Roca Rey

Andrés Roca Rey est né dans la capitale péruvienne le 21 octobre 1996. A 25 ans, il a déjà écrit une page de l’histoire taurine, ce qui lui vaut amplement une première rétrospection. Véritable phénomène dépassant l’orbite taurine en ces temps d’ostracisme, sa courte carrière est en effet fulgurante. Son toreo a parfois cassé les shémas pré-établis et il est actuellement le seul à remplir les arènes (José Tomás mis à part mais dans de très rares occasions). Il a une personnalité charismatique dont l’aguante est la traduction la plus torera. Le Roi s’est d’ores et déjà taillé un empire car il n’a pas de rival, tant dans l’ancienne génération qu’il ringardise un tant soit peu, que dans la nouvelle où les talents ne manquent pourtant pas, Ginés Marín en tête. Tomás Rufo, peut-être, on ne peut pour l’heure que le souhaiter, sera-t-il capable d’établir la comparaison ? Andrés est un roc, son toreo est solide, dominateur mais il ressemble parfois aussi à un roseau, flexible jusqu’à l’élasticité, il fait passer une masse de plus d’une demi-tonne dans des trous de souris, se jouant des terrains, toréant la mort comme s’il s’agissait d’un jeu, leurrant le toro de son seul bout de tissu en oubliant son corps tout en connaissant la douleur infligée par la corne. Torero en or, il révèle un grand nombre de toros, en se plaçant au plus près, en supportant le frôlement des pointes et en conduisant la charge puis en recommençant jusqu’à apprendre au toro. Voilà le sens de la phrase : « Torear no es engañar al toro, es desengañarlo ». C’est en ce sens que certains indultos sont dus aux toreros qui permettent de découvrir un toro pour peu que celui-ci consente à se livrer. Depuis El Juli aucun torero n’était arrivé avec autant de force et c’est celui-ci qui lui a cédé le sceptre après vingt années passées sur le trône.

Il reçoit son premier coup de corne en août 2013 à Villarcayo alors qu’il n’en est qu’au premier stade de son apprentissage. C’est en France que le petit péruvien, dont l’oncle était torero à cheval, alors sous la houlette d’un faiseur de rois comme José Antonio Campuzano, fit ses débuts avec les cavaliers au castoreño, précisément à Captieux, le 1er juin 2014, obtenant un triomphe retentissant avec trois trophées. Les aficionados de notre pays auront aussi l’occasion d’apprécier sa projection à Hagetmau, Béziers ou Bayonne, sans jamais repartir bredouille.

Après un rodage de 12 spectacles en Europe, l’année suivante sera suffisante pour arriver avec la préparation et la force suffisantes pour l’alternative en en rajoutant 22 de plus. Lors de sa présentation à Madrid, le 19 avril, il sort insolemment en triomphe par la Grande Porte, avant d’en faire de même à Aire sur l’Adour (dans une tout autre catégorie bien-sûr) puis à Séville (par la porte des quadrilles) et un certain nombre d’autres « places » comme Captieux , Tarascon ou Roquefort pour la France et outre-Pyrénées Santander, Villaseca et surtout Bilbao (trois oreilles).

Le 19 septembre 2015 il fit son entrée dans la cour des grands sans complexe, au contraire, en défiant l’establishment de la montera. C’était encore en territoire « gaulois », ou plutôt gallo-romain, dans l’amphithéâtre nîmois, parrainé par Enrique Ponce et sous les yeux de Juan Bautista. Il obtint là son premier triomphe de matador avec un trophée de chaque adversaire de Victoriano del Río, dont Pocosol, le toro de la cérémonie d’ouverture. Sa présentation en Espagne, tout aussi triomphale, a lieu trois jours plus tard à Logroño. Cette dynamique se poursuivra dans ses Amériques, notamment à Lima le 29 novembre puis à Cali malgré un coup de corne reçu dans la Mexicaine Guadalajara, son baptême du sang en tant que matador.

