Août 3 2020

Dieu que c’est beau

Presque onze mois après ma dernière corrida (le solo d’Emilio de Justo à Dax), j’ai retrouvé le chemin de arènes sur une scène et avec du bétail bien différent,  à Huelva, plus d’un millier de kilomètres plus au sud. Et Dieu que c’est beau ! Mes sentiments taurins se sont ravivés mais mon propos n’a jamais été dans ce blog d’écrire des chroniques et de suivre l’actualité au jour le jour mais au contraire d’avoir une vision d’ensemble sur la Corrida, pas une corrida en particulier qui ne peut par définition n’être qu’un fragment du tout.

Beau, quoi donc ? Le sang versé, les meuglements de souffrance, l’acharnement vicieux des piques et des banderilles, l’agonie de la pauvre victime, le sourire satisfait du bourreau, le public sadique qui en veut plus, bref un spectacle barbare et macabre ? Quelle misère de la pensée ! Et c’est cela l’évolution ? Le stade le plus avancé de la civilisation ?

Voilà à quoi se résume pour certains la Corrida (ceux qui considèrent que la mort d’un torero c’est bien fait parce qu’ils ne sont pas capables de faire la différence entre un élevage de poulets et un camp d’extermination). Moi j’y vois et j’y recherche tout autre chose. On y voit du sang certes mais souvent peu en vérité avec des piques très dosées, nul mugissement, des toros qui ont envie d’en découdre, point de victimes, des combattants nés, élevés pour leur caractère mais menacés par une dégénérescence puis une disparition pure et simple de l’espèce par ceux qui prétendent les défendre contre les humains insensible que nous sommes. J’y vois la beauté d’une sculpture vivante (et je suis loin d’être le seul, dois-je énumérer les artistes incommensurables qui y ont trouvé leur inspiration ?), non pas des poses prises devant un toro mais l’imposition d’un tracé grâce au courage et à la maîtrise de soi comme en la confiance en sa capacité à dominer la sauvagerie assassine à l’aide d’un simple morceau d’étoffe conduit au plus près des cornes ; accrochées bien en avant, les pieds ancrés au son et conduites en cercle autour du corps en imposant une harmonie et un tempo, la volonté réfléchie s’imposant à l’instinct brut d’un animal parfois dix fois plus lourd que l’homme. Cet ensemble, ce groupe sculptural toro-torero où l’artiste, tel le danseur, est un élément de son œuvre et où le toro, tel la pierre du sculpteur, est un matériau à modeler, constitue à n’en pas douter une œuvre d’art bien que parfois l’on n’assiste dans ce processus créatif qu’à des tentatives infructueuses (le matériau est parfois friable ou récalcitrant) ou à des ébauches. Mais ce n’est pas tout : qui sait capter un instant de cette sculpture en mouvement pour la faire passer définitivement de la rétine à la mémoire sait que le dessin offert par le contournement du corps du torero (ce que dans le jargon on appelle l’acoplamiento, soit l’  « accouplement » à la charge) doit être complété par la « musique silencieuse » pour reprendre les mots du poète républicain José Bergamín, c’est-à-dire le rythme de la passe, donnée comme une caresse en réduisant le tempo (le temple en terme taurin). Mais ce n’est pas tout : ces passes doivent, pour atteindre au chef-d’œuvre, être cousues les unes aux autres en séries et les séries doivent répondre à une structure d’ensemble comme pour le plan d’une cathédrale. Si l’œuvre est complète et si elle est le fruit d’un travail progressif d’apaisement d’une charge vive cherchant à accrocher le leurre qui lui échappe, alors c’est un mythe qui se rejoue devant nos yeux, celui de l’évolution de l’humanité depuis les combats préhistoriques en corps à corps face à un animal dont il fallait s’imprégner des valeurs (la force, la puissance) par besoin vital autant que dans un rite animiste (les peintures pariétales en sont le témoin) jusqu’à la victoire de l’intelligence et l’intégrité d’un spectacle codifié au siècle des Lumières où tout a son origine comme sa raison d’être, des piques jusqu’au « meurtre » du toro, ce que nous appelons l’estocade. Et tout cela sans traîtrise, en respectant une éthique : il serait plus simple de supprimer la barre d’arrêt de la pique si l’objectif était de « massacrer » l’animal (des blessures dont il guérit aujourd’hui presque toujours lorsqu’il est gracié) et il serait de même plus facile au torero de planter une épée dans le flanc ou depuis la barrière que de le faire en se lançant face aux cornes.

Quant au sadisme supposé des aficionados, pourquoi le public proteste-t-il quand le torero n’arrive pas à donner la mort au toro rapidement ? Dans la célébration de la vie humaine que représente le toreo il y a un ordre aux choses : le toro doit mourir en combattant après avoir eu une vie bien plus longue et enviable que ses congénères et le torero idéalement doit triompher de la mort, pas en la fuyant mais en l’affrontant face à face. C’est là certainement un anachronisme. Ces notions d’honneur et de don de soi semblent aujourd’hui bien dépassées. Comme écrivait Corneille dans le Cid en reprenant Sénèque (un autre Cordouan, Manolete bien-sûr, mourra d’ailleurs avec le même détachement que ce dernier) : « A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire ».

Nous vivons dans nos société industrialisées post-modernes dans des milieux devenus tellement aseptisés, policés, convenus et par là même insipides qu’on s’étonne non pas tant de la violence de la tauromachie, qui existe assurément, nous ne saurions la nier (j’y reviendrai à l’occasion mais elle sert aussi d’exutoire et le bouc-émissaire a eu dans de nombreuses civilisations un rôle apaisant qui a évité des maux bien pires sinon comment expliquer la violence de certains antis à l’égard d’autres êtres humains fussent-ils barbares à leurs yeux) mais de la violence de sa vérité. Oui, ici rien n’est joué même si les mauvais toreros surjouent comme le font les mauvais acteurs. Le torero vit son rôle, c’est pourquoi tout ce qu’on dit sur l’habit de lumière est une réalité : il héroïse l’homme qui le porte, l’obligeant à se transcender pour dépasser sa condition de mortel, sauf naturellement à jouer de malchance et à nous ramener de plein fouet à cette, à notre triste condition.

