.

Si l’on veut que le grand cercle tangent passe entre les deux petits cercles au lieu d’ajouter la corde de 90° à la suite de l’ouverture du cercle, on portera cette ouverture du cercle dedans.

XX

La position d’un astre étant donnée on demande l’époque du lever héliaque de cet astre pour une latitude terrestre donnée.

L’arc /est/ pris entre le pôle de l’équateur et le pôle de l’horizon est égal au complément de la latitude il est connu. Si donc du pôle de l’équateur et d’un arc égal au complément de la latitude terrestre par exemple à 60° on décrit un cercle il faudra chercher sur ce parallèle le zénith de l’horizon et comme cet horizon doit passer par l’étoile, de l’étoile même d’un arc de 90°, on décrira un horizon étant décrit un /peu/ l’écliptique en deux points et comme on pouvait choisir un autre quelconque de ces quatre points il sera la même dans le même horizon que l’étoile ainsi l’étoile et le soleil paraîtront ensemble à l’horizon ;

 

 

Suite du même

Si l’on suppose la latitude terrestre de 30° la distance de l’astre à l’ écliptique de 40° et la distance de cet astre en longitude  comptée dans le sens des signes depuis l’intersection de l’écliptique et de l’équateur de 100° on trouvera ce sui suit

Le parallèle distant du pôle de 60° étant cécrit le fgrand cercle de l’étoile comme pôle coupera ce parallèle en deux puis on pourra choisir chacun des deux comme zénith si de l’un et par le pôle on mène un mpéridien et si de l’autre zénith on mpène un méridien, le méridien de l’étoile sera compris entre les deux méridiens des zénith ârce que le grand cercle qu’on a décrit de l’astre comme pôle coupe le parallèle de part et d’autre du méridien de cet astre il suit de là que pour l’un des zéniths déterminés on aura l’étoile à l’orient et pour l’autre on l’aura à l’occident si l’on choisit le zénith par rapport auquel l’astre est à l’orient et qu’on décrive de ce zénith comme pôle de 180° en sorte que si l’on suppose /tenper/ le méridien passant par le zénith et le pôle boréal l’un des deux points d’intersection du l’écliptique sera à l’orient du côté de l’étoile et l’autre sera à l’occident quand le soleil aura atteint le premier point de l’écliptique l’astre se lèvera héliaquement quand le soleil aura atteint le second l’astre se lèvera au coucher du soleil.

26- Notes sur les éléments de la géométrie sphérique (folioté 4, folioté 16)

27-Sur les éléments de la géométrie (folioté 1, folioté 17)


[1] (en marge) On peut toujour concevoir qu’un solide est compris de deux/ …./ surface ce qui sépare ces deux solides contigus la surface termine le solide c’est à dire qu’elle sépare l’espace dans lequel il est placé tout ce qui dans l’espace est commun à deux surface différentes ne formant lignes

c’est à dire que lorsque deux surface se rencontrent leur intersection est une ligne

et comme une surface peut toujours être composée de deux centres la ligne sépare les deux surfaces contiguës et termine chacune d’elles quelconque. Une ligne peut être regardée comme étant composée de deux autres ce qui sépare ces deux parties d’une ligne se nomme point.

Lorsque la ligne est terminée, sont extrémité est un point.

Lorsque deux lignes se rencontrent leur intersection est un point. La superposition

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Fourier : éloge de Lémontey

 M. Fourier, ayant été élu par l’Académie française au fauteuil numéro 5, à la place vacante par la mort de M. Lémontey, lors de sa réception à l’Académie, il y est venu prendre séance le jeudi 17 avril 1827, et a prononcé le discours qui suit :

Réception de M. Fourier,

discours prononcé dans la séance publique, le jeudi 17 avril 1827 à l’Institut Royal de France

Messieurs,
L’Académie française a cultivé et perfectionné toutes les parties de notre littérature ; elle a compris dans cette étude l’art d’exprimer les vérités même les plus abstraites. Ce motif a souvent porté vos prédécesseurs à admettre parmi eux les écrivains qui nous ont transmis l’histoire des sciences. En m’honorant de vos suffrages, vous avez voulu faire connaître à ceux qui me succéderont dans cette carrière, que vous tenez compte de tous les efforts, que vous décernez des récompenses même entièrement indépendantes du succès, et que vous considérez surtout le désir sincère d’être utile.
Cette élection, Messieurs, m’inspire une vive reconnaissance ; et en même temps elle m’avertit que je dois écarter toute pensée présomptueuse, et rapporter seulement ces témoignages de votre estime au corps illustre qui m’a choisi pour l’un de ses interprètes, et dont je vois chaque jour les travaux immortels couronnés par les hommages de l’Europe.
Les titres littéraires de M. Lémontey, à qui je succède, sont connus de toutes les personnes qui s’intéressent à l’étude de la philosophie et de l’histoire. Lorsque vous l’avez appelé au milieu de vous, celui qui présidait à sa réception (M. Campenon) apprécia ses ouvrages dans un discours que l’on doit regarder comme un modèle pour la justesse des pensées et l’élégante précision du langage.
Pour moi, je ne puis consacrer à la mémoire de mon prédécesseur qu’un bien faible tribut, sans art, et sans autre dessein que d’exprimer le vrai caractère de son talent, autant qu’il m’est permis de le saisir. Mais l’orateur célèbre qui doit prendre la parole après moi, suppléera facilement à l’imperfection de cet hommage. L’autorité de ses jugements littéraires est le fruit d’une étude profonde, et il les exprime avec cette éloquence admirable qui naît de l’élévation du cœur.
M. Lémontey exerça d’abord ses talents dans la carrière du barreau ; et l’on pouvait craindre que ses premiers succès ne le détournassent des études littéraires : mais dans le même temps que la ville de Lyon applaudissait à ses talents, il gagnait des causes d’un autre genre à l’Académie de Marseille. Il y fut couronné deux fois pour les éloges de Fabri de Peiresc et du célèbre navigateur Cook. Il entreprit dès lors des recherches, et acquit une instruction fort étendue dans les branches les plus diverses de l’histoire, de l’économie civile et de la littérature.
Écrivain spirituel, lecteur curieux et vraiment infatigable, il porta dans la plupart de ses ouvrages les traits d’une satire ingénieuse et originale. Il étudia toutes les sources de nos connaissances historiques ; et peut-être il s’attacha moins à distinguer les grands résultats et les vues générales, qu’à découvrir des rapprochements singuliers et inattendus.
Il se plaisait à recueillir dans les archives, et dans les dépôts les plus secrets, des papiers d’État, des mémoires inédits et des instruments originaux jusque-là ignorés. Des recherches aussi étendues ont donné à ses ouvrages historiques un caractère particulier. Même lorsque l’auteur ne rapporte que les événements principaux, on peut juger, après un examen approfondi, qu’il a connu une multitude innombrable de faits.
Ses écrits sont remarquables par la diversité singulière des genres et des sujets. Il a traité les plus graves questions de l’histoire et de la philosophie morale, et il a publié des romans, des fables, des odes et des opéras. Ses notices biographiques et ses éloges rappellent des noms bien différemment célèbres, entre autres ceux de Colbert, du cardinal de Retz, de la duchesse de Longueville, de l’historien de Thou, de l’abbé de Chaulieu, et des célèbres actrices Clairon et le Couvreur. Il n’y a presque aucune de ces notices où l’on ne trouve des vues entièrement nouvelles, et des faits importants qui n’avaient pas été remarqués.
Il a imité, dans la littérature étrangère, Swift, Sterne, Hamilton, et même l’Arioste, et quelques écrits de Franklin ; et dans la littérature ancienne, Lucien et surtout Apulée. On peut juger, par cette seule énumération, de la flexibilité de son talent. Son style n’est pas exempt de recherche ; on y remarque peut-être trop l’opposition continuelle des idées, et même celle des mots. Mais ce style est animé, il intéresse, il abonde en saillies ingénieuses, surtout lorsque l’auteur se livre à son penchant fort naturel pour l’ironie. Enfin, s’il est aisé de critiquer ses ouvrages, il est du moins presque impossible d’en cesser la lecture dès qu’on l’a commencée.
Pour exceller dans les arts, il faudrait, suivant le conseil d’un grand critique, discerner d’abord la destination qu’on a reçue de la nature, et diriger tous ses efforts vers un seul but, sans négliger toutefois les rapports que d’autres études peuvent avoir avec cet objet unique. M. Lémontey a écrit dans un temps où il eût été difficile de suivre ce précepte, et il a été entraîné par une facilité extraordinaire. C’est principalement dans ses contes philosophiques qu’il a montré un talent fécond, facile et original. Par exemple, dans ceux dont le sujet est l’encan de Pertinax, ou la singulière origine du sénat de Samos, et dans quelques écrits de ce genre, on trouve assurément autant d’imagination, et plus de pensées judicieuses, d’enjouement, de variété et de verve, que dans la longue métamorphose de Lucius Apulée.
De toutes les productions littéraires de M. Lémontey, celle que l’on a regardée comme la plus importante, a pour objet l’histoire de la monarchie française dans le dernier siècle. Il a publié en 1818 la première partie de cet ouvrage qu’il avait commencé d’écrire douze années auparavant. Cette introduction est un essai critique sur la monarchie de Louis XIV. Les deux volumes suivants n’ont pas encore été imprimés ; il s’est élevé, au sujet de cette publication, des contestations judiciaires dont tous les amis des lettres désirent une prompte et heureuse issue.
On trouve encore dans cette introduction le caractère que lui imprime une étude approfondie des sources de notre histoire. Mais un peintre immortel avait déjà présenté le tableau de ce règne mémorable ; et l’on a reconnu que son ouvrage est le fruit d’une longue étude des documents authentiques. M. Lémontey lui-même, après les recherches les plus attentives, n’a pu découvrir qu’un très-petit nombre de faits particuliers qui eussent été ignorés de l’auteur.
Ce tableau de Voltaire est d’une élégance inimitable ; il montre les lettres et les sciences honorées, l’industrie florissante, une marine formidable créée presque tout à coup, et le nom français respecté de monde entier. Il montre l’influence d’un grand homme sur une nation généreuse, féconde en héros, et sensible à tous les genres de gloire. Il atteste les sentiments dont Louis fut toujours animé, et surtout cet invincible désir de maintenir la France au premier rang des nations. Il rappelle la noble constance du prince dans les plus grands malheurs, et l’aveu plus noble encore des erreurs de son règne, et l’éclat passager des victoires, et la gloire impérissable des arts.
Le titre de grand administrateur qui, selon M. Lémontey, dans son Essai critique, pourrait tenir lieu de tous ceux que l’on a décernés à Louis XIV, est une expression vraie, mais incomplète, qui ne suffit pas à l’impartialité de l’histoire. L’auteur de cet Essai attribue aux infirmités corporelles dont le prince fut atteint, une influence imaginaire sur son génie. Il cherche une explication singulière de grands événements dont la cause assez manifeste est la mort de Colbert et le triomphe de ses ennemis.
L’ouvrage de Voltaire est un monument durable, parce qu’il est vrai dans toutes ses parties principales. L’auteur ne dissimule ni les erreurs, ni les fautes de ce long règne. S’il rappelle la passion des conquêtes les cendres du Palatinat, des persécutions funestes, il se montre fidèle à la vérité de l’histoire, à la conscience du genre humain et aux intérêts politiques de la France. Il ne loue que de grandes et nobles actions.
Déjà la voix de la postérité s’est fait entendre. Elle n’admirera point sans doute ces demeures royales, tristement somptueuses, ni cette lutte inutile et malheureuse de l’art et de la nature, ni tant de magnificences stériles ravies à la prospérité du royaume ou à l’ornement de la capitale. Mais la postérité ne refusera pas ses hommages à tant d’autres monuments d’une gloire immortelle.
Aujourd’hui même, dans ce nouveau continent qui doit toute sa prospérité aux institutions et aux arts de l’Europe, une nation sage, libre et puissante, vient de couronner les images de Louis XIV. Après avoir achevé un grand ouvrage public, l’un des plus étonnants que les hommes aient encore entrepris, qui doit établir entre les eaux de l’Océan et le golfe du Mexique une communication intérieure d’une immense étendue, exempte des périls d’une guerre maritime, on a voulu consacrer dans une solennité populaire les noms illustres des princes, des savants, des grands citoyens, des hommes d’État qui, par leur génie et leurs travaux, ont animé le commerce. Toutes les pensées se sont portées d’elles-mêmes sur ces ouvrages prodigieux qui unissent depuis longtemps les deux mers françaises, et qui sont un témoignage admirable de l’impulsion donnée à toute l’Europe par Louis XIV. On a jugé que la statue de ce grand prince devait précéder toutes les autres. Voilà un hommage véritable, que ni la flatterie ni les préventions nationales n’ont dicté. La reconnaissance d’un peuple étranger a décerné librement cette première place dans une liste glorieuse, où l’on ne trouve que des bienfaiteurs des hommes.
En citant l’ouvrage que M. Lémontey a publié en 1818 sur la monarchie de Louis XIV, je ne dois point oublier qu’il ajoute à l’histoire de ce règne un trait capital, dont, à la vérité, l’expression était alors devenue fort opportune. Ce trait est profond et nécessaire, et c’est assurément la leçon la plus grave que puisse nous donner l’histoire des sociétés politiques. C’est que le règne vraiment glorieux et désirable est celui des lois ; c’est que la nature et la fortune imposent des limites bien étroites à la seule influence du monarque, quels que soient son génie et ses vertus ; c’est qu’il n’y a de repos, d’asile assuré et de solide grandeur que dans les institutions fondamentales que le temps consacre, et rend également chères aux princes et aux peuples.
Dans le cours des événements politiques auxquels mon prédécesseur a participé, il a laissé de nobles témoignages de sagesse, de justice, et de cette modération inébranlable qui est le fruit le plus ordinaire des longues études. Dans l’assemblée législative de 1791, il partagea les vœux publics et l’espoir dont la France était animée. En même temps, il s’opposa aux confiscations ; il combattit avec courage des résolutions odieuses et violentes, et du moins il parvint à y introduire quelques heureuses exceptions.
Quelle affliction profonde n’a-t-il point ressentie, lorsqu’il eut à communiquer les dépêches que l’on venait de recevoir d’Avignon ! Elles rapportaient, les attentats inouïs commis dans cette ville par quelques furieux qui s’y étaient introduits. Saisi d’horreur et de pitié, l’orateur s’arrêta ; les papiers s’échappèrent de ses mains. Suffoqué par ses larmes, il s’évanouit ; la lecture publique ne fut point continuée. La postérité apprendra des crimes dont cette assemblée ne put supporter le récit.
Après les désastres de Lyon, M. Lémontey, qui avait partagé les nobles et mémorables efforts, de cette cité, demeura exposé aux plus grands périls. Son frère, et une partie de sa famille, avaient succombé dans le cours de ces événements funestes. Il put enfin trouver un asile sur le territoire étranger. Il a composé quelques ouvrages dans cette solitude.
Après son retour en France, il ne tarda point à se fixer dans la capitale, et reprit ses grands travaux littéraires. Il avait augmenté sa fortune par l’épargne continuelle et dirai-je excessive de son patrimoine. Mais l’usage qu’il a toujours fait de cette fortune n’est point assez connu. Son penchant pour l’économie était notoire, et ses dons étaient secrets. On ne fait point ici une allégation générale et vague. Nous avons eu longtemps sous les yeux, et nous possédons des preuves incontestables et multipliées d’une bienfaisance extraordinaire ; et nous avons désiré que plusieurs personnes en prissent connaissance. Il laisse à la famille de sa sœur, une fortune considérable, et la somme de ses dons, dans tout le cours de sa vie, est au moins égale à cet héritage. Tous les genres d’infortunes ont eu part à ses bienfaits. Il distingua surtout les personnes qui se consacraient comme lui à l’étude des lettres, et les habitants de Lyon ses compatriotes.
Il désirait vivement que l’enseignement élémentaire pût de venir universel, et il a concouru par une donation aux progrès de l’instruction mutuelle, méthode ingénieuse et philosophique qui réalise chez les modernes une des plus heureuses pensées de Platon.
Il a publié sur les établissements des caisses d’épargne une notice pleine d’intérêt, qui semble avoir été écrite par Franklin. On ne reprochera pas du moins à M. Lémontey, lorsqu’il a donné au peuple cette utile leçon d’économie, de n’avoir pas joint l’exemple au précepte. Son trésor personnel n’était autre chose qu’une caisse d’épargne qu’il administrait parfaitement, et qu’il a toujours ouverte à l’amitié et au malheur. Dur, et l’on pourrait dire inexorable pour lui-même, il n’a jamais été touché que des privations des autres. En un mot, il a beaucoup épargné, et il a beaucoup donné.
Au reste, ce qui importe surtout à la philosophie et aux lettres, ce sont les ouvrages qu’il nous laisse. Il n’y en a aucun qui ne soit ingénieux, utile aux arts, ou qui n’ait contribué au progrès des connaissances morales et historiques. Je n’ai pu indiquer que ses écrits principaux ; j’ajouterai seulement que dans quelques fragments d’histoire, dans l’éloge de Vicq-d’Azir, et les discours lus aux séances de cette Académie, on reconnaît qu’il ne négligeait point l’étude philosophique des langues, et qu’il avait médité sur les qualités du style qui peut exprimer les résultats des sciences, avec justesse et précision. Il serait à désirer que cette dernière question fût discutée avec quelque étendue dans nos ouvrages classiques. Les illustres fondateurs de cette Académie ont espéré que ses travaux rendraient la langue française de plus en plus capable de traiter de toutes les sciences ; ce sont les termes exprès des premiers statuts. Ces vœux ont été accomplis.
Le caractère principal de la langue française est la clarté. Soit qu’elle expose les principes des sciences, soit qu’elle décrive les plus grands objets de la nature, elle est simple, élégante, noble et précise ; l’expression ne laisse dans l’esprit ni obscurité ni incertitude ; chaque élément du discours est un trait de lumière, Je ne parle point ici des autres propriétés de cette langue qu’on admire dans nos grands poètes ou dans nos orateurs du XVIIe siècle et leurs principaux successeurs, ni de celles qu’elle semble avoir acquises dans les ouvrages de Delille et du chantre harmonieux de Philippe-Auguste. Je ne la considère que sous le rapport du style didactique, le seul qu’il puisse m’être permis de juger. Le génie de notre langue repousse toute expression vague, incertaine, emphatique, obscure ; il n’admet que ce qui est parfaitement intelligible. Si l’on a acquis la connaissance complète des vérités que l’on veut exposer, les expressions les plus claires se présenteront d’elles-mêmes ; le discours sera facile et naturel. Mais rien n’est plus opposé à la vérité du style que le vain désir d’étonner le lecteur, et de se montrer ingénieux ou profond. Toute affectation de ce genre nuit à la clarté, et elle est bien contraire au but de l’auteur, car il abaisse ce qu’il croit élever. C’est à vous, Messieurs, qu’il appartient de perfectionner la littérature des sciences. Deux membres illustres de cette Académie ont déjà traité cet important sujet.
Dans une école à jamais célèbre, que l’Europe nous envie, où les sciences sont enseignées par ceux qui en ont reculé les limites, et sont toutes consacrées au service de l’État, une plume éloquente a tracé les règles du langage et du goût, et celles du style le plus propre à exposer clairement toutes les connaissances positives, Mais ces leçons précieuses, données par un si grand maître, durant quelques années seulement, ont été incomplètement publiées ; l’intérêt des sciences réclame depuis longtemps ces utiles conseils.
Elles les attendent aussi, comme un nouveau bienfait, de celui qui, après avoir enrichi la muse tragique, et cultivé avec tant d’éclat toutes les branches de notre littérature, a si ingénieusement exprimé dans un ouvrage spécial le caractère des principaux genres de composition dramatique.
J’ai dû insister sur l’importance des applications de la littérature aux sciences et aux arts. Et en effet, indiquer de nouveaux moyens de présenter avec clarté toutes les vérités qui sont l’objet de la philosophie naturelle, c’est perfectionner les sciences elles-mêmes, et par conséquent acquérir des droits à la reconnaissance de toutes les nations. Qui pourrait douter que les destins des peuples ne dépendent du progrès continuel de nos connaissances ?
Si l’Europe n’avait point reçu l’inestimable bienfait d’une religion favorable aux lettres, et qui consacre les grands intérêts de l’humanité ; si au contraire le dogme fondamental était le mépris des arts ; si toute innovation était réputée un attentat à la majesté divine ; si les leçons de sagesse, d’humanité, de vertu, que l’antiquité nous a transmises, étaient effacées de tous les cœurs ; si les écrits immortels de Platon, d’Homère, de Cicéron, et des successeurs de ces grands hommes, n’eussent formé les mœurs, éclairé les nations et les rois, cette Europe, aujourd’hui si florissante et si polie, subirait un joug étranger dans l’abjection et le malheur. Aucun gouvernement régulier n’aurait pu s’établir ; la notion même de la propriété, fondement de tout ordre public, ne se serait point développée. Telles sont, Messieurs, les conséquences inévitables du mépris des connaissances humaines ; et si l’on en veut une preuve manifeste et contemporaine, il suffit de jeter les yeux sur les pays subjugués par les Ottomans ; car je viens d’exposer, sans aucune exagération, l’origine et les principes fondamentaux de ces États.
Les sciences et toutes les études littéraires favorisées par les califes Abassides firent autrefois chez les Arabes d’utiles progrès. Mais le dogme fatal a prévalu. Des conquérants farouches ont repoussé durant plusieurs siècles tous les arts de l’Occident ; en sorte que l’on peut connaître aujourd’hui avec certitude comment une longue ignorance influe sur la condition des peuples.
L’État sans forces régulières, sans institutions constantes ; les villes capitales dévastées par les incendies, les révoltes, les maladies contagieuses ; les concussions et les meurtres impunis ; les provinces opprimées, abandonnées comme une proie à quelques aventuriers avides, injustes et sanguinaires ; la spoliation des officiers publics érigée en maxime d’État ; les qualités morales des peuples perverties par les vices du gouvernement ; l’empire menacé d’une perte totale, toujours imminente, dont il n’est plus garanti que par les rivalités des grands États de l’Occident ; enfin, ce qui est la source principale de tous les maux, le droit de propriété territoriale, dans les provinces les plus importantes, est méconnu ou violé. L’homme ne possède avec sécurité, sous l’autorité des lois, ni la terre son héritage, ni les objets de son commerce, ni le fruit du travail de chaque jour.
Dans les derniers temps, les chefs de ces États, frappés de la puissance militaire de l’Europe, et des richesses immenses que procure l’industrie, ont entrepris d’imiter la discipline de nos armées et les procédés de nos manufactures. La science de la guerre et celle des impôts, voilà les seuls arts qu’ils nous envient. Un orgueil indomptable les porte à mépriser tout le reste. Ils ne peuvent comprendre que l’Europe doit sa force et son opulence, non à quelques usages particuliers, mais à l’ensemble de ses institutions. Ils ne savent point que cet art de la guerre est extrêmement composé, qu’il résulte du concours de plusieurs sciences, et de théories administratives perfectionnées par une longue expérience. Ils sont incapables de juger les rapports nécessaires qui unissent les sciences spéculatives, les arts techniques, les progrès de l’industrie, l’administration du trésor, celle de la justice, enfin tous les éléments d’un gouvernement régulier, propre à garantir le bonheur et la prospérité des peuples. Ils veulent la richesse sans l’étude et le travail, la force sans la justice, l’industrie sans la liberté. Mais la fortune, ou plutôt les lois immuables de la nature humaine confondront cette ambition insensée ; l’histoire nous réserve encore cette importante leçon.
S’il m’est permis de rappeler le souvenir d’une contrée célèbre dont j’ai dû étudier l’histoire et observer le climat, l’Égypte, l’ancienne institutrice des nations, a vu détruire par les conquêtes tous ses établissements politiques et ses arts. Un peuple doux, ingénieux, adonné à la culture, propre à la guerre, constant dans les plus longs travaux, a perdu sous le joug ottoman tous les avantages du plus heureux climat, et jusqu’au souvenir de ses aïeux. L’histoire moderne de ce pays n’est qu’une longue suite de crimes et de révolutions sanglantes ; et son état présent est plus déplorable qu’il ne l’a jamais été. Tous les anciens possesseurs des terres ont été dépouillés ; on a enlevé et anéanti les anciens titres. Un monopole universel a envahi le commerce. Rien n’est excepté, ni les aliments les plus nécessaires, ni les productions précieuses, ni les tissus les plus grossiers ; tout appartient à un seul maître. Enfin, il ne reste aucun vestige de droit naturel, et la nation entière est devenue un peuple de mendiants.
Les plus jeunes sont saisis dans les bras de leurs parents, enchaînés et enrôlés comme soldats. Exemple frappant des vicissitudes des empires, l’Égypte envoie ses fils ravager le Péloponnèse et la terre de Cécrops ! Leurs ancêtres ont civilisé la Grèce, ils ont fondé les premières cités, enseigné les lois, la culture et les arts ; ceux-ci y portent l’esclavage et toutes les fureurs d’une guerre d’extermination. Mais les destinées de l’Égypte ne sont point accomplies. Un temps viendra que cette terre auguste, depuis tant de siècles inutilement féconde, recouvrera, sous l’influence des arts de l’Europe, son antique splendeur. Elle sera une seconde fois le centre des relations politiques de l’ancien continent. Ses mers ouvriront des communications faciles avec l’Inde et l’Asie. Elle dominera, elle civilisera l’Afrique, et les peuples de ces vastes contrées lui apporteront à l’envi les tributs d’un immense commerce. Alors les vœux de Leibniz, de Bossuet, ceux des monarques et des hommes d’État les plus éclairés de l’Europe seront accomplis.
Ces heureux changements dans les mœurs et les relations des peuples sont des conséquences certaines de l’application des arts aux propriétés naturelles des climats. Les causes de cet ordre sont toujours présentes ; des révolutions accidentelles en peuvent altérer ou suspendre l’action, mais elles se reproduisent sans cesse. Il faut savoir qu’il n’y a de contingent et de variable que les détails des événements ; tous les grands résultats des causes principales sont nécessaires, et peuvent être annoncés avec certitude. C’est pour cela qu’on ne doit attendre aucun bienfait d’une imitation barbare et confuse des arts de l’Occident. Tout ce que les ouvrages des hommes ont de grand et d’utile est le fruit du génie, de la sagesse, de la liberté et de l’étude. Il y a sans doute des théories incertaines. On peut citer dans l’histoire des peuples les mieux policés des alternatives et des aberrations funestes : mais les erreurs de l’esprit sont passagères ; elles se combattent et se détruisent ; les maux de la barbarie sont durables.
Eh ! quel souvenir fatal vient se mêler malgré moi aux vœux que je forme pour le progrès de l’intelligence humaine ! Peu de jours se sont écoulés, depuis que les sciences éplorées ont fait entendre un cri de douleur qui a retenti dans toute l’Europe. L’ombre de Newton s’est émue. Ce grand homme vient d’appeler au partage de sa gloire un successeur illustre qui a comme lui consacré son génie à l’étude du ciel. Et dans le même temps, un des plus ingénieux et des plus heureux promoteurs des sciences physiques est enlevé à la patrie de Galilée. Qui pourrait dire par quels efforts de la nature des pertes de cet ordre seront un jour réparées ?
Honorons, conservons à jamais les arts protecteurs et consolateurs émanés de la puissance divine. Que les muses perpétuent, avec la mémoire des grands hommes et le récit de toutes les nobles actions, la gloire éclatante du nom français ; les muses seules donnent l’immortalité ; tout ce qui ne leur est pas confié est la proie de l’oubli.
Que les lettres, qu’un de vos prédécesseurs, Messieurs, a si ingénieusement nommées les conciliatrices du genre humain, rapprochent parmi nous tous les sentiments et tous les vœux. Qu’elles célèbrent les vertus royales, et celles qui environnent le trône et en augmentent l’éclat. Qu’elles rappellent cette politesse gracieuse, élégante et vraiment française, dont l’Europe voit aujourd’hui sur ce trône un modèle accompli. Qu’elles portent à tous les âges ces paroles augustes et touchantes que toute la France a répétées, qui partent du cœur, et arrivent à tous les cœurs, et qui, depuis Henri IV, semblent appartenir à la littérature de nos rois. Que les lettres françaises découvrent, s’il est possible, qu’elles inspirent de nouveaux motifs d’aimer la patrie et de se consacrer à sa gloire.

