N’oubliez pas la représentation de Tartuffe de Molière, mis en scène par Benoît Lambert ! Jeudi 4 décembre, départ à 18H30.

TartuffeEt si Tartuffe était l’ange exterminateur, cher à Luis Buñuel, prêt à faire imploser une famille de la haute bourgeoisie?? Loin de l’iconographie officielle, Benoît Lambert l’imagine comme un redoutable séducteur dont les manœuvres révèlent les secrets inavouables d’un clan arc-bouté sur ses privilèges.

À rebours du cliché attaché au faux dévot, et dans les pas de Louis Jouvet (cf texte ci-dessous), qui voyait Tartuffe comme «?un garçon charmant, inquiétant et très intelligent?», le metteur en scène offre le portrait d’un homme indiscernable, énigme pour ceux qui le croisent ou fantasme pour ceux qui l’attendent. Un accélérateur de désordres intimes qui inocule un virus destructeur dans un corps déjà malade et provoque le chaos dans une maison qui se lézarde, un peu comme le protagoniste du remarquable film Théorème de Pier Paolo Pasolini, ou dans la mise en scène d’Antoine Vitez en 1978. Car la pièce est aussi un impitoyable tableau de famille où s’exercent de brutaux rapports de pouvoir, où s’insinue la suspicion et se monnayent d’impitoyables tractations dévoilant les zones d’ombre d’une tribu aux secrets inavouables. In fine, la duplicité de l’imposteur est certes dévoilée ; mais la famille d’Orgon (interprété par l’immense Marc Berman) a peur d’être disloquée sous les coups de boutoir d’un redoutable requin lâché en eaux troubles. Soit la substance d’une comédie grinçante où le rire dissimule une peur panique…

  •  Texte de Louis Jouvet, Témoignages sur le théâtre, 1952 :

(Jouvet rompt avec la tradition anticléricale en imaginant un Tartuffe réellement pieux, mais torturé par la tentation. Il prend soin d’interpréter lui-même le rôle. Selon lui, contrairement à ce que colporte une certaine tradition, Tartuffe n’est pas hypocrite.)

Ce procès-verbal [1]  est faux.

Je défie le juge d’instruction le plus subtil de pouvoir trouver, au début de la pièce ou même au cours de l’action, « les sourdes menées » de l’intrus et le « triple danger » qui va fondre sur la maison: « l’aventurier voudra épouser la fille, séduire la femme, dépouiller le mari.» D’ailleurs, pourquoi Tartuffe serait-il un aventurier ? Il était pauvre et mal vêtu lorsqu’il vint chez Orgon, ainsi que le dit Dorine ? Il n’y a à cela rien d’ infâmant. Son comportement à l’église est peut-être l’indice d’une grande piété. Pourquoi Orgon ne serait-il pas séduit par un homme qui n’accepte que la moitié de ses dons, et distribue l’autre moitié aux pauvres ?

Est-ce la puce que Tartuffe tue avec trop de colère qui vous paraît une tartufferie ?Il y eut un saint nommé Macaire qui, lui aussi, tua une puce en faisant sa prière, et fit neuf ans de retraite dans le désert; après quoi il fut canonisé.

Où prend-on que Tartuffe veut épouser  Mariane ? Il le dit: ce n’est pas le bonheur après quoi il soupire. Il est amoureux de la femme. Julien Sorel est amoureux de Mme de Rênal. On n’en fait pas un monstre pour autant.

Pourquoi dire qu’il veut dépouiller Orgon ? C’est Orgon qui, dans un élan de tendresse, sans que Tartuffe ait rien sollicité, veut lui faire une donation entière: « Un bon et franc ami que pour gendre je prends, / M’est bien plus cher que fils, que femme et que parent. » Tartuffe ne fait qu’accepter ce qu’on lui offre.

« Les enfants luttent, guidés par la servante et l’oncle.» Il n’y a pas de lutte; du moins, la lutte est vite terminée. Orgon, sur le simple soupçon que Damis a faussement accusé Tartuffe, – sans que celui-ci intervienne – chasse son fils, avec sa malédiction, et invite sa fille à mortifier ses sens avec son mariage.

Quant à la scène « hardie et forte» du quatrième acte, où Elmire cache son mari pour le rendre « témoin et juge des criminelles entreprises de Tartuffe », relisez-la avant que d’en parler: Elmire provoque Tartuffe, lui parle « d’un cœur que l’on veut tout» et lui déclare qu’elle est prête à se rendre. Je sais bien que c’est pour démasquer l’imposteur, mais qui ne se laisserait prendre à ce jeu lorsqu’il est amoureux ? Et que Tartuffe, bafoué dans son amour et – ce qui est pire – dans son amour propre, se venge d’Orgon avec les armes qu’il a, c’est humain plus que monstrueux.

Note:  [1] Jouvet se démarque d’un article de dictionnaire contemporain dont les formules apparaissent entre guillemets.

  • Document Antoine Vitez, Le Théâtre des idées, 1991 :

(En 1978 Antoine Vitez crée la surprise en confiant le rôle de Tartuffe au beau Richard Fontana. Tel le héros du film de Pasolini Théorème   il  « séduit» toute la famille et met au jour les contradictions des uns et des autres.)

  Tartuffe, Don Juan, l’Étranger qu’on n’a pas invité. Il provoque un désordre extraordinaire, et tout le monde, finalement, se ligue pour le tuer. Il vient de nulle part, il va où ? Personne ne veut écouter sa vérité. Voilà en tout cas l’image que Tartuffe aimerait bien qu’on garde de lui. Il passe, comme le Rédempteur.