C’est aussi pour cela que la tauromachie est pour nous une parenthèse enchantée mais pas un spectacle plaisant fait pour passer un bon moment, pas une histoire bien morale et bien-pensante ou simplement gentillette qui raconterait une monde aussi parfait qu’irréel. Elle est une part essentielle de notre culture (pas celle de ceux qui ne l’admettent pas, la nôtre et celle de nos aïeux) multiséculaire, celle du peuple du toro. C’est finalement un spectacle qui raconte notre Histoire et chaque torero l’exprime, tel un poète face aux grands sentiments humains, à sa manière.

Hier, Perera l’a exprimé à la sienne : techniquement supérieur, impeccable, profond mais dans un style moderniste qui n’est pas du meilleur goût, la jambe en retrait mais une élasticité pour allonger la passe et une suavité pour conduire la charge exceptionnelles. Début (passe changée dans le dos) et grande partie de la faena à genoux pour pimenter la faena mais une épée légèrement tombée qui le prive de la queue puis tour de piste émouvant avec ses enfants comme pour revendiquer le droit à leurs transmettre nos valeurs au-delà des nouveaux moralismes. Pour le reste, je passerai sous silence la mono-pique et les poses du Bellâtre pour me concentrer sur le geste de plus de torería de la soirée : une larga à genoux improvisée d’Aguado après avoir trébuché et être à la merci des cornes (il recevra aussi un coup de tête pendant la faena) et cet arôme vintage de lignes courbes, la jambe en avant qui aurait pu lui permettre d’obtenir un trophée avec une meilleure épée. A noter aussi deux paires supérieures de Javier Ambel et deux poses entre les cornes de Curro Javier. A la cape, le meilleur furent les gaoneras une media de Perera et les chicuelinas du Sévillan qui torée à la véronique avec plus de rythme que de composition ce qui présage une évolution prometteuse pour ce qui n’est encore qu’un torero en devenir (dont on attend peut-être trop dans le sens où il ne sera probablement jamais un torero d’une grande régularité; en tout cas au descabello il fait déjà concurrence à Morante).


Fév 10 2020

5 ans après, toujours Charlie

On a le droit d’être en désaccord mais la violence contre les personnes n’a aucune circonstance atténuante.

Vive la liberté !

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Nov 1 2019

La bonne conscience

             Protéger nos enfants ? Les protéger de nous-mêmes, de ce que nous sommes, de ce que nous aimons et souhaitons leur transmettre ? Avec le projet de loi visant à interdire l’entrée aux corridas de mineurs de moins de 16 ans la liberté se meurt encore un peu plus au bénéfice d’une prétendue protection.

            Il faut suivre une norme; la morale républicaine frappe à nouveau : après son côté laïcard voilà que c’est son côté paternaliste qui ressort.

            L’interdiction du voile à l’école est une chose mais pour les lieux publics il s’agit d’une restriction claire des libertés. Pourquoi ne pas interdire l’uniforme ecclésiastique, la kippa, les rastas, les turbans, les vêtements blancs des santeros cubains, les processions de semaine sainte, les tenues de communiants….

            Récemment, j’entendais à la radio qu’il y a actuellement un problème de recrudescence de violences sexuelles chez les mineurs. L’interdiction de la pornographie aux moins de 18 ans est-elle respectée ? Qui peut le croire ? Il y a là un problème réel. Hiérarchisons les priorités.

            Les mangas ne sont-ils pas violents ? Interdisons-les. Et ne parlons pas des jeux-vidéo !

            Accompagner papi à la chasse ? Interdit ! Regarder à la télé un lion manger une gazelle ? Interdit ! Tuer le cochon ou l’agneau en famille ? Interdit !

            Laisser un enfant SEUL devant une tablette voilà qui est violent. Ne pas l’écouter et donc ne pas répondre à ses interrogations (de plus en plus larges avec internet et l’avalanche de sujets déversés sans filtres), c’est ça qui peut perdre un enfant. L’éducation c’est un cadre et un accompagnement qui font de plus en plus défaut.

            Et que dire des vieux qu’on cache aux enfants dans certains mouroirs : violence par omission. On les empêche même parfois, là aussi pour les protéger, de leur dire un dernier adieu pour leur enterrement. On cache la mort au lieu de la mettre en scène pour mieux l’exorciser comme il a été fait, de différentes manières, dans toutes les civilisations pendant des siècles et des siècles. Et qu’on ne vienne pas nous dire qu’Halloween est autre chose qu’une fête commerciale !

***

            Il y a quelques années de cela, j’avais retenu d’une conférence sur le thème de l’enfance et la tauromachie, que la violence symbolique est une nécessité dans la construction des individus et des civilisations. Pour résumer, le public de rugby est un public apaisé car il ressort d’un spectacle sportif où est mis en scène un combat comportant une violence régulée. A mettre en perspective avec le comportement d’une bonne partie du public de football censé être un sport de gentlemen. Il en va de même de celui du public de corridas, pacifique et stoïque en comparaison de celui des anti-taurins avec leur déferlement de haine à notre encontre quand ils nous honorent de ce qu’ils veulent être des haies de déshonneur sur le chemin des arènes. Une société sans violence est une pure utopie. Si on veut bannir toute violence orchestrée, celle-ci ressortira de manière absolument chaotique. Bref, il vaut mieux un bouc émissaire au sens propre avec sa valeur expiatoire et « exutorielle » que des boucs émissaires qui ont été cherchés de tout temps parmi des populations minoritaires accusées d’être responsables de tous les maux comme en témoignent un grand nombre de pogroms spontanés, en France notamment. Ce psychiatre spécialiste de l’enfance ajoutait qu’à son humble avis, à partir de dix ans un enfant pouvait tout à fait comprendre ce spectacle et commencer à appréhender son sens si tant est qu’on le lui explique, mais justement : le mineur n’est jamais seul aux corridas, il est toujours accompagné et nul n’y est traîné de force. Il s’adresse à un public avisé.