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Statuts de la Société Joseph Fourier

 

STATUTS

Association déclarée par application de la loi du 1er  juillet 1901  et du décret du 16 août 1901

Article 1

 Il est fondé entre les adhérents aux présents statuts une association régie par la loi du 1erjuillet 1901 et le décret du 16 août 1901, ayant pour titre

 SOCIETE JOSEPH FOURIER

 Article 2

 Cette association a pour but:

– d’organiser, participer, encourager différentes manifestations, en particulier à Auxerre, autour de la vie et l’œuvre de Joseph Fourier (colloques, expositions, conférences,  mise en valeur des traces de sa présence à Auxerre,…..).

– d’être l’interlocuteur naturel de la Ville d’Auxerre, des collectivités territoriales (Conseil Général de l’Yonne, Conseil Régional de Bourgogne), des sociétés savantes ou d’associations proches de nos préoccupations, de l’Office du Tourisme,…. pour tout ce qui concerne l’actualité et le rayonnement de Joseph Fourier;

– de pouvoir apporter une expertise à des organismes ou à des personnes intéressés par la personnalité de Joseph Fourier;

– de mettre en place un site WEB consacré à Joseph Fourier selon trois axes essentiels:

– un axe de culture scientifique, accessible au grand public;

– un axe consacré à la biographie de Joseph Fourier et, de façon plus particulière à tout ce qui concerne sa présence à Auxerre.

– un axe plus spécialisé, consacré à l’actualité scientifique de Joseph Fourier ,

– plus généralement de promouvoir, d’encourager, de participer à tout ce qui concourt à la promotion et à la diffusion et au développement de la culture scientifique.

Article 3

Le siège social  est fixé à la Mairie d’Auxerre;

Il pourra être transféré par simple décision du conseil d’administration ratifiée par l’assemblée générale.

Article 4

Pour faire partie de l’association, il faut être agréé par le bureau qui statue, lors de chacune de ses réunions, sur les demandes d’admission présentées.

Article 5

L’association se compose de   :

a) Membres actifs ou adhérents

b) Membres bienfaiteurs

c) Membres d’honneur

Article 6

Sont membres actifs ceux qui versent annuellement une cotisation fixée par l’assemblée générale.

Sont membres bienfaiteurs les personnes qui outre leur cotisation annuelle font un don au moins égal 5 fois cette cotisation

Sont  membres d’honneur ceux  qui  ont  rendu  des  services  signalés à  l’association ;  ils  sont  dispensés  de cotisation

Article 7

 La qualité de membre de l’association se perd par

a)   La démission ;

b)  Le décès ;

c)   La radiation prononcée par le conseil d’administration pour non-paiement de la cotisation ou pour motif grave, l’intéressé ayant été invité par lettre recommandée à se présenter devant le bureau pour fournir des explications.

Article 8

Les ressources de l’association comprennent :

1.  Le montant des cotisations

2.   Les subventions de l’Etat, des régions, des départements et des communes.

3.  D’éventuels dons sous réserve d’acceptation par le Conseil d’Administration

4.  D’autres ressources sous réserve qu’elles soient légales.

Article 9

 

L’association est dirigée par un Conseil d’Administration dont les membres sont élus pour 3 années par l’assemblée générale. Ces derniers sont rééligibles.

Le Conseil d’Administration choisit parmi ses membres, au scrutin secret, un bureau       composé de :

1.Un(e) président(e) ;

2.Un(e) ou plusieurs vice-président(e)s ;

3.Un(e) secrétaire et, s’il y a lieu, un(e) secrétaire adjoint(e) ;

4.Un(e) trésorier(e) et, si besoin, un(e) trésorier(e) adjoint(e).

Le Conseil d’Administration est renouvelé tous les ans par tiers. Les membres sortants des deux premières années sont tirés au sort.   .

En cas de vacances, le Conseil pourvoit éventuellement et provisoirement au remplacement des membres défaillants. Il est procédé à leur remplacement définitif lors de la prochaine assemblée générale. Les pouvoirs des membres ainsi élus prennent fin à l’époque où devrait normalement expirer le mandat des membres remplacés.

Article 10

Le Conseil se réunit sur convocation du président, ou sur la demande d’au moins un quart de ses membres .

Les décisions sont prises à la majorité des voix. En cas de partage, la voix du président est prépondérante.

Tout membre du Conseil qui, sans excuse, n’aurait pas assisté à trois réunions consécutives pourra être considéré comme démissionnaire.

Article 11

 

L’assemblée générale ordinaire comprend tous les membres de l’association à quelque titre qu’ils soient affiliés. L’assemblée générale ordinaire se réunit chaque année au moins une fois par an. Quinze jours au moins avant la date fixée, les membres de l’association sont convoqués par les soins du secrétaire. L’ordre du jour est indiqué sur les convocations.

Le président, assisté des membres du bureau, préside l’assemblée et expose la situation morale de l’association. Le trésorier rend compte de sa gestion et soumet le bilan à l’approbation de l’assemblée. Les décisions sont prises par vote à la majorité. Chaque membre présent peut être porteur d’au plus trois pouvoirs de membres absents.

Il est procédé, après épuisement de l’ordre du jour, au remplacement, au scrutin secret, des membres sortants du Conseil d’Administration.

Ne devront être traitées, lors de l’assemblée générale, que les questions soumises à l’ordre du jour ou celles qui auront été soumises au préalable au Président sous la rubrique « Questions diverses »

Article 12

 

Si besoin est, ou sur la demande de la moitié plus un des membres, le président peut convoquer une assemblée générale extraordinaire, suivant les formalités prévues par l’article 11 .

Article 13

 

Un règlement intérieur peut être établi par le Conseil d’Administration, qui le fait alors approuver par l’assemblée générale. Ce règlement éventuel précise certains points des statuts, notamment ceux qui ont trait à l’administration interne de l’association.

Article 14

En cas de dissolution prononcée par les deux tiers au moins des membres présents à l’assemblée générale, un ou plusieurs liquidateurs sont nommés par celle-ci et l’actif, s’il y a lieu, est dévolu conformément à l’article 9 de la loi du 1er  juillet 1901 et au décret du 16 août 1901.

Les présents statuts ont été approuvés par l’assemblée constitutive du  10 janvier 2012.

  

                             

 

 

 

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Le fauteuil numéro 5

Fourier académicien

Fourier fut élu académicien libre le 27 mai 1816. Le 29 mai, l’Académie est avisée que le roi Louis XVIII n’approuve pas cette élection. Une nouvelle élection le 12 mai 1817 (pour la section de physique générale) est confirmée par le roi le 23 mai 1817. Il est élu secrétaire perpétuel pour les sciences mathématiques le 18 novembre 1822. Il fut élu Membre de l’Académie française le 14 décembre 1826.

Il occupa  le fauteuil numéro cinq dont il fut le huitième titulaire. A ce titre, il prononça, le 17 avril 1827, l’hommage à Pierre-Édouard Lémontey son prédécesseur.

Fauteuil 5

  1. 1634 : Jean Ogier de Gombauld
  2. 1666 : Paul Tallemant le Jeune
  3. 1712 : Antoine Danchet
  4. 1748 : Jean-Baptiste Gresset
  5. 1777 : Claude-François-Xavier Millot
  6. 1785 : André Morellet
  7. 1819 : Pierre-Édouard Lémontey
  8. 1826 : Joseph Fourier
  9. 1830 : Victor Cousin
  10. 1867 : Jules Favre
  11. 1880 : Edmond Rousse
  12. 1907 : Pierre de Ségur
  13. 1920 : Robert de Flers
  14. 1927 : Louis Madelin
  15. 1956 : Robert Kemp
  16. 1960 : René Huyghe
  17. 1998 : Georges Vedel
  18. 2005 : Assia Djebar
  19. 2016 : Andreï Makine

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Fourier : l’Age de la Terre

[22 octobre 2021] Ce blog vise à une information « légère » de l’actualité de Joseph Fourier. Les articles qui le composent sont écrits au fil de la plume pour attirer l’attention. Depuis 2012, date de la rédaction de cette page, l’âge de la Terre est revenu plusieurs fois dans l’actualité. Un article de 2021 du Mathouriste en propose une synthèse très solidement documentée ; nous invitons tout lecteur intéressé à s’y reporter.

[4 mai 2012] Pour un développement complet des éléments scientifiques de ce billet, le lecteur pourra consulter avec bonheur les cours en ligne de l’université de Lyon.

 

Fourier : l’Age de la Terre

Fourier mis au point dès 1807 les méthodes qui permettent d’étudier l’évolution de la chaleur dans les corps conducteurs, via certaines équations aux dérivées partielles. Il obtient la formule :

 où ? désigne le gradient de température en surface au temps t, t est le temps écoulé depuis les conditions initiales. Cette formule permet aussi à partir des températures initiale et finale de déterminer le temps qui s’est écoulé entre les deux :

L’élégance de cette formule, qui intègre harmonieusement tous les paramètres du problème, explique qu’on lui accorda un grand crédit.

Si cette formule est bonne pour un boulet de canon, elle doit aussi s’appliquer à la Terre que l’on peut supposer au départ en fusion à la température de fusion du fer, qui constitue une bonne part de son noyau. Fourier a envisagé cette application de l’équation qu’il avait établie.

Fourier n’est pas le premier à étudier l’âge de la Terre. Dans les années 1650, Ussher, avait fixé à 4004 avant Jésus-Christ la date de la Création. Ensuite, à la fin du dix-huitième siècle, Buffon (1707-178Smilie: 8) suivant l’idée que la Terre avait été jadis une boule de feu qui, peu à peu, s’était refroidie pour donner le globe tiède sur lequel nous vivons  fait des expériences dans les forges de Montbard sur le temps de refroidissement de globes de fer portés à température de fusion. Comme la Terre n’est pas du fer, il fit façonner d’autres boules de métaux divers, de marbre et d’argile. Il pratiqua ainsi une multitude d’expériences de physique. Tout cela pour aboutir au résultat suivant : la Terre aurait 75 000 ans. Pour courte que cette durée nous paraisse, elle était très choquante pour l’époque, Buffon jugeait lui-même la durée qu’il avait calculée trop courte au regard de ce qu’il estimait nécessaire au dépôt des couches de sédiments et au temps qu’il avait fallu pour les changer en roche. On sait sa pensée parce que l’on a gardé ses manuscrits sur ce point, documents rescapés, car habituellement il les brûlait. Ces manuscrits comportent des évaluations beaucoup plus longues, qui vont jusqu’à presque 3 millions d’années. Redoutant sans doute le scandale, car il avait déjà eu affaire à la Sorbonne qui, jugeant son « Histoire naturelle » peu catholique, l’avait contraint à de pénibles protestations d’orthodoxie, il les garda pour lui, pensant, comme il l’avait écrit à un intime, qu’il « valait mieux être plat que pendu ».

Il est probable que Fourier connaissait cela et soupçonnait les réticences qui accueilleraient le résultat de ses calculs. Fourier n’effectue donc pas l’application numérique, de sorte qu’Arago en 1833 dans l’éloge de Fourier conclura prudemment : « Je commettrais, cependant, un oubli sans excuse, si je ne disais que parmi les formules de Fourier, il en est une, destinée à donner la valeur du refroidissement séculaire du globe, et dans laquelle figure le nombre de siècles écoulés depuis l’origine de ce refroidissement. La question, si vivement controversée, de l’ancienneté de notre terre, même en y comprenant sa période d’incandescence, se trouve ainsi ramenée à une détermination thermométrique. Malheureusement ce point de théorie est sujet à des difficultés sérieuses. D’ailleurs la détermination thermométrique, à cause de son excessive petitesse serait réservée aux siècles à venir.»

Il est impensable qu’Arago (tout comme Fourier) n’ait pas effectué les calculs liés à l’application numérique de la formule (à une époque où la discussion portait sur les temps qui restaient à la Terre pour devenir un astre glacé inhabitable la réponse à cette question hantait les esprits).

