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Texte 5 Sarraute : texte complet et texte de l’étude linéaire

L’extrait complet :

Je sentais se dégageant de Kolia, de ses joues arrondies, de ses yeux myopes, de ses mains potelées, une douceur, une bonhomie… J’aimais l’air d’admiration, presque d’adoration qu’il avait parfois quand il regardait maman, le regard bienveillant qu’il posait sur moi, son rire si facile à faire sourdre. Quand il voulait, dans une discussion avec maman, marquer son désaccord, il employait toujours, d’un ton gentiment impatient, ces mêmes mots : « Ah, laisse cela, s’il te plaît » … ou : « Ce n’est pas du tout ça, rien de pareil »… sans jamais de véritable mécontentement, l’ombre d’une agression. Je ne saisissais pas bien ce qu’ils disaient, je crois qu’ils parlaient le plus souvent d’écrivains, de livres… il m’arrivait d’en reconnaître certains qui figuraient dans mon « quatuor ».

Ce qui passait entre Kolia et maman, ce courant chaud, ce rayonnement, j’en recevais, moi aussi, comme des ondes…

– Une fois pourtant… tu te rappelles…

– Mais c’est ce que j’ai senti longtemps après… tu sais bien que sur le moment…

– Oh, même sur le moment… et la preuve en est que ces mots sont restés en toi pour toujours, des mots entendus cette unique fois… un petit dicton…

– Maman et Kolia faisaient semblant de lutter, ils s’amusaient, et j’ai voulu participer, j’ai pris le parti de maman, j’ai passé mes bras autour d’elle comme pour la défendre et elle m’a repoussée doucement… « Laisse donc… femme et mari sont un même parti… » Et je me suis écartée…

– Aussi vite que si elle t’avait repoussée violemment…

– Et pourtant sur le moment ce que j’ai ressenti était très léger… c’était comme le tintement d’un verre doucement cogné…

– Crois-tu vraiment ?

– Il m’a semblé sur le moment que maman avait pensé que je voulais pour de bon la défendre, que je la croyais menacée, et elle a voulu me rassurer… Laisse… ne crains rien, il ne peut rien m’arriver… « Femme et mari sont un même parti. »

– Et c’est tout ? Tu n’as rien senti d’autre ? Mais regarde… maman et Kolia discutent, s’animent, ils font semblant de se battre, ils rient et tu t’approches, tu enserres de tes bras la jupe de ta mère et elle se dégage… « Laisse donc, femme et mari sont un même parti » … l’air un peu agacé…

– C’est vrai… je dérangeais leur jeu.

– Allons, fais un effort…

– Je venais m’immiscer… m’insérer là où il n’y avait pour moi aucune place.

– C’est bien, continue…

– J’étais un corps étranger… qui gênait…

– Oui : un corps étranger. Tu ne pouvais pas mieux dire. C’est cela que tu as senti alors et avec quelle force… Un corps étranger… Il faut que l’organisme où il s’est introduit tôt ou tard l’élimine…

– Non, cela, je ne l’ai pas pensé…

– Pas pensé, évidemment pas, je te l’accorde… c’est apparu, indistinct, irréel… un promontoire inconnu qui surgit un instant du brouillard… et de nouveau un épais brouillard le recouvre…

– Non, tu vas trop loin…

– Si. Je reste tout près, tu le sais bien.

Enfance – Nathalie Sarraute – 1983 (extrait)

Texte de l’étude linéaire :

Vous pouvez écouter la lecture du texte :

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– Maman et Kolia faisaient semblant de lutter, ils s’amusaient, et j’ai voulu participer, j’ai pris le parti de maman, j’ai passé mes bras autour d’elle comme pour la défendre et elle m’a repoussée doucement… « Laisse donc… femme et mari sont un même parti… » Et je me suis écartée…

– Aussi vite que si elle t’avait repoussée violemment…

– Et pourtant sur le moment ce que j’ai ressenti était très léger… c’était comme le tintement d’un verre doucement cogné…

– Crois-tu vraiment ?

– Il m’a semblé sur le moment que maman avait pensé que je voulais pour de bon la défendre, que je la croyais menacée, et elle a voulu me rassurer… Laisse… ne crains rien, il ne peut rien m’arriver… « Femme et mari sont un même parti. »

– Et c’est tout ? Tu n’as rien senti d’autre ? Mais regarde… maman et Kolia discutent, s’animent, ils font semblant de se battre, ils rient et tu t’approches, tu enserres de tes bras la jupe de ta mère et elle se dégage… « Laisse donc, femme et mari sont un même parti » … l’air un peu agacé…

– C’est vrai… je dérangeais leur jeu.

– Allons, fais un effort…

– Je venais m’immiscer… m’insérer là où il n’y avait pour moi aucune place.

– C’est bien, continue…

– J’étais un corps étranger… qui gênait…

– Oui : un corps étranger. Tu ne pouvais pas mieux dire. C’est cela que tu as senti alors et avec quelle force… Un corps étranger… Il faut que l’organisme où il s’est introduit tôt ou tard l’élimine…

– Non, cela, je ne l’ai pas pensé…

 

Enfance, Nathalie Sarraute (1983)

 


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