Home » Anciens cours » BTS Synthèse : la musique, une bonne chose ?

BTS Synthèse : la musique, une bonne chose ?

Synthèse proposée par Sébastien Clerc dans le manuel « de la musique avant toute chose » chez Bréal

Etude des textes en classe à l’oral pour préparer un travail d’écriture personnel noté.

Document 1 : la haine de la musique de P.Guignard, commentée par A. Lambert

En 1996, après avoir écrit Tous les matins du monde en 1991 et La leçon de musique en 1987, l’écrivain Pascal Quignard publiait dix petits traités sous le titre générique de La haine de la musique [folio] . Ce titre est précisément celui du VII° traité, qui synthétise, avec le IX° « Désenchanter », la trame implicite aux méditations de l’auteur dont voici un florilège extrait de ces deux textes :

La musique est le seul, de tous les arts, qui ait collaboré à l’extermination des Juifs organisée par les Allemands de 1933 à 1945… Il faut souligner, au détriment de cet art, qu’elle est le seul qui ait pu s’arranger de l’organisation des camps, de la faim, du dénuement, du travail, de la douleur, de l’humiliation, et de la mort… Il faut entendre ceci en tremblant : c’est en musique que ces corps nus entraient dans la chambre.

La musique viole le corps humain. Elle met debout. Les rythmes musicaux fascinent les rythmes corporels. A la rencontre de la musique, l’oreille ne peut se fermer. La musique étant un pouvoir s’associe de fait à tout pouvoir. Elle est d’essence inégalitaire. Ouïe et obéissance sont liées. Un chef, des exécutants, des obéissants telle est la structure que son exécution aussitôt met en place. Partout où il y a un chef et des exécutants, il y a de la musique. Platon ne pensa jamais à distinguer dans ses récits philosophiques la discipline, la guerre et la musique, la hiérarchie sociale et la musique… Cadence et mesure. La marche est cadencée, les coups de matraque sont cadencés, les saluts sont cadencés. (p.215 à 221)

Entendre et obéir.

La première fois où Primo Levi entendit la fanfare à l’entrée du camp jouant Rosamunda, il eut du mal à réprimer le rire nerveux qui se saisit de lui. Alors il vit apparaître les bataillons rentrant au camp avec une démarche bizarre… Les hommes étaient si dépourvus de force que les muscles des jambes obéissaient malgré eux à la force propre aux rythmes que la musique du camp imposait et que Simon Laks dirigeait.

Primo Levi a nommé «infernale» la musique… «Leurs âmes sont mortes et c’est la musique qui les pousse en avant comme le vent les feuilles sèches, et leur tient lieu de volonté.»

Ce fut pour augmenter l’obéissance et les souder tous dans la fusion non personnelle, non privée, qu’engendre toute musique.

Ce fut par plaisir, plaisir esthétique et jouissance sadique, éprouvés à l’audition d’airs aimés et à la vision d’un ballet d’humiliation dansé par la troupe de ceux qui portaient les péchés de ceux qui les humiliaient.

Ce fut une musique rituelle… La musique, écrit-il, était ressentie comme un «maléfice». Elle était une «hypnose du rythme continu qui annihile la pensée et endort la douleur».

Comment entendre la musique, n’importe quelle musique, sans lui obéir ? (p.224 …)

Il n’y a pas deux «côtés» de la musique… Il y a une puissance qui fait simultanément retour sur elle-même et métamorphose d’une façon similaire ceux qui la produisent en les plongeant dans la même obéissance rythmique, acoustique et corporelle.

Dans Mémoires d’un autre monde, Simon Laks rapporte cette histoire :

En 1943, dans le camp d’Auschwitz, pour la veillée de Noël, le commandant Schwarzhuber donna l’ordre aux musiciens du Lager d’aller jouer des chants de Noël allemands et polonais devant les malades de l’hôpital pour femmes. Simon Laks et ses musiciens se rendirent à l’hôpital pour femmes.

Dans un premier temps, les pleurs saisirent toutes les femmes… Dans un second temps, aux larmes succédèrent les cris. Les femmes criaient : «Arrêtez ! Arrêtez ! Fichez le camp! Du balai! Laissez-nous crever en paix!»… Simon Laks dit qu’il n’avait jamais pensé jusque-là que la musique pût faire mal.

La musique fait mal.

Je m’étonne que des hommes s’étonnent que ceux d’entre eux qui aiment la musique la plus raffinée et la plus complexe, qui sont capables de pleurer en l’écoutant, soient capables dans le même temps de la férocité. L’art n’est pas le contraire de la barbarie… La sidération de l’audition donne à la mort.

Le fascisme est lié au haut-parleur. Il se multiplia à l’aide de la «radio-phonie». Puis il fut relayé par la «télé-vision». Au cours du XXe siècle, une logique historiale, fasciste, industrielle, électrique – quelle que soit l’épithète qu’on veuille retenir – s’est emparée des sons menaçants. La musique, par la multiplication non de son usage (son usage au contraire s’est raréfié) mais de sa reproduction comme de son audience, a désormais franchi la frontière qui l’opposait au bruit.