 Quarante ans après Fourier, Lord Kelvin (1824-1907), reprend les calculs de Fourier, améliore l’argumentation et réalise l’application numérique. Le problème de l’âge de la Terre allait obséder Kelvin pendant plusieurs décennies, et le mettre au centre d’une controverse au point de faire oublier la contribution de Fourier, tout le monde ou presque étant maintenant persuadé que la formule est due à Kelvin.

Utilisant les meilleurs valeurs connues à son époque, Kelvin obtient pour la Terre un âge de l’ordre de 100 millions d’années. Même en tenant compte des marges d’incertitude, il estime très improbable que la Terre soit âgée de plus de 400 millions d’années ; et il complète son calcul par d’autres arguments indépendants, qu’il développe sur un le ton polémique.

En effet, dans les années 1860, ces valeurs sont incompatibles avec les théories géologiques dites gradualistes ; et bien sûr avec la théorie de la sélection naturelle de Darwin. Darwin (1809-1882) estime que sa théorie ne peut tenir debout dans une échelle de temps aussi réduite ; entre la première édition de son Origine des espèces (1859) et la dernière édition (1872), il insèrera des modifications prudentes, demandant une suspension de jugement jusqu’à ce que les connaissances en la matière soient plus sûres. Kelvin quant à lui semble avoir pensé être en possession d’une preuve de l’existence de Dieu, ou peu s’en faut (si les échelles de temps sont trop courtes, c’est que la sélection naturelle ne peut pas être la seule responsable de l’évolution).

Les géologues essayèrent de revoir leurs chronologies pour les adapter au nouveau cadre que leur proposait Kelvin ; mais les choses empirèrent au cours des années, quand ce dernier révisa ses estimations à la baisse, jusqu’au chiffre de 24 millions d’année ! En 1893, l’ensemble du monde physicien accepte ces estimations, mais les géologues et évolutionnistes ne peuvent s’y résoudre, provoquant une crise interscienti?que majeure.

 Connaissant la suite de l’histoire et le caractère de Fourier, citons à nouveau Arago : « Autant votre secrétaire [Fourier] avait besoin de causer, autant il éprouvait de répugnance pour les discussions verbales. Fourier coupait court à tout débat, aussitôt qu’il pressentait une divergence d’avis un peu tranchée, sauf à reprendre plus tard le même sujet, avec la prétention modeste de faire un très petit pas chaque fois. Quelqu’un demandait à Fontaine, géomètre célèbre de cette Académie, ce qu’il faisait dans le monde où il gardait un silence presque absolu. « J’observe, répondit-il, la vanité des hommes pour la blesser dans l’occasion. » Si, comme son prédécesseur, Fourier étudiait aussi les passions honteuses qui se disputent les honneurs, la richesse, le pouvoir, ce n’était point pour les combattre : résolu à ne jamais transiger avec elles, il calculait cependant ses démarches de manière à ne pas se trouver sur leur chemin. Nous voilà bien loin, du caractère ardent, impétueux, du jeune orateur de la société populaire d’Auxerre ; mais à quoi servirait la philosophie, si elle ne nous apprenait à vaincre nos passions ! ».

Il n’est donc pas étonnant que Fourier n’ait pas, sur ce point de l’âge de la Terre, livré au public le résultat de ses calculs, laissant à ceux qui étaient capables de les mener, le soin de conclure pour eux-même, en toute logique.

 

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François Arago

François ARAGO, 1833

Éloge historique de Joseph Fourier par M. Arago, secrétaire perpétuel de l’Académie, lu à la séance du 18 novembre 1833

 Messieurs,

Un académicien, jadis, ne différait d’un autre académicien, que par le nombre, la nature et l’éclat de ses découvertes. Leur vie, jetée en quelque sorte dans le même moule, se composait d’événements peu dignes de remarque. Une enfance plus ou moins studieuse; des progrès tantôt lents, tantôt rapides; une vocation contrariée par des parents capricieux ou aveugles; l’insuffisance de fortune, les privations qu’elle amène à sa suite, trente ans d’un professorat pénible et d’études difficiles, tels étaient les éléments tout ordinaires dont le talent admirable des anciens secrétaires de l’Académie a su tirer ces tableaux si piquants, si spirituels, si variés, qui forment un des principaux ornements de vos savantes collections.

 Les biographes sont aujourd’hui moins à l’étroit. Les convulsions que la France a éprouvées pour sortir des langes de la routine, de la superstition et du privilège, ont jeté au milieu des orages de la vie politique, des citoyens de tous les âges, de toutes les conditions, de tous les caractères. Aussi, l’Académie des sciences a-t-elle figuré dans l’arène dévorante où, durant quarante années, le fait et le droit se sont tour à tour arraché le pouvoir, par un glorieux contingent de combattants et de victimes !

Reportez, par exemple, vos souvenirs vers l’immortelle assemblée nationale. Vous trouverez à sa tête un modeste académicien, modèle de toutes les vertus privées, l’infortuné Bailly, qui, dans les phases diverses de sa vie politique, sut concilier l’amour passionné de la patrie avec une modération que ses plus cruels ennemis eux-mêmes ont été forcés d’admirer.

Lorsque, plus tard, l’Europe conjurée lance contre la France un million de soldats ; lorsqu’il faut improviser quatorze armées, c’est l’ingénieux auteur de l’Essai sur les machines et de la Géométrie de position, qui dirige cette opération gigantesque. C’est encore Carnot, notre honorable confrère, qui préside à l’incomparable campagne de dix-sept mois, durant laquelle des Français, novices au métier des armes, gagnent huit batailles rangées, sortent victorieux de cent quarante combats, occupent cent seize places fortes, deux cent trente forts ou redoutes. enrichissent nos arsenaux de quatre mille canons. de soixante-dix mille fusils, font cent mille prisonniers, et pavoisent le dôme des Invalides de quatre-vingt-dix drapeaux. Pendant le même temps, les Chaptal, les Fourcroy, les Monge. les Berthollet, concouraient aussi à la défense de la nationalité française, les uns en arrachant à notre sol, par des prodiges d’industrie, jusqu’aux derniers atomes de salpêtre qu’il pouvait contenir; les autres, en transformant, à l’aide de méthodes nouvelles et rapides, les cloches des villes, des villages, des plus petits hameaux, en une formidable artillerie, dont nos ennemis croyaient, dont ils devaient, croire, en effet, que nous étions dépourvus. A la voix de la patrie menacée, un autre académicien, le jeune et savant Meunier, renonçait sans effort aux séduisantes occupations du laboratoire; il allait s’illustrer sur les remparts de Kœnigstein, contribuer en héros à la longue défense de Mayence, et ne recevait la mort, a quarante ans, qu’après s’être placé au premier rang d’une garnison où brillaient les Aubert-Dubayet, les Beaupuy, les Haxo, les Kléber.

Comment pourrais-je oublier ici le dernier secrétaire de l’ancienne académie. Suivez-le dans une assemblée célèbre ; dans cette convention dont on pardonnerait presque le sanglant délire, en se rappelant combien elle fut glorieusement terrible aux ennemis de notre indépendance, et toujours vous voyez l’illustre Condorcet, exclusivement occupé des grands intérêts de la raison et de l’humanité. Vous l’entendez « flétrir » le honteux brigandage qui depuis deux siècles « dépeuplait, en le corrompant, le continent africain; » demander avec les accents d’une conviction profonde, qu’on purifie nos codes de cette affreuse peine capitale qui rend l’erreur des juges à jamais irréparable; il est l’organe officiel de l’assemblée toutes les fois qu’il faut parler aux soldats, aux Citoyens, aux factions, aux étrangers, un langage digne de la France; il ne ménage aucun parti, leur crie sans cesse « de s’occuper un peu moins d’eux-mêmes et un peu plus de la chose publique ; » il répond, enfin à d’injustes reproches de faiblesse, par des actes qui lui laissent, pour toute alternative, le poison ou l’échafaud.

La révolution française jeta aussi le savant géomètre dont je dois aujourd’hui célébrer les découvertes, bien loin de la route que le sort paraissait lui avoir tracée. Dans des temps ordinaires, c’est de dom Joseph Fourier que le secrétaire de l’Académie aurait dû vous entretenir ; c’est la vie tranquille et retirée d’un bénédictin qu’il eût déroulée devant vous. La vie de notre confrère sera, au contraire, agitée et pleine de périls ; elle se passera dans les dangereux combats du forum ; au milieu des hasards de la guerre ; en proie à tous les soucis d’une administration difficile. Cette vie nous la trouverons étroitement enlacée aux plus grands événements de notre époque. Hâtons-nous d’ajouter qu’elle sera toujours digne, honorable, et que les qualités personnelles du savant chausseront l’éclat de ses découvertes.

Fourier naquit à Auxerre, Le 21 mars 1768. Son père, comme celui de l’illustre géomètre Lambert, était un simple tailleur. Cette circonstance eût jadis occupé beaucoup de place dans l’éloge de notre savant confrère ; grâce aux progrès des lumières, je puis en faire mention comme d’un fait sans importance personne. en effet, ne croit aujourd’hui; personne même ne fait semblant de croire que le génie soit un privilège attaché au rang ou à la fortune.

Fourier devint orphelin à l’âge de huit ans. Une dame qui avait remarqué la gentillesse de ses manières et ses heureuses dispositions, le recommanda à l’évêque d’Auxerre. Par l’influence de ce prélat, Fourier fut admis à l’étole militaire que dirigeaient alors les bénédictins de la congrégation de Saint-Maur. Il y fit ses études littéraires avec une rapidité et des succès surprenants. Plusieurs sermons fort applaudis à Paris dans la bouche de hauts dignitaires de l’Église, étaient sortis de la plume de l’écolier de douze ans. Il serait aujourd’hui impossible de remonter à ces premières compositions de la jeunesse de Fourier, puisqu’en divulguant le plagiat il a eu la discrétion de ne jamais nommer ceux qui en profitèrent.

Fourier avait, à treize ans, la pétulance, la vivacité bruyante de la plupart des jeunes gens de cet âge ; mais son caractère changea tout à coup et comme par enchantement, dès qu’il fut initié aux premières notions de mathématiques, c’est-à-dire, dès qu’il eut senti sa véritable vocation. Les heures réglementaires de travail ne suffirent plus alors à son insatiable curiosité. Des bouts de chandelles soigneusement recueillis dans la cuisine, les corridors et le réfectoire du collège, servaient, la nuit, dans son âtre de cheminée fermé avec un paravent, à éclairer les études solitaires par lesquelles Fourier préludait aux travaux qui, peu d’années après, devaient honorer son nom et sa patrie.

Dans une école militaire dirigée par des moines, l’esprit des élèves ne devait guère flotter qu’entre deux carrières : l’Église et l’épée. Ainsi que Descartes, Fourier voulut être soldat ; comme Descartes, la vie de garnison l’eût sans doute bientôt fatigué; on ne lui permit pas d’en faire l’expérience. Sa demande à l’effet de subir l’examen de l’artillerie, quoique vivement appuyée par notre illustre confrère Legendre, fut repoussée avec un cynisme d’expressions dont vous allez être juges vous-mêmes : « Fourier, répondit le ministre, n’étant pas noble, ne pourrait entrer dans l’artillerie, quand « il serait un second Newton ! »

Il y a, messieurs, dans l’exécution judaïque des règlements, même lorsqu’ils sont les plus absurdes, quelque chose de respectable que je me plais à reconnaître. En cette circonstance, rien ne pouvait affaiblir l’odieux des paroles ministérielles. Il n’est point vrai, en effet, qu’on n’entrât anciennement dans l’artillerie qu’avec des titres de noblesse : une certaine fortune suppléait souvent à des parchemins. Ainsi, ce n’était pas seulement un je ne sais quoi d’indéfinissable que, par parenthèse, nos ancêtres les Francs n’avaient pas encore, inventé, qui manquait au jeune Fourier, c’était une rente de quelques centaines de livres, dont les hommes placés alors à la tète du pays auraient refusé de voir l’équivalent dans le génie d’un second Newton ! Conservons ces souvenirs, messieurs: ils jalonnent admirablement l’immense carrière que la France a parcourue depuis quarante années. Nos neveux y verront d’ailleurs, non l’excuse, mais l’explication de quelques-uns des sanglants désordres qui souillèrent notre première révolution.

Fourier n’ayant pu ceindre l’épée prit l’habit de bénédictin, et se rendit à l’abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire, où il devait faire son noviciat. Il n’avait pas encore prononcé de vœux, lorsque, en 1789, de belles, de séduisantes idées sur la régénération sociale de la France s’emparèrent de tous les esprits. Aussitôt, Fourier renonça à la carrière ecclésiastique, ce qui n’empêcha point ses anciens maîtres de lui confier la principale chaire de mathématiques à l’école militaire d’Auxerre, et de lui prodiguer les marques d’une vive et sincère affection. J’ose le dire, aucune circonstance, dans la vie de notre confrère, ne témoigne plus fortement de la bonté de son naturel et de l’aménité de ses manières. Il faudrait ne pas connaître le cœur humain, pour supposer que les moines de Saint-Benoît mue ressentirent point quelque dépit en se voyant si brusquement abandonnés ; pour imaginer, surtout, qu’ils renoncèrent sans de vifs regrets à la gloire que l’ordre pouvait attendre du collaborateur ingénieux qui leur échappait.

Fourier répondit dignement à la confiance dont il venait d’être l’objet. Quand ses collègues étaient indisposés, le professeur titulaire de mathématiques occupait, tour à tour, les chaires de rhétorique, d’histoire, de philosophie, et, quel que fût l’objet de ses leçons, il répandait à pleines mains, dans un auditoire qui l’écoutait avec délices, les trésors d’une instruction variée et profonde, ornés de tout ce que la plus élégante diction pouvait leur donner d’éclat.

A la fin de 1789, Fourier se rendit à Paris, et fit devant l’Académie des sciences un mémoire concernant la résolution des équations numériques de tous les degrés. Ce travail de sa première jeunesse, notre confrère ne l’a pour ainsi dire jamais perdu de vue. Il l’expliquait, à Paris, aux élèves de l’école polytechnique ; il le développait sur les bords du Nil, en présence de l’institut d’Égypte ; à Grenoble, depuis 1802, c’était le sujet favori de ses entretiens avec les professeurs de l’école centrale ou de la faculté des sciences ; ce mémoire, enfin, renfermait les fondements de l’ouvrage que Fourier faisait imprimer, lorsque la mort vint le frapper.

Un sujet scientifique n’occupe pas tant de place, dans la vie d’un savant du premier ordre, sans avoir de l’importance et de la difficulté. La question d’analyse algébrique dont il vient d’être fait mention, et que Fourier a étudiée avec une si remarquable persévérance, n’est pas une exception à cette règle. Elle se présente dans un grand nombre d’applications du calcul au mouvement des astres ou à la physique des corps terrestres, et, en général, dans les problèmes qui conduisent à des équations d’un degré élevé. Dès qu’il veut sortir du domaine des abstractions, le calculateur a besoin des racines de ces équations ; ainsi, l’art de les découvrir à l’aide d’une méthode uniforme, soit exactement, soit par approximation, a dû de bonne heure exciter la sollicitude des géomètres.

Un œil attentif aperçoit déjà quelques traces de leurs efforts, dans les écrits des mathématiciens de l’école d’Alexandrie. Ces traces, il faut le dire, sont si légères, si imparfaites, qu’on aurait vraiment le droit de ne faire remonter la naissance de cette branche de l’analyse, qu’aux excellents travaux de notre compatriote Viète. Descartes, à qui on rend une justice bien incomplète quand on se contente de dire qu’il nous apprit beaucoup en nous apprenant à douter, s’occupa aussi un moment de ce problème, et y laissa l’empreinte ineffaçable de sa main puissante. Hudde donna pour un cas particulier, mais très-important, des règles auxquelles on n’a depuis rien ajouté ; Rolle, de l’Académie des sciences, consacra à cette unique question sa vie tout entière. Chez nos voisins d’outre-mer, Harriot, Newton, Mac-Laurin, Stirling, Waring, je-veux dire tout ce que, dans le dernier siècle, l’Angleterre produisit de géomètres illustres, en firent aussi l’objet de leurs recherches. Quelques .années après, les noms de Daniel Bernoulli, d’Euler, de Fontaine, vinrent s’ajouter à tant. de grands noms. Lagrange, enfin, entra à soit tour dans la carrière, et, dès ses premiers pas, il substitua aux essais imparfaits, quoique fort ingénieux, de ses prédécesseurs, une méthode complète et à l’abri de toute objection. A partir de ce moment, la dignité de la science était satisfaite ; mais, en pareille matière, il ne serait pas permis de dire avec le poète :

« Le temps ne fait rien à l’affaire »

Or, si les procédés inventés par Lagrange, simples dans leur principe, applicables à tous les cas, ont théoriquement le mérite de conduire au résultat avec certitude, ils exigeaient, d’autre part, des calculs d’une longueur rebutante. Il restait donc à perfectionner la partie pratique de la question : il fallait trouver les moyens d’abréger la route, sans lui rien faire perdre de sa sûreté. Tel était le but principal des recherches de Fourier, et ce but il l’a atteint eu grande partie.

Descartes avait déjà trouvé dans l’ordre suivant lequel se succèdent les signes des différents termes d’une équation numérique quelconque, le moyen de décider, par exemple, combien cette équation peut avoir de racines réelles positives. Fourier a fait plus : il a découvert une méthode pour déterminer en quel nombre les racines également positives de toute équation, peuvent se trouver comprises entre deux quantités données. Ici certains calculs deviennent nécessaires, mais ils sont très-simples, et quelque précision que l’on désire, ils conduisent sans fatigue aux solutions cherchées. Je doute que l’on puisse citer une seule découverte scientifique de quelque importance, qui n’ait pas suscité des discussions de priorité. La nouvelle méthode de Fourier pour résoudre les équations numériques est, sous ce rapport, largement comprise dans la loi commune. On doit, au surplus, reconnaître que le théorème qui sert de base à cette méthode été d’abord publié par M. Buclan ; que, d’après une règle qu’ont solennellement sanctionnée les principales académies de l’Europe, et dont les historiens des sciences ne sauraient s’écarter sans tomber dans l’arbitraire et la confusion, M. Budan doit être considéré comme inventeur. Je dirai, avec une égale assurance, qu’il serait impossible de refuser à Fourier le mérite d’être arrivé au but par ses propres efforts. Je regrette même que pour établir des droits que personne n’entendait nier, il ait jugé nécessaire de recourir à des certificats d’anciens élèves de l’école polytechnique ou de professeurs de l’Université. Puisque notre confrère avait la modestie de croire que sa simple déclaration ne devait pas suffire, pourquoi, et cet argument eût été plein de force, ne faisait-il pas remarquer à quel point sa démonstration diffère de celle de son compétiteur ? Démonstration admirable, en effet, et tellement imprégnée des éléments intimes de la question, qu’un jeune géomètre, M. Sturm, vient d’en faire usage pour établir la vérité du beau théorème à l’aide duquel il détermine, non plus de simples limites, mais le nombre exact de racines d’une équation quelconque, qui sont comprises entre deux quantités données.

Tout à l’heure nous avions laissé Fourier à Paris, soumettant à l’Académie des sciences le travail analytique dont je viens de donner une idée générale. De retour à Auxerre, le jeune géomètre trouva la ville, les campagnes environnantes, et même l’école à laquelle il appartenait, vivement occupées des grandes questions de dignité humaine, de philosophie, de politique, qui étaient alors débattues par les orateurs des divers côtés de l’assemblée nationale. Fourier s’abandonna aussi à ce mouvement des esprits. Il embrassa avec enthousiasme les principes de la révolution et s’associa ardemment à tout ce que l’élan populaire offrait de grand, de juste, de généreux. Son patriotisme lui fit accepter les missions les plus difficiles. Disons que jamais, même au péril de sa vie, il ne transigea avec les passions basses, cupides, sanguinaires, qui surgissait de toute part.