Le début de saison 2016 est imparable avec un triomphe à Valence puis Arles et le 13 mai suivant, il confirme son doctorat des mains de Sébastien Castella et en présence d’Alejandro Talavante et sort pour la première fois par la Grande Porte madrilène en coupant les deux oreilles d’un animal de Conde de Mayalde. Les succès se succèdent comme à Grenade, Alicante, Burgos puis Pampelune (5 oreilles en tout), Mont de Marsan, Valence à nouveau, Santander, Vitoria, Pontevedra, Huesca, Béziers, Dax, Saint-Sébastien avant de connaître un coup d’arrêt en plein mois d’août, à Malaga.

En 2017, il commence bien la temporada à Valence puis essorille un toro à Séville le 5 mai avant d’obtenir un appendice lors de la feria de San Isidro puis de sortir par la Grande Porte de Pampelune pour la troisième fois. En France, c’est à Béziers qu’il obtient sa meilleure prestation avant Bilbao (3 oreilles en deux corridas) puis un trophée pour la feria du Pilar.

Il triomphe pour la troisième année consécutive pour les Fallas 2018 avant de toucher du poil à Séville (il recommencera pour San Miguel) comme à Madrid. C’est toutefois à Pampelune qu’il obtient son plus gros triomphe (6 oreilles en deux corridas) avant de les enchaîner en été comme à Saint-Sébastien, Malaga et surtout Bilbao où il coupe les deux oreilles d’un toro de Victoriano del Río puis Valladolid, Murcie, Albacete et Salamanque. Au bout du compte, il montre à qui de droit que le n°1, à partir de là, c’est lui, qui remplit les arènes et donc qu’on cherche à engager en premier pour quelque feria que ce soit.

En 2019, il arrive à se hisser encore un cran au-dessus pour écraser la concurrence (peut-être au-dessus des ses moyens, de ceux d’aucun être humain), il triomphe encore en Valence en début de saison puis coupe les deux oreilles d’un toro de Cuvillo à Séville le 3 mai alors que la queue avait été sollicitée (plus une autre une semaine plus tard) puis celles d’un toro de Parladé le 22 à Madrid juste après avoir été retourné et blessé par son premier. S’il se remettra bien du coup de corne peu profond, la lésion aux cervicales le poursuivra et s’aggravera même au point de devoir interrompre sa saison début juillet. L’année du confinement est pour lui une page blanche et la suivante qui n’est qu’une demi-saison ne le montre pas aussi pléthorique.

Il faut attendre le « retour à la normalité » pour voir Roca Rey donner sa pleine mesure avec un toreo plus mature que donne probablement l’assurance d’avoir atteint le sommet alliée à la volonté de vouloir y rester et la certitude d’en être capable, vienne qui vienne essayer de l’y déloger. Les changements de trajectoire intempestifs dans le dos ou par bernadinas se sont plus aussi systématiques, les formes deviennent plus classiques. Même sans obtenir de trophées à Madrid où l’épée lui a joué des tours, il est apparu à tout moment en figura, tenant son rang. Cette saison 2022 est assurément l’une des tout meilleures de sa jeune carrière avec un succès à Valence pour l’ouverture de la saison dans les grandes arènes, un double trophée à Séville où il frôle à nouveau la Porte du Prince, cinq oreilles à Pampelune et une grande faena face au toro Jaceno de Victoriano del Río, jusqu’à sa prestation épique de Bilbao du 25 août où il ressort de l’infirmerie blessé pour obtenir les deux oreilles après celle coupée à feu et à sang à son premier. Mais contrairement à la saison précédente, ce n’est pas que dans les cols de montagne qu’on voit Roca Rey dans sa pleine mesure : il arrache les oreilles par poignées, avec les dents s’il le faut, à peu près partout, pour culminer sa saison par une nouvelle Grande Porte madrilène le 12 octobre en essorillant un toro de Victoriano del Río.

Le 21 avril 2023 il obtient une sortie par la Porte du Prince qui lui avait tendu les bras à plusieurs reprises. Le 11 juin, vêtu d’un habit lie de vin et fil noir pour honorer la mémoire de El Yiyo il frôle la sortie en triomphe par la plus grande des portes en toréant blessé et en se faisant prendre tragiquement mais en se relevant pour s’imposer coûte que coûte, vaille que vaille et ainsi maintenir son rang. 

 


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