« La mémoire en filigrane » Anne et Patrick Poirier

Anne et Patrick Poirier, nés en 1941 et 1942 se sont rencontrés en tant qu’étudiants à l’école des arts décoratifs de Paris. Ils travaillent ensemble depuis 1968. Ce couple d’artistes est l’un des plus connus (à côté des Christo, Delaunay, Kahlo et Rivera, Nikki de St Phalle et Tinguely ,etc)

Ils se complètent et se ressemblent artistiquement. Anne fait de la sculpture, elle est intéressée par l’astronomie et la science de manière générale. Patrick, de son côté, fait de la peinture et de la photographie. Leurs pères sont morts depuis leur jeunesse et leur fils Alain-Guillaume est mort à l’âge de 33 ans (en 2002).

L’exposition « La mémoire en filigrane » au MRAC Occitanie à Sérignan a été conçue par Laure Martin Poulet, une amie très proche du couple et puis à ses côtés, le commissaire d’exposition Clément Nouet. Ils ont fait la visite guidée le jour de la clôture de l’exposition.

L’exposition commence par une sculpture toute noire dans un environnement sombre. Les spectateurs prennent ainsi le temps de s’habituer au noir pour profiter des subtilités de la matière utilisée dans l’œuvre de la série Domus Aurea. C’est une construction en fusain et bois qui reprend des éléments architecturaux comme des escaliers, des arches, des murs, une sorte de maquette et d’une bibliothèque.

La voie des ruines noires, 1976, fusain et bois, 50cm sur 1400cm sur 20cm

L’œuvre « La voix des ruines noires » annonce l’axe de travail du couple, elle est entièrement construite pièce par pièce, par les deux artistes. La construction est constituée de petits bouts de charbon de bois. Elle est accompagnée par « L’incendie de la grande bibliothèque » qui est fabriqué de papier noir froissé, avec des inscriptions à l’or. Elle nous rappelle une mémoire commune grâce à des traces, des empreintes et des matériaux pauvres.

L’Hermès de la villa médicis, 1970-71, détail, 218cm sur 943cm sur 20cm

 

Dans la deuxième salle nous nous retrouvons dans le blanc du papier Japon. Un papier très peu cher que le couple d’artiste utilise pour faire des frottages sur des sculptures lors de leur séjour à la Villa Médicis. En posant le papier contre les sculptures ils prennent les empreintes du relief, les formes paraissent fragilisées par la surface fine du papier. Nous ne sommes plus devant le dieu représenté mais face à la mémoire d’une histoire et à des formes sculpturales.

Les sculptures de papier japon sont enfermées dans des boites en bois couverts d’une surface vitrée et elles sont accompagnées de photographies et d’une sorte d’herbier.

Tels des archéologues, les artistes travaillent en parcourant de différents sites, en collectionnant des objets, des traces, et en recueillant des dimensions de différentes constructions. Il en résulte un journal qu’ils entretiennent tout au long de leur vie d’artiste. Anne et Patrick fabriquent leurs œuvres manuellement. Ils utilisent le papier Japon, le fusain, des fagots de paille mais aussi la terre cuite. Cette utilisation de matériaux pauvres s’inscrit dans le genre appelé Arte Povera, un mouvement né en Italie dans les années 1960. L’œuvre Ostia Antica s’inscrit dans ce genre artistique.

Ostia Antica, 1972, terre cuite, 11m40 sur 5m 75 sur 15cm

Elle est constituée de 188 plaques de terre cuite. Elles forment un ensemble de constructions basés sur des relevés pris sur place sur le site d’Ostia. Passionnés par la beauté des ruines, ils découvrent la relation avec le temps, l’histoire, l’importance du lien entre architecture, espace, nature, et celle du changement d’échelle. Les artistes se font passer pour des archéologues et en 1970 le site d’Ostie n’accueille que très peu de touristes. Ils en profitent pour collectionner des empreintes « comme une peau, une mue de la sculpture » explique Anne Poirier. L’œuvre est accompagnée de photos, de notes prises sur place durant le travail. La guide Laure Martin-Poulet nous raconte l’anecdote du transport de l’œuvre. L’œuvre étant trop grande pour une voiture, le couple demande l’aide d’un paysan ayant un fourgon. Le transport de l’œuvre se fait avec une récolte de lavande, elles permettent de protéger les modules, d’où les petites dépôts de fleurs sur le gré. Cette petite anecdote se combine avec le geste de la création. Les plaques sont fabriquées à plusieurs endroits, c’est pour cette raison qu’elle est composée de différentes teintes. Dans cette pièce, le temps semble suspendu et le spectateur est face à un récit qui leur est , basé sur une reproduction en petite échelle de quelque chose d’immense.

L’exposition présente aussi toute une œuvre photographique « Paysages révolus »avec des séries réalisées en Syrie, à Rome et en Turquie avec des virages aniline, une technique qui colore les photos et aussi des photos rehaussées de couleur. Cette fois les artistes, se font passer pour des photographes de touristes, ils promettent d’ailleurs un exemplaire aux gens qui posent, mais ils n’en envoient jamais. Puis d’autres œuvres plus récentes comme « Palmyre » en 2018 et « Grand Hôtel Dante, le purgatoire », une œuvre commencée par le couple durant le confinement. C’est un retour à la figuration, qui les effraie au départ. Ils sont soutenus par leurs amis, et continuent ce travail basé sur leur grandes connaissances de Dante, de l’histoire et par l’intérêt qu’ils portent à la mythologie. « La Divine Comédie a toujours fait partie de nos livres de chevet. J’ai fait des études classiques, du grec, du latin et de l’italien. » précise Anne Poirier.

Grand hôtel Dante, le purgatoire 2020, aquarelle, encre et collage sur papier Japon marouflé sur toile de lin

A la fin de l’exposition le visiteur (ou regardeur) est immergé dans une pièce sombre éclairée en bleu par des néons formant le nom de constellations éclairent une énorme croix en acier posée sur le côté comme si elle était tombée sur un lit de plumes blanc. Le contraste de matériaux fragiles et rigides nous interpelle et nous renvoie à notre histoire ; le poids du dépôt de mémoire et de l’oubli.

Pour citer Jean de Loisy dans le catalogue de l’exposition : « Leur grandes installations établissent une tension entre l’Histoire et l’intime car elles sont des stratagèmes destinés à capturer nos rêveries les plus secrètes ou nos hypothèses les plus audacieuses. »

Dépôt de mémoire et d’oubli 1988-2021

 

Gustav

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