Membre de la société populaire d’Auxerre, Fourier y exerça un escendant presque irrésistible. Un jour, la Bourgogne tout entière en a conservé le souvenir. A l’occasion de la levée de 300 000 hommes, il fit vibrer si éloquemment les mots d’honneur, de patrie, de gloire ; il provoqua tant d’enrôlements volontaires, que le tirage au sort devint inutile. A la vois de l’orateur, le contingent assigné au chef-lieu de l’Yonne se forma, se réunit spontanément dans l’enceinte même de l’aasemblée, et marcha sur le champ à la frontière. Malheureusement, ces luttes du Forum dans lesquelles s’usaient alors tant de nobles vies, étaient loin d’avoir toujours une importance réelle. De ridicules, d’absurdes, de burlesques motions, y heurtaient sans cesse les inspirations d’un patriotisme pur, sincère, éclairé. La société d’Auxerre nous fournirait, au besoin, plus d’un exemple de ces désolants contraste. Ainsi, je pourrais dire que, dans la même enceinte où Fourier sut exciter les honorables sentiments que j’ai rappelés avec bonheur, il eut, une autre fois à combattre un certain orateur, peut-être bien intentionné, mais assurément mauvais astronome, lequel voulant échapper, disait-il, au bon plaisir des administrateurs municipaux, demandait que les noms de quartier du Nord de l’Est, du Sud et rie l’Ouest fussent assignés aux diverses parties de la ville d’Auxerre, par la voie du sort.

Les lettres, les beaux-arts, les sciences, semblèrent un moment devoir ressentir aussi l’heureuse influence de la révolution française. Voyez par exemple, avec quelle largeur d’idées fut conçue la réforme des poids et mesures ; sur quelles vastes opérations on résolut de l’appuyer ; quels géomètres quels, astronomes, quels physiciens éminents présidèrent à toutes les parties de ce grand travail ! Hélas ! d’affreux déchirements intérieurs vinrent bientôt assombrir ce magnifique spectacle. Les sciences ne pouvaient prospérer au milieu du combat acharné des factions. Elles eussent rougi de rien devoir aux hommes de sang, dont les passions aveugles immolèrent les Saron, les Bailly, les Lavoisier.

Peu de mois après le 9 thermidor, la convention, voulant ramener le pays vers des idées d’ordre, de civilisation et de progrès intérieurs, songea à organiser l’instruction publique; mais où trouver des professeurs ? Les corporations religieuses dans lesquelles ont les choisissait anciennement, étaient supprimées : elles avaient d’ailleurs émigré presque en masse. Les membres laïques du corps enseignant, devenus officiers d’artillerie, du génie ou d’état-major, combattaient aux frontières les ennemis de la France. Heureusement, dans cette époque d’exaltation intellectuelle, rien ne semblait impossible. Les professeurs manquaient, on décréta qu’il en serait créé sans retard, et l’école normale naquit. Quinze cents citoyens de tout âge, présentés par les chefs-lieux de district, s’y trouvèrent aussitôt réunis, non pour étudier, dans toutes leurs ramifications, les diverses branches des connaissances humaines, mais afin d’apprendre, sous les plus grands maîtres, l’art d’enseigner.

Fourier était l’un de ces 1 500 élèves. On s’étonnera, non sans quelque raison, je l’avoue, quand je dirai qu’il fut élu à Saint-Florentin, et qu’Auxerre parut insensible à l’honneur d’être représentée à Paris par le plus illustre de ses enfants. Mais cette indifférence sera comprise ; ensuite s’écroulera sans retour, le laborieux échafaudage de calomnies auquel elle a servi de base, dès que je rappellerai qu’après le 9 thermidor, la capitale et surtout les départements, furent en proie à une réaction aveugle et désordonnée, comme le sont toujours les réactions politiques ; que le crime, (pour avoir changé de bannière il n’en était pas moins hideux) usurpa la place de la justice ; que d’excellents citoyens, des patriotes purs, modérés, consciencieux, étaient journellement traqués par des bandes d’assassins à gages devant lesquelles les populations restaient muettes d’effroi. Te1les sont, Messieurs, les redoutables influences qui privèrent un moment Fourier du suffrage de ses compatriotes, et le travestirent en partisan de Robespierre, lui que Saint-Just, faisant allusion à son éloquence douce et persuasive, appelait un patriote en musique ; lui que les Décemvirs plongèrent tant de fois dans les cachots lui qui, au plus fort de la terreur, prêta devant le tribunal révolutionnaire, le secours de son admirable talent, à la mère du maréchal Davout, coupable du crime, à cette époque irrémissible, d’avoir envoyé quelques sommes d’argent à des émigrés ; lui qui, à Tonnerre, eut l’incroyable audace d’enfermer sous clef à l’auberge, un agent du comité de salut public dont il avait surpris le secret, et se donna ainsi le temps d’avertir un honorable citoyen qu’on allait arrêter ; lui, enfin, qui s’attaquant, corps à corps, au proconsul sanguinaire devant lequel tous tremblaient dans l’Yonne, le fit passer pour fou, et obtint sa révocation ! Voilà, Messieurs, quelques-uns des actes de patriotisme, de dévouement, d’humanité, qui signalèrent la première jeunesse de Fourier. Ils furent, vous l’avez vu, payés d’ingratitude ; mais doit-on vraiment s’en étonner ? Espérer de la reconnaissance de qui ne pourrait la manifester sans danger, ce serait méconnaître la fragilité humaine et s’exposer à de fréquents mécomptes.

Dans l’école normale de la convention, des débats succédaient de temps en temps aux leçons ordinaires. Ces jours-là, les rôles étaient intervertis : les élèves interrogeaient les professeurs. Quelques paroles prononcées par Fourier dans une de ces curieuses et utiles séances suffirent pour le faire remarquer. Aussi, dès qu’on sentit la nécessité de créer des maîtres de conférence, tous les yeux se portèrent-ils sur l’élève de Saint-Florentin. La précision, la lucidité, l’élégance de ses leçons, lui conquirent bientôt les applaudissements unanimes de l’auditoire difficile et nombreux qui lui fut confié.

A l’apogée de sa gloire scientifique et littéraire, Fourier reportait encore avec prédilection ses pensées sur 1794, et sur les efforts sublimes que faisait alors la nation française pour créer un corps enseignant. S’il l’avait osé, le titre d’élève de l’ancienne école normale eût été sans aucun doute celui dont il se serait paré de préférence. Cette école périt, Messieurs, de froid, de misère et de faim, et non pas, quoi qu’on en ait dit, à cause de quelques vices d’organisation, dont le temps et la réflexion eussent facilement fait justice. Malgré son existence si courte, elle donna aux études scientifiques une direction toute nouvelle qui a eu les plus importants résultats, En appuyant cette opinion de quelques développements, je m’acquitterai d’unie tache que Fourier m’eut certainement imposée, s’il avait, pu soupçonner qu’à de justes, qu’à d’éloquents éloges de son caractère et de ses travaux, viendraient, dans cette enceinte même et par la bouche d’un de ses successeurs, se mêler de vives critiques de sa chère école normale.

C’est à l’école normale conventionnelle qu’il faut inévitablement remonter, quand on veut trouver le premier enseignement public de la géométrie descriptive, cette belle création de Monge. C’est de là qu’elle est passée, presque sans modifications, à l’école polytechnique, dans les usines, dans les manufactures, dans les plus humbles ateliers.

De l’école normale date aussi une véritable révolution dans l’étude des mathématiques pures. Alors, des démonstrations, des méthodes, des théories importantes, enfouies dans les collections académiques, parurent pour la première fois devant les élèves, et les excitèrent à refondre, sur de nouvelles bases, les ouvrages destinés à l’enseignement.

A part quelques rares exceptions, les savants, en possession de faire avancer les sciences, formaient jadis en France une classe totalement distincte de celle des professeurs. En appelant les premiers géomètres, les premiers physiciens, les premiers naturalistes du monde au professorat, la convention jeta sur les fonctions enseignantes un éclat inaccoutumé, et dont mous ressentons encore les heureux effets. Aux yeux du public, un titre qu’avaient porté les La Grange, les La Place, les Monge, les Berthollet, devint, avec raison, l’égal des plus beaux titres. Si, sous l’empire, l’école polytechnique compta parmi ses professeurs en exercice, des conseillers d’État, des ministres, et le président du sénat, n’en cherchez l’explication que dans l’élan donné par l’école normale.

Voyez dans les anciens grands collèges, les professeurs, cachés en quelque sorte derrière leurs cahiers, lisant en chaire, au milieu de I’indifférence et de l’inattention des élèves, des discours laborieusement préparés, et qui, tous les ans, reparaissent les mêmes. Rien de pareil n’existait à l’école normale les leçons orales y furent seules permises. L’autorité alla même jusqu’à exiger des savants illustres chargés de l’enseignement, la promesse formelle de ne jamais réciter des leçons qu’ils auraient apprises par cœur. Depuis cette époque, la chaire est devenue une tribune d’où le professeur, identifié pour ainsi dire avec ses auditeurs, voit dans leurs regards, dans leurs gestes, dans leur contenance, tant6t le besoin de se hâter, tantôt, au contraire, la nécessité de revenir sur ses pas, de réveiller l’attention par quelque observation incidente, de revêtir d’une forme nouvelle la pensée qui, dans son premier jet, avait laissé les esprits en suspens. Et n’allez pas croire que les belles improvisations dont retentissait l’amphithéâtre de l’école normale, restassent inconnues au public. Des sténographes, soldés par 1’Etat, les recueillaient. Leurs feuilles, après la révision des professeurs, étaient envoyées aux quinze cents élèves, aux membres de la convention, aux consuls et agents de la république dans les pays étrangers, à tous les administrateurs des districts. A côté des habitudes parcimonieuses et mesquines de notre temps, c’était certainement de la prodigalité. Personne, toutefois, ne se rendait l’écho de ce reproche, quelque léger qu’il paraisse, s’il m’était permis de désigner dans belle enceinte même un illustre académicien, à qui les leçons de l’école normale allèrent révéler son génie mathématique dans un obscur chef-lieu de district !

Le besoin de remettre en évidence les importants services, aujourd’hui méconnus, dont l’enseignement des sciences est redevable à la première école normale, m’a entraîné plus loin que je ne le voulais. J’espère qu’on me le pardonnera. L’exemple, en tout cas, ne sera pas contagieux. Les louanges du temps passé, vous le savez Messieurs, ne sont plus de mode. Tout ce qui se dit, tout ce qui s’imprime, tend même à faire croire que le monde est né d’hier. Cette opinion qui permet à chacun de s’attribuer un rôle plus ou moins brillant dans le grand drame cosmogonique, est sous la sauvegarde de trop de vanités pour n’avoir rien à craindre des efforts de la logique.

Nous l’avons déjà dit, les brillants succès de Fourier à l’école normale lui assignèrent une place distinguée parmi les personnes que la nature a douées au plus haut degré du talent d’enseigner. Aussi ne fut-il pas oublié par les fondateurs de l’École Polytechnique. Attaché à ce célèbre établissement, d’abord avec le titre de surveillant des leçons de fortification, ensuite comme chargé du cours d’analyse, Fourier y a laissé une mémoire vénérée, et la réputation d’un professeur plein de clarté, de méthode, d’érudition; j’ajouterai même la réputation d’un professeur plein de grâce, car notre confrère a prouvé que ce genre de mérite, peut ne pas être étranger à l’enseignement des mathématiques.

Les leçons de Fourier n’ont pas été recueillies. Le Journal de l’école polytechnique ne renferme même qu’un seul mémoire de lui, sur le principe des vitesses virtuelles. Ce mémoire, qui probablement avait servi de texte à une leçon, montre que le secret des grands succès du célèbre professeur consistait dans la combinaison, artistement ourdie, de vérités abstraites, d’intéressantes applications et de détails historiques peu connus, puisés, chose si rare de nos jours, aux sources originales.

Nous voici à l’époque où la paix de Léoben ramena vers la capitale les principales illustrations de nos armées. Alors les professeurs et les élèves de l’école polytechnique eurent quelquefois l’honneur insigne de se trouver assis dans leurs amphithéâtres, à côté des généraux Desaix et Bonaparte. Tout leur présageait donc une participation active aux événements que chacun pressentait, et qui. en effet, ne se firent pas attendre.

Malgré l’état précaire de l’Europe, le Directoire se décida à dégarnir le pays de ses meilleures troupes, et à les lancer dans une expédition aventureuse. Eloigner de Paris le vainqueur de l’Italie, mettre ainsi un terme aux éclatantes démonstrations populaires dont sa présence était partout l’objet, et qui, tôt ou tard, seraient devenues un véritable danger, c’était tout ce que voulaient alors les cinq chefs de la république.

D’autre part, l’illustre général ne rêvait pas seulement la conquête momentanée de I’Égypte ; il désirait rendre à ce pays son antique splendeur ; il voulait étendre ses cultures, perfectionner les irrigations, créer de nouvelles industries, ouvrir au commerce de nombreux débouchés, tendre une main secourable à des populations malheureuses, les arracher au joug abrutissant sous lequel elles gémissaient depuis des siècles, les doter enfin, sans retard, de tous les bienfaits de la civilisation européenne. D’aussi grands desseins n’auraient pas pu s’accomplir avec le seul personnel d’une armée ordinaire. Il fallut faire un appel aux sciences, aux lettres, aux beaux-arts; il fallut demander le concours de quelques hommes de tête et d’expérience. Monge et Berthollet, l’un et l’autre membres de l’institut et professeurs à l’école polytechnique, devinrent, pour cet objet, les recruteurs du chef de l’expédition. Cette expédition, nos confrères en connaissaient-ils réellement le but ? Je n’oserais pas l’affirmer ; mais je sais, en tout cas, qu’il ne leur était pas permis de le divulguer. Nous allons dans un pays éloigné ; nous nous embarquerons à Toulon ; nous serons constamment avec vous ; le général Bonaparte commandera l’armée ; tel était, dans le fond et dans la forme, le cercle restreint de confidences qui leur avait été impérieusement tracé. Sur la foi de paroles aussi vagues avec les chances d’un combat naval, avec les pontons anglais en perspective, allez aujourd’hui essayer d’enrôler un père de famille, un savant déjà connu par des travaux utiles et placé dans quelque poste honorable ; un artiste en possession de l’estime et de la confiance publiques, et je me trompe fort si vous recueillez autre chose que des refus ; mais en 1798, la France sortait à peine d’une crise terrible, pendant laquelle son existence même avait été fréquemment mise en problème. Qui d’ailleurs ne s’était trouvé exposé à d’imminents dangers personnels ? Qui n’avait vu de ses propres yeux, des entreprises vraiment désespérées, conduites une heureuse fin ? En faut-il davantage pour expliquer ce caractère aventureux, cette absence de tout souci du lendemain qui parait avoir été un des traits les plus saillants de l’époque directoriale. Fourier accepta donc, sans hésiter, les propositions que ses collègues lui portèrent au nom du général en chef ; il quitta les fonctions si recherchées de professeur à l’école polytechnique. pour aller…… il ne savait où, pour faire… il ne savait quoi !

Le hasard plaça Fourier pendant la traversée, sur le bâtiment qui portait Kléber. L’amitié que le savant et l’homme de guerre se vouèrent dès ce moment n’a pas été sans quelque influence sur les événements dont l’Égypte fut le théâtre après le départ de Napoléon.

Celui qui signait ses ordres du jour : « le membre de l’Institut commandant en chef  l’armée d’Orient », ne pouvait manquer de placer une Académie parmi les moyens de régénération de l’antique royaume des Pharaons. La vaillante armée qu’il commandait venait à peine de conquérir le Kaire dans la mémorable bataille des Pyramides, que l’Institut d’Égypte naquit. Quarante-huit membres, partagés en quatre sections, devaient le composer. Monge eut l’honneur d’en être le premier président. Comme à Paris, Bonaparte appartenait aux sections mathématiques. La place de secrétaire perpétuel abandonnée au libre choix de la compagnie fut, tout d’une voix, donnée à Fourier.

Vous avez vu le célèbre géomètre remplir les mêmes fonctions à l’Académie des sciences ; vous avez apprécié l’étendue de ses lumières, sa bienveillance éclairée, son inaltérable affabilité, son esprit droit et conciliant. Ajoutez par la pensée à tant de rares qualités, l’activité que la jeunesse, que la santé peuvent seules donner, et vous aurez recréé le secrétaire de l’Institut d’Égypte, et le portrait que je voudrais en faire pâlirait à côté du modèle.

Sur les bords du Nil, Fourier se livrait à des recherches assidues sur presque toutes les branches des connaissances que comprenait le vaste cadre de l’Institut. La Décade et le Courrier de l’Égypte font connaître les titres de ses divers travaux. J’y remarque un mémoire sur la résolution générale des équations algébriques ; des recherches sur les méthodes d’élimination ; la démonstration d’un nouveau théorème d’algèbre ; un mémoire sur l’analyse indéterminée ; des études sur la mécanique générale ; un travail technique et historique sur l’aqueduc qui porte les eaux du Nil au château du Kaire ; des considérations sur les Oasis ; le plan de recherches statistiques à entreprendre sur l’état de l’Égypte ; le programme des explorations auxquelles on devrait se livrer sur l’(emplacement de l’ancienne Memphis, et dans toute l’étendue des sépultures ; le tableau des révolutions et des mœurs de l’Égypte, depuis sa conquête par Sélim.

Je trouve encore, dans la Décade égyptienne, que le premier jour complémentaire de l’an VI, Fourier présenta à l’Institut la description d’une machine destinée à faciliter les irrigations, et qui devait être mue par la force du vent.

Ce travail, si éloigné de la direction ordinaire des idées de notre confrère, n’a pas été imprimé. Il trouverait naturellement sa place dans un ouvrage dont l’expédition d’Égypte pourrait encore fournir le sujet, malgré les nombreuses et belles publications qu’elle a déjà fait naître : ce serait la description des fabriques d’acier, d’armes, de poudre, de drap, de machines, d’instruments de toute espèce que notre armée eut à improviser. Si, pendant notre enfance, les expédients que Robinson Crusoé met en œuvre pour échapper aux dangers romanesques qui viennent sans cesse l’assaillir, excitent vivement notre intérêt, comment dans l’âge mûr verrions-nous avec indifférence une poignée de Français, jetée sur les rives inhospitalières de l’Afrique, sans aucune communication possible avec la mère patrie, forcée de combattre à la fois les éléments et de formidables armées, manquant de nourriture, de vêtements, d’armes, de munitions. et suppléant à tout à force de génie !

La longe route que j’ai encore à parcourir me permettra à peine d’ajouter quelques mots sur les services administratifs de l’illustre géomètre. Commissaire français auprès du divan du Kaire, il était devenu l’intermédiaire officiel entre le général en chef et tout Égyptien qui pouvait avoir à se plaindre d’une attaque contre sa personne, sa propriété, ses mœurs, ses usages, sa croyance. Des formes toujours douces ; de scrupuleux ménagements pour des préjugés, qu’on eût vainement combattus de front ; un esprit de justice inflexible, lui avaient donné sur la population musulmane un ascendant que les préceptes du Koran ne permettaient guère d’espérer, et qui servit puissamment à entretenir des relations amicales entre les habitants du Kaire et les soldat français. Fourier était surtout en vénération parmi les cheiks et les ulémas. Une seule anecdote fera comprendre que ce sentiment était commandé par la plus légitime reconnaissance.

L’Émir Hadgy, ou prince de la caravane, que le général Bonaparte avait nommé en arrivant au Kaire, s évada pendant la campagne de Syrie. On eut, dès lors, de très-fortes raisons de croire que quatre cheiks ulémas s’étaient rendus complices de la trahison. De retour en Egypte, Bonaparte confia l’examen de cette grave affaire à Fourier. Ne me proposez pas, dit-il, des demi-mesures, vous avez à prononcer sur de grands personnages : il faut ou leur trancher la tête, ou les inviter à dîner. Le lendemain de cet entretien, les quatre cheiks dînaient avec le général en chef. En suivant les inspirations de son cœur, Fourier ne faisait pas seulement un acte d’humanité, c’était de plus de l’excellente politique. Notre savant confrère, M. Geoffroy Saint-Hilaire, de qui je tiens l’anecdote, raconte en effet que Soleyman el Fayoumi, le principal des chefs égyptiens, dont le supplice, grâce à notre confrère, s’était transformé si heureusement en un banquet, saisissait toutes les occasions de célébrer parmi ses compatriotes la générosité française.

