Délibération du comité d’éthique éducative, XXIIe siècle :

Président* (P) : – Le secteur recherche et développement (RD) veut nous soumettre un nouveau projet.

RD : – Voici la présentation de notre projet :

Cas pratique : Nous proposons un nouveau programme qui permet de maintenir pendant plusieurs années une personne dans une situation de coma artificiel tout en lui permettant d’être branchée au Réseau et de pouvoir ainsi apprendre une quantité importante d’information. Notre objectif serait de maintenir dans cet état les jeunes jusqu’à l’âge de 18 ans. Nous ferions ainsi des économies sur l’éducation des jeunes et nous pourrions ainsi avoir des citoyen*s immédiatement productif.

P. : – J’avoue que je ne saisis pas exactement l’intérêt de ce projet.

RD : – Nous avons calculé que nous ferions des économies très substantielles dans l’éducation des enfants et des jeunes de cette manière.

Représentant* des métiers de la relation à autrui (ME) : – Je ne suis pas certaine que les parents soient d’accord avec un tel projet. Vous parlez de l’éducation cognitive des enfants. Mais, il y a aussi leur éducation affective. Cela me rappelle cette histoire que l’on raconte à propos d’un Tsar en Russie qui avait enfermé des enfants sans contact avec le monde extérieur et ils sont morts. Vous semblez oublier les problèmes mis en lumière par la « théorie de l’attachement ».

Défenseurice des droits humains (DH) : – Vous faites comme si l’enfance n’était qu’un moment inutile dans le développement humain ou alors tout juste bon à acquérir des connaissances et ensuite à rendre de manière utile cette éducation à la société. Mais l’enfance est un âge de la vie. Elle fait partie de l’expérience existentielle de l’être humain.

Militant-e anti-oppression (A-O) : – Je soupçonne au fond de ce projet une forme d’âgisme. Là le projet concerne les enfants et les adolescents, la prochaine fois votre projet concernera les personnes âgées et s’appellera « Soleil Vert »1.

RD : – Justement, j’aimerai bien que vous me convainquiez que l’enfance est une période de la vie qui a un intérêt en soi. Ce qui constitue la partie réellement intéressante de la vie, c’est l’âge adulte. L’enfance n’est qu’une prépedeutique.

ME : – L’enfance représente un ensemble de souvenirs d’expérience pour l’âge adulte. Ce sont des souvenirs marquants. Je ne suis pas certaine que l’on puisse vraiment être adultes sans l’ensemble de ces expériences qui sont liées aussi aux relations que nous nouons avec d’autres êtres humains, en particulier nos parents.

RD : – Justement, ces souvenirs ne sont pas toujours bons, il peuvent être malheureux, et selon la psychanalyse, ils sont la cause des névroses des adultes. Nous nous proposons en quelque sorte de supprimer l’origine des névroses.

ME : – Mais, un enfant ne peut pas se développer normalement sans un père et une mère.

RD : – Oui, c’est déjà ce que l’on disait pour s’opposer à l’adoption des enfants par les familles homoparentales. Pourtant, ces familles n’ont pas l’air pire que les autres.

DH : – En outre, pour beaucoup de personnes, avoir des enfants et les éduquer et ce qui donne un sens à leur existence. Vous allez privé nombre de personnes de ce qui rempli leur existence.

RD : – Justement, les adultes ne font pas des enfants pour les bonnes raisons, mais pour des raisons égoistes et égocentrées. Un enfant n’appartient pas à ses parents. C’est un membre d’une société à qui il doit son éducation, et un individu qui peut choisir son existence. Justement, un enfant sans influences parentales, est un enfant qui pourra d’autant mieux choisir selon ses goûts. En outre, notre projet élimine bien des sources d’inégalités sociales. Nous allons donner à chacun la même éducation.

ME : – Ils risquent d’être tous identiques.

RD : – Non, ils sont tous différents à la base par leur patrimoine génétique.

ME : – Cela dit, il y a un point que je ne comprends pas. C’est comment vous allez vous y prendre pour la reproduction.

RD : – Nous allons avoir recours à un prélèvement obligatoire de gamètes auprès de la population – avec sélection des meilleurs -, puis à de l’exo-reproduction. Les femmes seront ainsi débarrassées de la grossesse. Ce qui sera également meilleurs pour leur productivité économique. Il faudra aussi prévoir une stérilisation forcée des personnes après le prélèvement de gamètes pour empêcher une reproduction « sauvage ». Ce qui veut dire en dehors de nouveau mode de reproduction et d’éducation des enfants.

A-O : – Ce que je remarque, c’est que votre projet aboutie à un système autoritaire et au passage, vous essayez également de nous proposer des pratiques eugénistes. Après la « honte prométhéenne »2, c’est la honte « d’avoir été enfant avant d’avoir été homme ».

P : – C’est vrai que votre projet posent beaucoup de problèmes éthique emboîtés. Pour l’instant, nous n’avons pas avalisé ni la sélection pré-natale des gamètes, ni l’exo-reproduction, ni la stérilisation forcée de la population.


NB: L’intérêt de ce cas est de discuter de la place anthropologique de l’enfance dans l’existence humaine.

1Allusion à un film de science-fiction dans laquelle sur une terre surpeuplé, les personnes âgées sont tuées et transformées en nourriture pour les survivants.

2Formule du philosophe Gunther Anders.