            Les anti-taurins ont hélas d’ores et déjà gagné le combat qu’il nous livre alors que nous n’aspirons qu’à vivre en paix et à assouvir notre passion, non pas notre soif de violence, comme ils disent. Car cette vision des choses prévaut clairement aujourd’hui : nous nous délectons de la souffrance animale, cela paraît évident à beaucoup. Ce texte n’est qu’un billet d’humeur et non une défense ordonnée de la Corrida mais il y a des choses à rappeler à nos détracteurs : la mort du taureau de combat ou toro (pour simplifier), bien que violente, est plus digne que la mort rapide dans un abattoir car, si on peut manger la viande du toro, on est là dans un rite sacrificiel certes mais surtout dans la célébration de la vie humaine qui recrée des mythes anciens en représentant d’une manière esthétisée la victoire de l’Homme sur la mort. Là où certains y voient un spectacle morbide et sanguinaire nous y voyons l’exaltation de la vie et la mise en valeur des qualités combattives du toro qui permettent parfois sa grâce ou le souvenir de son combat, nombreux étant les noms de toros dont on se souvient.

            Pour parodier Sartre, qu’on a vu parfois aux arènes d’ailleurs, mais qui parlait là de littérature, après tout, cela n’est pas si important, l’Homme peut fort bien se passer d’aller aux corridas… mais la nature peut tout aussi bien se passer de l’Homme. Il est clair pour quiconque a déterré un arbre pour le transplanter que cela représente un grand stress comme on dit maintenant à propos de tout et de n’importe quoi : il souffre. Voilà le combat du futur, s’occuper de la souffrance végétale. Pourquoi pas, après avoir stoppé, comme le propose L214, l’exploitation des animaux et leur consommation, arrêter de consommer des légumes et passer à l’alimentation du futur, des sachets de nourriture synthétique lyophilisée et remplie d’arômes.

            Au-delà de l’ironie, il y a une réalité objective à laquelle on accorde l’importance qu’on considère opportune. Même si on ne peut être contre que les procédures d’abattage soient respectées, il y a des exceptions à prendre en compte par rapport à l’idée d’une mort donnée gentiment (un oxymore dans tous les cas) ou « proprement » : l’abattage rituel, casher ou hallal, celui des poulets élevés à la maison, des homards ébouillantés, des poissons pris dans les filets… Même la pêche à la ligne n’entre pas dans le respect des droits des animaux autoproclamés.

            Et les droits humains, lorsqu’il y a conflit, ne sont-ils pas au-dessus de ceux-ci ? Les anti-spécistes répondent évidemment que non mais dans la déclaration universelle des droits de l’homme, article 27, il est indiqué : « Toute personne a le droit de prendre part librement à la vie culturelle de la communauté ». Nous n’obligeons personne à aller aux Corridas mais nous, peuple du taureau, des zones landaise ou camarguaise, parfois héritiers de l’immigration espagnole, voulons continuer à pouvoir transmettre notre culture et ses valeurs, notamment celles de courage et de don de soi si contraires aux temps présents. Ceux qui ne sont pas de cette culture disent qu’elle n’en est pas. Pour eux sans doute, mais tant que nous continuerons à remplir les arènes de France, plus de 50, elle perdurera. C’est à nous d’en décider. La Corrida est un fait social, pas un sujet de salons. Nous ne faisons de mal à personne, surtout pas à nos enfants. S’il-vous-plaît, ne nous attaquez pas dans ce que nous sommes, c’est d’une rare violence. Nous sommes des êtres sensibles quoiqu’en pensent ceux qui nous dépeignent comme des barbares. Goya ou Picasso, entre autres, nous ont transmis un message sur ce qu’est la tauromachie, permettez que de futurs artistes boivent aux mêmes sources et trouvent leur future inspiration ailleurs que dans la morale « bambinesque » qui est à la vie réelle ce que le château de Disneyland est à l’histoire. Permettez que nos enfants puissent continuer à s’inscrire dans une lignée, c’est-à-dire que le lien, historique, culturel et social mais aussi générationnel ne soit pas rompu.


Mai 11 2019

Las cosas de Sevilla

Qu’il est loin le temps où Séville put, avant de céder sa place à Amsterdam, être considérée comme la nouvelle Venise, capitale mondiale du commerce et des arts grâce à la prodigalité de ceux qui croulaient sous l’or, avant de couler. Ubi sunt la nef Victoria[1] puis les galions des Indes ? Après avoir perdu son monopole en 1765, l’ancienne Hispalis romaine puis l’Isbilia arabe et surtout son peuple, dans une période de décadence qu’elle ne voulait pas reconnaître, ont créé le toreo pour suppléer la mollesse de la noblesse en réinventant un idéal médiéval accessible à tous ceux se sentant capables de l’atteindre. Mais même si tous les ans elle rejoue le mythe de la Résurrection et si par moment elle a l’illusion baroque d’un rêve devenu réalité, comme pour son Expo’92, elle n’est plus le centre du monde, pire encore, a contrario de ce qu’elle croit, pas même du monde taurin.

