Dans un monde dominé par la logique de l’efficacité économique, on assiste à une colonisation problématique de la logique de l’efficacité dans toutes les sphères de l’existence.

Tout doit-il être efficace?

Lorsque nous achetons un objet technique, nous attendons qu’il soit efficace, si possible davantage que le précédent objet que nous possédions et qui nous aidait à réaliser la même tâche.

Néanmoins, cette logique de l’efficacité doit-elle dominer toutes les sphères d’activités? Les politiques publiques, et en particulier les organismes internationaux, mettent en avant la logique de l’efficacité. Nous devrions par exemple chercher à rendre nos systèmes de santé et nos systèmes éducatifs plus efficaces.
Cet impératif montre la domination qu’exerce la logique économique sur d’autres considérations. En effet, le courant dominant dans l’enseignement de l’économie s’appuie sur un modèle qui est celui de l’individualisme méthodologique. Cette conception de l’être humain comme agent économique présuppose que les individus sont animés par la recherche la plus efficace possible de leur intérêt et de la satisfaction de leur utilité propre.

On retrouve cette valeur primordiale accordée à l’efficacité également dans un courant de la philosophie morale, à savoir l’utilitarisme. C’est entre autres ce qu’illustre le récent ouvrage du philosophe Peter Singer, L’altruisme efficace (Editions Les Arènes, 2018).

L’efficacité doit-elle être la valeur primordiale?

Dans une étude de 2016, France Stratégie [une institution française rattachée au Premier ministre] met en lumière le coût économique des discriminations et leur impact sur l’efficacité économique pour justifier la lutte contre les discriminations. Pourtant, ce type de raisonnement pose une difficulté: est-ce pour des raisons d’efficacité, par exemple économiques, que nous devons lutter contre les discriminations?

Le Comité consultatif national d’éthique, en France, a rendu un avis, il y a quelques années, sur la place respective de l’efficacité économique et du respect de la valeur de la personne humaine en matière de santé: «L’avis 101 (santé, éthique et argent) permet au CCNE d’accorder une attention particulière à la confrontation entre utilitarisme et déontologisme. Si le Comité reconnaît que la démarche utilitariste permet de «mettre en relief les intérêts contradictoires qui traversent la société» et éclaire ainsi le débat démocratique, elle ne confère pas à l’utilitarisme une valeur équivalente au déontologisme, garant de la valeur inconditionnelle de la personne humaine.

La question de l’efficacité n’est pas seulement celle de l’efficacité économique, mais plus largement le problème de savoir si n’importe quel moyen peut-être utilisé, du moment qu’il est efficace, pour parvenir à une fin, fut-elle jugée consensuellement acceptable.

Cette question est présente également dans le droit international et elle est au cœur de ce droit depuis au moins la fin de la Seconde Guerre mondiale: «Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits» (Article 1 de la Déclaration universelle des droits de l’homme).

Cela signifie que les droits humains internationaux consacrent l’idée que la dignité de la personne humaine est la valeur fondamentale qui ne peut pas être rabaissée au même niveau que la simple recherche de l’efficacité dans les politiques publiques.

De ce fait, si on lutte contre les discriminations, ce n’est pas avant tout pour des raisons d’efficacité économique, mais parce que les discriminations portent atteinte à l’égale dignité des êtres humains.

De l’efficacité et de la dignité en éducation

On assiste en éducation, avec le courant de l’éducation par les preuves, et plus largement les politiques publiques par les preuves, à une valorisation principielle de l’efficacité.

Néanmoins, il est extrêmement important d’avoir en tête que l’efficacité ne saurait être la valeur première en éducation. Cela d’autant plus que de nombreux travaux en philosophie ont mis en lumière que la recherche de l’efficacité peut entrer en contradiction avec la préservation du respect de la personne humaine.
Prenons à cet égard un exemple. La Convention internationale des droits de l’enfant dispose que: «Les Etats parties prennent toutes les mesures appropriées pour veiller à ce que la discipline scolaire soit appliquée d’une manière compatible avec la dignité de l’enfant en tant qu’être humain et conformément à la présente Convention».

On assiste par ailleurs actuellement, chez certains courants de recherche en éducation, à la valorisation de méthodes de gestion de classe, sous prétexte d’efficacité, inspirés de méthodes behavioristes dont les principes sont les mêmes que ceux utilisés dans le dressage des animaux.1

Ces méthodes sont peut-être efficaces, mais elles posent une question: quelle est la différence entre dresser un animal et éduquer un enfant? Peut-on utiliser n’importe quelle méthode sous prétexte qu’elles sont efficaces?

NOTES

1. Pour une illustration, voir cette vidéo par exemple: «Gestion efficace du comportement». https://www.youtube.com/watch?time_continue=99&v=K0zbq0F3bXQ