Un peu de stoïcisme

 

Voici le texte français traduit du latin, c’est un texte du philosophe Sénèque :

 

Si c’est l’intérêt et un vil calcul qui me rendent généreux, si je ne suis jamais serviable que pour obtenir en échange un service, je ne ferai pas de bien à celui qui part pour des pays situés sous d’autres cieux, éloignés du mien, qui s’absente pour toujours?; je ne donnerai pas à celui dont la santé est compromise au point qu’il ne lui reste aucun espoir de guérison?; je ne donnerai pas, si moi-même je sens décliner mes forces, car je n’ai plus le temps de rentrer dans mes avances. Et pourtant (ceci pour te prouver que la bienfaisance est une pratique désirable en soi) l’étranger qui tout à l’heure s’en est venu atterrir dans notre port et qui doit tout de suite repartir reçoit notre assistance?; à l’inconnu qui a fait naufrage nous donnons, pour qu’il soit rapatrié, un navire tout équipé. Il part, connaissant à peine l’auteur de son salut?; comme il ne doit jamais plus revenir à portée de nos regards il transfère sa dette aux dieux mêmes et il leur demande dans sa prière de reconnaître à sa place notre bienfait?; en attendant nous trouvons du charme au sentiment d’avoir fait un peu de bien dont nous ne recueillerons pas le fruit. Et lorsque nous sommes arrivés au terme de la vie, que nous réglons nos dispositions testamentaires, n’est-il pas vrai que nous répartissons des bienfaits dont il ne nous reviendra aucun profit?? Combien d’heures l’on y passe?! Que de temps on discute, seul avec soi-même, pour savoir combien donner et à qui?! Qu’importe, en vérité, de savoir à qui l’on veut donner puisqu’il ne nous en reviendra rien en aucun cas?? Pourtant, jamais nous ne donnons plus méticuleusement?; jamais nos choix ne sont soumis à un contrôle plus rigoureux qu’à l’heure où, l’intérêt n’existant plus, seule l’idée du bien se dresse devant notre regard.

 

Voici l’analyse que j’en ai faite :

 

Le texte est une des lettres que Sénèque a envoyées à son ami Lucilius au premier siècle. En effet, le grand philosophe lui enseignait le stoïcisme, une philosophie qui consiste à accepter ce qu’on ne peut pas changer. Certaines bribes de ces leçons épistolaires ont été retrouvées et traduites du latin. Celle-ci aborde la question des bienfaits de la générosité. Comment Sénèque parvient-il à transmettre ses idées ? Et dans quel but ? Dans un premier temps seront abordés les arguments solides puis la part de lyrisme qui imprègne le texte.

Le texte est construit autours d’arguments solides et bien construits.

En effet, Sénèque tient des propos très compréhensibles qu’il explique brillamment.  Par exemple, avec l’antiphrase introduite par le « Si c’est l’intérêt et le vil calcul qui me rendent généreux  », Sénèque exprime le contraire de qu’il souhaite dire. Ainsi, le lecteur avertit comprendra le véritable point de vue de l’auteur, qui est donc l’inverse de ses propos.  De plus, les négations « je ne ferai pas » et « je ne donnerai pas » qui suivent cette antiphrase illustrent implicitement le fait que l’auteur ne cautionne pas les actes des personnes intéressées et calculatrices. Ce procédé d’écriture montre aussi que personne ne ferait rien sans la générosité. Elle est donc indispensable à la société.  De même, à travers l’énonciation à la première personne du pluriel « nous » dans la deuxième partie du texte, Sénèque se fait le porte-parole des hommes qui se montrent bienveillants. Il prône fièrement ses valeurs et cherche à les transmettre au lecteur en l’incluant dans ses propos.  Ces éléments montrent donc que les idées de Sénèque sont très précises et développées.

Ensuite, l’auteur a parfaitement structuré son texte. En effet, il l’a construit autour de plusieurs parties délimitées. Par exemple, les phrases déclaratives sont très longues et comportent de nombreux éléments philosophiques. Cela invite le lecteur à prendre du temps entre chaque point pour mieux réfléchir aux propos de Sénèque.  De plus, l’absence d’indications temporelles indique que le texte est valable en tout temps et en tout lieu. Il est donc immortel, ce qui lui confère une puissance encore plus grande. Ainsi, grâce à un ordre irréprochable, Sénèque nous fait parvenir ses idées avec plus d’aisance.

Pour finir, les propos de l’auteur sont le fruit d’une longue réflexion. En effet, un texte philosophique ne s’improvise pas et nécessite un travail de pensée considérable. Sénèque le laisse comprendre par le biais des mots « en vérité », qui montrent qu’il cherche à apporter des réponses à la question de la bienfaisance. Dans le même esprit, l’énonciation à la première personne du pluriel « nous » dans la deuxième partie du texte indique que l’auteur prend la parole au nom de tout le monde. Il se donne de l’importance puisqu’il qu’il est sûr de ses propos, y ayant beaucoup pensé. Pour finir, la rhétorique « n’est-il pas vrai » invite le lecteur à se poser les mêmes questions que Sénèque, ce qui est facilité par la réponse fournie peu après. Ces éléments montrent que Sénèque cherche à emmener le lecteur sur le chemin de la réflexion qu’il a eue lui-même.

