Saison espagnole

Au-delà de la frontière, une claire révélation dans le haut du pavé : Fernando Adrián avec une double grande porte à Madrid et des succès en série dès qu’il a eu l’occasion de montrer l’étendue de son talent (visible à Vieux-Boucau en septembre). Un départ, celui d’El Juli, qui continue à triompher sans passionner l’afición mais en restant une tête d’affiche attrayante. Morante a écrit une page d’histoire à Séville en avril et n’a ensuite donné que des détails quoiqu’ inoubliables, avant d’annuler de nombreux contrats en raison d’une tendinite coriace. Roca Rey reste l’empereur, le torero que les gens en général mais aussi beaucoup d’aficionados aussi veulent voir car il ne déçoit pas. Luque a été royal mais il ne lui manque plus qu’un couronnement définitif à Madrid. De Justo a retrouvé son niveau après un succès à Séville puis dans la capitale avec aussi des faenas mal conclues notamment en France où il n’a pas eu énormément de « suerte », lui qui pourtant la charge si bien. Talavante a eu de grands succès cet été, en particulier celui de Bilbao. J’ai par ailleurs déjà évoqué le retour gagnant de mon tocayo Sebastián qui a connu un crescendo constant avec une reconnaissance dans sa Séville adoptive. Rufo a confirmé après son entrée fulgurante dans la cour des grands, se mettant au niveau des figuras à de nombreuses reprises mais la temporada prochaine sera décisive pour prouver qu’il est le grand  torero qu’on pressent. Marín est installé dans la hiérarchie depuis plusieurs saisons, il pourrait rivaliser avec le précédent mais aussi avec le détenteur du sceptre, Andrés I, s’il lui en donne la possibilité dans des arènes fondamentales. Le toreo doit impérativement provoquer les rivalités, c’est dans son ADN et c’est une des clés de sa survie.

Chez les artistes, Ortega réussit à faire devenir réalité son toreo onirique, à la cape comme muleta en main (Malaga, Séville, où il entendit la musique au premier tiers, Grenade, Santander et surtout Valladolid : bon bilan pour un torero de ce type absent de Madrid ce qui a peut-être eu le don de provoquer chez lui une réaction de pundonor), alors qu’Aguado ne réussit à convaincre que lorsqu’il fait un effort semble-t-il contraire à sa nature autant que son toreo semble facile, naturel et fluide.

En corridas dures, Borja Jiménez se taille la part du lion avec un triomphe madrilène retentissant pour la clôture. Damián Castaño veut lui aussi une part du gâteau, pas la meilleur ni la plus belle mais il y a une place à côté d’un torero comme Ecribano qui devrait occuper le premier poste dans cette niche de respect où il a été injustement traité, à n’en pas douter. Il devrait même avoir quelques opportunités face à du bétail plus doux car il ne mérite pas non plus de s’y cantonner. Rafaelillo reste un spécialiste chevronné, aux formes plus mobiles toutefois que le précédent. El Cid n’a pas convaincu les pontes de bureau mais a pourtant montré une meilleure version de lui-même qu’à la fin de son étape précédente et face à du bétail compliqué sa main gauche n’ayant rien perdu de sa superbe.

Certains jeunes méritent d’être encouragés, notamment les Mexicains Valadez et Fonseca – torero varié et complet le premier, diestro bouillonnant le second – mais aussi le Vénézuélien Colombo ou le Colombien De Castilla. Il y a aussi des déceptions partielles, peut-être provisoire comme pour Téllez. De Manuel, malgré une oreille à Madrid et un triomphe à Valence ne s’est pas hissé au sommet comme cela était envisageable. Partie remise? D’aucuns ont eu leur moment, sortant parfois des oubliettes pour un triomphe local qui invite à des délocalisations au-delà de leur Andalousie natale : Miranda, Esaú, Galván ou Crespo.

Deux toreros prometteurs viennent de prendre l’alternative : Víctor Hernández et Jorge Martínez. On a amorcé à n’en pas douter un changement générationnel qui ne sera définitif qu’à coups de triomphes. A eux de faire leur preuve comme d’autres l’ont déjà fait.

Parmi les autres toreros de l’ancienne génération, Manzanares est en demi-teinte, Perera n’a pas oublié son métier mais les jeunes générations s’ouvrent en effet un chemin par le truchement d’un toreo plus pur ou plus enjoué. Ferrera, Urdiales ou Ureña qui ont été des triomphateurs absolus ces dernières années sont un peu passés au second plan sans être dans le creux de la vague, chose qui peut arriver à tout moment dans cette profession si exigeante. Ils ont eu des moments comme la faena d’une beauté tragique du dernier face à des victorinos lors de l’ultime course de la feria de San Isidro mais il y a eu un manque de continuité ou d’opportunités. Uceda Leal a de son côté été très convainquant à Madrid et ailleurs. Pour les toreros d’époque attendus comme ce qu’ils sont, José Tomás a été aux abonnés absents et on attend maintenant le retour de Ponce.

Chez les novilleros, il y a un certain nombre de noms intéressants, en plus de García Pulido, clair triomphateur de la saison : Sergio Rodríguez, vu à Parentis, Ismael Martín, Jorge Molina et bien d’autres (la liste ne se prétendant pas exhaustive), comme Marcos Linares, vainqueur du concours andalou ou Alejandro Peñaranda (lauréat des nocturnes madrilènes et auteur d’une très bonne prestation à Valence en fin d’année) ou Nek Romero (en vue chez lui et à Arnedo) sans oublier le vainqueur du fameux Zapato de oro, Daniel Medina. De manière assez subjective sans doute, deux novilleros m’ont particulièrement surpris : Fabio Jiménez, aux formes très personnelles et Alejandro Chicharro, auteur d’une véritable geste à Villaseca, mais une nouvelle génération aussi prometteuse que choyée apparaît : Manuel Román et Samuel Navalón avant l’arrivée prochaines du prodige Salmantin Marco Pérez et de l’artiste Sévillan Javier Zulueta. C’est en suscitant l’espoir en novilladas que l’afición se régénérera : espérons qu’on retrouve quelque chose qui s’apparente aux rivalités des années 50 et qu’on soit capable de s’enthousiasmer pour suivre leur évolution sans manquer d’indulgence.

Au niveau du bétail, en plus de ceux déjà cités, Santiago Domecq a confirmé, tout comme La Quinta (quoi que décevants pour leur présentation sévillane) et bien sûr Victorino Martín s’est montré au mieux dans ses deux versions : noblesse aussi absolue que piquante ou virevoltes sauvages. Murteira Grave semble quant à lui sur le point de revenir au premier plan. Mention spéciale pour un élevage aussi brave que confidentiel, hélas : Araúz de Robles. Pour les élevages prisés par les figuras, García Jiménez gravit encore un échelon et Juan Pedro Domecq semble opéré une mue progressive avec parfois des toros avec genio; chose surprenante. 

Une bonne nouvelle après le retrait du projet de loi abolitionniste en France, le retour des toros à Gijón et dans un certain nombre de localités où la politique s’était mêlée d’empêcher des gens de vivre au nom d’une certaine supériorité morale. En revanche la situation dans les villages est de plus en plus problématique, en partie à cause des coûts mais aussi parce que les aficionados veulent de la qualité et préfèrent se déplacer pour la trouver; en ce sens le modèle à suivre est Villaseca de la Sagra, en sus de certaines arènes françaises bien-sûr. Par ailleurs, la Justice espagnole a aussi permis au pass culture d’intégrer la Corrida ce qui lui avait été refusé par le ministère de la Culture dont elle dépend pourtant !


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