Le silence est devenu le vertige moderne. De la même façon qu’il constitue un luxe exceptionnel dans les mégapoles…. Je fuis la musique infuyable… (Désenchanter p.273 à 307)

Ces extraits ne veulent pas résumer l’ensemble de la thèse mais au contraire la cerner au milieu d’une écriture qui médite, qui tourne en spirale, semble s’égarer pour revenir sur elle-même à chaque boucle. La cerner autour d’un point particulier qui revient constamment : «entendre et obéir», avec une référence constante aux deux déportés, Simon Laks, le musicien et chef d’orchestre forcé de jouer , et Primo Levi, l’auditeur forcé d’entendre. Avec une référence constante à Platon aussi.

Mais ce qu’oublie de dire Quignard, à propos de cette dernière référence, c’est que, si Platon ne semble pas distinguer, dans sa façon de le présenter, la musique de la discipline, de la guerre, de la hiérarchie sociale, il ne s’agit pourtant pas de «n’importe quelle musique». Il y a bien «deux «côtés» de la musique» pour Platon, celle qui mène à l’obéissance, et l’autre, qui conduit à l’anarchie, c’est à dire la plainte, l’ivresse, la mollesse et l’indolence ( La République [398c – 402c]) ce qui exclut tous les modes musicaux des Grecs, sauf deux: le dorien et le phrygien qui permettent d’éduquer, c’est à dire de dresser convenablement les futurs philosophes-rois , l’une pour en faire un «brave engagé dans la bataille et dans toute autre action violente», et l’autre pour en faire un «homme engagé dans une action pacifique… volontaire [où il] se conduit en toute circonstance avec sagesse et modération, content de ce qui lui arrive».

Pour purifier la cité, il reste à trier les rythmes, ceux qui favorisent les vices, l’arythmie, et ceux qui favorisent le bien par l’eurythmie. «Il me semble, en effet, que ce sont là les avantages que l’on attend de l’éducation par la musique» confirme à Socrate son interlocuteur. Et Platon continue en 424c:

«Il faut que ceux qui ont charge de la cité s’attachent à ce que l’éducation ne s’altère point à leur insu et… prennent garde que rien de nouveau, touchant la gymnastique et la musique, ne s’y introduise contre les règles établies… car il est à redouter que le passage à un nouveau genre musical ne mette tout en danger. Jamais, en effet, on ne porte atteinte aux formes de la musique sans ébranler les plus grandes lois des cités …

Donc, c’est là, ce semble, dans la musique, que les gardiens doivent édifier leur corps de garde…»

Pas n’importe quelle musique donc, entre la trop mélodique, ludique et arythmique, et la bien harmonisée, et eurythmique, pour dresser le citoyen idéal hors des vices, de la lâcheté, de l’indolence, de la paresse, bref dans l’obéissance civique.

Alain Lambert, « première suite sur « la haine de la musique » de Pascal Quignard ; en continuant de relire Rousseau, musicologie.org, mars 2005

Document 2 : Musique classique : antiviolence

Comment minimiser les comportements turbulents des élèves dans la cantine d’un collège ? Une expérience inédite a été réalisée par la psychologue Lynne Chalmers et ses collègues, de l’Université du Dakota du Nord : ils ont passé de la musique classique dans le réfectoire et ont observé des résultats tout à fait probants.

Cette expérience a été conduite auprès de 1 000 enfants scolarisés entre le ce2 et le cm2. Pendant une période de trois mois, l’équipe a procédé à des mesures du niveau sonore dans le réfectoire et du comportement des enfants, selon que l’on diffusait de la musique classique ou de la musique pop pendant le repas. Les résultats ont ainsi révélé que, comparativement à l’absence de musique, on observe une baisse de six décibels dans le réfectoire (soit sept pour cent du volume sonore habituel) lorsque l’on diffuse de la musique classique, et dix décibels (12 pour cent du volume sonore habituel) lorsqu’il s’agit de musique pop. Dès que l’on arrête la diffusion de la musique, le volume sonore augmente aussitôt. En ce qui concerne les comportements des enfants, le personnel de service a mesuré une baisse spectaculaire de 55 pour cent des gestes de comportement agressif (coups, jets d’objets), des insultes ou impolitesses, de la mauvaise tenue et du non-rangement des affaires lors du départ. Cette diminution des comportements agressifs ou turbulents s’observe tout particulièrement avec la musique classique. En outre, l’équipe a recensé le nombre d’impacts d’aliments sur les murs en présence ou en absence de musique classique : une baisse notable du nombre d’impacts a été constatée en situation de musique classique.

