Le Maître de Ballet

Patrick Salliot

 

« Maître de Ballet », voilà un terme qui sent bon le XVIIème siècle et pourtant, c’est un métier qui est toujours d’actualité. La preuve, nous avons rencontré le maître de ballet de l’Opéra-Théâtre de Metz, M. Patrick Salliot , qui nous a présenté son métier avec passion.

« J’ai commencé la danse très tard, à 16 ans, après avoir assisté à un ballet où j’ai été littéralement subjugué. Ce qui est amusant, c’est que lorsque j’étais petit, je disais à ma maman qu’un jour je serai maître de ballet. Je ne savais pas vraiment ce que cela voulait dire, mais cela sonnait agréablement à mes oreilles. Et pourtant, j’ai grandi dans une famille où l’on ne connaissait pas le monde de la danse ou de l’opéra.
Pour payer mes études de danseur, j’ai fait des petits boulots, notamment lorsque j’étais à l’armée, pendant mes permissions. Quand j’ai dit à mes parents que je voulais faire de la danse mon métier, ils ne l’ont pas très bien pris, surtout mon père pour lequel cela n’était pas un métier d’homme. Il avait peur de la précarité de l’emploi et a piqué une colère mémorable pour me dissuader de me lancer dans cette aventure, mais j’ai tenu bon. J’avais la passion chevillée au corps, et pour faire ce métier, il faut être passionné.

Patrick Salliot et Pénélope Bergeret

C’est le cas de mes danseurs ici, à Metz. C’est un corps de ballet formidable, ils sont tous épatants.

C’est d’ailleurs le conseil que je donne aux jeunes danseurs qui hésitent entre la danse et une autre carrière. Je leur conseille toujours de choisir l’autre carrière, car si la danse n’est pas une passion, on abandonne très vite. C’est un métier très dur, très physique, mais pas seulement. On joue sans cesse avec le feu, par exemple en interprétant des rôles d’amoureux. Certains danseurs se laissent déborder par les rôles qu’ils interprètent. Cela peut compliquer sérieusement sa vie de couple, ou ses relations de travail. Cela peut aussi déboucher sur de véritables histoires d’amour. Je suis moi-même marié à une danseuse.

J’ai commencé tard dans la danse, j’ai d’ailleurs toujours eu un petit sentiment de gêne par rapport aux danseurs qui avaient commencé très très jeunes, vers 6-8 ans, ce qui est le cas pour la plupart des danseurs. Mais il faut croire que je me débrouillais plutôt bien car j’ai toujours trouvé du travail.
Lorsque j’ai quitté ma Champagne natale, je suis arrivé dans le corps de ballet de l’opéra de Nantes, et j’ai eu la chance d’endosser le rôle d’assistant chorégraphe. Cela a été une révélation. Je me suis formé auprès de célèbres chorégraphes dont Roland Petit.
C’est le maître de ballet de Nantes qui m’a parlé de l’Opéra-Théâtre de Metz. Ils recherchaient justement un maître de ballet, et il m’a conseillé de saisir ma chance et de postuler pour ce poste, ce que j’ai fait malgré les cassandres qui prédisaient que l’Opéra-Theâtre de Metz allait fermer. C’était il y a 35 ans, et je suis toujours là, plus pour très longtemps car je pars en retraite au mois de juin.

En répétition

J’ai vite découvert que je n’étais pas seulement destiné à être maître de ballet. En fait, je suis aussi professeur de danse et chorégraphe. Ce sont normalement des métiers très différents, et dans les grands ballets, il y a un professeur de danse, – généralement assisté de répétiteurs, un maître de ballet, et un chorégraphe.

Ce que je préfère? Mon travail de chorégraphe. Même si en fait, j’adore les cours de danse que je dispense en matinée.

Mon travail de chorégraphe commence dès que j’écoute l’air sur lesquel les danseurs vont évoluer. Aussitôt, mon esprit conçoit la chorégraphie, mais je ne la découpe pas en mouvements précis. Je la travaille en collaboration avec mes danseurs. C’est un travail d’échange, je suis très attentif à leurs suggestions.

