Délibération du Comité d’éthique éducative, XXIIe siècle: 

Président* du Comité d’éthique (P) : – Voici le cas qui nous est soumis :

Cas : Certain*s parents d’élève et des enseignant*s se montrent inquiets des développements en matière de technologies augmentées. En effet, des parents commencent à avoir recours à ces technologies pour permettre des performances scolaires supérieures à leurs enfants. Les technologies d’augmentation permettent d’obtenir des résultats qui sont nettement supérieures aux performances humaines moyennes.

Spécialiste de Recherche et développement (RD) : – Nous ne pensons pas que ces technologies constituent une rupture par rapport à l’état de fait existant. Elles ne sont que le prolongement par exemple des cours particuliers que les enfants reçoivent habituellement de la part de professeur*s particuliers. Sauf que là, au lieu de payer des cours, les parents ont recours à des technologies biochimiques et à des implants bioniques.

Militant* anti-oppression (A-O) (agit dans cette affaire comme défenseurice des intérêt des familles et des élèves en situation de précarité et de pauvreté économique) : – Certes, il existe des inégalités socio-scolaires contre lesquelles nous essayons de lutter. Ces inégalités ne sont pas de notre point de vue en premier lieu des inégalités naturelles. Ce sont des inégalités sociales liées aux capitaux sociaux, économiques et culturels des familles (pour reprendre les analyses classiques du sociologue Pierre Bourdieu). Mais là, avec les technologies d’augmentation, nous sommes face à des technologies qui creusent les inégalités sociales. En effet, les personnes les plus fortunées sont en capacité d’avoir recours aux technologies d’augmentation. En autorisant, les parents à avoir recours aux technologies d’augmentation pour leurs enfants, nous introduisons des inégalités sans limites.

RD : – Franchement, pour moi, cela c’est de l’hypocrisie républicaine. Nous savons très bien qu’il n’y a pas d’égalité naturelle entre les êtres humains et nous savons que déjà dans la situation actuelle, ce sont les personnes les plus fortunées qui sont le plus en capacité de faire réussir leurs enfants. Les techniques d’augmentation cognitives permettent au contraire de corriger les inégalités naturelles par la fortune. Ne pensez pas que nous sommes cyniques. Comme vous le savez, nous considérons que les inégalités sociales sont justifiées du moment qu’elles favorisent le bien-être collectif. Il faut raisonner non pas au niveau de l’individu, mais au niveau du bien-être social. Nous pensons au contraire que pouvoir augmenter les capacités cognitives humaines aura un impact favorable sur l’évolution sociale. Pour nous, comme vous le savez, nous pensons qu’il y a une conjonction entre progrès technoscientifique et progrès social général.

Défenseurice des droits humains (DH) : – Notre rôle est ici de rappeler les principes des droits humains. Comme vous le savez l’article premier de la déclaration universelle des droits humains affirme : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits ». Nous pouvons nous inquiéter que ces technologies produisent de telles inégalités qu’elles en arrivent à constituer deux humanités incommensurables. Par exemple, si certains élèves sont hyper-augmentés par des technologies, alors il ne sera plus possible de les maintenir dans les mêmes écoles que les autres. Nous n’aurons plus d’écoles communes. Vous savez qu’il a fallu en France une grande partie du XXe siècle pour arriver par exemple à un collège unique qui regroupe les élèves quelque soit leurs classes sociales.

RD : – Il existe déjà des écoles privées et des écoles pour surdoués.

A-O  : – Oui, mais ce ne sont pas des écoles qui instaurent des inégalités socio-techniques systématiques entre classes sociales. Si l’on accepte le principe d’augmentation cognitive des élèves, nous radicaliserons encore davantage le principe de deux classes sociales d’élèves. Nous avaliserons encore plus l’idée que certains sont destinés à être les « concepteurices » et les autres les « exécutant*s » dans notre société. Ce qui est déjà pour partie le cas. Nous avons abolis les privilèges juridiques, mais nous n’avons pas aboli les privilèges sociaux liés aux inégalités de fortunes.

RD : – On peut très bien imaginé rendre ces technologies accessibles à toustes. Nous pouvons conclure un marché public pour faire en sorte que ces techniques d’augmentation soient accessibles à toustes les élèves.

A-O : – Vous savez très bien que cela ne sera pas une solution au problème. Les parents les plus fortunés auront recours aux technologies plus avancées disponibles sur le marchés et qui sont plus coûteuses. Il y aura toujours des inégalités sur le sujet.

DH : – De notre côté, vous savez que nous sommes pour l’interdiction des techniques d’augmentation humaines qui nous semble à termes remettre en cause le principe d’égale dignité des êtres humains. Il faut a minima obtenir l’interdiction par le Comité d’éthique internationale des techniques d’augmentation sur les mineurs. Si on ne le fait pas à l’échelle internationale, on nous dira que comme tel pays le fait, les autres qui ne le font pas seront désavantagés sur le marché de l’emploi international.

RD : – C’est ridicule. A ce compte là, on peut également interdire les lunettes sous prétexte qu’il s’agit d’une technologie d’augmentation.

DH : – Les lunettes médicales n’ont pas pour objectif que les personnes aient 15/10, mais 10/10. Il s’agit de rétablir une vision normale, pas de créer des « sur-humains ».

P : – En ce qui concerne l’interdiction par le Comité d’éthique international, cela ne risque pas d’être facile à obtenir si nous nous orientons vers cette voie.

N.B: La question du transhumanisme fait l’objet d’une importante littérature en philosophie et a été discutée entre autres par: Francis Fukoyama, Michael Sandel, Jurgen Habermas, Gilbert Hottois, Jean-Michel Besnier, Luc Ferry…