La faute à qui ? A ceux qui prennent des vessies pour des lanternes, qui croient que tout ce qui brille est de l’or, qu’une torche dans une caverne est la clarté du jour, bref qui sacrifient la substance à l’apparence. De ce point de vu, le clair triomphateur d’une feria à cette heure encore inachevée est très clairement José Luque Teruel. A ne pas confondre avec le torero sévillan Daniel Luque, contraint à s’exiler en France comme d’autres avant lui et pour des raisons bien différentes; ce monsieur n’est pourtant pas torero même s’il est fils de banderillero et filleul de Luis Miguel Dominguín. Il a beau être juge, ce monsieur n’est pas impartial. Il a beau affirmer dans les colloques de l’ANPTE que chaque plaza a sa personnalité et son histoire et que les critères de ne sont pas les mêmes dans toutes les arènes, il ne fait pas honneur à la catégorie et à la grandeur de la Maestranza acquises au fil du temps, au cours de son Histoire, aussi placide que celui du Guadalquivir.

L’association des abonnés de la capitale andalouse a demandé à plusieurs reprises la destitution de ce monsieur auprès de la délégation concernée de la région autonome d’Andalousie. La nouvelle administration a jugé bon de le maintenir à un poste qu’il occupe comme titulaire depuis 2015. Entre rite et spectacle, les politiques, quels qu’ils soient, ont décidé : qu’on donne à la vox populi ce qu’elle souhaite faisant fi s’il le faut de l’éthique. Le populisme est partout, chez ceux qui nous honnissent comme chez ceux qui sont censés nous défendre. Méfions-nous de tous et – excusez la digression – en particulier de VOX qui ne nous rend pas une fière chandelle (même si son surgissement peut se comprendre comme une réaction aux positions ambigües ou clivantes de Podemos tant sur le plan culturel que sur le plan territorial). En dévalorisant la Maestranza, Monsieur Luque dévalorise la tauromachie, cette « Corrida plebéienne » pour reprendre un titre récent de Mundotoro à propos de celle de don Victorino, ce maquignon on ne plus roturier ayant gagné ses lettres de noblesse par le travail des champs. El señor Luque avait pris la décision de gracier Cobradiezmos dudit élevage en 2016 et comparé à l’indulto d’Arrojado de Cuvillo cinq années auparavant celui-ci n’avait rien de scandaleux mais peut-être s’est-il senti pousser des ailes car celui de l’an dernier par ce même président et par El Juli à Orgullito de Garcigrande (mort six mois plus tard tué par un congénère) est une honte qui vient entériner la suprématie de la noblesse mollasse sur la bravoure authentique. C’est à ce moment là que Séville a définitivement coulé, succombant aux voies d’eaux répétées. Tous, l’empresa comme les très influents maestrantes, ont mangé dans la main du Juli après son boycott sévillan, deux années durant. Que Monsieur Julián López préfère toréer du bétail de demi-caste nommé Garcigrande, libre à lui, grâce à sa catégorie professionnelle. Qu’il impose ses critères aux juges, NON ! Et il y aurait d’autres choses à dire, comme la présentation de certaines corridas ou l’attribution de trophées qui font de la Maestranza une arène de plus, un des éléments clefs d’une Champion’s League taurine purement mercantiliste. Notons simplement cette oreille protestée lors de la dernière Porte du Prince du Juli ou cette deuxième au dernier toro d’Aguado qui assombrit son triomphe au lieu de le mettre en valeur. La répétition exclue l’erreur, on est là dans une idéologie nous étant nuisible. Bravo Monsieur Luque vous êtes le véritable protagoniste de la feria, étant entendu que les toreros disent généralement cela des présidents peu complaisants. Vous avez fait très fort car vous avez largement dépassé le rubicond. Les toreros vont sans doute vous demander par contrat… si ce n’est pas déjà le cas.

[1] bateau de Magellan qui y revint en 1522 pour y conclure la toute première circumnavigation


Oct 27 2018

Ponce et la tauromachie spectacle

Billet d’humeur publié sur le site de la FSTF en réaction à des opinions publiées  sur ce même site :

Je me suis toujours insurgé contre l’idée qu’il y a deux tauromachies irréconciliables qui n’auraient rien à voir l’une avec l’autre : la tauromachie spectacle et la tauromachie vérité.

Personnellement, je vais chaque année à Vic ou dans d’autres arènes pour voir des toros-toros et les tiers de piques qui vont avec.

J’allais aussi il y a peu de temps encore voir Morante pour le plaisir de le voir dessiner quelques splendides véroniques sans trop d’espoir pour la muleta.

Je suis aussi allé parfois voir le binôme Adalid-Sánchez. J’appréciai la torería et les estocades de Fandiño.

Parmi les tenants, voire les organisateurs de la tauromachie vérité, j’en vois souvent dans le callejón de courses on ne peut plus « toreristes » pendant les ferias estivales. Ils y prennent visiblement pas mal de plaisir, en particulier quand c’est Ponce qui torée.

Et c’est bien là la seule vérité que je connaisse : si on aime la tauromachie espagnole à pied et tout ce qui la compose on est obligé de voir un certain nombre de courses par an, diverses et variées.

Militant du poder et défenseur du tercio de piques, je constate que le monde n’est pas tel que je souhaiterais qu’il soit mais tel qu’il est. La vérité c’est que la caste et la « baston » (celle d’un Lamelas par exemple quoique très méritoire) ne suffisent pas. Une autre vérité c’est que le genio est un défaut (même si une dose de caractère est appréciale) et que la noblesse est une qualité, quoi qu’on en dise. Elle ne l’est cependant que si elle est accompagnée de force et de bravoure.

Ponce est sorti cette année par la Grande Porte de Madrid, il a triomphé à Bilbao avec un encaste qui les autres figuras rejettent et a coupé trois oreilles à Linares avec les toros de Samuel Flores.

Après plus de 25 ans d’alternative il est en passe d’être consacré triomphateur de la saison. On ne torée pas comme il le fait sans amour du toreo donc du toro et de la tauromachie. Prétend-il la suppression du tercio de piques, des banderilles et de l’estocade ? Serait-il un anti déguisé de lumières ? C’est ce que j’ai eu l’impression de lire dans certains propos.