En fait, certains opéras m’inspirent plus que d’autres, et quel bonheur de voir le directeur artistique accepter mes suggestions de programmation. Parfois, en revanche, on m’impose certains opéras. Il faut dans ce cas faire contre mauvaise fortune bon coeur, et en négotiant habilement, j’arrive parfois à décrocher une programmation.

Lorsque j’ai fini la chorégraphie, je confie le travail d’apprentissage à une autre personne, car je suis tellement ému de voir les danseurs évoluer sur ce que j’ai conçu que j’ai tendance à ne pas voir leurs défauts ou à laisser passer certaines erreurs.

Fabrice Todaro et les danseuses du ballet

 

En fait, la chorégraphie est un art bien particulier. Avant les premiers enregistrements sur pellicule et l’usage de la vidéo, la chorégraphie d’un ballet se transmettait de bouche à oreille. Les danseurs qui avaient participé à un ballet transmettaient leur savoir oralement. Bien sûr, certains ballets étaient anotés, mais honnêtement, on se doute que la chorégraphie originale d’un ballet se modifiait considérablement au fil du temps.

Cela étant, encore aujourd’hui, il y a dans les ballets des parties rigides, où la chorégraphie ne varie pas d’une reprise à l’autre, et des parties blanches où le chorégraphe peut se permettre d’improviser. Mais un chorégraphe a quand même une certaine liberté de création. Certaines chorégraphies ont bien vieilli, d’autres non. Il faut savoir s’adapter à l’esprit du temps, faire les modifications que l’on juge nécessaire, des coupes ou des répétitions, pour ralentir ou accélerer le rythme.

On ne note pas une chorégraphie de la même façon qu’une partition de musique, même s’il existe un système d’écriture très complexe, qui permet de décrire précisément toutes les parties du corps en mouvement. Cela étant, un chorégraphe reste propriétaire de son oeuvre qui est protégée par des droits d’auteur. Quand on voit une chorégraphie, on reconnaît tout de suite la patte de son créateur. Cela étant, la plupart des chorégraphes de ma génération ont été influencé par des maîtres tels que Petit ou Béjart, il est donc normal de retouver dans nos chorégraphies des traits communs, même si chacun a son style.

 

J’aime aussi beaucoup mon travail de maître de ballet. En fait, lors de la distribution des rôles, il y a généralement peu de tensions, – même si elles existent. Tout n’est pas rose, il peut exister entre les danseurs de véritables rivalités, mais généralement, les rôles s’imposent d’eux-mêmes et quand on voit les danseurs sur scène, on se dit que la distribution est parfaite. Les danseurs font confiance à leur maître de ballet, même si parfois les égos peuvent être froissés au départ. En tout cas, à Metz, cela se passe généralement très bien, et les danseurs prennent autant de plaisir à danser que les spectateurs à les admirer.

Il faut dire que tous percoivent le même salaire à la base. Cela évite les jalousies et les tensions inutiles. Cela étant, pour les représentations, leur cachet dépend de l’importance de leur rôle. Nous avons quatre catégories, et cela fonctionne plutôt bien.

Il n’y a pas de rivalité entre les maîtres des différents ballets. En fait, les opéras n’hésitent pas à échanger leurs maîtres de ballet en fonction de leurs programmations. Par exemple, nous accueillons en ce moment l’un des maîtres de ballet de l’opéra d’Avignon, car elle a travaillé sur la chorégraphie de l’Auberge du Cheval Blanc qui va être donné à Metz très prochainement. Elle la connaît parfaitement, et fait travailler notre corps de ballet. Il m’est arrivé de m’expatrier dans d’autres opéras pour les mêmes raisons. C’est l’une des spécificités de notre métier. Il faut aimer voyager et rencontrer des personnes d’horizon très divers.

