Jacky Achar

 

 Motion AND emotion!

Pour préparer leurs élèves au spectacle ‘Ballet pour Cordes’, les professeurs de la Classe Opéra ont eu la chance d’être initiés aux subtilités de la danse contemporaine par Jacky Achar, le chorégraphe de la compagnie Ph7 le mercredi 1er février 2012.

 

Quand Jacky Achar a été contacté par l’Opéra pour travailler sur le projet ‘Avez-vous vu Mithra’, il n’a pas hésité une seule seconde. Pourtant, deux contraintes de taille lui étaient imposées : la première, travailler avec les danseurs (classiques) de l’Opéra-théâtre. La deuxième, s’inspirer de la statue du dieu mésopotamien et de son environnement dans les musées de la Cour d’Or. Pour le reste, comme il le dit avec une gourmandise non dissimulée, carte blanche lui était donnée.

 

Mithra sur son taureau

 

Mithra était une figure solaire dont le culte se célébrait paradoxalement … dans des grottes.

 

Jacky Achar lui-même n’est pas à un paradoxe près. Chorégraphe de danse contemporaine ayant ses quartiers à l’Arsenal, il accepte de mettre son savoir-faire et sa passion au service du corps de ballet de l’Opéra-Théâtre de Metz. Habitué à voir son nom en haut de l’affiche, il accepte de bonne grâce de laisser la vedette au compositeur Gilles Sornette.

« C’est cela qui fait la richesse et la beauté d’une rencontre, concilier des aspects apparemment antagonistes. Je suis moi-même issu de deux cultures différentes, je n’ai jamais vécu cela comme un obstacle, mais comme une chance. Je trouve cela très intéressant de mêler sur scène danseurs classiques et danseurs contemporains. »

 

Issu d’une formation classique, le jeune danseur réalise très vite qu’il n’est pas fait pour servir de faire-valoir en collant moulant à de belles princesses éthérées et sautillantes. Il quitte la France, découvre l’univers de la danse contemporaine, se heurte à ses propres barrières et à ses propres préjugés.

 

« Les bases de la danse classique à la française datent du XVIIème siècle. Il faut s’imaginer le Roi Soleil, statufié par la lourdeur des riches étoffes qu’il porte lorsqu’il est en représentation, limité dans ses mouvements, se mouvant toujours face à sa cour, – hors de question de tourner le dos à ses courtisans, de montrer son postérieur, ou son corps de trois quarts… Il avance ou recule, se meut d’un côté ou de l’autre, toujours face à son public. Et bien voilà, nous avons là la position dite de 1ère, rigide à souhait.


Certains danseurs classiques bougent  avec grâce leurs mains, mais leur corps reste figé dans une attitude corporelle qui les empêche parfois de respirer. Il m’a fallu du temps pour comprendre ce que m’assénait jour après jour mon professeur de danse à New York : no motion, no emotion!

Danser, c’est pour moi laisser son corps bouger naturellement, jouer avec l’espace dans lequel il se meut pour créer des volumes, le ciseler comme une pièce d’orfèvre, raconter une histoire, transmettre une émotion… »

 

Quid de sa rencontre avec les danseurs de l’Opéra-théâtre de Metz?

 

« Disons que je parle l’américain et eux l’anglais britannique. Il y a certes des différences, mais nous parlons finalement la même langue et la communication passe sans problème! Il y avait peut-être des préjugés d’un côté ou de l’autre, mais ils sont vite tombés, car j’ai trouvé des danseurs passionnés, ouverts et curieux d’apprendre. Ils avaient quelques appréhensions et certains s’imaginaient faire uniquement de la danse expérimentale, mais je pense qu’ils sont ravis de cette aventure. Mon expérience de danseur classique les rassure et les pousse à se lancer dans de nouveaux défis, comme de danser sur le sol. La danse contemporaine fait encore peur…

 

Mais inversément, certains autour de moi m’ont demandé pourquoi j’avais décidé de me fourvoyer avec des danseurs classiques. Ma réponse: qu’il s’agisse de danse classique ou de danse contemporaine, on ne parle finalement que d’une seule et même chose : la danse! »

