LES GRANDS HOMMES PERMETTENT-ILS DE COMPRENDRE L’HISTOIRE ? (ES et L)

L’assassinat de Jules César, 1798,

par Vincenzo Camuccini

La figure des « Grands hommes »: une des figures concrètes de la pensée philosophique hégélienne conçue dans sa redoutable abstraction. Il y a comme un « Cogito » (un principe philosophique) original qui pourrait convenir aux grands Hommes: « Je pense donc tu me suis ! »; mais en quel sens les grands hommes permettent-ils de comprendre l’histoire ?

I

Les grands hommes, ce ne sont pas seulement des héros de l’histoire, mais des hommes qui contribuent effectivement à son progrès. Les héros sont des personnages poétiques mais pas des individus historiques. Ils n’éclairent pas le sens de l’histoire. Or les grands hommes sont le moteur du progrès historique. L’histoire est en effet un progrès (interprétation hégélienne du sens de  l’histoire opposée à celle de Rousseau: la décadence), mais ce n’est pas un progrès linéaire. Le progrès de l’histoire est un processus de réconciliation qui s’opère après un passage par le non-sens. La philosophie de Hegel est une philosophie de la réconciliation qui fait droit à la contradiction, et avec elle au conflit, à la violence, et à la mort. Philosopher, c’est comprendre pourquoi toutes ces négations doivent être surmontées et dépassées, pourquoi la contradiction est seulement le moment négatif et dialectique de la raison.

L’histoire avance donc par les conflits, et les grands hommes sont ceux qui portent ces conflits à leur paroxysme. Ils incarnent la contradiction historique et par là font avancer l’histoire.

Les grands hommes ont en effet un rapport privilégié à l’affirmatif. Contrairement aux peuples qu’ils conduisent, ils savent ce qu’ils veulent, et pas seulement ce qu’ils ne veulent pas. Ils ne sont pas des hommes qui sont dévoués aux autres, mais qui ont réussi à persuader les autres de leur propre volonté. Les grands hommes – comme les artistes – ont la vocation d’accomplir une oeuvre, mais une oeuvre historique. Cette vocation est une passion; ils sont en effet « irrésistiblement poussés » à l’accomplir. Et cette oeuvre se dévoile avec le temps comme la véritable volonté des autres, elle exprime « leur intériorité inconsciente ». Les grands hommes sont ainsi ceux qui ont pour vocation de porter à la conscience des autres cette intériorité en jouant les « conducteurs d’âme ». Les autres ont en effet besoin du grand homme parce qu’ils ne savent pas ce qu’ils veulent. Ainsi , le grand homme fait advenir la volonté des autres à elle-même dans le moment et à l’époque voulue: César fait advenir l’empire quand il s’avère que plus personne n’est disposé à défendre vraiment la République romaine à l’agonie.

II

A en rester à ce premier niveau d’analyse, on pourrait penser que Hegel fait des grands hommes des individus voués au bonheur de la gloire et du succès dans l’existence, mais ce n’est pas du tout le cas. A l’inverse « des peuples heureux » qui « n’ont pas d’histoire », les grands hommes sont des « individus historiques » parce qu’ils ne connaitront jamais le bonheur auquel ils aspirent pourtant avec passion.

Les grands hommes ne sont en effet que des instruments inconscients de l’histoire. Ils font l’histoire mais ils ne savent pas qu’ils la font. L’oeuvre qu’ils réalisent n’est pas leur oeuvre mais l’oeuvre de l’Esprit cad d’une réalisation naturelle et historique de la raison: cette oeuvre n’est rien d’autre que la liberté, et même la liberté des peuples.

Les grands homme sont ceux qui réforment les institutions et conquièrent des empires. Il veulent ce que veulent leurs peuples, lesquels sont inconscients de leur vouloir. Efficace des grands hommes: faire advenir la vérité des peuples en soi. Ils se distinguent ainsi des aventuriers qui ignorent ce que veulent les peuples, et cherchent à faire leur bonheur malgré et contre eux.

Les grands hommes ne sont pas des êtres moraux; ils sont intéressés et veulent être égoïstement heureux. Mobile de leurs actions est l’inclination et même la passion. A l’époque naissante du Romantisme (début XIXème où, en littérature, les Brigands de Schiller, et le Werther de Goethe exaltent la passion), Hegel écrit, dans l’air du temps, « Rien de grand ne s’est accompli dans le monde sans passion. » La passion est l’énergie du vouloir. L’intérêt passionné n’est pas un mobile de condamnation des grands hommes (comme chez Kant), mais c’est la source de leurs malheurs.