Fourier ne montra pas moins d’habileté lorsque nos généraux lui donnèrent des missions diplomatiques. C’est à sa finesse, à son aménité que notre armée fut redevable d’un traité d’alliance offensive et défensive avec Mourad-Bey. Justement fier du résultat, Fourier oublia de faire connaître les détails de la négociation. On doit vivement le regretter, car le plénipotentiaire de Mourad était une femme, cette même Sitry Néfïçah, que Kléber a immortalisée en proclamant sa bienfaisance, son. noble caractère dans le bulletin d’Héliopolis, et qui, du reste, était déjà célèbre d’une extrémité de l’Asie à l’autre, à cause des révolutions sanglantes que sa beauté sans pareille avait suscitées parmi les mameluks.

L’incomparable victoire que Kléber remporta sur l’armée du grand vizir, n’abattit point l’énergie des janissaires qui s’étaient emparés du Kaire pendant qu’on combattait à Héliopolis. Ils se défendirent de maison en maison avec un courage héroïque. On avait à opter entre l’entière destruction de la ville et une capitulation honorable pour les assiégés. Ce dernier parti prévalut : Fourier, comme d’habitude, chargé de la négociation, la conduisit à bon port ; mais, cette fois, le traité ne fut pas discuté, convenu et signé dans l’enceinte mystérieuse d’un harem sur de moelleux divans, à l’ombre de bosquets embaumés. Les pourparlers eurent lieu dans une maison à moitie ruinée par les boulets et par la mitraille ; au centre du quartier dont les révoltés disputaient vaillamment la possession à nos soldats; avant même qu’on eût pu convenir des bases d’une trêve de quelques heures. Aussi, lorsque Fourier s’apprêtait à célébrer, suivant les coutumes orientales, la bienvenue du commissaire turc, de nombreux coups de fusil partirent de la maison en face, et une balle traversa la cafetière qu’il tenait à la main. Sans vouloir mettre en questions la bravoure de personne, ne pensez-vous pas, Messieurs que si les diplomates étaient ordinairement placés dans des positions aussi périlleuses, le public aurait moins à se plaindre de leurs proverbiales lenteurs ?

Pour réunir en un seul faisceau les services administratifs de notre infatigable confrère, j’aurais encore à vous le montrer, sur l’escadre anglaise, moment de la capitulation de Menou, stipulant diverses garanties en faveur des membres de l’institut d’Egypte ; niais des services non moins importants. et d’une autre nature, réclament aussi notre attention. Ils nous forceront même à revenir sur nos pas, à remonter jusqu’à l’époque, de glorieuse mémoire, où Desaix achevait la conquête de la haute Égypte, autant par la sagesse, la modération et l’inflexible justice de tous ses actes, que par la rapidité et l’audace des opérations militaires. Bonaparte chargea alors deux commissions nombreuses d’aller explorer dans ces régions reculées, une multitude de monuments dont les modernes soupçonnaient à peine l’existence, Fourier et Costaz furent les commandants de ces commissions ; je dis les commandants, car une force militaire assez imposante leur avait été confiée ; car c’était souvent à l’issue d’un combat avec des tribus nomades d’Arabes, que l’astronome trouvait dans le mouvement des astres, les éléments d’une future carte géographique ; que le naturaliste recueillait des végétaux inconnus, déterminait la constitution géologique du sol, se livrait à des dissections pénibles ; que l’antiquaire mesurait les dimensions des édifices, qu’il essayait de copier avec exactitude les images fantasques dont tout était couvert dans ce singulier pays, depuis les plus petits meubles, depuis les simples jouets des enfants, jusqu’à ces prodigieux palais, jusqu’à ces façades immenses à côté desquelles les plus vastes constructions modernes attireraient à peine un regard.

Les deux commissions savantes étudièrent avec un soin scrupuleux, le temple magnifique de l’ancienne Tentyris, et surtout les séries de signes astronomiques qui ont soulevé de nos jouis de si vifs débats ; les monuments remarquables de l’Ile mystérieuse et sacrée d’É1éphantine ; les ruines de Thèbes aux cent portes devant lesquelles (et ce n’était cependant que des ruines !) notre armée étonnée s’arrêta tout entière pour applaudir.

Fourier présidait encore, dans la haute Égyppte à ses mémorables travaux, lorsque le général en chef quitta brusquement Alexandrie, et revint en France avec ses principaux amis. Ils se trompèrent donc, ceux qui, ne voyant pas notre confrère sur la frégate le Muiron, à côté de Monge et de Berthollet, imaginèrent que Bonaparte n’avait pas su apprécier ses éminentes qualités. Si Fourier ne fut point du voyage, c’est qu’il était à cent lieues de la Méditerranée, quand le Muiron nuit à la voile. L’explication cesse d’être piquante, mais elle est vraie. En tout cas, l’amitié de Kléber pour le secrétaire de l’Institut d’Égypte, la juste influence qu’il lui accorda dans une multitude d’occasions délicates, l’eussent amplement dédommagé d’un injuste oubli.

J’arrive, Messieurs, à l’époque, de douloureuse mémoire, où les agas des janissaires réfugiés en Syrie, désespérant de vaincre nos troupes, si admirablement commandées, à l’aide des armes loyales du soldat, eurent recours au stylet du lâche. Vous le savez, un jeune fanatique dont on avait exalté l’imagination dans les mosquées, par un mois de prières et d’abstinence, frappa d’un coup mortel lu héros d’Héliopolis, au moment où, sans défiance, il écoutait avec sa bonté ordinaire le récit de prétendus griefs et promettait réparation.

Ce malheur, à jamais déplorable, plongea notre colonie dans une affliction profonde. Les Egyptiens eux-mêmes mêlèrent leurs larmes à relIes des soldats français. Par une délicatesse de sentiment dont nous avons le tort de ne pas croire les mahométans capables, ils n’oublièrent point alors, ils n’ont jamais oublié depuis, de faire remarquer que l’assassin et ses trois complices n’étaient pas nés sur les bords du Nil.

L’armée, pour tromper sa douleur, désira que les funérailles de Kléber fussent célébrées avec une grande pompe. Elle voulut aussi qu’en ce jour solennel on lui retraçât la longue série d’actions éclatantes qui porteront le nom de l’illustre général jusqu’à nos derniers neveux. Par un concert unanime, cette honorable et périlleuse mission fut confiée à Fourier.

Il est bien peu d’hommes, Messieurs, qui n’aient pas vu les rêves brillants de leur jeunesse aller se briser, l’un après l’autre, contre les tristes réalités de l’âge mur. Fourier a été une de ces rares exceptions.

Reportez-vous, en effet, par la pensée à 1789, et cherchez ce que l’avenir pouvait promettre à l’humble néophyte de Saint-Benoît-sur-Loire. Sans doute un peu de gloire littéraire ; la faveur de se faire entendre quelquefois dans les temples de la capitale ; la satisfaction d’être chargé du panégyrique de tel ou tel personnage officiellement célèbre. Eh bien ! neuf années se seront à peine écoulées, et vous le trouverez à la tète de l’Institut d’Egypte, et il sera l’oracle, l’idole d’une compagnie qui comptait parmi ses membres, Bonaparte, Berthollet, Monge, Malus, Geoffroy Saint-Hilaire, Conté, etc. ; et sans cesse les généraux se reposeront sur lui du soin de dénouer des difficultés en apparence insolubles ; et l’armée d’Orient elle-même, si riche dans tous les genres d’illustrations ne voudra pas d’autre interprète quand il faudra raconter les hauts faits du héros qu’elle venait de perdre.

Ce fut sur la brèche d’un bastion récemment enlevé d’assaut par nos troupes; en vue du plus majestueux des fleuves, de la magnifique vallée qu’il féconde, de l’affreux désert de Libye, des colossales pyramides de Gizeh ; ce fut en présence de vingt populations d’origines diverses que le Kaire réunit dans sa vaste enceinte, devant les plus vaillants soldats qui jamais eussent foulé une terre où, cependant, les noms d’Alexandre et de César retentissent encore; ce fut au milieu de tout ce qui pouvait émouvoir le cœur, agrandir les idées, exciter l’imagination, que Fourier déroula la noble vie de Kléber. L’orateur était écouté avec un religieux silence ; mais bientôt, désignant du geste les soldats rangés en bataille devant lui, il s’écrie : « Ah ! Combien de vous eussent aspiré à l’honneur de se jeter entre Kléber et son assassin ! Je vous prends à témoin, intrépide cavalerie qui accourûtes pour le sauver sur les hauteurs de Koraïm, et dissipâtes en un instant ta multitude d’ennemis qui l’avaient enveloppé ! » à ces mots un frémissement électrique agite l’armée tout entière ; les drapeaux s’inclinent, les rangs se pressent, les armes s’entrechoquent, un long gémissement s’échappe de quelques milliers de poitrines déchirées par le sabre et par la mitraille, et la voix de l’orateur va se perdre au milieu des sanglots.

Peu de mois après, sur le même bastion, devant les mêmes soldats, Fourier célébrait, avec non moins d’éloquence les exploits, les vertus du général que les peuples conquis en Afrique saluèrent du nom si flatteur de sultan juste ; et qui venait de faire à Marengo le sacrifice de sa vie, pour assurer le triomphe des armes françaises.

Fourier ne quitta l’Egypte qu’avec les derniers débris de l’armée, à la suite de la capitulation signée par Menou. De retour en France, ses premières, ses plus constantes démarches eurent pour objet l’illustration de l’expédition mémorable dont il avait été un des membres les plus actifs et les plus utiles. L’idée de rassembler en un seul faisceau les travaux si variés de tous ses confrères, lui appartient incontestablement. J’en trouve la preuve dans une lettre, encore manuscrite, qu’il écrivit à Kléber, de Thèbes, le 20 vendémiaire an VII. Aucun acte public dans lequel il soit fait mention de ce grand monument littéraire, n’est d’une date antérieure. L’Institut du Kaire, en adoptant dès le mois de frimaire an VIII le projet d’un ouvrage d’Égypte, confiait à Fourier le soin d’en réunir les éléments épars, de les coordonner, et de rédiger l’introduction générale.

Cette introduction a été publiée sous le titre de Préface historique. Fontanes y voyait réunies les grâces d’Athènes et la sagesse de l’Égypte. Que pourrais-je ajouter à un pareil éloge ? Je dirai seulement qu’on y trouve, en quelques pages, les principaux traits du gouvernement des Pharaons, et les résultats de l’asservissement de l’antique Égypte par les rois de Perse, Les Ptolémées, les successeurs d’Auguste, les empereurs de Byzance, les premiers califes, le célèbre Saladin, les mameluks, et les princes ottomans. Les diverses, phases de notre aventureuse expédition y sont surtout caractérisées avec le plus grand soin. Fourier porte le scrupule jusqu’à essayer de prouver qu’elle fut légitime. J’ai dit seulement jusqu’à essayer, car, en ce point, il pourrait bien y avoir quelque chose à rabattre de la seconde partie de l’éloge de Fontanes. Si en 1797 nos compatriotes éprouvaient au Kaire ou à Alexandrie, des outrages, des extorsions que le Grand Seigneur ne voulait ou ne savait pas réprimer, on peut, à toute rigueur, admettre que la France devait se faire justice elle-même, qu’elle avait le droit d’envoyer une puissante armée pour mettre les douaniers turcs à la raison. Mais il y a loin de là à soutenir que le divan de Constantinople aurait dû favoriser l’expédition française ; que notre conquête allait, en quelque sorte, lui rendre l’Égypte et la Syrie ; que la prise d’Alexandrie et la bataille des Pyramides ajouteraient à l’éclat du nom ottoman ! Au surplus, le public s’est empressé d’absoudre Fourier de ce qu’il y a de hasardé dans cette petite partie de son bel ouvrage. Il en a cherché l’origine dans les exigences de la politique. Tranchons le mot, derrière certains sophismes il a cru voir la main de l’ancien général en chef de l’armée d’Orient !

Napoléon aurait donc participé par des avis, par des conseils, ou, si l’on veut, par des ordres impératifs, à la composition du discours de Fourier. Ce qui naguère n’était qu’une conjecture plausible est devenu maintenant un fait incontestable. Grâce à la complaisance de M. Champollion-Figeac, je tenais ces jours derniers dans mes mains, quelques parties des premières épreuves de la préface historique. Ces épreuves furent remises à l’Empereur, qui voulut en prendre connaissance à tête reposée avant de les lire avec Fourier. Elles sont couvertes de notes marginales, et les additions qui en ont été la conséquence s’élèvent à près du tiers de l’étendue du discours primitif. Sur ces feuilles, comme dans l’œuvre définitive livrée au public, on remarque l’absence complète de noms propres : il n’y a d’exception que pour les trois généraux en chef. Ainsi Fourier s’était imposé lui-même la réserve que certaines vanités ont tant blâmée. J’ajouterai que nulle part, sur les épreuves si précieuses de M. Champollion, on n’aperçoit de traces des misérables sentiments de jalousie qu’on a prêtés à Napoléon. Il est vrai qu’en montrant du doigt le mot illustre appliqué à Kléber, l’Empereur dit à notre confrère: QUELQU’UN m’a fait remarquer CETTE ÉPITHÈTE ; mais après une petite pause il ajouta : Il est convenu que vous la laisserez, car elle est juste et bien méritée. Ces paroles, Messieurs, honoraient encore moins le monarque qu’elles ne flétrissaient dans le quelqu’un, que je regrette de ne pouvoir désigner autrement, ces vils courtisans, dont toute la vie se passe à épier les faiblesses, les mauvaises passions de leurs maîtres, afin de sen faire le marchepied qui doit les conduire aux honneurs et à la fortune !

A peine de retour en Europe, Fourier fut nommé (le 2 janvier 1802) préfet du département de l’Isère. L’ancien Dauphiné était alors en proie à des dissensions politiques ardentes. Les républicains, les partisans de l’émigration, ceux qui s’étaient rangés sous les bannières du gouvernement consulaire, formaient autant de castes distinctes entre lesquelles tout rapprochement semblait impossible. Eh bien ! Messieurs, l’impossible, Fourier l’opéra. Son premier soin fut de faire considérer l’hôtel de la préfecture comme un terrain neutre, où chacun pouvait se montrer sans même l’apparence d’une concession. La seule curiosité, d’abord, y amena la foule; mais la foule revint, car, en France, elle déserte rarement les salons où l’on trouve un hôte poli, bienveillant, spirituel sans fatuité et savant sans pédanterie. Ce qu’on avait divulgué des opinions de notre confrère sur l’antibiblique ancienneté des monuments égyptiens inspirait surtout de vives appréhensions au parti religieux ; on lui apprit adroitement que le nouveau préfet comptait un saint dans sa famille ; que le bienheureux Pierre Fourier, instituteur des religieuses de la congrégation de Notre-Dame, était son grand-oncle, et cette circonstance opéra un rapprochement que l’inébranlable respect du premier magistrat de Grenoble pour toutes les opinions consciencieuses cimenta chaque jour davantage.

Dès qu’il fut assuré d’une trêve avec les partis politiques et religieux, Fourier put se livrer sans réserve aux devoirs de sa place. Ces devoirs, il ne les faisait pas seulement consister à entasser sans mesure et sans profit, paperasse sur paperasse. Il prenait une connaissance personnelle des projets qui lui étaient soumis ; il se faisait le promoteur infatigable de tous ceux que des préjugés cherchaient à étouffer dans leur germe. On doit ranger dans cette dernière classe la superbe route de Grenoble à Turin par le mont Genèvre, que les événements de 1814 sont venus si malheureusement interrompre, et surtout le dessèchement des marais de Bourgoin.

Ces marais, que Louis XIV avait donnés au maréchal de Turenne, étaient un foyer d’infection pour les trente-sept communes dont ils couvraient en partie le territoire. Fourier dirigea personnellement les opérations topographiques qui établirent la possibilité du dessèchement. Ces documents à la main, il alla de village en village, je dirais presque de maison en maison, régler le sacrifice que chaque famille devait s’imposer dans l’intérêt général. A force de ménagements, de tact, de patience, « en prenant l’épi dans son sens et jamais à rebours » trente-sept conseils municipaux furent amenés à souscrire une transaction commune, sans laquelle l’opération projetée n’aurait pas même pu avoir un commencement d’exécution. Le succès couronna cette rare persévérance. De riches moissons, de gras pâturages, de nombreux troupeaux, une population forte et heureuse couvrent aujourd’hui un immense territoire, où jadis le voyageur n’osait pas s’arrêter seulement quelques heures.

Un des prédécesseurs de Fourier dans la charge de secrétaire perpétuel de l’Académie, crut un jour devoir s’excuser d’avoir rendu un compte détaillé de certaines recherches de Leibniz qui n’avaient point exigé de grands efforts d’intelligence : « On doit être, disait-il fort obligé à un homme tel que lui, quand il veut bien, pour l’utilité publique, faire quelque chose qui ne soit pas de génie ! » Je n’ai pas à concevoir de pareils scrupules : aujourd’hui les sciences sont envisagées de trop haut pour qu’on puisse hésiter à placer au premier rang des travaux dont elles s’honorent, ceux qui répandent l’aisance, la santé, le bonheur au sein des populations ouvrières.

En présence d’une partie de l’Académie des inscriptions ; dans une enceinte où le nom d’hiéroglyphe a si souvent retenti, je ne puis pas me dispenser de dire le service que Fourier rendit aux science en leur conservant Champollion. Le jeune professeur d’histoire à la faculté des lettres de Grenoble vient d’atteindre 20 ans. Le sort l’appelle à prendre le mousquet. Fourier l’exempte en s’appuyant sur le titre d’élève de l’École des langues orientales que Champollion avait eu à Paris. Le ministère de la guerre apprend que l’élève donna jadis sa démission ; il crie à la fraude, et lance un ordre de départ foudroyant qui semble même interdire l’idée d’une réclamation. Fourier, cependant, ne se décourage point ; ses démarches sont habiles et pressantes ; il fait, enfin, une peinture si animée du talent précoce de son jeune ami, qu’elle arrache au pouvoir un décret d’exemption spécial. Il n’était pas facile, Messieurs, d’obtenir de pareils succès. A la même époque, un conscrit, membre de notre Académie, ne parvenait à faire révoquer son ordre de départ, qu’en déclarant qu’il suivrait à pied et en costume de l’Institut, le contingent de l’arrondissement de Paris dans lequel il se trouvait classé.

Les travaux administratifs du préfet de l’Isère interrompirent à peine les méditations du littérateur et du géomètre. C’est de Grenoble que datent les principaux écrits de Fourier ; c’est à Grenoble qu’il composa la Théorie mathématique de la chaleur, son principal titre à la reconnaissance du monde savant.

Je suis loin de m’aveugler sur la difficulté d’analyser clairement ce bel ouvrage, et, toutefois, je vais essayer de marquer un à un les pas qu’il a fait faire à la science. Vous m’écouterez, Messieurs, avec indulgence, malgré plusieurs détails minutieusement techniques, puisque je remplis le mandat dont vous m’avez honoré.

Les peuples anciens avaient, pour le merveilleux, un goût, disons mieux, une passion qui leur faisait oublier jusqu’aux devoirs sacrés de la reconnaissance. Voyez-les, par exemple, groupant en un seul faisceau les hauts faits d’un grand nombre de héros dont ils n’ont pas même daigné conserver les noms, et en doter le seul personnage d’Hercule. La suite des siècles ne nous a pas rendus plus sages. Le public, à notre époque, mêle aussi avec délices la fable à l’histoire. Dans toutes les carrières, dans celle des sciences surtout, il se complait à créer des Hercules. Aux yeux du vulgaire, il n’est pas une découverte astronomique qui ne soit due à Herschel. La théorie des mouvements planétaires est identifiée avec le nom de Laplace : à peine accorde-t-on un léger souvenir aux éminents travaux de d’Alembert, de Clairaut, d’Euler, de Lagrange. Watt est le créateur exclusif de la machine à vapeur. Chapta1 a doté les arts chimiques de l’ensemble des procédés féconds, ingénieux, qui assurent leur prospérité. Dans cette enceinte même une voix éloquente ne disait-elle pas, naguère, qu’avant Fourier, li phénomène de la chaleur, était à peine étudié ; que le célèbre géomètre avait fait, lui seul, plus d’observations que tous ses devanciers ensemble ; qu’inventeur d’une science nouvelle, d’un seul jet il l’avait presque achevée !