 

 

Il regarde ses stagiaires, rigolard, et leur lance: « Vous pensez que vous allez danser aujourd’hui? »

Pratiquement tous répondent par un non plus ou moins énergique. Mais Jacky est un pédagogue hors pair. Les trois heures passées en sa compagnie filent à toute vitesse, savant mélange d’échanges verbaux et d’expression corporelle pour aboutir à la conclusion que la danse nait du mouvement, l’émotion de la danse, la communion du partage d’émotions…

 

Ses questions, apparemment faciles, fusent : « Comment marchons-nous? Où commencent nos bras? Et nos jambes? Où se terminent-ils? A quoi sert notre tête? »

 

Les réponses se révèlent bien moins évidentes qu’il n’y paraît. Jacky parle anatomie et illustre son propos d’exercices pratiques, à faire seul ou à deux. On redécouvre son corps, on ré-investit l’espace qui nous entoure, parfois avec beaucoup de mal.

 

 » C’est normal, nous sommes aussi le produit de notre civilisation et de notre culture. Pour les occidentaux, se présenter poitrine et sternum en avant c’est la norme. On assène à nos gosses ‘Tiens-toi droit!’ Ah, il est bien droit notre dos!  Regardez, quand on bombe le torse, on creuse terriblement les lombaires. Notre postérieur ressort par derrière, prêt à être fessé! Sans compter que la respiration se bloque au niveau des cotes supérieures, on se trouve en apnée! Dans d’autres cultures, notamment en Asie, on aligne au contraire les épaules et le bassin, ce qui libère la respiration abdominale. « 

 

Un autre écueil guette les stagiaires : l’intellectualisation. On réfléchit trop au mouvement que l’on va faire, on perd toute spontanéité, tout naturel. Jacky explique : « C’est quelque peu rassurant de se dire qu’un mouvement peut être décomposé, – on se dit qu’on va pouvoir le reproduire facilement. La technique, c’est très bien. Mais la danse, ce n’est pas que cela.

Ce qui fait la beauté, c’est la fluidité naturelle. Un danseur pourrait passer des années sur un seul mouvement de bras. On peut dépasser les barrières que l’on se fixe, ou qui sont fixées par son corps, y compris en anticipant la douleur que l’on craint de ressentir. Le mouvement, c’est cela, des muscles antagonistes qui travaillent ensemble, l’un dans la tension, l’autre dans le relâchement. Après une tension arrive toujours le relâchement libérateur. Un échauffement, c’est cela, mettre ses muscles en tension pour permettre le relâchement nécessaire à la libération du mouvement. »

 Photo Républicain Lorrain

 

La scénarisation de la danse?

Jacky nous montre que chaque mouvement raconte une histoire. Et que le regard, autant que le corps, participe à la création artistique et au dynamisme du mouvement. Sans quitter ses stagiaires des yeux, il dessine une spirale du bout du doigt. Il refait le même geste en suivant son index du regard. Et la spirale se fait volute, puis prend de l’épaisseur, du volume, une tangibilité presque palpable…


Sur scène ou dans le public, l’histoire qui se joue peut être comprise différemment, mais c’est cela aussi qui fait la beauté de la danse contemporaine. Le spectateur n’est pas que le réceptacle d’une émotion interprétée pour lui par les danseurs. Il participe au processus de création en interprêtant lui-même ce qu’il voit, ou ne voit pas.

Les propos de Jacky ne sont jamais péremptoires et sont toujours illustrés par des exercices pratiques, ponctués par ses encouragements et par ses remerciements, comme si nous étions les artistes, et lui le public reconnaissant. Le plus bluffant, c’est de s’observer les uns les autres en fin de séance, et se rendre compte que nous DANSONS, vraiment.

Thanks ever so much, Jacky!

 

Pour en savoir plus sur Jacky Achar et la compagnie Ph7, cliquez-ici!

 

 

 

 

 

 

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