Quelle différence y a-t-il entre le Rédempteur et lui ? Qui nous dit que l’Imposteur n’est pas le Christ lui-même, pour Molière ? Dans un royaume catholique, on avait peut – être tout à fait raison de condamner la pièce…

 

 

Le rappeur-slammeur et Albert Camus…

Classe de 1ère ES 2      –      En marge du commentaire de texte sur Camus:

Le rappeur-slammeur Abd Al Malik a adapté dans son spectacle L’Art et la révolte le premier texte de Camus, L’Envers et l’Endroit …  lu à l’âge de douze ans.

Le rappeur-poète Abd al Malik part à la rencontre de l’œuvre d’Albert Camus. De la poésie à l’état brut, de la philosophie mise en musique. A l’image d’Albert Camus, Abd Al Malik porte haut l’intelligence du texte et une pensée aiguë sur l’existence et sur la condition d’artiste.

Abd Al Malik choisit de partir de nouvelles de L’Envers et l’endroit, texte de jeunesse de Camus publié à Alger en 1937, que l’écrivain considère comme la source secrète qui a alimenté toute sa pensée.

En partant de cette œuvre fondatrice, le chanteur-poète construit d’autres histoires pour en faire des pièces musicales. Les thématiques résonnent entre les deux hommes comme celles de la pauvreté, du labeur, de la dureté de leur enfance et celle de l’existence. Pour les faire entendre, Abd Al Malik choisit une approche qui passe par tous les arts de la culture hip-hop : rap, slam, danse, et video. Spectacle représenté à partir de décembre 2013.

Extrait de l’Interview de RFI Musique :

Dans une entreprise comme celle qui a abouti à L’Art et la révolte, quels ont été les éventuels obstacles ?

Pour moi, tout a été non seulement simple, mais évident. Il faut savoir que c’est Camus – avec d’autres, mais principalement lui – qui a fait que je me suis mis au rap. C’est en lisant notamment L’Envers et l’endroit, quand j’avais douze ou treize ans, que j’ai décidé d’écrire et d’y aller à fond. Quand mon frère Bilal, qui faisait déjà partie du groupe NAP, m’a proposé de les rejoindre parce qu’il savait que j’écrivais, ma feuille de route pour être un MC était la préface de L’Envers et l’endroit d’Albert Camus qu’il a écrite vingt ans après la première publication. Donc, quand Dominique Bluzet, du Grand Théâtre de Provence, et Catherine Camus, la fille d’Albert Camus, ont pris contact avec moi et m’ont proposé de faire quelque chose sur Camus, la boucle était bouclée. Et à partir de là, tout a été fluide.

Qu’est-ce qui vous a interpellé pour la première fois chez Camus ?

   Tu as un gars qui vient d’une cité à Alger qui s’appelle Belcourt. Moi-même, je viens d’une cité. Tu as un gars qui est élevé seul par sa mère. Moi-même, j’ai été élevé seul par ma mère. Il dit qu’il faut tout faire pour rester fidèle aux siens, c’est-à-dire, les humbles. Il a grandi dans la misère, mais quand il est arrivé en métropole, il a vu que la misère des banlieues était injustifiée et injustifiable. Pour moi, j’ai un grand frère. Comme un mec en bas de l’immeuble qui me dirait que, pour m’aider dans mes velléités artistiques, il va m’expliquer comment ça se passe. Camus, c’est un gars de chez nous, c’est l’un des nôtres.

Comment L’Envers et l’endroit, qui n’est pas l’ouvrage le plus connu de cet auteur, arrive-t-il dans vos mains ?

A l’école, d’abord, on nous fait lire L’Étranger. Pour moi, c’est un choc esthétique et je veux en savoir plus. Je trainais souvent à la Fnac de Strasbourg, je prenais des bouquins, je m’asseyais, je lisais. Si j’avais un peu de thunes, je les achetais. Et je suis tombé presque par hasard sur L’Envers et l’endroit. C’est son premier bouquin. Pour quelqu’un qui voudrait connaitre l’œuvre de Camus, à la fois dans le fond et la forme, les différentes thématiques qu’il aborde, en tant qu’essayiste, ses convictions en tant que journaliste, tout est là. Au départ, mes productrices, Dominique Bluzet et Catherine Camus voulaient que je travaille sur Le Premier homme, mais j’ai dit que je souhaitais que ce soit plutôt L’Envers et l’endroit. Je préfère parler de la graine que de l’arbre.

Chaque artiste garde ainsi au fond de lui une source unique qui alimente pendant sa vie ce qu’il est et ce qu’il dit”, écrivait Camus dans la préface de L’Envers et l’endroit. Pour vous, quelle est la « source » ?

Les cités HLM. Le fait d’y avoir grandi. Évidemment, il y a les origines de mes parents, l’Afrique, mais ma source, ce sont les cités en général. Ça se décline dans le fait ne jamais baisser les bras, garder le cap. Ne pas louvoyer. Être un bonhomme, quoi ! Un artiste et un humain jusqu’au bout, se battre pour la justice. Camus est dans la vraie vie, dans la nuance. Quand tu viens d’où il vient – j’ai presque envie de dire d’où on vient… Ce n’est pas comme Sartre. Il n’est pas en train d’ériger sa statue, de penser à la postérité. Il est juste en train de tout faire pour rester debout, amener de la nuance, de la complexité. Camus est beaucoup plus clair que Sartre. C’est pour ça qu’il n’adhère plus au Parti communiste, qu’il dit qu’il n’est pas existentialiste… Il essaie de trouver des solutions médianes, sans idées arrêtées. De mon point de vue, la pensée de Camus est beaucoup plus actuelle que celle de Sartre qui est datée.

L’interview d’Abd Al Malik par Le Figaro TV: http://www.youtube.com/watch?v=eq0G6bYA4xk