Au risque d’être beaucoup moins piquant, l’organe de l’Académie des sciences ne saurait se permettre de pareils élans d’enthousiasme. Il doit se rappeler que ces solennités n’ont pas seulement pour objet de célébrer les découvertes des académiciens ; qu’elles sont aussi destinées à féconder le mérite modeste ; qu’un observateur, oublié de ses contemporains, est souvent soutenu dans ses veilles laborieuses, par la pensée qu’il obtiendra un regard bienveillant de la postérité. Autant que cela dépend de nous, faisons qu’un espoir aussi juste, aussi naturel, ne soit pas déçu. Accordons un légitime, un éclatant hommage à ses hommes d’élite que la nature a doués du précieux privilège de coordonner mille faits isolés, d’en faire jaillir de séduisantes théories ; niais n’oublions pas que la faucille du moissonneur avait coupé les épis avant qu’on pût songer à les réunir en gerbes !

La chaleur se présente dans les phénomènes naturels et dans ceux qui sont le produit de l’art, sous deux formes entièrement distinctes que Fourier a envisagées séparément. J’adopterai la même division, en commençant, toutefois, l’analyse historique que je dois vous soumettre, par la chaleur rayonnante.

Personne ne peut douter qu’il n’y ait une différente physique bien digne d’être étudiée, entre la boule de fer à la température ordinaire qu’on manie à son gré, et la boule de fer, de même dimension, que la flamme d’un fourneau a fortement échauffée, et dont on ne saurait approcher sans se brûler. Cette différence, suivant la plupart des physiciens, provient d’une certaine quantité d’un fluide élastique, impondérable ou du moins impondéré, avec lequel la seconde boule s’était combinée dans l’acte de l’échauffement. Le fluide qui, en s’ajoutant aux corps froids, les rend chauds, est désigné par le nom de chaleur ou de calorique.

Les corps inégalement échauffés, placés en présence, agissent les uns sur les autres, même à de grandes distances, même à travers le vide, car les plus froids se réchauffent et les plus chauds se refroidissent ; car après un certain temps, ils sont au même degré, quelle qu’ait été la différence de leurs températures primitives.

Dans l’hypothèse que nous avons signalée et admise, il n’est qu’une manière de concevoir cette action à distance : c’est de supposer qu’elle s’opère à l’aide de certains effluves qui traversent l’espace en allant du corps chaud au corps froid ; c’est d’admettre qu’un corps chaud lance autour de lui des rayons de chaleur, comme les corps lumineux lancent des rayons de lumière.

Les effluves, les émanations rayonnantes à l’aide desquelles deux corps éloignés l’un de l’autre se mettent en communication calorifique, ont été très convenablement désignés sous le nom de calorique rayonnant.

Le calorique rayonnant avait déjà été, quoi qu’on en ait dit, l’objet d’importantes expériences, avant les travaux de Fourier. Les célèbres académiciens del Cimento trouvaient, il y a près de deux siècles, que ce calorique se réfléchit comme la lumière ; qu’ainsi que la lumière, un miroir concave le concentre à son foyer. En substituant des boules de neige à des corps échauffés, ils allèrent même jusqu’à prouver qu’on peut former des foyers frigorifiques par voie de réflexion.

Quelques années après, Mariotte, membre de cette Académie, découvrit qu’il existe différentes natures de calorique rayonnant ; que celui dont les rayons solaires sont accompagnés, traverse tous les milieux diaphanes aussi facilement que le fait la lumière ; tandis que le calorique qui émane d’une matière fortement échauffée, mais encore obscure ; tandis que les rayons de calorique, qui se trouvent mêlés aux rayons lumineux d’un corps médiocrement incandescent, sont arrêtés presque en totalité dans leur trajet au travers de la lame de verre la plus transparente !

Cette remarquable découverte, pour le dire en passant, montra combien avaient été heureusement inspirés, malgré les railleries de prétendus savants, les ouvriers fondeurs qui, de temps immémorial, ne regardaient la matière incandescente de leurs fourneaux qu’à travers un verre de vitre ordinaire, croyant, à l’aide de cet artifice arrêter seulement la chaleur qui eût brûlé leurs yeux.

Dans les sciences expérimentales, les époques de brillants progrès sont presque toujours séparées par de longs intervalles d’un repos à peu près absolu. Ainsi, après Mariotte, il s’écoule plus d’un siècle sans que l’histoire ait à enregistrer aucune nouvelle propriété du calorique rayonnant. Ensuite, et coup sur coup, on trouve dans la lumière solaire, des rayons caloriques obscurs dont l’existence ne saurait être constatée qu’avec le thermomètre, et qui peuvent être complètement séparés des rayons lumineux à l’aide du prisme ; on découvre, à l’égard des corps terrestres, que l’émission des rayons calorifiques, et, conséquemment, que le refroidissement de ces corps est considérablement ralenti par le poli des surfaces ; que la couleur, la nature et l’épaisseur des enduits dont ces mêmes surfaces peuvent être revêtues, exercent aussi une influence manifeste sur leu r pouvoir émissif ; l’expérience, enfin rectifiant les vagues prévisions auxquelles 1es esprits les plus éclairés s’abandonnent eux-mêmes avec tant d’étourderie, montre que les rayons calorifiques qui s’élancent de la paroi plane d’un corps échauffé, n’ont pas la même force, la même intensité dans toutes les directions ; que le maximum correspond à l’émission perpendiculaire, et le minimum aux émissions parallèles à la surface.

Entre ces deux positions extrêmes, comment s’opère l’affaiblissement du pouvoir émissif ? Leslie chercha, le premier, la solution de cette question importante. Ses observations semblèrent prouver que les intensités des rayons sortants sont proportionnelles (il faut bien, Messieurs, que j’emploie l’expression scientifique), sont proportionnelles aux sinus des angles que forment ces rayons avec la surface échauffée ; mais les quantités sur lesquelles on avait dû expérimenter étaient trop faibles ; les incertitudes des appréciations thermométriques comparées à l’effet total étaient, au contraire, trop grandes, pour ne pas commander une extrême défiance ; eh bien ! Messieurs, un problème devant lequel tous les procédés, tous les instruments de la physique moderne étaient restés impuissants, Fourier l’a complètement résolu, sans avoir besoin de tenter aucune expérience nouvelle. La loi cherchée de l’émission du calorique, il l’a trouvée, avec une perspicacité qu’on ne saurait assez admirer, dans les phénomènes de température les plus ordinaires, dans des phénomènes qui, de prime abord, semblent devoir en être tout à fait indépendants.

Tel est le privilège du génie il aperçoit, il saisit des rapports, là où des yeux vulgaires ne voient que des faits isolés.

Personne ne doute, et d’ailleurs l’expérience a prononcé, que dans tous les points d’un espace terminé par une enve1oppe quelconque entretenue à une température constante, on ne doive éprouver une température constante aussi, et précisément celle de l’enveloppe. Or, Fourier a établi que si les rayons calorifiques émis avaient une égale intensité dans toutes les directions ; que si même cette intensité ne variait proportionnellement au sinus de l’angle d’émission, la température d’un corps situé dans l’enceinte, dépendrait de la place qu’il y occuperait: que la température de l’eau bouillante ou celle du fer fondant, par exemple, existeraient en certains points d’une enveloppe creuse de glace !! Dans le vaste domaine des sciences physiques, on ne trouverait pas une application plus piquante, de la célèbre méthode de réduction à l’absurde dont les anciens mathématiciens faisaient usage pour démontrer les vérités abstraites de la géométrie.

Je ne quitterai pas cette première partie des travaux de Fourier, sans ajouter qu’il ne s’est point contenté de démontrer, avec tant de bonheur, la loi remarquable qui lie les intensités comparatives des rayons calorifiques émanés, sous toute sorte d’angles, de la surface des corps échauffés ; il a cherché, de plus, la cause physique de cette loi ; il l’a trouvée dans une circonstance que ses prédécesseurs avaient entièrement négligée. Supposons, a-t-il dit, que les corps émettent de la chaleur, non seulement par leurs molécules superficielles, mais encore par des points intérieurs. Admettons, de plus, que la chaleur de ces derniers points ne puisse arriver à la surface en traversant une certaine épaisseur de matière, sans éprouver quelque absorption. Ces deux hypothèses, Fourier les traduit en calcul et il en fait surgir mathématiquement la loi expérimentale du sinus. Après avoir résisté à une épreuve aussi radicale, les deux hypothèses se trouvaient complètement justifiées ; elles sont devenues des lois de la nature ; elles signalent dans le calorique, des propriétés cachées qui pouvaient seulement être aperçues par les yeux de l’esprit.

Dans la seconde question traitée par Fourier, la chaleur se présente sous une nouvelle forme. Il y a plus de difficulté à suivre ses mouvements, mais aussi les conséquences de la théorie sont plus générales, plus importantes.

La chaleur excitée, concentrée à un certain point d’un corps solide, se communique par voie de conducibilité, d’abord aux particules les plus voisines du point échauffé, ensuite, de proche en proche, à toutes les régions du corps. De là le problème dont voici l’énoncé :

Par quelles routes et avec quelles vitesses s’effectue la propagation de la chaleur, dans des corps de forme et de nature diverses, soumis à certaines conditions initiales ?

Au fond, l’Académie des sciences avait déjà proposé ce problème, comme sujet de prix, dès l’année 1736. Alors les termes de chaleur et de calorique n’étant pas en usage, elle demanda l’étude de la nature et de la propagation du FEU ! Le mot feu jeté ainsi dans le programme sans autre explication, donna lieu à la plus étrange méprise. La plupart des physiciens imaginèrent qu’il s’agissait d’expliquer de quelle manière l’incendie se communique et grandit, dans un amas de matières combustibles. Quinze concurrents se présentèrent ; trois furent couronnés.

Ce concours donna peu de résultats. Toutefois, une singulière réunion de circonstances et de noms propres en rendra le souvenir durable.

Le public n’eut-il pas le droit de s’étonner, en lisant cette déclaration académique : « La question ne donne presque « aucune prise à la géométrie ! » En matière d’inventions, tenter de faire la part de l’avenir, c’est se préparer d’éclatants mécomptes. Un des concurrents, le grand Euler, prit cependant ces paroles à la lettre. Les rêveries dont son mémoire fourmille ne sont rachetées, cette fois, par aucune de ces brillantes découvertes d’analyse, j’ai presque dit de ces sublimes inspirations qui lui étaient si familières. Heureusement Euler joignit à son mémoire un supplément vraiment digne de lui. Le père Lozeran de Fiesc et le comte de Créqui, obtinrent l’honneur insigne de voir leurs noms inscrits à côté de celui de l’illustre géomètre, sans qu’il soit possible aujourd’hui d’apercevoir dans leurs mémoires, aucune espèce de mérite, pas même celui de la politesse, car l’homme de cour dit rudement à l’Académie : « La question que vous avez soulevée n’intéresse que la curiosité des hommes. »

Parmi les concurrents moins favorablement traités, nous apercevons l’un des plus grands écrivains que la France ait produits l’auteur de la Henriade. Le mémoire de Voltaire était sans doute loin de résoudre le problème proposé ; mais il brillait, du moins, par l’élégance, la clarté, la précision du langage ; j’ajouterai par une argumentation sévère, car si l’auteur, parfois, arrive à des résultats contestables, c’est seulement quand il emprunte de fausses données à la chimie et à la physique de l’époque, sciences qui venaient à peine de naître. Au surplus, la couleur anticartésienne de quelques articles du mémoire de Voltaire devait trouver peu de faveur dans une compagnie où le cartésianisme, escorté de ses insaisissables tourbillons, coulait à pleins bords.

On trouverait plus difficilement les causes qui firent dédaigner le mémoire d’un quatrième concurrent, de madame la marquise du Châtelet, car elle aussi était entrée dans la lice ouverte par l’Académie. Le travail d’Emilie n’était pas seulement un élégant tableau de toutes les propriétés de la chaleur connues alors des physiciens; on y remarquait encore divers projets d’expériences, un, entre autres, qu’Herschel a fécondé depuis, et dont il a tiré un des principaux fleurons de sa brillante couronne scientifique.

Pendant que de si grands noms étaient engagés dans ce concours, des physiciens, moins ambitieux, posaient expérimentalement les bases solides d’une future théorie mathématique de la chaleur. Les uns constataient que les mêmes quantités de calorique n’élèvent pas d’un égal nombre de degrés la température de poids égaux de différentes substances, et jetaient par là dans la science l’importante notion de capacité. Les autres, à l’aide d’observations non moins certaines, prouvaient que la chaleur appliquée en un point d’une barre, se transmet aux parties éloignées, avec plus ou moins de vitesse ou d’intensité, suivant la nature de la matière dont la barre est formée : ils faisaient naître ainsi les premières idées de conducibilité. La même époque, si de trop grands détails ne m’étaient interdits, nous présenterait d’intéressantes expériences sur une loi de refroidissement admise hypothétiquement par Newton. Nous verrions qu’il n’est point vrai qu’à tous les degrés du thermomètre, la perte de chaleur d’un corps soit proportionnelle à l’excès de sa température sur celle du milieu dans lequel il est plongé ; mais j’ai hâte de vous montrer la géométrie pénétrant, timidement d’abord, dans les questions de propagation de la chaleur et y déposant les premiers germes de ses méthodes fécondes.

C’est à Lambert de Mulhouse qu’est dû ce premier pas. Cet ingénieux géomètre s’était proposé un problème très simple dont tout le monde peut comprendre le sens.

Une barre métallique mince est exposée, par l’une de ses extrémités, à l’action constante et durable d’un certain foyer de chaleur. Les parties voisines du foyer sont échauffées les premières. De proche en proche la chaleur se communique aux portions éloignées, et après un temps assez court, chaque point se trouve avoir acquis le maximum de température auquel il puisse jamais atteindre. L’expérience durerait ensuite cent ans, que l’état thermométrique de la barre n’en serait pas modifié.

Comme de raison, ce maximum de chaleur est d’autant moins fort que l’on s’éloigne davantage du foyer. Y a-t-il quelque rapport entre les températures finales, et les distances des divers points de la barre à l’extrémité directement échauffée ? Ce rapport existe ; il est très simple ; Lambert le chercha par le calcul, et l’expérience confirma les résultats de la théorie.

A côté de la question, en quelque sorte élémentaire, de la propagation longitudinale de la chaleur, traitée par Lambert, venait se placer le problème plus général, mais aussi beaucoup plus difficile, de cette même propagation dans un corps à trois dimensions terminé par une surface quelconque. Ce problème exigeait le secours de la plus haute analyse. C’est Fourier qui, le premier, l’a mis en équation ; c’est à Fourier, aussi, que sont dus certains théorèmes à l’aide desquels on peut remonter des équations différentielles aux intégrales, et pousser les solutions, dans la plupart des cas, jusqu’aux dernières applications numériques.

Le premier mémoire de Fourier sur la théorie de la chaleur remonte à 1807. L’Académie à laquelle il avait été soumis, voulant engager l’auteur à l’étendre et à le perfectionner, fit de la question de la propagation de la chaleur, le sujet du grand prix de mathématiques qu’elle devait décerner au commencement de 1812. Fourier concourut, en effet, et. sa pièce fut couronnée. Mais, hélas ! comme le disait Fontenelle, « dans le pays même des démonstrations, on trouve encore le moyen de se diviser.» Quelques restrictions se mêlèrent au jugement favorable de l’Académie. Les illustres commissaires du prix, Laplace, Lagrange, Legendre, tout en proclamant la nouveauté et l’importance du sujet ; tout en déclarant que les véritables équations différentielles de la propagation de la chaleur étaient enfin trouvées, disaient qu’ils apercevaient des difficultés dans la manière dont l’auteur y parvenait. Ils ajoutèrent que ses moyens d’intégration laissaient quelque chose à désirer, même du côté de la rigueur, sans toutefois appuyer leur opinion d’aucune espèce de développement.

Fourier n’a jamais adhéré à ces arrêts. A la fin de sa vie, il a même montré d’une manière bien manifeste qu’il les croyait injustes, puisqu’il fait imprimer sa pièce de prix dans nos volumes, sans y changer un seul mot. Néanmoins, les doutes exprimés par les commissaires de l’Académie lui revenaient sans cesse à la mémoire. A l’origine, ils avaient déjà empoisonné chez lui le plaisir du triomphe. Ces premières impressions ajoutées à une grande susceptibilité, expliquent comment Fourier finit par voir avec un certain déplaisir les efforts des géomètres qui tentaient de perfectionner sa théorie. C’est là, Messieurs, une bien étrange aberration dans un esprit aussi élevé ! Il fallait que notre confrère eût oublié qu’il n’est donné à personne de conduire une question scientifique à son terme, et que les grands travaux sur le système du monde, des d’Alembert, des Clairaut, des Euler, des Lagrange, des Laplace, tout en immortalisant leurs auteurs, ont sans cesse ajouté de nouveaux rayons à la gloire impérissable de Newton,

Tâchons que cet exemple ne soit pas perdu. Lorsque la loi civile impose aux tribunaux le devoir de motiver leurs jugements, les académies, qui sont les tribunaux de la science, n’auraient pas même un prétexte pour s’affranchir de cette règle. Par le temps qui court, les corps, aussi bien que les particuliers, font sagement quand ils ne comptent, en toute chose que sur l’autorité de la raison.

Dans tous les temps, la Théorie mathématique de la chaleur aurait excité un vif intérêt parmi les hommes réfléchis, puisqu’en la supposant complète, elle éclairerait les plus minutieux procédés des arts. De nos jours, ses nombreux points de contact avec les curieuses découvertes des géologues, en ont fait, j’oserai dire, une œuvre de circonstance. Signaler la liaison intime de ces deux genres de recherches ce sera présenter le côté le plus important des découvertes de Fourier, et montrer combien notre confrère, par une de ces inspirations réservées au génie, avait heureusement choisi le sujet de ses méditations.

Les parties de l’écorce minérale du globe, que les géologues appellent les terrains de sédiments, n’ont pas été formées d’un seul jet. Les eaux couvrirent anciennement à plusieurs reprises, des régions situées aujourd’hui au centre des continents. Elles y déposèrent, par minces couches horizontales, diverses natures de roches. Ces roches quoique immédiatement superposées entre elles, comme le sont les assises d’un mur, ne doivent pas être confondues ; leurs différences frappent les yeux les moins exercés. Il faut même noter en cette circonstance capitale, que chaque terrain à une limite nette, parfaitement tranchée ; qu’aucune transition ne le lie au terrain différent qu’il supporte. L’Océan, source première de ces dépôts éprouvait donc jadis, dans sa composition chimique, d’énormes changements auxquels il n’est plus sujet aujourd’hui.

A part quelques rares exceptions, résultats de convulsions locales dont les effets sont d’ailleurs manifestes, l’ordre relatif d’ancienneté des lits pierreux qui forment la croûte extérieure du globe, doit être celui de leur superposition. Les plus profonds ont été les plus anciennement produits. L’étude attentive de ces diverses enveloppes peut nous aider à remonter la chaîne des temps jusque par delà les époques les plus reculées, et nous éclairer sur le caractère des révolutions épouvantables qui périodiquement, ensevelissaient les continents au sein des eaux ou les remettaient à sec.

Les roches cristallines granitiques sur lesquelles la mer a opéré ses premiers dépôts, n’ont jamais offert aucun vestige d’être vivant. Ces vestiges, on ne les trouve que dans les terrains sédimenteux.

C’est par les végétaux que la vie paraît avoir commencé sur le globe. Des débris de végétaux sont tout ce que l’on rencontre dans les p1us anciennes couches déposées par les eaux ; encore appartiennent-ils aux plantes de la composition la plus simple : à des fougères, à des espèces de joncs, à des lycopodes.