Nicolas Guéguen, extrait de l’article « les mille effets de la musique », dans le magazine Cerveau & psycho n°22, du 30 novembre 1999

Document 3 : société permissive, pratiques musicales et civilisation

Phénomènes à deux faces, les comportements de ces publics traduisent à la fois l’affaissement des formes de la vie collective (l’informalisation, selon les termes de la sociologie éliasienne) et, contre les apparences, une élévation des normes de l’autocontrainte. S’agissant de l’informalisation, le modèle bourgeois des concerts et spectacles est apparu aux XVIIIe et XIXe siècles avant de devenir hégémonique au début du XXe dans les sociétés occidentales. Il se traduit par une réglementation de la répartition des différentes catégories sociales dans l’espace de la salle, par la codification ritualisée des comportements (habillement, expression des sentiments) et par l’aménagement physique de ces lieux (présence de bancs puis de fauteuils aux parterres). Sans toutefois s’effacer totalement, ce modèle a peu à peu laissé se développer un modèle concurrent développé autour du rock et des genres associés, avec des salles ou des lieux sans fauteuils et un public mobile.

Le dispositif architectural des salles de spectacles a donc été progressivement adapté à des comportements nouveaux et désormais permis. La présence de services d’ordre au sein des salles s’est peu à peu limitée à maintenir une distance entre le public et la scène et à protéger les artistes et leur matériel des débordements éventuels du public. On remarque toutefois que les organisateurs ont fait progressivement appel à des firmes spécialisées dont le personnel est en mesure de distinguer les comportements dangereux et répréhensibles du public, des danses ou mouvements divers qui pourtant, pour un observateur non avisé, pourraient ressembler fortement à une bousculade, voire à une bagarre.

Au-delà de la réduction des contraintes formelles pesant sur les comportements (N. Elias et E. Dunning estiment que les activités de loisir proposent un « degré de coercition sociale nettement inférieur » aux autres activités sociales, 1994 : 135), l’attitude de certains auditeurs de certaines musiques et de certains concerts témoigne d’une gestion plus fine du contrôle de l’expression des émotions. Ce qui se donne à voir comme un pur et simple relâchement des contraintes externes et internes et comme une emprise immédiate que la musique exercerait sur les esprits et les corps en faisant sauter tous les verrous nécessaires au contrôle de soi, est en vérité un choix de comportement, plus ou moins conscient, effectué par certains individus parmi un ensemble élargi de comportements possibles dans un espace-temps donné.

Ce choix plus ou moins conscient se manifeste très bien dans la diversité des attitudes des publics de certains concerts : on peut ainsi, dans le déplacement d’une zone à l’autre, rester dans une attitude plutôt distante, ordinaire ou, au contraire, intégrer un espace relativement bien circonscrit où les comportements semblent plus débridés (bien que relativement codifiés en diverses « figures », comme le pogo, par lequel des spectateurs se jettent les uns contre les autres, ou le slam, quand des spectateurs montent sur scène, gesticulent quelques instants dans la lumière avant de se lancer dans le public sur un tapis de bras tendus qui devra les porter le plus longtemps possible, etc.). Il apparaît également à travers les écarts parfois très sensibles entre la musique jouée et les réactions produites au sein du public. Le free jazz, formellement très débridé, ne suscite pas les comportements homologues, ce qui renvoie tant à la composition socio-démographique de son public qu’aux éléments de connaissance dont ce dernier dispose pour adopter les comportements conformes à ce type de concerts.

Mais la connaissance préalable ou la découverte d’un répertoire inédit peuvent favoriser, ou au contraire interdire, la manifestation très expressive des réactions des auditeurs, indépendamment des formes (puissance, énergie, etc.) de la musique jouée (cas des premières parties où des artistes moins connus jouent dans la relative indifférence du public). Tout cela indique que les comportements les plus débridés sont moins la réponse à l’appel de la musique qu’une réaction choisie après un processus de reconnaissance de ce qui est joué et, plus globalement, de ce qui est en train de se jouer dans ce lieu et à ce moment.

Enfin, si les comportements du public versent dans la violence véritable, l’agression physique, ils perdent, comme l’écrivaient Elias et Dunning, leur caractère mimétique : la plupart de ceux qui jouaient la transe s’arrêtent ou vont se réfugier dans des zones plus calmes. On remarque d’ailleurs que les femmes restent le plus souvent à l’abri de ces effusions physiques, comme si l’anticipation des chocs éventuels les retenait plus particulièrement d’adopter ce type de comportement. Mais l’essentiel est aménagé pour que le danger physique réel ne soit pas trop grand, car « l’excitation mimétique est socialement et personnellement sans danger et peut avoir un effet cathartique » (1994 : 107).

Extrait du chapitre « la musique adoucit-elle les mœurs ? », dans l’essai Norbert Elias et la théorie de la civilisation, PUR, Rennes, 2003,

 

Document 4 : affiche du film Whiplash

Whiplash est un film sorti en 2014 et réalisé par Damien Chazelle. Il présente le parcours d’un jeune homme ambitieux rêvant d’intégrer une prestigieuse formation de jazz mais qui doit pour cela subir la tyrannie du chef d’orchestre, un professeur pour qui la musique passe vraiment « avant toute chose », prêt à humilier ses jeunes recrues afin qu’un morceau soit joué à la perfection.


Leave a comment

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

buy windows 11 pro test ediyorum