L’atelier de socio-éthique ci-dessous s’est déroulé au mois d’avril à Chartres à l’invitation de Sud Education Eure-et-Loir lors d’un stage de pédagogie.

Les participant-e-s sont installé-e-s en cercle.

Une personne faisant partie de l’organisation du stage a été désignée pour la gestion de la prise de parole.

L’animatrice de l’atelier propose aux participant-e-s de choisir une situation professionnelle qui leur pose problème et qui fasse consensus pour son intérêt pour l’ensemble des participant-e-s.

Situation décrite : Les enseignant-e-s font état de leur difficulté à se positionner par rapport à des élèves qui affirment une identité qui n’est pas présentée comme « française » alors que ces élèves sont français de par leur nationalité. Un enseignant du secondaire précise que ses élèves lui ont dit se considéraier comme « noirs » ou « arabes ». Une enseignante du primaire, se présentant elle-même comme d’origine marocaine, évoque ne pas savoir s’il est de son rôle de clarifier les notions concernant cette situation (nationalité, religion, origine…), si elle ne se substitue au rôle des parents. Une autre enseignante se montre étonnée par le fait qu’il s’agit d’élèves dont la famille est en France depuis trois générations et qui sont plutôt de familles socialement aisées.

1) L’analyse sociologique : L’animatrice de l’atelier propose dans un premier temps que les participant-e-s proposent leurs analyses de la situation.

Par la suite, en s’appuyant sur ce qui a été dit auparavant, elle propose une première synthèse d’analyse sociologique en précisant qu’elle situe son propos dans la sociologie des rapports sociaux :

a) L’explication par le repli identitaire et le communautarisme :

Cette explication est souvent mise en avant par les médias. Mais, elle a fait l’objet de critiques par des sociologues. Deux références :

– Fabrice Dhume, Le communautarisme, Demopolis, 2016

https://www.contretemps.eu/communautarisme-chimere-dhume/

– Julien Talpin et Marwan Mohammed, Communautarisme ?, PUF, 2018.

b) L’explication par les rapports sociaux de classe sociale :

Il s’agit d’une explication assez classique de la sociologie des rapports sociaux. Il existe effectivement une corrélation forte entre immigration et classe sociale populaire. Mais dans ce cas, ce type d’explication n’est pas totalement satisfaisante car les participant-e-s ont signalé que les élèves en question n’étaient pas forcement de classes populaires.

c) L’explication par l’impensé colonial :

La théorie décoloniale latino-américaine (Groupe modernité/colonialité) met en lumière qu’en dépit de l’indépendance des pays anciennement colonisés, les catégories de la colonisation continuent de fonctionner dans la société actuelle. Des éléments semblent corroborer cette hypothèse d’analyse :

– Les élèves dont il est question sont des descendants de l’immigration post-coloniale.

– La catégorie « noir » est une catégorie d’assignation sociale qui s’est construite avec la colonisation et la mise en place d’un système social raciste.

On parle alors de rapports sociaux de racisation.

Voir à ce sujet : Françoise Verges, « Méthodologie décoloniale ». URL : https://www.youtube.com/watch?v=o6kvnHMIDVs

Revue d’études décoloniales – http://reseaudecolonial.org/

2) L’agir socio-éthique :

La deuxième partie de l’atelier aborde les pistes d’action. L’animatrice après un deuxième temps d’échange avec les participant-e-s propose des pistes concernant l’agir éthique :

a) L’approche républicaine universaliste : Dominante historiquement en France, cette approche consiste à traiter tous les élèves de manière identique sans prendre en compte leur identité culturelle. Elle se situe dans un paradigme d’intégration, plutôt que dans celui d’inclusion. Elle se situe au niveau des principes, mais présente des limites pour lutter contre les discriminations.

b) L’approche de la pédagogie interculturelle : L’approche inclusive consiste à considérer que l’école doit faire un effort pour lever les obstacles à la réussite des élèves en tenant compte de leurs caractéristiques socio-culturelles. L’approche par la pédagogie interculturelle a pu faire l’objet néanmoins de critiques relativement au risque d’enfermer les élèves dans une identité culturelle. On a pu alors parler de « pédagogie du couscous ».

c) Lutte contre les discriminations et pédagogie anti-raciste : La lutte contre les discriminations constitue une finalité socio-éthique du référentiel de compétence des enseignants, parmi lesquelles les discriminations à caractère raciste. C’est pourquoi l’agir socio-éthique peut s’orienter vers une pédagogie anti-raciste.