 

La compréhension des idées longuement mûries de Sénèque se retrouve ainsi facilitée par la clarté des propos, eux-mêmes mis en relief à travers la structure rigoureuse.

 

Le texte comporte une part importante de lyrisme.

Tout d’abord, il comporte de nombreux exemples qui laissent place à l’imagination. En effet, l’imagination a un rôle crucial dans la compréhension du texte puisqu’elle permet de mieux cerner les idées transmises. A ce titre, la gradation ascendante dans la première phrase : « celui qui part », « celui dont la santé est compromise » et « si moi-même je sens décliner mes forces » nous fait entrer dans le texte très facilement. Cette figure de style met en avant trois exemples : le voyage, la maladie puis la mort de l’auteur lui-même. Elle démontre que si les personnes généreuses attendaient quelque chose en retour de leurs actes, elles n’auraient pas rien puisque les bénéficiaires n’ont pas le temps ou les moyens de leur rendre la pareille. Ensuite, le léger point de vu externe « il part », « il transfère sa dette aux dieux » relatant l’histoire d’un inconnu qui a fait naufrage puis reçu de l’aide laisse le lecteur visualiser la situation. L’assimilation des idées en est grandement facilitée puisque le lecteur comprends le point de vue des bénéficiaires de la bienfaisance.  De même, le champ lexical de la générosité « généreux », « serviable », « bienfaisance », « notre assistance », « nous donnons » met en lumière le fait que la bienfaisance est partout.  Ainsi, la présence d’exemples concrets facilite la compréhension des idées en stimulant l’imagination du lecteur.

Ensuite, de nombreuses invitations à rejoindre le point de vue de l’auteur sont émises. En effet, il est intéressant de savoir ce que l’auteur pense lors de la lecture d’un texte philosophique. Pour ce faire, Sénèque utilise l’énonciation à la première personne du singulier « je » dans la première partie de son texte pour proposer au lecteur de suivre ses idées. De plus, le « te » destiné à Lucillius semble aussi s’adresser au lecteur, qui est ainsi inclus dans le texte. De même, le « on », plus informel que le « nous », est employé pour faire partager au lecteur une scène intime de l’auteur. En effet, Sénèque parle de son testament : «  Et lorsque nous sommes arrivés au terme de la vie, que nous réglons nos dispositions testamentaires ». Ainsi, le lecteur s’immisce dans ce moment personnel pour mieux comprendre sa puissance. Sénèque plonge ainsi le lecteur dans une ambiance intime afin de l’aider à assimiler ses idées.

Pour finir, un très fort dynamisme égaye le texte. En effet, le rythme qui se dégage des lignes rend la lecture plus agréable et permet au lecteur de s’imprégner de la force des mots. Par exemple, l’usage de la voix active et des verbes d’action tels que « nous donnons », « nous trouvons », « nous répartissons » ou « il part » donne une grande énergie au texte, ainsi moins monotone. De plus, il n’y a presque pas de voix passive, ce qui pourrait illustrer le fait que la générosité est construite d’action, et non de paroles. Dans un autre esprit, le champ lexical de la mort et de la fatalité plane sur le texte tel une nuée de corbeaux, comme le soulignent les mots « aucun espoir de guérison », « je sens décliner mes forces », « au terme de la vie ».  Cela pourrait signifier que les gens ayant le plus besoin de la générosité d’autrui sont aux portes de la mort et ne peuvent alors pas rendre la pareille aux auteurs de leur salut. Pour finir, les phrases exclamatives comme « Combien d’heure l’on y passe! », « pour savoir combien donner et à qui ! » plus courtes que les déclaratives donnent des couleurs au texte et contribuent à illuminer les idées de l’auteur. Ces éléments montrent donc que que le texte est vivant, ce qui permet au lecteur d’apprécier sa lecture.

 

Le texte illustré d’exemples concrets transmet le point de vue profond de Sénèque tout en étant rythmé et dynamique.

 

Les idées claires issues d’une longues réflexion sont rangées dans des paragraphes structurés, ce qui permet au lecteur de mieux comprendre le texte. En parallèle, les exemples faisant appel à l’imagination, le point de vue intime de l’auteur et l’énergie des mots confèrent au texte philosophique une dimension humaine et chaleureuse. Ainsi, pour transmettre ses idées, Sénèque fait preuve d’ordre et de rigueur mais n’oublie pas de faire régner une bonne ambiance sur le texte. Le lecteur peut donc s’imprégner des idées philosophiques tout appréciant sa lecture. Sénèque encourage donc le lecteur à devenir généreux. Il est pourtant possible de se demander pourquoi le grand philosophe stoïque se penche tant sur la question. Aurait-il eu un jour besoin d’aide ? Chercherait-il à remercier son sauveur à travers ce texte ?

Bleuenn

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