En quoi est-ce dégradant pour la tauromachie de la revêtir de sons et de lumières ? Nous avons besoin d’expérimenter de nouvelles voies. Sans faire n’importe quoi, l’événementiel est primordial pour attirer le chaland, que ce soit via une goyesque ou par une affiche sortant de l’ordinaire : un mano a mano Ponce vs Tomás ? Si c’était moi qui choisissait le bétail ce serait deux pedrazas, deux alcurrucenes et deux victorinos. Mais même avec 6 toros de Victoriano del Río ce serait un événement, donc on en parlerait.

Oui Vic, Céret, Parentis font très bien les choses mais voir la tauromachie par ce seul triangle c’est passer à côté de beaucoup de choses car les meilleurs toreros ont le pouvoir de tomber dans la facilité, celle de ne pas affronter les élevages les plus durs mais ils sont surtout les auteurs du bon toreo, celui qu’on voit malheureusement assez rarement avec des toreros modestes face à du bétail compliqué.

Je regrette comme beaucoup l’absence ou la rareté de « gestes » des toreros-étoiles mais je leur reconnais un talent indéniable et leur personnalité est l’un des attraits de la tauromachie qui n’est plus au moins depuis plus d’un siècle une science appliquée où il ne conviendrait de donner des passes que dans un but technique comme préparation à l’estocade. D’ailleurs, au risque de me fâcher avec la moitié de l’afición, avec un toro à la défensive, à l’époque de Guerrita où le toreo se faisait encore sur les pieds, il était impensable d’enchaîner des passes sur un même côté et le classicisme le plus absolu voudrait qu’on le prépare à l’estocade par un macheteo qui peut revêtir lorsqu’il est bien fait une grande dose de torería. Mais j’arrête là car je suis fatigué de répéter des choses perçues par certains comme des inepties alors que pour d’autres ce ne sont que des évidences. Ce qui est irréconciliable ce sont certaines idées ou représentation des choses.

Pour ma part, ce qui m’a plu de point de vue conceptuel dans la corrida de Malaga en 2017 c’est l’utilisation de la cape (l’instrument de base du toreo) au dernier tiers comme avait voulu le faire le grand Ordóñez et surtout la série offerte à Conde qui a permis de confirmer les limitations dudit torero mettant de cette manière mieux en valeur l’animal.


Août 27 2016

In memoriam

Le bruit de la mer :

En février 1939, mon grand-père Juan, blessé par un éclat d’obus et bientôt accompagné de près d’un demi-million de camarades, passait la frontière (il ne la repasserait que près de 40 ans après, à une époque où son neveu Pepín venait de renoncer à sa carrière de novillero). Notre République avec un gouvernement de gauche depuis 1936 (bien que le Front Populaire ait pris fin en octobre) n’était sûrement pas préparée à une telle déferlante et cependant l’accueil fut indigne du pays des droits de l’Homme (et le pire c’est que, n’apprenant pas de son histoire, le même sort fut réservé aux Harkis plus de 20 ans après). Dans le camp d’Argelès (photo) c’est avec 100 000 autres personnes qu’il fut entassé gardé par les gendarmes et les tirailleurs sénégalais dont ils gardaient un piètre souvenir. L’homme n’est ni bon ni mauvais disait Sartre mais il est ainsi fait qu’il fait souvent subir à autrui ce qu’il a subi lui-même. Ceux-là étaient semble-t-il trop contents de faire subir à des blancs ce que ceux-ci leur avaient fait subir. Bref, pendant les longs mois de leur captivité, après avoir construit les baraquements qui les abriteraient de la tramontane, les Espagnols (dont certains Français disaient qu’ils avaient une queue de singe) avaient tout le loisir de regarder les collines avoisinantes et le fort Saint Elme qui domine Collioure (son nom ne signifie-t-il pas ‘la colline libre’ ?), ce charmant village de pêcheurs qui fit un temps parti du royaume de Mallorque puis de celui de l’Espagne jusqu’en 1659.

Ces ‘rouges’ d’Espagnols laissèrent des traces (j’en suis une), surtout dans le sud-ouest et 10 ans plus tard, en 1949 donc (bien que le début de son histoire taurine date semble-t-il de 1889), Collioure commencerait pour plus de 60 ans à donner de manière ininterrompue des courses de toros, présidées par ce même Fort Saint Elme construit sous Charles Quint (voir article ‘Avec le temps…’).

J’étais là en août 2011 pour ce qui serait, sans qu’on le sache, la toute dernière course de ce splendide village qui héberge depuis 1939 la dépouille du grand poète sévillan Antonio Machado. Certains disent que le village est maintenant redevenu fréquentable, en tous cas il est bel et bien catalan. D’ailleurs, après avoir fait disparaître ce qui n’est qu’un symbole c’est aujourd’hui au symbole du drapeau (en parlant de ça, la contagion s’étend si j’en juge par le fait que le drapeau français a une fâcheuse tendance à disparaître dudit château des Templiers) que la Catalogne s’attaque et c’est désormais l’idée même d’Espagne qui est en danger.

Mais ce qui m’a frappé ce jour-là, outre la démesure des novillos de Christophe Yonnet, c’est qu’un tiers du public initial (arènes aux trois quart remplies) est parti au cours de la novillada. Ces vacanciers nordistes, pour bon nombre d’entre eux, étaient venus par curiosité mais le spectacle proposé a choqué leur sensibilité. J’ai le souvenir d’une adolescente sortie en pleurs. Pour elle au moins il ne s’agissait pas de minauderies de sa conscience mais d’un sentiment vrai. Et pourtant… ces animaux ne ressemblaient ni de près ni de loin à des animaux de compagnie sans défense. Mais voilà… il n’y a que le côté violent de la corrida qui lui est visiblement apparu (pour le reste il fallait être un aficionado confirmé) car de nos jours on ne côtoie plus la mort : on éloigne les enfants lors du décès de leurs grands-parents et surtout on ne tue plus le poulet à la maison. La sensibilité a changé, nous vivons pour le meilleur et pour le pire et malgré les crises une période plus douce. Dans ce regard plein de larmes que j’ai aperçu, j’ai vu un instant de la sensiblerie. Je crains hélas que ce soit un sentiment vrai.