Sur la différence entre pédagogie interculturelle et pédagogie anti-raciste, voir :

ECKMANN, Monique. Chapitre 2. Education interculturelle et éducation antiraciste : différences et complémentarités In : Pédagogie de l’antiracisme : Aspects théoriques et supports pratiques [en ligne]. Genève : Éditions ies, 2002 – https://books.openedition.org/ies/1448?lang=fr

La pédagogie anti-raciste vise la conscientisation des rapports sociaux de racisation présents dans les sociétés modernes. Ces rapports sociaux ne sont pas toujours conscients : ils peuvent être présents inconsciemment chez les enseignants : d’où l’importance pour l’enseignant de se conscientiser (voir le site Internet Pédagogie anti-discrimination – http://pedagogie-antidiscrimination.fr/ )

Ces préjugés peuvent être aussi présents chez les élèves, même de très jeunes enfants. Voir l’expérience de la poupée noire menée aux Etats-Unis : http://www.planetecampus.com/actu/societe/99455-psychologie-sociale-experience-de-poupee-noire-de-poupee-blanche

3) Pistes didactiques :

Ce n’est qu’une fois l’analyse sociologique (sociologie des rapports sociaux) et l’agir socio-éthique déterminé qu’il est possible de proposer des pistes didactiques concernant une pédagogie anti-raciste :

a) L’utilisation d’une littérature jeunesse qui aborde la question de l’immigration et du racisme :

Voir la base bibliographique Elodil – http://www.elodil.umontreal.ca/

b) En éducation aux médias, plusieurs séquences pédagogiques sur le site HabiloMédias :

https://habilomedias.ca/litt%C3%A9ratie-num%C3%A9rique-et-%C3%A9ducation-aux-m%C3%A9dias/enjeux-des-m%C3%A9dias/diversit%C3%A9-et-m%C3%A9dias

La pédagogie anti-raciste peut également passer par d’autres approches comme l’histoire (étude de l’histoire du racisme et des mouvements de lutte anti-racistes), en sciences et mathématiques en luttant contre les épistémicides ou en s’interessant aux éthno-mathématiques….

Conclusion de l’atelier :

A partir d’un exemple donné, il s’agit de mettre en œuvre une démarche plus générale en trois temps :

a) l’analyse des rapports sociaux de pouvoir dans une situation professionnelle donnée

b) déterminer l’agir socio-éthique dans la situation en question

c) choix de pistes didactiques possibles qui découlent de l’agir socio-éthique

Annexe 1 :

Petite remarque: après la conclusion de l’atelier, l’animatrice a pointé le fait qu’autour du cercle, les enseignantes femmes, toutes du Premier degré, s’étaient toutes mises à côté les unes des autres et les enseignants hommes, presque tous du secondaire, étaient presque tous de l’autre côté du cercle. Le cercle se trouvait donc coupé en deux par la reproduction de deux catégories sociales superposées l’une à l’autre dans le cadre de cette formation.

Annexe 2 :

Au cours d’un autre atelier en cercle où l’animatrice était en situation d’observatrice, elle a utilisé un outil appelé « cercle de parole » (crée par Johanna Hawken) pour matérialiser graphiquement la répartition inégalitaire de la parole entre les participantes.

Voir l’outil graphique « cercle de parole » :

http://www.philocite.eu/blog/wp-content/uploads/2017/12/JHawken_Outil_Distribution_Parole.pdf