III

En effet, les grand homme sont finalement sacrifiés par l’histoire. Pour Hegel, l’histoire c’est une dimension du réel qui n’a pas de rationalité complète. Elle n’est qu’une étape dans le devenir de l’Esprit absolu. Plus rationnelle que l’histoire est la connaissance de la philosophie, de la religion et même de l’art. L’histoire est divisée en peuples (cultures) qui poursuivent des fins mais au niveau de leur propre particularité. Ces peuples entrent donc en conflit et vont mourir. Chaque peuple de l’histoire a donc quelque chose de fini et de décevant, qui n’est pas à la hauteur de l’Esprit infini dont parle l’art, la religion et la philosophie.

Les grands hommes ne sont ni des héros, ni des aventuriers, ni des hommes heureux, ce sont des hommes passionnés et affirmatifs qui constituent des instruments de l’histoire universelle, instruments sacrifiés pour l’accomplissement du progrès de l’histoire vers la liberté des peuples.

Mini-glossaire hégélien

Ruse de la raison: On peut appeler ainsi la dimension irrationnelle de l’histoire. La réalisation d’un but s’opère de l’extérieur et au moyen d’un instrument (sacrifié). Ex: la charrue du paysan. De même, dans l’histoire, les grands hommes sont usés et sacrifiés aux fins des peuples, lesquels sont aussi des moyens sacrifiés aux fins de l’histoire universelle. Ex: César est sacrifié pour le bien du peuple romain lui-même, et le peuple romain est une fin en soi: il a des fins qu’il réalise, mais il est aussi un moyen qui sera sacrifié. Il sert en effet d’intermédiaire entre le monde grec et le monde moderne. Le peuple romain est condamné mais par sa propre finitude, pas par une providence extérieure. Hegel condamne tout discours fataliste de justification du malheur.

Fin de l’histoire: non les trompettes du jugement dernier, non la Révolution prolétarienne. Pas de parole sur l’avenir chez Hegel. La fin de l’histoire n’est pas l’arrêt mais l’accomplissement de l’histoire. Ce n’est pas la fin de toutes les contradictions: guerre – mortalité – injustice. A la fin de l’histoire, le monde découvre juste que tous les Hommes sont libres. Le régime monarchique fondée sur la volonté universalisée du peuple est le régime de la fin de l’histoire. Optimisme ou vision enchantée du présent caractérise la pensée historique de Hegel.

Le raisonnement de la jalousie : il y a un raisonnement de « valet de chambre » qui ne permettra jamais de comprendre l’histoire universelle. C’est celui qui amoindrit jalousement l’excellence des grands hommes sous prétexte qu’ils n’ont pas connu le bonheur: « Les grands ne furent grands que parce qu’ils ont été malheureux. » raisonne ainsi de façon médiocre le jaloux. Ce point de vue psychologique en reste au particulier et s’empêche ainsi de s’élever au point de vue de l’histoire universelle.

 

« LIS SÉNÈQUE ! « : CONSEIL POUR REMÉDIER AU VERTIGE DU SENTIMENT D’EXISTER

Dans la pièce de théâtre Art de Y. Réza, un passage savoureux (26’50 -28’32) met en scène deux amis, que l’achat d’un tableau hors de prix a conduit à une brouille momentanée, et qui tentent de se réconcilier. Or, quoi de mieux pour en rappeler à la fidélité d’une amitié profonde que d’évoquer la figure tutélaire de Sénèque, lui qui joua longtemps le rôle de maître autant que d’ami, comme en témoigne, entre autre, les célèbres lettres adressées à Lucilius, où les dialogues adressés à Sérénus: De la constance du sage, De la tranquillité de l’âme, Du loisir ?

Cependant, la scène ne célèbre pas tant l’intérêt d’un retour à la lecture du grand philosophe qu’elle ne montre les difficultés qu’ont des amis à se réconcilier quand ils ont été blessés l’un par l’autre. C’est en effet après avoir reconnu sur le ton de la pseudo-confidence que, décidément, trop épidermique, il « manque de sagesse » que l’auteur de cet aveu se voit rétorqué sur le ton du pseudo-conseil spirituel: « Lis Sénèque ! ». Cette remarque ironique a bien sûr l’effet inverse de celui qu’est censé produire un vrai « conseil d’ami »: « Là par exemple, tu me dis: « Lis Sénèque… », et ça pourrait m’exaspérer. » répond, menaçant, celui qui cherchait  un moment auparavant, à se réconcilier avec son ami, réconciliation vouée donc par cette voie à l’échec !

Il y a dans cette attitude d’exaspération envers un prétendu « conseil d’ami », comme le témoignage d’un échec annoncé de toutes les formes de conciliations amicales basées sur ce que les anciens appelaient la « direction de conscience ». On dirait ainsi volontiers aujourd’hui que les « vrais amis » sont ceux qui ne prétendent pas jouer les « donneurs de leçons » et qui respectent d’abord les choix de vie – et les goûts artistiques – de leurs proches, en s’abstenant donc d’en juger, même s’ils les trouvent absurdes. L’amitié exigerait ainsi  le sacrifice de la franchise.