Un sentiment semblable sans doute à celui qui m’a animé sur la plage d’Argelès là où il ne reste plus aucune trace visible du passage des Espagnols, pas même une stèle à la mémoire de ceux qui y ont perdu leur vie (cela risquerait de choquer la sensibilité des plagistes).

Il ne restera in fine que ce et ceux qui peuplent nos mémoires et les traces que nous en auront laissé, par la transmission orale ou écrite.

Voici les quelques notes que j’avais prises lors de cette course :

Mardi 16 août 2011, novillada piquée , ¾ d’entrée

Arènes de Collioure

DURE NOVILLADA DE YONNET

6 utreros 6 des héritiers de Christophe Yonnet (tous noirs et très bien présentés, une véritable corrida) : tous 3 piques, sauf le 1er qui en prit 2 (le 5e fit tomber le picador). Compliqués la plupart. Les meilleurs, en restant âpres, furent les 3 premiers. Les 2 derniers furent mansurrones mais encastés.

 

Carlos DURÁN (bleu marine et or) : silence et silence

Novillero très superficiel. Beaucoup de recursos et peu de toreo fondamental.

Raúl RIVERA (blanc et or) : silence et silence

Novillero-banderillero. Assez superficiel à son premier, il abrège à son 2e après un bref macheteo. Ce 5e novillo avait mis l’ensemble du quadrille en déroute, donc très mal lidié. Les complications n’ont fait que s’accentuer.

Emilio HUERTAS (en substitution de Damián Castaño) (framboise et or) : silence et silence

Bon quite par chicuelinas au deuxième. Son premier trop et mal piqué est arrivé à l’arrêt au dernier tiers. Au dernier, deux séries aidées à gauche incluant une « espantá » puis macheteo plus élégant que le précédent. Quelques sifflets.

 

Tout çà, c’est du passé. Il ne reste presque plus de républicains espagnols pour témoigner. A Collioure, après les pêcheurs d’anchois et les grands peintres, c’est la tauromachie qui a disparu et avec elle une certaine idée de la liberté.


Mai 7 2016

L’eau et le feu

Nous annoncions déjà  l’an dernier que les jeunes poussaient fort mais on pouvait craindre qu’il ne s’agisse que d’un feu de paille. La Corrida , comme la culture espagnole en général, a plus à voir avec l’émotionnel qu’avec le rationnel et j’ai, je le  sais, le défaut de m’enflammer moi-même assez vite, mais ce que Roca Rey a montré aux dernières Fallas laisse envisager, avec une apparente sérénité à faire mourir d’envie de Dalaï Lama lui-même, qu’il est là pour tout détruire. Avec lui et je vais écrire là l’énormité qu’un commentateur de la boîte à images s’est retenu de dire en direct, les traités de tauromachie risquent de partir en fumée dans un gigantesque autodafé. Espérons que Dieu ou un hasard chanceux lui donne le temps d’écrire son propre livre. Sur quoi pourrait déboucher sa tauromachie après vingt ans de métier, le temps qu’il faut pour devenir un maître dans quelque domaine que ce soit, si lorsqu’on n’a même pas soi-même ce nombre de printemps, on est déjà au niveau des plus sages parmi les sages ? Le temps le dira quand beaucoup d’eau aura coulé sous les ponts mais lorsqu’on possède à part égale autant de courage et de quiétude, autant de passion que de tempérance, qu’on est à la fois l’eau et le feu, on est comme les Byzantins au temps de Justinien : invincible grâce à l’eau enflammée, le fameux feu grégeois et on réécrit la Loi.


Août 1 2015

Carpe diem et tempus fugit

Lorsque le dimanche de Pâques, Espartaco sortit des arènes de la Maestranza en étant hissé vers les cieux au travers de la mythique Porte du Prince par ses partisans mais sans avoir coupé les trois oreilles réglementaires, certains, en Andalousie comme ici, y ont vu le symbole d’une génération qui aurait encore de quoi en remontrer aux plus jeunes en matière d’ambition. Sans être de l’époque de Mathusalem, j’ai connu l’époque du maestro d’Espartinas et s’il est vrai qu’il est sorti autant de fois par ladite Porte que le Pharaon de Camas, la comparaison avec le mythe au brin de romarin s’arrête là. On peut être étonné d’autant de nostalgie par rapport à un torero de records qui aura marqué plus par sa technique que par son aura. Car ce qui restera d’Antonio Ruiz c’est son grand professionnalisme, sa capacité à profiter au maximum des charges de ses adversaires, à base de temple il est vrai. Certains ont vu en lui un lidiador mais pour arborer ce titre il lui a manqué des triomphes face aux fers les plus durs. Celui de torero valiente ne lui va pas non plus, pas plus que celui de torero largo ou même populaire (il n’y avait pas de cohues aux guichets autant que je me souvienne) et encore moins celui d’artiste. Il fut surtout un torero regular, dans tous les sens du terme, auquel on avait rarement quelque chose à reprocher mais il n’a jamais rendu Séville folle, soyons honnêtes, et l’envolée émotive récente est vite retombée. Il y a chez beaucoup de personnes en général et d’aficionados en particulier une nostalgie du temps passé qui exalte, en la revêtant d’un halo de perfection, les années de leur jeunesse voire une période mythique qu’ils n’ont pu connaître. Et pourtant il est fort à parier que les aficionados d’aujourd’hui auraient été déstabilisés par le toreo de l’Âge d’Or et sûrement déçus par son toro, quand bien même il soit réputé comme étant au point d’équilibre parfait entre caste, puissance et noblesse (et je me tairai sur le sort des chevaux). Le temps qu’il nous est donné de vivre n’est sûrement pas plus parfait qu’un autre mais une chose est sûre, contrairement à ce qu’on entend trop souvent, il y a encore des hommes capables d’affronter des toros. Et j’en veux pour preuve la dernière feria de San Isidro (mais pas que) où l’on a parlé d’un grand nombre de triomphes (usurpés pour certains, diront d’aucuns) mais où il y a aussi et surtout eu un grand nombre de blessés et, notons-le, face à des animaux moins volumineux que ces dernières années, plus dans le type de la race brave. Les places étant de plus en plus chères certains matadors semblent prêts à dépasser les limites de la raison. Faut-il s’en réjouir ? Je ne saurais le dire. Défendons l’intégrité du toro de lidia et l’éthique de cette dernière, notamment pour le tercio de varas mais n’oublions pas, en tous cas, de respecter ces êtres humains capables d’un courage d’un autre temps. Il est dommage que le public français n’ose s’enthousiasmer que trop rarement et, qu’au contraire, fusent trop souvent (comme depuis le tendido 7) des invectives souvent aussi mal placées qu’injustes. Leurs auteurs devraient se jeter dans la piste comme espontáneos pour nous montrer comment il faut faire ou bien avoir l’humilité d’attendre la fin de l’arrastre pour s’exprimer. Un peu de respect !