Des pieds mis à rude épreuve

Comment est-ce que je choisis mes danseurs? Généralement, au moment où la chorégraphie se met en place, j’ai déjà une idée de la distribution des rôles. Il m’arrive parfois de penser en rencontrant une danseuse ou un danseur, qu’ils seraient parfaits dans tel ou tel rôle. Si celui-ci se présente, mon choix se confirme sans problème. S’il s’agit de former des paires, je prends en compte plusieurs choses : la compatibilité de caractères car les danseurs passent de très longues heures ensemble en répétition et en entraînement. La compatibilité des physiques, aussi. Il n’est pas concevable de faire danser ensemble un danseur de petite taille avec une grande danseuse. En ce moment, nous sommes gâtés, nos danseurs ont tous des proportions relativement homogènes. Et ils règnent entre eux une bonne entente. Ce n’est pas toujours le cas. Comme je l’ai dit, il y a parfois des problèmes de compatibilité de caractère, mais ce n’est pas tout. Certains danseurs n’intègrent un corps de ballet que pour une durée déterminée. C’est malheureusement de plus en plus le cas aujourd’hui. Ils ne trouvent un emploi que le temps d’une programmation et n’ont qu’un contrat à durée déterminée. C’est le cas même dans les plus grands corps de ballet du pays. Ils n’emploient qu’un tout petit nombre de danseurs en contrat à durée indéterminée. Les autres sont par la force des choses des intermittents qui ne font parfois que passer. Cela n’aide pas vraiment à la cohésion d’un corps de ballet. Et il y a aussi parfois le barrage de la langue, car nos danseurs viennent de tous les pays.
Les maîtres de ballet se contactent régulièrement pour se renseigner sur les danseurs qu’ils comptent intégrer dans leur corps pour une ou plusieurs programmation. En fait, il y a peu de danseurs professionnels en France, environ 500. Il est normal qu’on finisse par travailler avec l’un ou l’autre à un moment.

Je me fie beaucoup à mon intuition et à l’émotion que me procure le danseur sur scène. Il m’est arrivé de voir des danseurs avec une technique irréprochable mais qui ne dégageaient absolument rien sur scène. A l’inverse, certains danseurs plus approximatifs vont emporter tous les suffrages une fois qu’ils sont sous les feux de la rampe. Je suis fier d’avoir réussi à imposer certains danseurs, – je me rends compte maintenant avec le recul du risque que j’ai pris, mais ils ont tous été épatants. C’est l’une des bonheurs de ce métier!

De l'autre côté du rideau

En 35 ans, j’ai vu passer beaucoup de danseurs. Certains ont quitté la danse par choix, d’autres poussés par leur famille, mais c’est parmi ceux-ci que l’on rencontre les plus nostalgiques. L’une des mes danseuses est devenue médecin, elle travaille à l’autre bout du monde et elle n’a pas hésité à venir passer un week-end à Metz pour voir le Carmina Burana que j’avais re-monté, et dans lequel elle avait tenu un rôle dans ses jeunes années.

Généralement, les carrières sont courtes. A partir de 35 ans, le corps commence à crier grâce. Les pathologies les plus fréquentes sont les sciatiques et les problèmes de dos, les luxations, du genou, de la cheville et / ou de la hanche. Les cervicales aussi font terriblement souffrir. Le corps est soumis à des pressions dès le jeune âge, et même si un danseur a de réelles prédispositions pour la danse et une souplesse naturelle, passé un certain âge, il doit se résigner à abandonner son art. Certains deviennent chorégraphes ou maîtres de ballet à leur tour, mais hélas, les corps de ballet se font de plus en plus rares, et certains opéras n’en ont plus. Ils font appel à des danseurs intermittents, ou à des corps de ballet d’autres opéras. C’est dommage.

Mais comme je l’ai dit, rien n’arrête un danseur passionné, ni la douleur, ni les conditions de travail très difficiles, ni un maigre salaire, ni les mises en garde familiale! Mon fils est danseur et je suis épaté de voir son petit bonhomme de trois ans esquisser ses premiers pas de danse le plus sérieusement du monde! »

 

 

 

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