Pourtant, « Lis Sénèque !  » est peut-être un conseil qu’il n’est pas vain de donner à qui cherche à ressaisir le sens de sa conduite dans les moments où il éprouve, par exemple, comme en témoigne le propos prêté à Sérénus au début de De la tranquillité de l’âme, un sentiment de désorientation et d’inquiétude profonde vis-à-vis du genre de vie qu’il s’agit d’adopter pour être heureux: « A mes pieds s’ouvre un précipice où je crains de me laisser glisser peu à peu, à moins que je ne reste, ce qui serait plus inquiétant, éternellement suspendu dans le vide, prêt à tomber. » (I, 16) Qui n’a jamais éprouvé ce vertige, et désiré à ce moment, en appeler au secours d’un ami éclairé capable de lui donner des conseils pour conduire son existence selon des principes fermes et assurés ?

« Je manque de sagesse », ce serait alors la réflexion que pourrait se faire tout homme encore un peu lucide sur sa condition,  dans les moments où il éprouve douloureusement les limites de son aptitude à conduire son existence par lui-même. Les conseils bienveillants venant, sinon d’un sage, du moins d’un ami reconnu comme comme plus proche que soi de la sagesse ne sont-ils pas alors bons à prendre pour être guidé dans l’ascension vers les hauteurs de ce souverain bien ?

Dans ces conditions, « Lis Sénèque ! », ce  serait bien  une formule à prendre au sérieux, et non à la rigolade ou comme une provocation. Il s’agirait, d’une invitation à prendre la mesure de ce « manque de sagesse » qui nous empêche de bien vivre, mais aussi de comprendre, en suivant les conseils de cet ami philosophe, comment ce manque peut être comblé. Pourrait être ainsi enfin trouvée la direction de conscience ferme et résolue par laquelle chacun est capable, sinon de mettre un terme au vertige du sentiment d’exister, du moins d’emprunter résolument un chemin de vie, c’est-à-dire choisir d’adopter une éthique.

Introduction au chapitre 9 de l’ ESSAI SUR L’ORIGINE DES LANGUES de J.J. Rousseau (1758-1761) (Terminale L)

Pieter Brueghel l'Ancien. La Tour de Babel (1563)

Pierre Brueghel l’ancien  La tour de Babel (1563)

Kunsthistorisches Museum, Vienne.

A/ La question de l’origine des langues dans l’oeuvre de Rousseau

Rousseau auteur du Devin du village (1752), sorte d’opéra qui rencontre un vrai succès populaire. La querelle des bouffons (1752): opposition des philosophes, parti-prenants de la musique italienne et les partisans de la musique française. Rousseau ne reste pas neutre:

« S’il y a en Europe une langue propre à la musique, c’est certainement l’italienne, car cette langue est douce, sonore, harmonieuse et accentuée plus qu’aucune autre, et ces quatre qualités sont précisémment les plus convenables au chant. » Lettre sur la musique française (1753)

Méditation sur la musique est la matrice de l’Essai sur l’origine des langues (C. Kintzler), et le point central à partir duquel Rousseau pense les phénomènes esthétiques (les effets de lArt).

Il s’agit dans l’Essai de distinguer deux manières de parler: la communication produite par le besoin, et l’expression proprement humaine irrductible à l’ordre de l’utilité. On peut appeler la première la langue du geste, et la seconde la langue de la voix:

« Les moyens généraux par lesquels nous pouvons agir sur les sens d’autrui se bornent à deux, savoir, le mouvement et la voix. »

Chap. 1

Les gestes ne signifient que « notre inquiétude naturelle »; l’essai s’intéressera plutôt aux voix comme à ce qui constitue la vraie origine des langues:

« Lorsqu’il est question d’émouvoir le cœur et d’enflammer les passions, c’est toute autre chose. L’impression successive du discours, qui frappe à coups redoublés, vous donne bien une autre émotion que la présence de l’objet même, où d’un coup d’œil vous avez tout vu. Supposez une situation de dou­leur parfaitement connue, en voyant la personne affligée vous serez difficile­ment ému jusqu’à pleurer ; mais laissez-lui le temps de vous dire tout ce qu’elle sent, et bientôt vous allez fondre en larmes.

Chap. 1

Lien avec le début du Chap. 9 (étudié en cours): sans l’expression vocale de la pitié, son développement n’aurait pas été possible, car ni l’imagination, ni l’intelligence n’auraient pu développer via la voix, les idées et les images qui permettent de se transporter hors de soi-même, et de compatir aux malheurs des autres (paragraphe 2). Les hommes, avec le seul langage du « geste et de quelques sons inarticulés » (paragraphe 1), seraient restés à l’état de nature associaux et dispersés. Ils se seraient contentés de communiquer à distance, mais n’auraient pas pris la peine de se rassembler en sociétés.

