Le RITE

Une corrida est une grande messe d’environ deux heures où 3 prêtres, en quelque sorte, célèbrent tour à tour une religion immanente où la vie est exaltée avec la victoire sur la mort représentée par le toro. Il s’agit donc d’un rite cyclique qui se répète 6 fois. Et comme dit Francis Wolff :

« Le point fixe occupé par l’homme immobile, au centre du rond de la charge, et même parfois au centre du rond de l’arène, est alors l’image de la position du dieu qui meut le monde autour de lui, et lui offre ainsi quelque temps la vie avant de disposer de sa mort »[1].

 

Avant la corrida

Le matin de la course a lieu le sorteo où n’assistent généralement que le quadrille et le manager : 3 lots équilibrés sont constitués avant le tirage au sort.

Pour le matador, le rituel commence dans l’ombre par l’habillage, deux heures environ avant le paseo. Il s’agit véritablement d’une cérémonie très ordonnée où l’homme revêt un habit, dit de lumières (aux similitudes avec les retables baroques), qui a quelque chose de sacré, qui va l’élever à une autre catégorie qui implique de renoncer à des sentiments tout ce qu’il y a de plus humain, à commencer par celui de la peur impliquant sans doute une transcendance, une foi dans l’au-delà.

C’est probablement pour cela que la grande majorité des toreros (pas José Tomás) ont une grande quantité d’images pieuses sur une table de leur hôtel et sacrifient au rite de la prière dans la chapelle des arènes.

Juste avant le défilé ou paseo c’est la cape d’apparat qui sera revêtue d’une manière tout à fait minutieuse, rituelle là aussi.

 

Le paseo

En tête du cortège apparaissent deux alguacilillos (censés faire respecter le règlement et transmettre les directives de la présidence) à cheval vêtus comme les forces de l’ordre à la mode du XVIIe siècle quand il fallait dégager l’arène des badauds qui s’y trouvaient. Le torero le plus ancien se situe à gauche, le deuxième à droite et le plus jeune entre les deux. Derrière eux défilent leurs trois banderilleros dans un ordre hiérarchique puis leurs deux picadors, les monosabios (souvent d’anciens novilleros chargés de situer derrière le cheval du picador pour éviter qu’il se déplace) qui foulent l’arène en présence du toro et de ce fait peuvent arborer le titre de torero (au sens large, mais certains de leurs quites lors de situations périlleuses peuvent atteindre des sommets de bravoure) puis les mulilleros et leurs mûles ferment la marche.

Lorqu’un torero se présente dans une arène il fait le paseo tête nue, tenant la montera dans la main.

 

Pendant la lidia

Dans les autres parties de ce blog le déroulement de la lidia et de ses différentes phases ou suertes très réglementées est explicité : sortie du toro, reception à la page, piques puis banderilles, brindis (dédicace) au président (au premier toro) et éventuellement à une personne de l’entourage ou à une sommité, faena de muleta et mise à mort.

L’ordre de passage n’est altéré que lors de la cérémonie d’ordonnation appelée ‘alternative’ où le toricantano donne la mort au premier au toro. Au début de la faena de muleta son parrain lui remet la flanelle et l’épée faison de lui un matador de toros. L’ordre normal reprendra au quatrième toro, ce qui fait que  dernier torero de l’affiche prendra en charge le sixième animal.

Les 3 tiers de la lidia sont annoncés par un coup de clairon et si le torero n’a pas tué 10mn après le début de la faena de muleta c’est ce même instrument qui annoncera le premier avis. Cinq minutes plus tard et deux coups de clairon en plus feront rentrer l’animal vivant dans le toril où il sera sacrifié ce qui constitue pour le torero une infamie.

Même les réactions du public sont codifiées, d’une éventuelle ovation après le paseo pour encourager un torero attendu au verdict post mortem après le verdict (à ne pas confondre avec celui sur le torero) sur le comportement du toro (huées, silence ou applaudissements).

Pour chaque suerte la position de chaque intervenant elle aussi est très encadrée. Par exemple le matador qui aura à prendre en charge le toro suivant se situe derrière le banderillero pour lui venir en aide en cas de besoin. Et pendant toute la durée de la corrida, le matador le plus ancien, appelé chef de lidia devra s’assurer du bon déroulement de celle-ci. Dans le cas où un torero serait blessé c’est toujours au plus ancien d’occire l’animal.

Si la faena est intéressante, si le torero semble en mesure de couper un trophée au moins alors le président demandera à l’orchestre de jouer un pasodoble (pas à Madrid et à Séville c’est le chef de celui-ci qui en décide).

Après la lidia

– Censure et trophées

Si la communion avec les fidèles n’a pas opéré le torero sera hué ou simplement méprisé par le silence. Si ses efforts sont reconnus il pourra saluer une ovation mais si le public a vécu un instant plus ou moins magique il demandera en agitant des mouchoirs blancs que soit attribuée à celui qui l’a tué une partie symbolique de la bête (le reste de la dépouille est vendue à un boucher pour être consommée par les amateurs). Si le président (accompagné de deux assesseurs : un pour le toro et un autre pour le torero) juge que le travail du torero a quelque peu dérogé aux règles de l’art il pourra refuser de donner plus d’une oreille mais le premier trophée est la prérogative des spectateurs. Il devra simplement constater une pétition majoritaire et le cas échéant sortir lui aussi un mouchoir blanc (d’autres mouchoirs permettent d’annoncer une décision : le vert pour faire sortir un animal invalide, le bleu pour un tour de piste posthume ou l’orange pour une grâce). Si le trophée est refusé le torero (dans la mesure où une partie du public ne s’y oppose pas) pourra donner un tour d’honneur appelé vuelta al ruedo. Dans les arènes les plus importantes l’attribution de la queue en plus des deux oreilles n’est plus de mise.

– Sorties

La sortie du cercle magique de l’arène est aussi réglementée que l’entrée : chaque matador, s’il n’a pas pleinement triomphé, prendra, par ordre d’ancienneté, congé du public en traversant l’arène accompagné de ses subalternes à pied sous, selon les cas, des jets de coussinets jusqu’à une ovation de l’assistance qui sanctionne à ce moment là la prestation d’ensemble du torero. Est-il apparu en être humain ou, comme on l’attend de lui, en demi-dieu.

Si toro et torero ont donné vie à l’illusion d’immortalité en ne faisant qu’un (on parle d’ « accouplement ») ce dernier sortira sans doute a hombros, plus près du ciel que les simples mortels, debout, les pieds bien au sol. De cette manière il dépasse l’espace taurin, en principe clos, à moins que ce soit celui-ci qui s’étende sur l’espace public de façon prosélytique. Pour avoir cette honneur il faut traditionnellement couper 2 oreilles (au moins une par toro) mais dans certaines arènes c’est 3 (Séville ou Nîmes) ou 2 à un même toro (Pays Basque ou arènes andalouses de première catégorie).

Première Porte du Prince de Manzanares. 30 avril 2011.

Les toreros disent parfois qu’ils ne conçoivent que deux manières de sortir des arènes : sur des épaules ou allongés, par la grande porte ou par celle de l’infirmerie.

Et puis il y a les ultimes sorties d’une arène : celle qui consiste, en fin de carrière, à se couper la coleta, cette mèche de cheveux qui est le signe distinctif de la profession (de nos jours il s’agit d’un postiche),  et pour les plus grands, le dernier tour de piste et la dernière sortie par la grande porte, le cercueil porté a hombro.


[1] Philosophie de la corrida p.247, Fayard, 2007.