La végétation devient de plus en plus composée dans les terrains supérieurs. Enfin, près de la surface, elle est comparable à la végétation des continents actuels, avec cette circonstance, cependant, bien digne d’attention, que certains végétaux qui vivent seulement dans le Midi ; que les grands palmiers, par exemple, se trouvent, à l’état fossile, sous toutes les latitudes et au centre même des régions glacées de la Sibérie.

Dans le monde primitif, ces régions hyperboréennes jouissaient donc, en hiver, d’une température au moins égale à celle qu’on éprouve maintenant sous les parallèles où les grands palmiers commencent à se montrer : à Tobolsk, on avait le climat d’Alicante ou d’Alger !

Nous ferons jaillir de nouvelles preuves à l’appui de ce mystérieux résultats, d’un examen attentif de la taille des végétaux.

Il existe aujourd’hui des prèles ou joncs marécageux, des fougères et des lycopodes, tout aussi bien en Europe que dans les régions équinoxiales ; mais on ne les rencontre avec de grandes dimensions que dans les climats chauds. Ainsi, mettre en regard les dimensions des mêmes plantes, c’est vraiment comparer, sous le rapport de la température, les régions où elles se sont développées. Eh bien ! placez à côté des plantes fossiles de nos terrains houillers, je ne dirai pas les plantes européennes analogues, mais celles qui couvrent les contrées de l’Amérique méridionale les plus célèbres par la richesse de leur végétation, et vous trouverez les premières incomparablement plus grandes que les autres.

Les flores fossiles de la France, de l’Angleterre, de l’Allemagne, de la Scandinavie, offrent, par exemple, des fougères de 15 mètres de haut, et dont les tiges (des tiges de fougères !) avaient jusqu’à 1 mètre de diamètre, ou 3 mètres de tour.

Les lycopodiacées qui, aujourd’hui, dans les pays froids ou tempérés, sont des plantes rampantes s’élevant à peine d’un décimètre au-dessus du sol ; qui, à l’équateur même, au milieu des circonstances les plus favorables, ne montent pas à plus d’un mètre, avaient en Europe, dans le monde primitif, jusqu’à 25 mètres de hauteur.

Il faudrait être aveugle pour ne point trouver dans ces énormes dimensions, une nouvelle preuve de la haute température dont jouissait notre pays s avant les dernières irruptions de l’Océan !

L’étude des animaux fossiles n’est pas moins féconde. Je m’écarterais de mon sujet, si j’examinais ici comment l’organisation animale s’est développée sur la terre ; quelles modifications, ou, plus exactement, quelles complications elle a éprouvées après chaque cataclysme ; si même je m’arrêtais à décrire une de ces antiques époques pendant lesquelles la terre, la mer et l’atmosphère n’avaient pour habitants que des reptiles à sang froid de dimensions énormes ; des tortues à carapaces de 3 mètres de diamètre ; des lézards de 17 mètres de long ; des ptérodactyles, véritables dragons volants aux formes si bizarres, qu’on a pu vouloir, d’après des arguments d’une valeur réelle, les placer tour à tour, parmi les reptiles, parmi les mammifères ou parmi les oiseaux, etc. Le but que je me propose n’exige pas d’aussi grands détails ; une seule remarque suffira :

Parmi les ossements que renferment les terrains les plus voisins de la surface naturelle du globe, il y en a d’hippopotame, de rhinocéros, d’éléphant. Ces restes d’animaux des pays chauds, existent sous toutes les latitudes. Les voyageurs en ont même découvert à l’île Melville, où la température descend aujourd’hui jusqu’à 50 au-dessous de zéro. En Sibérie, on les trouve en si grande abondance, que le commerce s’en est emparé. Enfin, sur les falaises dont la mer glaciale est bordée, ce ne sont plus des fragments de squelette qu’on rencontre, mais des éléphants tout entiers, recouverts, encore de leur chair et de leur peau.

Je me tromperais fort, Messieurs, si chacun de vous n’avait pas tiré de ces faits remarquables une conséquence très remarquable aussi, à laquelle, au surplus, la flore fossile nous avait habitués : c’est qu’en vieillissant, les régions polaires de notre globe éprouvèrent un refroidissement prodigieux

Dans l’explication d’un aussi curieux phénomène, les cosmologues n’assignent aucune part à des variations possibles dans l’intensité du soleil ; et, cependant, les étoiles, ces soleils éloignés, n’ont pas la constance d’éclat que le vulgaire leur attribue ; et quelques-unes, dans un espace de temps assez court, se sont trouvées réduites à la centième partie de leur intensité primitive ; et plusieurs ont même totalement disparu. On a préféré tout attribuer à une chaleur propre ou d’origine, dont la terre aurait été jadis imprégnée, et qui se serait graduellement dissipée.

Dans cette hypothèse, les terres polaires ont pu évidemment jouir, à des époques très anciennes, d’une température égale à celle des régions équatoriales où vivent aujourd’hui les éléphants, tout en restant privées, pendant des mois entiers, de la vue du soleil.

Ce n’est pas, au reste, comme explication de l’existence des éléphants de Sibérie, que l’idée de la chaleur propre du globe a pénétré, pour la première fois, dans la science. Quelques savants l’avaient adoptée avant la découverte d’aucun de ces animaux fossiles. Ainsi, Descartes croyait qu’à l’origine (je cite ses propres expressions), la terre ne différait en rien du soleil, sinon qu’elle était plus petite. Il faudrait donc la considérer comme un soleil éteint. Leibniz fit à cette hypothèse l’honneur de se l’approprier. Il essaya d’en déduire le mode de formation des diverses enveloppes solides dont notre globe se compose. Buffon lui donna aussi le poids de son éloquente autorité. On sait que d’après ce grand naturaliste, les planètes de notre système seraient de simples parcelles du soleil qu’un choc de comète en aurait détachées, il y a quelques milliers d’années.

A l’appui de cette origine ignée de notre globe, Mairan et Buffon citaient déjà les hautes températures des mines profondes, et entre autres, celle des mines de Giromagny. Il semble évident que si la terre a été jadis incandescente, on ne saurait manquer de rencontrer dans les couches intérieures, c’est-à-dire, dans celles qui ont dû se refroidir les dernières, des traces de leur température primitive. L’observateur qui, en pénétrant dans la terre, n’y trouverait pas une chaleur croissante, pourrait donc se croire amplement autorisé à rejetert les conceptions hypothétiques de Descartes, de Leibniz, de Mairan, de Buffon. Mais la proposition inverse a-t-elle la même certitude ? Les torrents de chaleur que le soleil lance depuis tant de siècles n’auraient-ils pas pu se distribuer dans la masse de la terre, de manière à y produire des température croissantes avec la profondeur ? C’est là une question capitale. Certains esprits, facile à satisfaire, croyaient consciencieusement l’avoir résolue, après avoir dit que l’idée d’une température constante était de beaucoup la plus naturelle ; mais malheur aux sciences si elles rangeaient ainsi des considérations vagues et qui échappent à toute critique, au nombre des motifs d’admettre ou de rejeter les faits et les théories ! Fontenelle, Messieurs, aurait tracé leur horoscope dans ces paroles, bien faites pour humilier notre orgueil, et dont, cependant, l’histoire des découvertes dévoile en mille endroits la vérité : « Quand une chose peut être de deux façons, elle est presque toujours de celle qui nous semblait la moins naturelle. »

Quelle que soit l’importance de ces réflexions, je m’empresse d’ajouter qu’aux arguments sans valeurs réelle de ses devanciers, Fourier a substitué des preuves, des démonstrations, et l’on sait ce que de pareils termes signifient à l’Académie des sciences.

Dans tous les lieux de la terre, dès qu’on est descendu à une certaine profondeur, le thermomètre n’éprouve plus de variation diurne, ni de variation annuelle. Il marque le même degré et la même fraction de degré, pendant toute la durée d’une année, et pendant toutes les années. Voilà le fait ; que dit la théorie ?

Supposez, un moment, que la terre ait constamment reçu toute la chaleur du soleil. Pénétrez dans sa masse d’une quantité suffisante, et vous trouverez avec Fourier, à l’aide du calcul, une température constante pour toutes les époques de l’année. Vous reconnaîtrez de plus que cette température solaire des couches inférieures varie d’un climat à l’autre ; que dans chaque pays, enfin, elle doit être toujours la même, tant qu’on ne s’enfonce pas de quantités fort grandes relativement au rayon du globe. Eh bien ! les phénomènes naturels sont en contradiction manifeste avec ce résultat. Les observations faites dans une multitude de mines ; les observations de la température de l’eau de fontaines jaillissantes venant de différentes profondeurs, ont toutes donné un accroissement d’un degré centigrade pour 20 ou 30 mètres d’enfoncement. Ainsi, il y avait quelque chose d’inexact dans l’hypothèse que nous discutions sur les pas de notre confrère. Il n’est pas vrai que les phénomènes de température des couches terrestres puissent être attribués à la seule action des rayons solaires. Cela bien établi, l’accroissement de chaleur qui s’observe sous tous les climats, quand on pénètre dans l’intérieur du globe, est l’indice manifeste d’une chaleur propre. La terre, comme le voulaient Descartes et Leibniz, mais sans pouvoir s’appuyer sur aucun argument démonstratif, devient définitivement, grâce au concours des observations des physiciens et des calculs analytiques de Fourier, un soleil encroûté, dont la haute température pourra être hardiment invoquée toutes fois que l’explication des anciens phénomènes géologiques l’exigera.

Après avoir établi qu’il y a dans notre terre une chaleur propre, une chaleur dont la source n’est pas le soleil, et qui, si l’on en juge par les accroissements rapides que donnent les observations, doit être déjà assez forte, à la petite profondeur de 7 à 8 lieues, pour tenir toutes les matières connues en fusion, il se présente la question de savoir quelle est sa valeur exacte à la surface du globe ; quelle part il faut lui faire dans l’évaluation des températures terrestres ; quel rôle elle joue dans les phénomènes de la vie.

Suivant Mairan, Buffon, Bailly, ce rôle serait immense. Pour la France, ils évaluent la chaleur qui s’échappe de l’intérieur de la terre, à 29 fois en été et à 400 fois en hiver, celle qui nous vient du soleil. Ainsi, contre le sentiment général, la chaleur de l’astre qui nous éclaire ne formerait qu’une très petite partie de celle dont nous ressentons l’heureuse influence.

Cette idée a été développée avec habileté et une grande éloquence, dans les Mémoires de l’Académie, dans les Époques de la nature de Buffon, dans les lettres de Bailly à Voltaire sur l’Origine des sciences et sur l’Atlantide. Mais l’ingénieux roman auquel elle sert de base s’est dissipé comme une ombre devant le flambeau des mathématiques.

Fourier ayant découvert que l’excès de la température totale de la surface terrestre sur celle qui résulterait de la seule action des rayons solaires, a une relation nécessaire et déterminée avec l’accroissement des températures à différentes profondeurs, a pu déduire de la valeur expérimentale de cet accroissement, une détermination numérique de l’excès en question. Cet excès est l’effet thermométrique que la chaleur centrale produit à la surface ; or, au lieu des grands nombres adoptés par Mairan, Bailly, Buffon, qu’a trouvé notre confrère ? un trentième de degré, pas davantage.

La surface du globe qui, à l’origine des choses, était peut-être incandescente, s’est donc refroidie dans le cours des siècles, de manière à conserver à peine une trace sensible de sa température primitive. Cependant, à de grandes profondeurs, la chaleur d’origine est encore énorme. Le temps altérera notablement les températures intérieures ; mais à la surface, (et les phénomènes de la surface sont les seuls qui puissent modifier ou compromettre l’existence des êtres vivants), tous les changements sont à fort peu près accomplis. L’affreuse congélation du globe, dont Buffon fixait l’époque au moment où la chaleur centrale se sera totalement dissipée, est donc un pur rêve. A l’extérieur, la terre n’est plus imprégnée que de chaleur solaire. Tant que le soleil conservera le même éclat, les hommes, d’un pôle à l’autre, retrouveront sous chaque latitude, les climats qui leur ont permis d’y vivre et de s’y établir.

Ce sont là, Messieurs, de grands, de magnifiques résultats. En les consignant dans les annales de la science, les historiens ne négligeront pas de signaler cette particularité singulière, que le géomètre à qui l’on dut la première démonstration certaine de l’existence, au sein de notre globe, d’une chaleur indépendante de l’action solaire, a réduit au néant le rôle immense qu’on faisait jouer à cette chaleur d’origine, dans l’explication des phénomènes de température terrestre.

Au mérite d’avoir débarrassé la théorie des climats, d’une erreur qui restait debout, appuyée sur l’imposante autorité de Mairan, de Bailly, de Buffon, Fourier a joint un mérite plus éclatant encore : il a introduit, dans cette théorie, une considération totalement négligée jusqu’à lui ; il a signalé le rôle que doit y jouer la température de ces espaces célestes, au milieu desquels la terre décrit autour du soleil son orbe immense.

En voyant, même sous l’équateur, certaines montagnes couvertes de neiges éternelles ; en observant le décroissement rapide de température des couches de l’atmosphère, pendant les ascensions aérostatiques, les météorologistes avaient cru que dans les régions d’où l’extrême rareté de l’air tiendra toujours les hommes éloignés, et surtout qu’en dehors de l’atmosphère, il doit régner des froids prodigieux. Ce n’était pas seulement par centaines, c’était par milliers de degrés qu’ils les eussent volontiers mesurés. Mais, comme d’habitude l’imagination, cette folle du logis, avait dépassé toutes les bornes. Les centaines, les milliers de degrés, sont devenus, après l’examen rigide de Fourier, 50 à 60 degrés seulement. 50 à 60 degré au-dessous de zéro, telle est la température que le rayonnement stellaire entretient dans les espaces indéfinis, sillonnés par les planètes de notre système.

Vous vous rappelez tous, Messieurs, avec quelle prédilection Fourier nous entretenait de ce résultat. Vous savez combien il se croyait assuré d’avoir assigné la température de l’espace à 8 ou 10 degrés près. Par quelle fatalité le mémoire, où, sans doute, notre confrère avait consigné tous les éléments de cette importante détermination, ne s’est-il pas retrouvé ? Puisse cette perte irréparable prouver, du moins, à tant d’observateurs qu’au lieu de poursuivre obstinément une perfection idéale qu’il n’est pas donné à l’homme d’atteindre, ils feront sagement de mettre le public, le plus tôt possible, dans la confidence de leurs travaux.

J’aurais encore une longue carrière à parcourir, si, après avoir signalé quelques-uns des problèmes dont, l’état des sciences a permis à notre savant confrère de donner des solutions numériques, je voulais analyser tous ceux qui renfermés encore dans des formules générales, n’attendent que les données de l’expérience pour prendre rang parmi les plus curieuses acquisitions de la physique moderne. Le temps dont je puis disposer m’interdit de pareils développements. Je commettrais, cependant, un oubli sans excuse, si je ne disais que parmi les formules de Fourier, il en est une, destinée à donner la valeur du refroidissement séculaire du globe, et dans laquelle figure le nombre de siècles écoulés depuis l’origine de ce refroidissement. La question, si vivement controversée, de l’ancienneté de notre terre, même en y comprenant sa période d’incandescence, se trouve ainsi ramenée à une détermination thermométriques. Malheureusement ce point de théorie est sujet à des difficultés sérieuses. D’ailleurs la détermination thermométrique, à cause de son excessive petitesse serait réservée aux siècles à venir.

Je viens de faire passer sous vos yeux les fruits scientifiques des délassements du préfet de l’Isère, Fourier occupait encore cet emploi lorsque Napoléon arriva à Cannes. Sa conduite, pendant cette grave conjoncture, a été l’objet de cent rapports mensongers. J’accomplirai donc un devoir en rétablissant les faits, dans toute leur vérité, d’après ce que j’ai entendu de la bouche même de notre confrère.

A la nouvelle du débarquement de l’Empereur, les principales autorités de Grenoble se réunirent à la préfecture. Là, chacun exposa avec talent, mais surtout, disait Fourier, avec beaucoup de détails, les difficultés qu’il entrevoyait. Quant aux moyens de les vaincre, on se montrait beaucoup moins fécond. La confiance dans l’éloquence administrative n’était pas encore usée à cette époque ; on se décida donc à recourir aux proclamations. Le général commandant et le préfet présentèrent chacun un projet. L’assemblée en discutait minutieusement les termes, lorsqu’un officier de gendarmerie, ancien soldat des armées impériales, s’écria rudement : Messieurs, dépêchez-vous ; sans cela toute délibération deviendra inutile. Croyez-moi, j’en parle par expérience ; Napoléon suit toujours de bien près les courriers qui l’annoncent. Napoléon arrivait en effet. Après un court moment d’hésitation, deux compagnies de sapeurs qui avaient été détachées pour couper un pont, se réunirent à leur ancien général. Un bataillon d’infanterie suivit bientôt cet exemple. Enfin, sur les glacis mêmes de la place, en présence de la nombreuse population qui couronnait les remparts, le 5e régiment de ligne tout entier, prit la cocarde tricolore, substitua au drapeau blanc, l’aigle témoin de vingt batailles qu’il avait conservé, et partit aux cris de Vive l’Empereur ! Après un semblable début, essayer de tenir la campagne eût été une folie. Le général Marchand fit donc fermer les portes de la ville. I1 espérait encore, malgré les dispositions évidemment hostiles des habitants, pouvoir soutenir un siége en règle, avec le seul secours du 3e régiment du génie, du 4e d’artillerie, et des faibles détachements d’infanterie qui ne l’avaient pas abandonné.

Dès ce moment, l’autorité civile avait disparu. Fourier crut donc pouvoir quitter Grenoble et se rendre à Lyon où les princes étaient réunis. A la seconde restauration, ce départ lui fut imputé à crime. Peu s’en fallut qu’il ne l’amenât devant une cour d’assises ou même devant une cour prévôtale. Certains personnages prétendaient que la présence du préfet au chef-lieu de l’Isère aurait pu conjurer l’orage ; que la résistance serait devenue plus vive, mieux ordonnée. On oubliait que nulle part, et à Grenoble moins encore que partout ailleurs, on ne put organiser même un simulacre de résistance. Voyons, enfin, comment cette ville de guerre dont la seule présence de Fourier eût, dit-on, prévenu la chute, voyons comment elle fut prise. Il est huit heures du soir. La population et les soldats garnissent les remparts. Napoléon précède sa petite troupe de quelques pas ; il s’avance jusqu’à la porte, il frappe, (rassurez-vous, Messieurs, ce n’est pas une bataille que je vais décrire), il frappe avec sa tabatière ! – Qui est là ? crie l’officier de garde. — C’est 1’Empereur ! ouvrez ! — Sire, mon devoir me le défend. — Ouvrez, vous dis-je ; je n’ai pas de temps à perdre. – Mais, sire, lors même que je voudrais vous ouvrir, je ne le pourrais pas : les clefs sont chez le général Marchand. — Allez donc les chercher. – Je suis certain qu’il me les refusera. — Si le général les refuse, dites-lui que je le destitue !

Ces dernières paroles pétrifièrent les soldats. Depuis deux jours, des centaines de proclamations désignaient Bonaparte comme une bête fauve qu’il fallait traquer sans ménagement ; elles commandaient à tout le monde de courir sus, et cet homme, cependant, menaçait le général de destitution ! Le seul mot destituer effaça la faible ligne de démarcation qui sépara un instant les vieux soldats des jeunes recrues ; un mot plaça la garnison tout entière dans les intérêts de l’Empereur.

Les circonstances de la prise de Grenoble n’étaient pas encore connues, lorsque Fourier arriva à Lyon. Il y apportait la nouvelle de la marche rapide de Napoléon ; celle de la défection de deux compagnies de sapeurs d’un bataillon d’infanterie, du régiment commandé par Labédoyère. De plus, il avait été témoin sur toute la route, de la vive sympathie des habitants des campagnes pour le proscrit de l’Ile d’Elbe,

Le comte d’Artois reçut fort mal le préfet et ses communications. Il déclara que l’arrivée de Napoléon à Grenoble n’était pas possible ; que l’on devait être rassuré sur les dispositions des campagnards. Quant au fait, dit-il à Fourier, qui se serait passé en votre présence, aux portes mêmes de la ville; quant à des cocardes tricolores substituées à ha cocarde d’Henri IV ; quant à des aigles qui auraient remplacé le drapeau blanc, je ne suspecte pas votre bonne foi, mais l’inquiétude vous aura fasciné les yeux. M. le préfet, retournez donc sans retard à Grenoble; vous me répondez de la ville sur votre tète.