Grande thèse de Rousseau (anti-utilitariste) dans l’Essai est: ce qui a fait la socialisation humaine, ce ne sont pas d’abord les besoins économiques, mais les passions morales.

Cf: aussi extrait du Chap 2 de l’Essai dans le manuel Belin: « Les passions à l’origine des langues » (titre du manuel) dans le chapitre sur le Langage.

Pourquoi penser l’origine des langues ? Premier essai infructueux dans la première partie du Discours sur l’origine de l’inégalité parmi les hommes: casse-tête jugé insoluble: « la parole paraît avoir été fort nécessaire, pour établir l’usage de la parole. »

Si Rousseau y revient plus précisément dans cet essai, c’est qu’est en jeu toute sa conception de la sociabilité humaine et de la naissance de la culture, entendue comme développement, outre du langage, des grandes formes d’organisation du travail et des techniques, de la religion, entendue aussi comme processus historique. Savoir comment sont nées les sociétés humaines et les échanges, c’est pouvoir prescrire les remèdes à cette corruption que constitue en elles le développement des inégalités. Est donc aussi en jeu la fondation des institutions politiques que voudra permettre de penser le Contrat social, le sens du droit comme aussi la légitimité des Etats.

B/ Difficultés de lecture et plan du chapitre 9

Ce chapitre peut être lu comme le coeur du Discours sur l’origine de l’inégalité, dont il aurait été retiré comme « trop long et hors de place » (Projet de préface de l’essai). En effet, il vise à expliquer outre la naissance du langage, le passage de l’état de nature à celui de culture chez les premiers hommes, et leur rassemblement en société, comme le faisait déjà le Discours sur l’origine de l’inégalité. Il faut donc apprécier l’écart et les concordances entre les deux textes.

Par exemple, la pitié ne semble pas avoir la même définition dans les deux textes. Dans le Discours sur l’origine de l’inégalité, elle est présentée comme naturelle « sentiment obscur et vif de répugnance à voir souffrir son semblable » (Première partie) du Discours). Elle s’oppose plutôt à la connaissance. Elle est, avec l’amour de soi, un « principe antérieur à la raison » (Préface au Discours) encore non développé à l’état de nature, par d’autres facultés. Dans l’Essai, la pitié est déjà développée par l’intelligence et possède un fondement imaginaire. Elle est analysée comme dotée du pouvoir de nous lier à autrui en ce qu’il nous touche par l’expression vocale, plus que gestuelle, de sa douleur.

Ensuite, ce chapitre 9 d’un Essai sur l’origine des langues est intitulé: « Formation des langues méridionales », mais il ne parle pas seulement de cette formation. Sont abordées les questions de la barbarie (paragraphe 4 à 6),des premières formes économiques de travail: chasse, activité pastorale, agriculture (paragraphes 7 à 12), de la connaissance historique (paragraphe 13), des effets de l’industrie technique sur les modes de vie (paragraphe 18), de la classification des formes de société (paragraphe 19), de l’influence du climat sur le développement de la sociabilité (paragraphes 20 à 28), de la découverte du feu sur ce développement (paragraphe 29), de l’écosystème naturel (paragraphe 32), de l’importance de la maîtrise de la technique de l’irrigation dans l’aménagement des territoires des pays chauds (paragraphes 33 et 34), des premières formes de rencontres amoureuses (paragraphe 35), des premières formes de familles (paragraphes 36)

Playlist du bac philo 2017 !

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Quelle musique  avoir dans les oreilles (ou au moins en tête car les baladeurs seront interdits !) demain avant, pendant et après l’épreuve de philosophie ? Quelques suggestions:

Juste avant l’épreuve:

Une musique préparatoire pour la mise en condition et le « mental », ni trop évasive, ni trop stressante (la situation l’est déjà suffisamment)

Par exemple: la musique du film La leçon de piano

 

Au moment de la découverte du sujet:

alors là c’est comme vous le sentez, peut-être juste le silence infini: celui qui effraie, ou celui qui rassure, mais surtout celui qui rend réceptif au fameux étonnement philosophique dont je vous ai chanté (ou crié !) les charmes et les dangers toute l’année…La musique montre peut-être ici ses limites.

 

Au moment de l’analyse du sujet, de la recherche du problème, et de la construction du plan:

une musique sobre mais stimulante qui incite à la recherche assidue des idées, des exemples pertinents, de la méthode à suivre pour démontrer votre thèse.

Par exemple: la musique du film A serious man

 

Au moment de la rédaction:

C’est le moment de finaliser votre travail: une musique un peu euphorique (mais pas délirante…) est de mise !