Août 15 2014

Histoire toriste

Israel Lancho encorné par un toro de Palha en 2009. Photo Gorka Lejarcegi.

Il me semble que par les temps qui courent une histoire de la taur(ist)omachie devrait être proposée tant les divergences sont énormes entre les différents secteurs de l’‘afición’. En fait, à la base, se pose le problème de savoir si l’on peut être aficionado sans être « toriste », sans être un défenseur de la «corrida vérité».

Bien-sûr, au début de la tauromachie à pied, il n’était pas possible de faire de distinction entre « tauromachie vérité » et « tauromachie spectacle » (la touristomachie ?), quoi qu’il faille remettre en question le mythe d’un toro autrefois plus brave et plus « encasté », comme celui d’une ‘lidia’ quasiment immuable depuis la nuit des temps. Le taureau actuel est certainement d’une hauteur au garrot plus réduite mais ses cornes sont plus harmonieuses et globalement mieux présentées que celui d’antan. Certaines cornes difformes étaient, je le concède, impressionnantes et on évite aujourd’hui, autant que faire se peut, celles qui partent vers l’extérieur pour ne pas rendre la lidia plus difficile et favoriser le toreo (le spectacle ?). On peut s’interroger sur cette pratique mais, à moins de privilégier la présentation sur la bravoure, on n’aura jamais les toros de Pampelune pour toutes les arènes, même pour celles de seconde catégorie. Que fait-on donc avec le reste du cheptel brave ? En ce qui concerne le poids, on a, depuis les années 70, dépassé ce qui se faisait au début du XXe siècle. Pour ce qui est du comportement, rappelons qu’au XIXe siècle de nombreux toros restaient collés aux planches et beaucoup d’autres étaient condamnés aux banderilles de feu. De nos jours, combien d’animaux sont condamnés aux banderilles noires ?

Même si le clivage actuel n’existait pas au tout début de la tauromachie moderne, les foules se sont souvent divisées en deux camps, chacun ayant envers l’autre (c’était une époque où l’on aimait les grands discours et autres diatribes) un comportement on ne peut plus véhément. J’imagine que l’aficionado « toriste » actuel se serait senti plus proche de l’école de Ronda mais qu’il se serait surtout passionné, comme tout le monde du reste, pour le sévillan Pepe Hillo, le premier à « se croiser » (et à en mourir). Il aurait sans doute ensuite apprécié le courage de El Chiclanero, d’El Espartero plus tard ou encore celui d’un torero plus modeste comme Cara-Ancha ou bien encore Reverte, il aurait, je pense, préféré Frascuelo à Lagartijo mais, entre temps, aurait probablement, si tant est qu’il lui eût été donné de vivre aussi longtemps, dénigré, comme beaucoup d’autres, les empereurs Paquiro et Guerrita, des toreros vedettes qui avaient suffisamment de pouvoir pour choisir leurs taureaux.

Arrivé au XXe siècle, il aurait peut-être hésité entre le savoir-faire de Machaquito et la témérité de Bombita, puis aurait été partisan de Gallito (et conspué son frère), lidiador par excellence ayant opéré la synthèse de la tauromachie de mouvement avec la nouvelle tauromachie statique, et aurait honni Juan Belmonte, ce Judas par la faute de qui tout a commencé, car à partir de lui les toreros vont banderiller de moins en moins et surtout parce qu’il entraînera la diminution du poids des toros (dont le règlement de 1930 est le reflet) et que c’est le premier à vouloir imposer sa ‘faena’ à tous les toros, conception contraire à l’idée même de ‘lidia’. Dans les années 20, il aurait probablement goûté le courage et l’art des banderilles d’un torero somme toute de second plan, Maera, puis apprécié Cayetano Ordóñez et parfois Domingo Ortega (mais je me trompe peut-être, un aficionado « toriste » n’a peut-être été partisan que du toro et jamais de quelque torero que ce soit. Chicuelo ? De la merde, comme dirait Jean-Pierre Coffe. Gitanillo ? N’en parlons pas).

