Rubrique « Placere et docere », suggestion de lecture !

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   Quelle est la nature du roman ? Un essai de Pierre Bourgeade, étudié en cours, nous pose la question, en nous proposant tour à tour diverses réponses: « La nature du roman est inconnue », « l’absence », « l’infini », « le sexe », « une femme rousse », « la guerre entre le désir et la mémoire », « l’impossible ».

  Un livre récent propose une belle illustration de ces éléments de réponse, un petit roman d’à peine 212 pages, publié au Livre de Poche et rédigé par l’écrivain italien Donato Carrisi, plus connu pour ses magnifiques romans policiers. Son titre ? Il rappelle celui de certains romans-feuilletons du XIXème siècle: La femme aux fleurs de papier. Très vite, le lecteur se laisse emporter et se rend compte, en fait, qu’il s’agit d’un formidable « récit à tiroirs », qui rappelle le très beau roman d’un autre écrivain italien, Océan Mer d’Alessandro Baricco. Ce récit nous livre une métaphore du jeu qui se crée entre le romancier, le narrateur et ceux qui le lisent ou l’écoutent… L’écriture en est nerveuse et imaginative, très stimulante, rappelant celle d’un grand romancier espagnol, Carlos Ruiz Zafon. On se divertit beaucoup et l’esprit est sans cesse mis en éveil. A chaque page on y comprend ce que suggérait le narrateur du Temps retrouvé de Marcel Proust, que « chaque lecteur est quand il lit, le propre lecteur de soi-même. »

  Pour préserver les délices de la lecture, je n’en dirai pas davantage sur l’intrigue, si ce n’est qu’on y apprend qu’un personnage peut avoir pour seule raison d’être de « pimenter les histoires » et qu’elle vous sera utile également pour enrichir votre réflexion sur l’objet d’étude « La question de l’Homme »

Roman_Carrisi

Roman_Carrisi_verso 

 

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Je vous souhaite un très agréable voyage !

Un peu d’air, de poésie: un inédit de Gérard Manset…

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Manset

Un inédit de Gérard Manset est toujours un événement. celui-ci, intitulé « Rimbaud plus ne sera » tire son origine d’une réflexion désenchantée de l’écrivain-peintre-poète et chanteur, évoquée dans une interview accordée aux Echos:

Les Echos : D’où vient ce titre, « Rimbaud plus ne sera » et quelle en est l’inspiration ?

Gérard Manset : Cela fait partie des allitérations ou des surprises qui quelquefois ne veulent pas dire plus mais qui s’imposent, à la tournure née de l’instinctif. Et en réalité Rimbaud veut dire plutôt le Roméo des galanteries perdues d’un siècle qui veut tout dire, tout expliquer, et en réalité par ce désenchantement amène à des relations stériles. Les jeunes filles maquillées, celles qui mâchent du chewing-gum, se croient des reines à la sortie des BEP et fument sur les trottoirs, vulgaires, mal éduquées par des parents qui ne savent plus lire et se veulent modernes.

Les Echos : Ecrit quand ?

G.M : Cela remonte à quelques années, l’album Manitoba, ou encore en amont ? Obok ? Je ne sais, j’en ai beaucoup, de ces repentirs ou de ces essais multipliés par les relectures et les hésitations, un jour blanc un jour noir, un jour peut-être et un jour gris, le lendemain ensoleillé.

Les Echos : Pourquoi aujourd’hui ?

G.M : Pour la pertinence décalée de ce qui va disparaître, car Rimbaud ou Verlaine bientôt reclus dans les bibliothèques destinées aux censeurs, à la paléontologie de l’écrit.

Un extrait de cet inédit dans ce petit fichier-son de France-Inter (lien ci-dessous), suivi d’un clip et des paroles de ce nouveau titre.

http://<iframe src= »http://www.franceinter.fr/player/export-reecouter?content=1179477″ width= »481″ frameborder= »0″ scrolling= »no » height= »137″></iframe>

[youtube]https://www.youtube.com/watch?v=Kd5V9PLHVPY[/youtube]

[youtube]https://www.youtube.com/watch?v=WEWGM0cBQmM[/youtube]

Les images sont extraites du film muet de Fritz Lang, l’immense cinéaste allemand, Les Nibelungen, réalisé en 1924 et évoquant, entre autres, la mort du héros Siegfried.

Rimbaud plus ne sera

Pourquoi veux-tu que moi

Aille changer le monde

Je me réveille en somme

De ce long songe

Contre un carreau brisé

Tout au fond du passage

Ces deux-là s’aimaient

Il la tenait serrée

Lui mâchait le visage

Il la consolait

De n’être pas une autre

Contre un carreau brisé

Tout au fond du passage

Ces deux-là s’aimaient

Comme on peut se blesser

La main sous le lainage

Il la caressait

Rimbaud plus ne sera

Peut-être plus personne

Flambeau ne reprendra

Comme bête de somme

Pourquoi veux-tu que moi

Aille changer le monde

Je me réveille en somme

De ce long songe

Et le matin suivant

Il faisait jour à peine

Ils se sont enfuis

Par le bord de la Seine

Il faisait nuit

Mais le jour s’est levé

Tout au bout du couloir

Il la tenait serrée

Sur le parquet de chêne

L’un à l’autre collés

Ils se sont aimés

Printemps ne reviendra

Peut-être plus jamais

Peut-être plus personne, ne le verra

Pourquoi veux-tu que moi

Aille changer le monde

Lui disait-il encore

Et tant d’autres choses

Rimbaud plus ne sera

Peut-être plus jamais

Peut-être plus personne

Ne le verra jamais

Rimbaud plus ne sera

Peut-être plus personne

Flambeau ne reprendra

Comme bête de somme

Printemps ne reviendra

Peut-être plus jamais

Ni Roméo non plus

Et Juliette jamais, et Juliette non plus

 En bonus, la version 2014 de Genre humain superbe chanson sur les cruelles réalités de nos temps modernes. Question de l’Homme, Genre humain, parole au poète:

[youtube]https://www.youtube.com/watch?v=TMXfwYSvv04[/youtube]

Contre la réforme de l’orthographe !