Par exemple: un extrait valsant de la musique du film: Le fabuleux destin d’Amélie Poulain

Après avoir rendu la copie et avant de penser aux autres épreuves qui vous attendent !

 Free

BONNE EXPERIENCE DE PHILOSOPHIE A TOUS !

DERNIERE SEANCE DE REVISION

Deux questions directrices pour préparer la dernière séance du 13 juin (14h à 16h Batiment D, salle 107) ouverte à tous les élèves de Terminale du Loquidy:

  • La religion se résume-t-elle à l’obéissance ?  
  • Autrui est-il au coeur de nos désirs ?

Au menu de cette dernière séance, je vous propose:

– une étude détaillée de la question: »Autrui est-il au coeur de nos désirs? ». Voir ici: Plan autrui est-il au coeur de nos désirs ?

– une étude d’un ou deux textes de Spinoza à partir de la question: « La religion se résume-t-elle à l’obéissance ? ». Voir ici: La religion et l’obéissance

– des réponses aux questions diverses sur la méthodologie de l’explication de texte et de la dissertation de philosophie ou sur d’autres thèmes du programme. Voir en attendant  l’article du blog ici  sur la gestion du temps et les fiches ressources plus précisément: ici et pour les deux types d’épreuves (attention au conseil 8 de l’épreuve d’explication de texte: vous pouvez  ne pas faire de partie séparée pour le commentaire critique !)

Bon courage et bonne révision à tous !

JFC

P.S:  Merci aux (nombreux !) élèves présents pour cette dernière séance de révision ! Les documents en lien avec la séance sont disponibles sur le cahier de texte de Scolinfo (onglet ‘Document permanent’), ainsi que les derniers documents liés aux sujets étudiés en fin d’année (la politique, le bonheur, le langage).

LA TRANQUILLITE DE L’AME de Sénèque (ES)

      Entretien dialogué sur

La tranquillité de l’âme de Sénèque

(autre lien: ici)

Les numéros renvoient aux minutes de l’entretien consacrés aux thèmes présentés (ex: 8’40).  Les extraits sont choisis dans les parties étudiés en cours (I-IV). Attention: ils sont lus dans une autre traduction que celle de l’édition GF

Thèmes du programme: La conscience – Autrui – Le devoir – La politique – La morale – Les échanges – Le bonheur

– Sur la participation du sage à la vie de la cité (8’40 et suiv avec l‘extrait 1 du texte de Sénèque (IV, 2-7) et un extrait du film  L’exercice de l’Etat de P. Schoeller (2011)

– Sur  l’action publique comme remède à l’intranquillité et comme devoir moral (16’30…)

– Sur la vanité des voyages pour guérir l’intranquillité de l’âme (20’…). Extrait 2 du texte (II, 13)

– Sur la question du rapport entre la vie des affaires – negotium –  et la vie de loisir – otium – (25’…).

– Sur la quête idéale  du port de la sagesse et la faiblesse réelle de l’humanité (29’…)

– Sur la nature raisonnable de l’homme et le devoir d’agir envers les autres (30’…)

– Sur la difficulté de la compagnie de soi-même et l’oisiveté mal vécue (32′ – 35’38). Extrait 3 du texte (II, 10-12)

– Sur le devoir de l’homme de s’habituer à l’imperfection de sa condition naturelle (40′)

– La mort de Sénèque comme suicide socratique (43’30)

L’art permet-il de discuter des goûts ?

 

Malévich Carré noir (1915)

Discuter: établir un dialogue obéissant à des règles communes et visant à établir ensemble un accord sur la vérité d’une proposition, le bien d’une action, ou la beauté d’un spectacle

Les goûts: préférences personnelles marquant, chacune à sa façon, la singularité d’un jugement d’appréciation

L’art: domaine de l’esthétique (science du beau) aux frontières largement indéfinies

Thèse 1: l’art est le domaine où se constate le mieux la divergence des goûts, leur opposition conflictuelle, et donc où se manifeste l’impossibilité de toute discussion sur les goûts

Argument A: c’est pour juger de ce qui est ou non artistique que les individus ont le plus de mal à s’accorder, alors qu’ils s’accordent mieux sur le vrai (par la démonstration scientifique) ou sur le bien (par reconnaissance d’une communauté de valeurs éthiques)

Argument B: le désaccord esthétique sur ce qui est artistique ou non-artistique peut prendre la forme de malentendus spectaculaires opposant un amateur passionné et un connaisseur raisonnable, chacun estimant l’autre dans l’erreur de jugement. La dispute est alors ce qui empêche toute discussion courtoise. On finit par ne plus parler d’art pour les mêmes raisons qu’on évite de parler de religion et de politique.