Après-guerre (d’Espagne), notre aficionado « toriste » aurait sacrément fait la tronche, mais bon les vedettes tuaient des petits « miuras » (souvent « afeités »), à commencer par Manolete, dont un d’entre eux lui resta en travers. (Les frères Vázquez ? Aux oubliettes !, même s’ils toréaient souvent les « miuras », qui ne correspondaient déjà pas à la pleine expression de leur Art.) Mais c’est peut-être aux années 50 que l’on peut faire remonter les prémisses du « torisme » avec  Rafael Ortega ou César Girón, mais aussi et surtout Antonio Bienvenida (qui lança sa guerre contre l’‘afeitado’ en 1953) et le gladiateur Dámaso Gómez, face aux vedettes qu’ont été Dominguín (dont Palha était tout de même un de ses élevages préférés) ou Ordóñez, adulé de beaucoup, qui a notamment triomphé face à de « pabloromeros » mais qui choisissait la plupart du temps ses opposants parmi un bétail qui n’avait, 20 ans après, toujours pas repris ses formes d’avant-guerre. Dans les « sixties » : Gregorio Sánchez, Jaime Ostos, Diego Puerta, quelquefois Camino et plus souvent Andrés Vázquez ont été les préférés de l’afición « toriste ». Je ne suis pas sûr qu’elle ait valorisé comme il se doit quelqu’un comme El Viti malgré les 2 oreilles coupées à Madrid à un « miura » en 65 ou son triomphe dans une corrida de Pablo Romero, toujours à Madrid mais en 71, (Aux chiottes ! Romero, Paula, El Cordobés, Palomo, tous ensemble, sans discrimination. Mais c’est un peu comme si on disait que Balzac ou Zola – je précise que cette comparaison n’est valable que pour Curro et Paula – c’est de la merde parce qu’ils privilégient l’histoire sur le style. Mais bon, chacun ses goûts. Je voudrais simplement rappeler que Séville n’a pas découvert Curro Romero – qui a aussi rendu Madrid folle assez souvent – à 60 ans – moi si et j’en suis désolé – mais que dans ses dernières années elle admirait ses détails comme des réminiscences de temps plus glorieux  – la mémoire collective de celle-ci se rappelant sans doute aux bons souvenirs du XVIIe, siècle de son apogée).

Nous arrivons aux années 70, qui auraient pu mettre tout le monde d’accord avec le retour d’un toro sérieux d’aspect mais qui, contre toute attente, va voir le « torisme » s’exacerber avec Paquirri, Ruiz Miguel et Dámaso González mais aussi Limeño et deux José Luis, Galloso et Parada, ainsi qu’un Manolo Cortés (torero artiste triomphateur d’un « miura » à Valence en 1978) ou un Angel Teruel, qui, malgré son style élégant (n’étant pas un belluaire je ne suis pas sûr que les « toristes » l’aient, lui non plus, apprécié à sa juste valeur, mais il est vrai qu’ils ne sont pas les seuls) ne rechigne pas à toréer les « miuras » et même à en triompher comme à Madrid en 1976.

La décennie de 1980 est loin d’être la meilleure, tauromachiquement parlant, et les noms les plus en vue seront José Antonio Campuzano, Manili et Luis Francisco Esplá (dans les années 90 aussi), ou bien encore José Luis Palomar ou parfois Pepe Luis Vargas, face à des Capea (pourtant triomphateur de victorinos en 88), Robles, Espartaco, très régulier mais pas avec le bétail le plus dur, Manzanares et surtout (le misérable) Ojeda, qui oblige le toro à des circonvolutions en rien naturelles qui seront le début d’une évolution (involution ?) à défaut d’une révolution. Dans les années 90, César Rincón entrera en grâce, aux côtés de toreros comme Mendes, Liria et surtout El Fundi. De l’autre côté du miroir, Ponce, même s’il triomphe parfois face à du bétail de respect (un victorino à Madrid en 96 par exemple) et Joselito.

En ce début de XXIe siècle, c’est El Cid, torero classique de grande qualité bien qu’un peu froid, qui est sans doute le plus à même de porter le flambeau « toriste », même s’il a tendance à tomber dans la facilité depuis qu’il gagne quelque argent. A côté de lui, le populiste (dans la veine du « torisme » s’entend, mais non pour cela dénué de courage) Padilla, le spectaculaire et toujours vaillant Ferrera, le lidiador pur Rafaelillo ou l’excellent et trop méconnu Urdiales, pour ne citer qu’eux (et en attendant la confirmation de deux Aguilar, d’un Robleño, d’un Fandiño ou encore d’un Mora) symbolisent à divers degrés la tauromachie vérité face au spectacle donné par El Juli (bien qu’il parvienne à triompher des victorinos à Bilbao en 2001 et 2002 ou qu’il tue une corrida complète de Miura par la suite à Valence et pour ne parler que des grandes arènes) et José Tomás. (Il n’a qu’à faire pareil avec des miuras ! Il est vrai qu’il a triomphé avec un Cebada à Pampelune en 96 et avec un toro de El Sierro d’origine « Atanasio », à Madrid en 99, mais ça ne compte pas ! Castella ? Un pur produit de la corrida spectacle. Morante ? Du pareil au même. Manzanares ? Un fils à papa.)


Juin 5 2014

Olé Fandiño

28451209

Les sévillans le savent bien : un silence vaut plus que mille mots. En ne dédicaçant pas sa première faena au roi, comme Castella avant lui, Fandiño a eu l’audace d’être fidèle à lui-même comme il l’est dans sa manière de toréer. Il est difficile, voire impossible, de dissocier l’institution de la personne à moins de s’adresser au roi comme le faisait la réalisatrice Pilar Miró en l’appelant « citoyen Jean Charles ». S’il l’avait fait, alors oui ,on aurait pu l’accuser de chercher à politiser un après-midi de toros. Là il a choisi de ne pas se renier et ce n’est pas un petit-fils de républicain-aficionado qui s’en plaindra, d’autant plus que les partis républicains actuels sont majoritairement anti-taurins dans leurs programmes. Le roi est aficionado et c’est très bien mais heureusement qu’il y a des gens qui suivent leurs routes en se foutant pas mal de la pensée dominante et en refusant de faire allégeance. Vive la République et vive Fandiño.