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Je vous invite à lire ce bel article aussi pétillant qu’ironique de Jean-Paul Brighelli qui fustige dans Le Point du 4/02/2016 cette réforme affligeante imposée par la Ministre de l’Education Nationale…

La bonne ortograf du ministère de l’Éducation

L’accent circonflexe vit ses derniers jours et les enfants n’auront plus une « maîtresse » mais une « maitresse » – c’est moins chic –, « nénuphar » s’orthographiera désormais « nénufar » et « oignon » sera « ognon ». Sans tenir compte que le « i » devant « gn » n’est pas étymologique, mais marque la mouillure du « gn » pour le différencier de celui d’« agnostique », par exemple. Que les enfants finiront par prononcer « agniostique » – par contamination. Et « pognard » à la place de « poignard » – parce que parfois la prononciation a suivi l’orthographe, au mépris de l’étymologie. Sans doute allons-nous rectifier le nom dePhilippe de Champaigne – champagne pour tout le monde !

Le poids  du  ministere

Les propositions remontent en fait à 1990. L’Académie française avait donné cette année-là quelques conseils qui n’avaient pas forcément valeur de contrainte – ainsi, « événement »  (deux accents aigus en français traditionnel) peut désormais s’écrire, conformément à la prononciation, « évènement ».

La nouveauté, c’est le diktat du ministère sur les éditeurs, qui pourront à la rentrée prochaine orner leurs manuels d’un joli logo « Conforme à la nouvelle orthographe » sur des manuels dont le contenu sera, lui aussi, rénové. Dans un monde où le fromage et la crème fraîche (pardon : fraiche) sont allégés, le reste doit suivre.

Qu’une instance administrative donne ainsi son certificat de conformité est étrange – à moins de supposer qu’en transformant la langue Mme Vallaud-Belkacem espère changer aussi les êtres. AU Vème siècle, un tyran de Syracuse avait interdit l’usage du mot « démocratie », espérant qu’en supprimant le mot il supprimerait l’idée. Un peuple qui parle ou écrit de façon minimaliste pensera aussi minimaliste – et revotera Hollande, allez savoir…
En 1905, le gouvernement envisagea de supprimer l’accord du participe passé avec le COD antéposé – une règle inventée de toutes pièces par Marot au XVIe siècle. Il y eut une volée de boucliers : les Français sont attachés à leur langue, même à ses aberrations.

« Insupportable élitisme ! » s’écrie sans doute la Rue de Grenelle, qui envisage probablement sereinement de valider un de ces jours le langage SMS…

L’invention de l’eau tiède

Les premières réformes d’envergure proposées remontent à Jacques Peletier du Mans, dans son Dialogue de l’orthografe e Prononciacion francaese – en 1555. Nous sortions à peine des guerres d’Italie, nous leur avions piqué l’habillement, la tomate et le baiser avec langue en bouche (si !), pourquoi ne pas leur emprunter leur orthographe conforme à la prononciation ? « Je vien meintenant au second point que j’avoé antrepris a soudre, qui ét l’Etimologie », écrit le grand humaniste.

Ça n’a pas pris. Certes, la langue n’a cessé de se modifier, mais nous sommes un pays centralisé où l’on a vite parlé « la langue du roy », et aucune autre : « Le bon usage, dit Vaugelas, est la façon de parler de la meilleure partie de la cour, conformément à la façon d’écrire de la meilleure partie des auteurs du temps. » Et de statuer qu’amour, délice et orgue seront masculins au singulier et féminins au pluriel. Une aberration – mais notre langue se nourrit d’aberrations et d’exceptions.

C’est ce centralisme que condamne aujourd’hui le ministère, qui ne désespère pas de faire parler (et écrire) à toute la France la langue de la banlieue – faute de faire écrire et parler la banlieue en bon français.

On peut opérer des réformes de détail – ainsi, « rhythme » (orthographe conforme à l’étymologie) a été simplifié en « rythme » au XIXe siècle. Mais lorsque l’Académie a voulu passer de « paon » à « pan », arguant qu’on ne saurait confondre l’animal avec un pan de mur, Leconte de Lisle s’est écrié « si vous supprimez le o du mot paon, je ne le verrai plus jamais faire la roue » – et on en resta là.

D’autant que cette réforme est encore une demi-mesure. On supprime l’accent circonflexe sur u, i, o, mais pas sur le e. Bonne chance aux futurs apprenants !

On peut voguer avec son temps, décider que le h de « haricot » est désormais muet – je ne suis pas puriste à ce point. Mais vouloir changer plusieurs milliers de mots à la fois pour complaire aux néo-pédagogues qui eux-mêmes ne connaissent pas forcément bien la langue, c’est un coup de force inédit et qui fera long feu.

Du reste, il en est de ces consignes absurdes comme des nouveaux programmes du nouveau collège : les enseignants les appliqueront s’il leur plaît – et j’ai déjà dans l’idée qu’il ne leur plaît pas. Avec un circonflexe !

 A consulter aussi, l’avis cinglant de l’Académicien Jean D’Ormesson sur cette nouvelle initiative malencontreuse ! C’est édifiant !

cf http://www.rtl.fr/actu/societe-faits-divers/reforme-de-l-orthographe-je-me-demande-si-on-ne-se-fout-pas-de-nous-regrette-jean-d-ormesson-7781708326