« Argument » C: repli sur l’adage (paradoxalement) commun: « Des goûts et des couleurs on ne discute pas »

Thèse 2: l’art est le domaine où s’apprend une certaine forme de discussion qui conduit à la naissance du jugement de goût esthétique

Argument A: discuter des goûts demande un apprentissage de la liberté d’expression que n’apprend ni la démonstration scientifique, ni le respect moral. On peut être être très savant ou intègre et ne pas savoir discuter.

Argument B: discuter des goûts signifie apprendre à se mettre à la place de l’autre: cela signifie s’ouvrir à l’altérité du « ton » jugement et ne pas s’enfermer dans l’identité de « mon » jugement. C’est l’apprentissage de la relation intersubjective ou personnelle. C’est une école de dépassement des conflits parce que cette discussion n’a aucun enjeu scientifique ou moral.

Argument C: la discussion sur les goûts n’engage donc que la volonté libre de s’accorder ou non avec l’autre sur la valeur artistique d’une oeuvre. Elle conduit à exprimer librement un goût proprement esthétique dont la caractéristique sera d’être désintéressé, capable de faire reconnaître la beauté prétendument universelle d’une oeuvre d’art, et non seulement d’exprimer l’émotion particulièrement agréable ressentie devant un objet de satisfaction. (Kant Critique de la faculté de juger – §1 à 5)

Thèse 3: Pour que l’art permette effectivement de discuter des goûts, des conditions de communication sont requises, conditions qu’instituent par exemple le musée, la galerie, ou encore la publication de la revue d’art. L’art est un milieu socio-culturel qui demande à être institué en permanence pour favoriser la discussion des goûts

Argument A: la discussion des goûts est souvent étouffée par le conformisme social qui impose le goût d’une classe dominante à une classe dominée (Bourdieu La distinction).

Argument B: pour lutter contre ce conformisme, il faut non seulement proclamer le droit à la liberté d’expression des goûts mais en permettre l’exercice de fait au sein d’un espace public dans lequel le choix des oeuvres exposées sera toujours plus discutable pour les goûts qui s’y expriment !

L’histoire peut-elle remédier aux falsifications de la mémoire ? (ES)

 

ANALYSE DE NOTIONS :

Falsification : rendre faux

Mémoire :  faculté de se souvenir

Remédier : contribuer à soigner –  guérir

Histoire : 2 sens (Aron): devenir de l’humanité ou science que les hommes s’efforcent d’élaborer de ce devenir à partir d’un reportage sur le passé ( historia (grec): enquêter – rapporter ce que l’on sait)

ANALYSE

Pour beaucoup de sociétés humaines traditionnelles, la mémoire n’a rien d’historique, mais relève intégralement d’une croyance en l’irréalité du devenir humain. Pour ces sociétés archaïques,  il n’y a de réel que de ce qui ne connait aucune transformation radicale, aucun changement fondamental. La seule histoire possible est alors une « histoire mythique » (Elliade) qui raconte tout ce qui a été à l’origine, et annonce tout ce qui sera à la fin. Ce récit souvent oral a une fonction thérapeutique : il apaise les inquiétudes des hommes, non seulement devant l’avenir, mais aussi devant l’ignorance dans laquelle ils sont de leur passé, et il les pousse ainsi à ne vivre que dans une sorte de perpétuel présent, où le temps, cyclique, n’a pas vraiment d’autre sens que celui de la répétition du même. Que change alors la modernité de l’histoire dans le rapport de la société à la mémoire de son passé ? Permet-elle de se garder de toute erreur, voire de tout mensonge ? Peut-elle prétendre remédier à une supposée falsification de la mémoire ?

L’idée que la mémoire puisse être falsifiée ne peut naître que dans une culture de la recherche historique de la vérité. Etablir des faits en éliminant tout ce qui contribue à entretenir la croyance en des fables : telle est la tâche de l’historien. Celui-ci va donc instaurer un rapport critique (Krinein (grec): juger avec la raison) à la mémoire, rapport fait de sélection de témoignages, de recoupement d’archives, et d’invention de procédés techniques (ex : datation au carbone 14). L’historien ne se contente ainsi pas de relater le passé, il en déconstruit le souvenir subjectif pour en reconstruire la représentation objective. Il remédie à ce qu’on peut estimer raisonnablement être les défauts de la mémoire : l’oubli, les faux-souvenirs, les zones d’ombre, mais aussi les dissimulations volontaires et délibérées

Ainsi, l’art de falsifier les documents  peut rivaliser avec celui d’en établir l’authenticité historique, comme le montre l’exemple de la photographie retouchée du deuxième anniversaire de la Révolution d’octobre du 7 novembre 1919, sur laquelle la trace de la présence de Trotsky a été, sans doute à l’époque stalinienne, effacée. De plus, cet usage de la raison critique tend paradoxalement à instaurer un climat de méfiance au sein de la culture savante: tout critiquer revient en effet à valider la thèse de n’importe quelle « théorie du complot » qui encourage la paranoïa plutôt que l’investigation raisonnée. Toutes les méthodes historiques peuvent ainsi être retournées contre leur objectif initial d’éclaircissement de la vérité des faits. Enfin, quand le pouvoir politique instaure le contrôle du passé d’une nation, il est presque capable d’anéantir jusqu’à l’existence objective des faits historiques eux-mêmes, projet d’un « ministère de la vérité » tel que le représente Orwell dans son roman 1984.