Vous le voyez, Messieurs, après avoir si longtemps proclamé la nécessité de dire la vérité au princes, les moralistes feront sagement d’inviter les princes à vouloir bien l’entendre.

Fourier obéit à l’ordre qu’on venait de lui donner. Les roues de sa voiture avaient à peine fait quelques tours dans la direction de Grenoble, qu’il fut arrêté par des hussards et conduit à Bourgoin, au quartier général. L’Empereur, étendu alors sur une grande carte, un compas à la main, lui dit en le voyant entrer ; Eh bien ! M. le préfet ! vous aussi, vous me déclariez, la guerre ?— Sire, tous mes serments m’en faisaient un devoir! Un devoir, dites-vous ? et ne voyez-vous pas qu’en Dauphiné personne n’est de votre avis ? n’allez pas, au reste, vous imaginer que votre plan de campagne m’effrayât beaucoup. Je souffrais, seulement, de voir parmi mes adversaires, un Égyptien, un homme qui avait mangé avec moi le pain du bivouac, un ancien ami !

II m’est pénible d’ajouter qu’à ces paroles bienveillantes succédèrent celles-ci : Comment, au surplus, avez-vous pu oublier, M. Fourier, que je vous ai fait tout ce que vous êtes ?

Vous regretterez avec moi, Messieurs, qu’une timidité, que les circonstances expliquaient d’ailleurs si bien, ait empêché notre confrère de protester sur-le-champ, de protester avec force, contre cette confusion que les puissants de la terre veulent sans cesse établir entre les biens périssables dont ils sont les dispensateurs, et les nobles fruits de la pensée. Fourier était préfet et baron de par l’Empereur ; il était une des gloires de la France de par son propre génie !

Le 9 mars, dans un moment de colère, Napoléon, par un décret daté de Grenoble, ordonnait à Fourier d’évacuer le territoire de la 7e division militaire, dans le délai de cinq jours, sous peine d’être arrêté et traité comme ennemi de la nation ! Le lendemain, notre confrère sortit de la conférence de Bourgoin avec la charge de préfet du Rhône et avec le titre de Comte, car l’Empereur en était encore là à son retour de l’île d’Elbe.

Ces témoignages inespérés de faveur et de confiance étaient peu agréables à notre confrère, mais il n’osa pas les refuser, quoiqu’il aperçût bien distinctement l’immense gravité des événements dans lesquels le hasard l’appelait à jouer un rôle.

Que pensez-vous de mon entreprise, lui dit l’Empereur le jour de son départ de Lyon ? — Sire, répartit Fourier, je crois que vous échouerez. Qu’il se rencontre sur votre route un fanatique, et tout est fini. — Bah ! .s’écria Napoléon ; les Bourbons n’ont personne pour eux, pas même un fanatique.

A propos, vous avez lu dans les journaux qu’ils m’ont mis hors de la loi. Je serai plus indulgent, moi : je me contenterai de les mettre hors des Tuileries !

Fourier conserva la préfecture du Rhône, jusqu’au 1er mai seulement. On a dit, on a imprimé qu’il fut révoqué pour n’avoir pas voulu se rendre complice des actes de terrorisme que lui prescrivait le ministère des Cent Jours ! L’Académie me verra, en toute circonstance, recueillir, enregistrer avec bonheur les actions qui, en honorant ses membres, ajouteront un nouvel éclat à l’illustration du corps entier. Je sens même qu’à cet égard, je pourrais être enclin à quelque peu de crédulité. Cette fois, le plus rigoureux examen m’était commandé. Si Fourier s’honorait en refusant d’obéir à certains ordres, que faudrait-il penser du ministre de l’intérieur de qui ses ordres émanaient ? Or, ce ministre, je n’ai pas dû l’oublier, était aussi un académicien, illustre par ses services militaires. distingué par ses ouvrages de mathématiques, estimé et chéri de tous ses confrères. Eh bien ! je le déclare avec une satisfaction que sous partagerez, Messieurs, les recherches les plus scrupuleuses sur tous les actes des Cent Jours ne m’ont rien fait entrevoir qui doive affaiblir les sentiments dont vous avez entouré la mémoire de Carnot.

En quittant la préfecture du Rhône, Fourier vint à Paris. L’Empereur, qui allait partir pour l’armée, l’aperçut dans la foule aux Tuileries, l’accosta amicalement, l’avertit que Carnot lui expliquerait pourquoi son remplacement à Lyon était devenu indispensable, et promit de s’occuper de ses intérêts dès que les affaires militaires lui laisseraient quelque loisir. La seconde restauration trouva Fourier dans la capitale, sans emploi et justement inquiet sur son avenir. Celui qui, pendant quinze ans, administra un grand département ; qui dirigea des travaux si dispendieux ; qui, dans l’affaire des marais de Bourgoin, eut à stipuler pour tant de millions, avec les particuliers, les communes et les compagnies, ne possédait pas vingt mille francs de capital. Cette honorable pauvreté, le souvenir des plus importants, des plus glorieux services, devaient peu toucher des ministres voués alors aux colères de la politique et aux caprices de l’étranger. Une demande de pension fut donc repoussée avec brutalité. Qu’on se rassure ! La France n’aura pas à rougir d’avoir laissé dans le besoin une de ses principales illustrations. Le préfet de Paris, je me trompe, Messieurs, un nom propre ne sera pas de trop ici, M. de Chabrol apprend que son ancien professeur à l’École polytechnique, que le secrétaire perpétuel de l’institut d’Egypte, que l’auteur de la Théorie analytique de la chaleur, va être réduit, pour vivre, à courir le cachet. Cette idée le révolte. Aussi se montre-t-il sourd aux clameurs des partis, et Fourier reçoit de lui la direction supérieure du Bureau de la statistique de la Seine. avec 6 000 francs d’appointements. J’ai cru, Messieurs, ne pas devoir taire ces détails. Les sciences peuvent se montrer reconnaissantes envers tous ceux qui leur donnent appui et protection quand il y a quelque danger à le faire, sans craindre que le fardeau devienne jamais trop lourd !

Fourier répondit dignement à la confiance de M. de Chabrol. Les mémoires dont il enrichit les intéressants volumes publiés par la préfecture de la Seine, serviront désormais de guide à tous ceux qui ont le bon esprit de voir dans la statistique, autre chose qu’un amas indigeste de chiffres et de tableaux.

L’Académie des sciences saisit la première occasion qui s’offrit à elle de s’attacher Fourier. Le 27 mai 1816, elle le nomma académicien libre. Cette élection ne fut pas confirmée. Les démarches, les sollicitations, les prières des Dauphinois que les circonstances retenaient alors à Paris, avaient presque désarmé l’autorité, lorsqu’un courtisan s’écria qu’on allait amnistier le Labédoyère civil ! Ce mot, car depuis bien des siècles la pauvre race humaine est gouvernée par des mots, décida du sort de notre confrère. De par la politique, les ministres de Louis XVIII arrêtèrent qu’un des plus savants hommes de France n’appartiendrait pas à l’Académie ; qu’un citoyen, l’ami de tout ce que la capitale renfermait de personnes distinguées, serait, publiquement frappé de réprobation !

Dans notre pays l’absurde dure peu. Aussi, en 1817, lorsque l’Académie, sans se laisser décourager par le mauvais succès de sa première tentative, nomma unanimement Fourier à la place qui venait de vaquer en physique, la confirmation royale fut accordée sans difficulté. Je dois ajouter que bientôt après, le pouvoir, dont toutes les répugnances s’étaient dissipées, applaudit franchement, sans arrière-pensée, à l’heureux choix que vous fîtes du savant géomètre, pour remplacer Delambre comme secrétaire perpétuel. On alla même jusqu’à vouloir lui confier la direction des beaux-arts ; mais notre confrère eut le bon esprit de refuser.

A la mort de Lémontey, l’Académie française où Laplace et Cuvier représentaient déjà les sciences, appela encore Fourier dans son sein. Les titres littéraires du plus éloquent collaborateur de l’ouvrage d’Egypte étaient incontestables ; ils étaient même incontestés, et, cependant, cette nomination souleva dans les journaux de violents débats qui affligèrent profondément notre confrère. Mais aussi, n’était-ce pas une question, que celle de savoir si ces doubles nominations sont utiles ? Ne pouvait-on pas soutenir, sans se rendre coupable d’un paradoxe, qu’elles éteignent chez la jeunesse une émulation que tout nous fait un devoir d’encourager ? Que deviendrait, d’ailleurs, à la longue avec des académiciens doubles, triples, quadruples, cette unité si justement vantée de l’ancien Institut ? Le public finirait par ne plus vouloir la trouver que dans l’unité du costume.

Quoi qu’il en soit de ces réflexions, dont vous ferez prompte justice si je me suis trompé, je me hâte de répéter que les titres académiques de Fourier ne furent pas même l’objet d’un doute. Les applaudissements qu’on avait prodigués aux éloquents éloges de Delambre, de Bréguet, de Charles, d’Herschel montraient assez que si leur auteur n’eût pas été déjà l’un des membres les plus distingués de l’Académie des sciences, le public, tout entier, l’aurait appelé à prendre rang parmi les arbitres de la littérature française.

Rendu, enfin, après tant de traverses, à des occupations favorites, Fourier passa ses dernières années dans la retraite et l’accomplissement des devoirs académiques. Causer, était devenu la moitié de sa vie. Ceux qui ont cru trouver là le texte d’un juste reproche, avaient sans doute oublié que de constantes méditations ne sont pas moins impérieusement interdites à l’homme, que l’abus des forces physiques. Le repos, en toute chose, remonte notre frêle machine ; niais ne se repose pas qui veut, Messieurs ! Interrogez vos propres souvenirs, et dites si, quand vous poursuivez une vérité nouvelle, la promenade, les conversations du grand monde, si même le sommeil ont le privilège de vous distraire ? La santé fort délabrée de Fourier lui commandait de grands ménagements. Après bien des essais, il n’avait trouvé qu’un moyen de s’arracher aux contentions d’esprit qui l’épuisaient : c’était de parler à haute voix sur les évènements de sa vie ; sur ses travaux scientifiques, en projet ou déjà terminés; sur les injustices dont il avait eu à se plaindre. Tout le monde avait pu remarquer combien était insignifiante la tâche que notre spirituel confrère assignait à ceux qui s’entretenaient habituellement avec lui ; maintenant on en comprendra le motif.

Fourier avait conservé dans sa vieillesse, la grâce, l’urbanité, les connaissances variées qui, un quart de siècle auparavant, donnèrent tant de charme à ses leçons de l’École polytechnique. On prenait plaisir à lui entendre raconter même l’anecdote qu’on savait par cœur, même les évènements auxquels on avait pris une part directe. Le hasard me rendit témoin de l’espèce de fascination qu’il exerçait sur ses auditeurs, dans une circonstance qui mérite, je crois, d’être connue, car elle prouvera que le mot dont je viens de me servir n’a rien de trop fort.

Nous nous trouvions assis à la même table. Le convive dont je le séparais était un ancien officier. Notre confrère l’apprit, et la question : avez-vous été en Egypte ? servit à lier conversation. La réponse fut affirmative. Fourier s’empressa d’ajouter : quant à moi, je suis resté dans ce magnifique pays jusqu’à son entière évacuation. Quoique étranger au métier des armes, j’ai fait, au milieu de nos soldats, le coup de feu contre les insurgés du Kaire ; j’ai eu l’honneur d’entendre le canon d’Héliopolis. De là à raconter la bataille, il n’y avait qu’un pas. Ce pas fut bientôt fait, et voilà quatre bataillons carrés se formant dans la plaine de Qoubbèh et manœuvrant aux ordres de l’illustre géomètre. avec une admirable précision. Mon voisin, l’oreille au guet, les yeux immobiles, le cou tendu, écoutait ce récit avec le plus vif intérêt. Il n’en perdait pas une syllabe : on eût juré qu’il entendait parler pour la première fois de ces évènements mémorables. Il est si doux de plaire, Messieurs ! Après avoir remarqué l’effet qu’il produisait, Fourier revint, avec plus de détails encore, au principal combat de ces grandes journées ; à la prise du village fortifié de Mattaryèh ; au passage de deux faibles colonnes de grenadiers français, à travers des fossés comblés des morts et des blessés de l’armée ottomane. Les généraux anciens et modernes ont quelquefois parlé de semblables prouesses, s’écria notre confrère; mais c’était en style hyperbolique de bulletin ; ici le fait est matériellement vrai : il est vrai comme de la géométrie. Je sens, au reste, ajouta-t-il, que pour vous y faire croire, ce ne sera pas trop de toutes mes assurances !

Soyez sur ce point sans nulle inquiétude, répondit l’officier, qui, dans ce moment, semblait sortir d’un long rêve. Au besoin, je pourrais me porter garant de l’exactitude de votre récit. C’est moi qui, à la tête des grenadiers de la 13e et de la 8e demi-brigades, franchis les retranchements de Mattaryèh en passant sur les cadavres des janissaires !

Mon voisin était le général Tarayre. On concevra bien mieux que je ne pourrais le dire, l’effet du peu de mots qui venaient de lui échapper. Fourier se confondait en excuses, tandis que je réfléchissais sur cette séduction, sur cette puissance de langage qui, pendant près d’une demi-heure, venait d’enlever au célèbre général, jusqu’au souvenir du rôle qu’il avait joué dans les combats de géants qu’on lui racontait.

Autant votre secrétaire avait besoin de causer, autant il éprouvait de répugnance pour les discussions verbales. Fourier coupait court à tout débat, aussitôt qu’il pressentait une divergence d’avis un peu tranchée, sauf à reprendre plus tard le même sujet, avec la prétention modeste de faire un très petit pas chaque fois. Quelqu’un demandait à Fontaine, géomètre célèbre de cette Académie, ce qu’il faisait dans le monde où il gardait un silence presque absolu. « J’observe, répondit-il, la vanité des hommes pour la blesser « dans l’occasion. » Si, comme son prédécesseur, Fourier étudiait aussi les passions honteuses qui se disputent les honneurs, la richesse, le pouvoir, ce n’était point pour les combattre : résolu à ne jamais transiger avec elles, il calculait cependant ses démarches de manière à ne pas se trouver sur leur chemin. Nous voilà bien loin, du caractère ardent, impétueux, du jeune orateur de la société populaire d’Auxerre ; mais à quoi servirait la philosophie, si elle ne nous apprenait à vaincre nos passions ! Ce n’est pas que, par moments, le fond du caractère de Fourier ne se montrât à nu. Il est étrange, disait un jour, certain personnage très influent de la cour de Charles X, à qui le domestique Joseph ne voulait pas permettre de dépasser l’antichambre de notre confrère, il est vraiment étrange que votre maître soit plus difficile à aborder qu’un ministre ! Fourier entend le propos, saute à bas de son lit, ou une indisposition le retenait, ouvre la porte de la chambre, et face à face avec le courtisan, Joseph, s’écrie-t-il, dîtes à monsieur que si suis ministre, je recevrais tout le monde, parce que tel serait mon devoir ; comme simple particulier, je reçois qui bon me semble et quand bon me semble ! Déconcerté par la vivacité de la boutade, le grand seigneur ne répondit pas un mot. Il faut même croire qu’à partir de ce moment, il se décida à ne visiter que des ministres, car le simple savant n’en entendit plus parler.

Fourier était doué d’une constitution qui lui promettait de longs jours ; mais que peuvent les dons naturels contre les habitudes antihygiéniques que les hommes se créent à plaisir ! Pour se dérober à de légère atteintes rhumatismales, notre confrère se vêtait dans la saison la plus chaude de l’année, comme ne le font même pas les voyageurs condamnés à hiverner au milieu des glaces polaires. On me suppose de l’embonpoint, disait-il quelquefois en riant ; soyez assuré qu’il y a beaucoup à rabattre de cette opinion. Si, à l’exemple des momie égyptiennes, on me soumettait, de dont Dieu me préserve ! à l’opération de désemmaillottement, on ne trouverait pour résidu qu’un corps assez fluet. Je pourrais ajouter, en choisissant aussi mon terme de comparaison sur les bords du Nil, que dans les appartements de Fourier, toujours peu spacieux et fortement chauffés, même en été, les courants d’air auxquels on était exposé près des portes ressemblaient quelquefois à ce terrible Seïmoun, à ce vent brûlant du désert que les caravanes redoutent à l’égale de la peste.

Les prescriptions de la médecine qui, dans la bouche de M. Larrey, se confondaient avec les inquiétudes d’une longue et constante amitié, ne réussirent pas à faire modifier ce régime mortel. Fourier avait déjà eu en Égypte et à Grenoble, quelques atteintes graves d’un anévrisme au cœur. A Paris, on ne pouvait guère se méprendre sur la cause première des fréquentes suffocations qu’il éprouvait. Une chute faite le 4 mai 1830 en descendant un escalier, donna, toutefois, à la maladie une marche beaucoup plus rapide qu’on avait jamais dû le craindre. Notre confrère, malgré de vives instances, persista à ne vouloir combattre les plus menaçants symptômes, qu’à l’aide de la patience d’une haute température. Le 16 mai 1830, vers les quatre du soir, Fourier éprouva dans son cabinet de travail, une violente crise dont il était loin du pressentir la gravité, car, après s’être jeté tout habillé sur un lit, il pria M. Petit, jeune médecin de ses amis qui lui donnait des soins, de ne pas s’éloigner « afin, lui dit-il, que nous puissions tout à l’heure causer ensemble. » Mais à ces paroles succédèrent bientôt les cris : Vite, vite, du vinaigre, je m’évanouis ! et un des savants qui jetait le plus d’éclat sur l’Académie, avait cessé de vivre !

Cet évènement cruel est trop récent, Messieurs, pour qu’il soit nécessaire de rappeler ici, et la douleur profonde qu’éprouva l’Institut en perdant une de ses premières notabilités ; et ces obsèques où tant de personnes ordinairement divisées d’intérêts et d’opinions, se réunirent dans un sentiment commun de vénération et de regrets, autour des restes inanimés de Fourier ; et l’École polytechnique se joignant en masse au cortège, pour rendre hommage à l’un de ses plus anciens, de ses plus célèbres professeurs ; et les paroles qui, sur les bords de la tombe, dépeignirent si éloquemment le profond mathématicien, l’écrivain plein de goût l’administrateur intègre, le bon citoyen l’ami dévoué. Disons, seulement, que Fourier appartenait à toutes les grandes sociétés savantes du monde, et qu’elles s’associèrent avec la plus touchante unanimité, au deuil de l’Académie, au deuil de la France entière : éclatant témoignage que la république des lettres n’est plus aujourd’hui un vain nom ! Qu’a-t-il donc manqué à la mémoire de notre confrère ? Un successeur, plus habile que je ne l’ai été, à grouper, à mettre en relief, les diverses phases d’une vie si variée, si laborieuse, si glorieusement enlacée aux plus grands évènements de la plus mémorable époque de notre histoire. Heureusement, les découvertes scientifiques de l’illustre secrétaire n’avaient rien à redouter de l’insuffisance du panégyriste. Mon but aura été complètement atteint, si, malgré l’imperfection de mes esquisses, chacun de vous a compris que les progrès de la physique générale, de la physique terrestre, de la géologie, multiplieront de jour en jour davantage les fécondes applications de la Théorie analytique de la. chaleur, et que cet ouvrage portera le nom de Fourier jusqu’à la postérité la plus reculée.

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Petites explications

En attendant que les membres de l’Association Joseph Fourier, mettent en ligne un cours complet sur la transformée de Fourier, vous pourrez trouver ici, façon Fourier pour les Nuls, quelques petites explications sans utiliser de formule mathématique.

Vous pouvez aussi aller voir ailleurs sur Internet pour la définition, avec quelques formules cette fois :

– des coefficients ou des séries de Fourier.

– de la transformée de Fourier.

 

Pour avoir une idée de ce que cela donne avec tout l’arsenal de formules, vous pouvez aussi consulter un cours, par exemple : ici ou.

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