Tout cela signifie-t-il l’échec de la connaissance historique devant les puissances trompeuses de la propagande politique, des révisionnistes et des négationnistes, ces anti-historiens qui ressemblent « comme chien et loup » aux historiens véritables ? Le comble du mépris de la vérité historique a en effet sans doute été atteint avec les manœuvres déployées pour nier l’existence des chambres à gaz et le projet d’extermination des juifs d’Europe de la seconde guerre mondiale. Ce sont en effet des symboles de l’atrocité de l’histoire contemporaine qui ont été visés par ces pseudo-historiens. Ces provocations ont eu au moins l’avantage de rappeler qu’au-delà de l’investigation historique, le passé fait aussi l’objet d’un vigilant devoir de mémoire qu’il convient d’observer avec le respect dû aux peuples et aux personnes niées dans leur humanité lors de ces périodes sombres. Si l’historien est le gardien de la mémoire, il ne garantit malheureusement pas absolument contre ses tentatives d’assassinat.

QU’EST-CE QUE LE MOI ?

Narcisse (Le Caravage 1593)

Un homme qui se met à la fenêtre pour voir les passants ; si je passe par là, puis-je dire qu’il s’est mis là pour me voir ? Non ; car il ne pense pas à moi en particulier ; mais celui qui aime quelqu’un à cause de sa beauté, l’aime-t-il ? Non : car la petite vérole, qui tuera la beauté sans tuer la personne, fera qu’il ne l’aimera plus.
Et si on m’aime pour mon jugement, pour ma mémoire, m’aime-t-on, moi ? Non, car je puis perdre ces qualités sans me perdre moi-même. Où est donc ce moi, s’il n’est ni dans le corps, ni dans l’âme ? et comment aimer le corps ou l’âme, sinon pour ces qualités, qui ne sont point ce qui fait le moi, puisqu’elles sont périssables ? car aimerait-on la substance de l’âme d’une personne, abstraitement, et quelques qualités qui y fussent ? Cela ne se peut, et serait injuste. On n’aime donc jamais personne, mais seulement des qualités.
Qu’on ne se moque donc plus de ceux qui se font honorer pour des charges et des offices, car on n’aime personne que pour des qualités empruntées.

Pascal, Pensées, « Qu’est-ce que le moi ? » Laf. 688

Dans ce texte, extrait du recueil des Pensées de Pascal, il s’agit en quelques leçons d’apprendre une  vérité sur le moi, et d’en déduire la valeur de l’amour que l’on peut lui porter. Mais quelles leçons de vérité le philosophe peut-il nous donner sur le sens de l’amour que l’on porte à soi-même ? Et pourquoi ces leçons sont-elles si importantes pour moi ? L’intérêt de ce texte est qu’il ne présuppose pas un savoir prétendu de philosophe sur l’identité du moi ou le sens de l’amour mais bien plutôt met en question ce prétendu savoir tout autant que les opinions du sens commun dont il partage au fond les mêmes préjugés.

Première leçon: Que je vienne à passer dans la rue, aperçoive un homme à sa fenêtre, et je peux me croire alors l’objet de son attention. C’est que je ne me considère pas comme n’importe quel passant anonyme: je  suis moi-même, et moi-même, du point de vue de mon amour-propre, ce n’est pas n’importe qui ! Or la leçon consiste à reconnaitre que le regard de l’homme a sa fenêtre n’a sans doute que faire de moi qui passe par là. Il peut ne chercher dans cette activité d’observation  qu’un simple passe-temps. Pascal parle dans d’autres textes du « divertissement » comme de l’occupation principale de la plupart des hommes. Cet homme ne voit passées que des silhouettes anonymes. Je ne suis donc, pour lui personne en particulier. C’est la première leçon: accepter de n’être personne pour quelqu’un qui vous regarde avec indifférence, comme un simple passant anonyme.

La deuxième leçon est plus difficile: il s’agit de comprendre la vérité sur l’amour de la beauté. Cet amour ne consiste jamais à aimer quelqu’un pour lui-même mais d’abord seulement pour sa beauté physique.  Pour obtenir l’amour, l’aimé (e) montre  son plus beau profil, et cherche ainsi chez l’amant (e) les preuves de cet amour. Mais l’amour de la beauté prouve justement le contraire de ce qui est recherché ! L’amant va s’attacher à la beauté et non à la personne. Il y a donc dans l’amour de la beauté une illusion qui fait tout son charme mais aussi toute sa cruauté quand l’illusion de dissipe. On peut parler d’une « vanité » de cet amour esthétique, c’est-à-dire d’une valeur séduisante mais trompeuse de la beauté. La petite vérole en tuant la beauté  éclaire  la vanité de l’amour esthétique, et nous rapproche ainsi de la vérité sur nous-mêmes.

Troisième leçon: Si ce n’est pas la beauté qui nous rend aimable, on peut trouver heureusement des valeurs-refuges qui m’assurent quand même l’estime d’autrui. Si je suis un esprit reconnu pour son intelligence, je peux me croire mieux aimé que pour une beauté fragile et périssable. Or, je ne suis pas mon intelligence, pas plus que je ne suis ma beauté ! Mon jugement ne fait pas de moi ce que je suis, et pas plus ma mémoire. Abruti par la passion, rendu amnésique par la maladie, je resterais moi-même.  La troisième leçon se charge donc de  démasquer comme tout aussi vaines que la beauté ces qualités si mal nommées propriétés intellectuelles.

Que reste-t-il de ce que je croyais pouvoir identifier comme le propre de moi ? Quelqu’un qui ne peut ni être ni localisé, ni à proprement parler aimé. Ce qu’on aime en moi, ce n’est en effet jamais  moi-même mais des qualités impropres du corps ou de l’âme, lesquels ne sont dès lors aimables qu’à proportion de ces qualités. Ce « on » cache peut-être cependant dans sa formulation impersonnelle le secret de la relation amoureuse qui est d’être une relation entre un « je » et un « tu ». Dès lors la propriété essentielle du moi pourrait bien être de constituer, non pas une « substance » pensante ou matérielle comme le soutiennent des philosophes comme Descartes, mais le désir d’être aimé au travers d’une relation personnelle: « parce que c’était lui, parce que c’était moi ». Telle est ainsi selon Montaigne, le secret de l’amitié. On pourrait alors soutenir que Pascal ne caractéristique ici qu’une forme inférieure d’amour, celle qui n’accède pas au coeur de la relation amoureuse, et en reste à la jouissance  des qualités superficielles et impersonnelles car « périssables », qu’elles soient qualités du corps ou de l’âme.

La fin du texte prend ainsi une tournure morale: la question de la nature du moi n’est en effet pas essentiellement une question métaphysique. Elle interroge la dignité, c’est-à-dire la valeur de la personne qui me constitue, et qui me rend essentiellement aimable.  Pascal ne fait pas comme Descartes de la  substance pensante ce qu’il y a de plus digne en moi. Le sujet pensant est un sujet abstrait qui sera toujours aimé pour des qualités qui ne lui sont pas essentielles, et qui ne sera donc jamais aimé pour lui-même.

Cela doit conduire à éviter les défauts d’une attitude courante chez les philosophes. Estimant à tort le moi adorable dans sa substance, ils en viennent à mépriser la recherche des honneurs: ces charges et offices qui consacrent souvent une position sociale, et sont souvent le résultat d’une laborieuse lutte pour la reconnaissance. Ce que veut dire Pascal est qu’il est tout aussi vain de rechercher les honneurs que de chercher à être aimé pour des qualités physiques ou intellectuelles qu’on estime à tort pouvoir caractériser son identité personnelle. Le secret de l’amour, et peut-être aussi de la gloire est ailleurs.
« Ne pas rire, ne pas pleurer mais comprendre » dira Spinoza pour qualifier l’attitude du vrai philosophe devant le spectacle des passions humaines. Comprenons ici que les hommes qu’ils recherchent des honneurs ou la satisfaction de leur amour-propre n’en recherche pas moins  maladroitement l’amour. Les premiers n’ont pas à être plus moqués que les seconds.

La vérité du moi est cruelle:  Le moi est malade, passionné d’amour-propre et cet amour l’aveugle sur la vraie nature de lui-même qui est justement de ne posséder en propre aucune qualité.
Mais cette vérité est aussi libératrice: elle permet de comprendre le paradoxe du moi: Le moi n’est pas aimable et pourtant il ne désire follement qu’une chose: être aimé, d’où la folie de la passion amoureuse !
Que peut faire le philosophe ? Non se moquer d’une attitude qu’il n’est pas le dernier à reconduire, mais comprendre le vrai chemin personnel et tortueux de la relation amoureuse,  et pour cela reconnaître qu’être un sujet, pour moi, c’est toujours désiré au plus haut  point être ce que je ne suis pas,  ce désir animant toutes mes conduites, les plus folles comme les plus sages.

Autre explication du même texte plus analytique et érudite: ici

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