L’enseignement de l’éthique professionnelle est transformé bien souvent en un enseignement aseptisé, alors qu’il pourrait être un espace de développement de la résistance intellectuelle.

Le développement de l’éthique professionnelle

De plus en plus de cursus de formation comprennent des cours d’éthique, que ce soit dans le médical, l’ingénierie, l’enseignement ou bien d’autres domaines. Néanmoins, l’éthique est la plupart du temps transformée en un cours relativement inoffensif, alors qu’elle pourrait être une véritable école de résistance intellectuelle dans un monde dominé par les logiques de la rationalité instrumentale de la technique et de l’économie capitaliste; ce que certains philosophes, comme Eric Sadin, appellent le techno-capitalisme.

L’éthique professionnelle, ou la résistance à la domination de la raison instrumentale

La logique de la modernité capitaliste voudrait que seuls les impératifs de la rationalité instrumentale aient le droit de cité. Les professionnels sont le plus souvent soumis à des injonctions à la performance et à la rentabilité.

Mais à l’encontre de cette logique, la multiplication des comités d’éthique ou encore des cours d’éthique montre qu’il n’est pas si simple de faire taire la conscience morale des professionnels et de la population en général. De ce fait, les cours d’éthique et les comités d’éthique peuvent alors jouer le rôle ambigu d’essayer de satisfaire les résistances des consciences morales, sans pour autant transformer en profondeur le système tel qu’il existe. Ces cours et ces comités sont alors réduits au rôle de supplément d’âme dans un monde sans âme.

Néanmoins, l’apparition dans la législation du statut de lanceur d’alerte, avec entre autres une récente directive européenne sur le sujet (mars 2019), montre pourtant que la question de l’éthique professionnelle peut être conduite à interroger la domination, sur tout autre considération, de la logique de rentabilité et de performance économiques.

«Je ne préférerais pas…»: Petit précis de résistance éthique dans le monde professionnel

Il est possible de proposer quelques pistes pour une résistance éthique. La première résistance intellectuelle est la lutte contre le «voile technologique» (Adorno): «Les hommes ont tendance à prendre la technique pour la chose elle-même, comme une fin en soi, possédant sa force propre, et ils oublient ainsi qu’elle est le prolongement du bras de l’homme. Les moyens – et la technique est l’ensemble des moyens visant à la conservation de l’espèce humaine – sont fétichisés, parce que les fins, une vie digne de l’homme, sont cachées et séparées de la conscience de l’homme». La résistance au voile technologique consiste à s’interroger systématiquement sur les finalités de l’action en relation avec la question d’une «vie digne de l’homme». Il s’agit alors de systématiquement s’interroger et interroger les collègues et la hiérarchie sur la finalité de ce qui est demandé.

Une deuxième piste de résistance éthique consiste à s’interroger sur l’éthicité des moyens: est-ce que la fin justifie tous les moyens? L’efficacité des moyens n’est pas la seule considération à prendre en compte dans l’action. Se pose la question du respect des êtres humains, des vivants et de la nature dans l’action. Il s’agit alors de systématiquement faire part de ses cas de conscience face aux moyens qui sont proposés pour parvenir à une fin.

La troisième piste est le refus du solutionnisme technique. Cette conception consiste à considérer que tout problème peut être formulé sous une forme technique et que tout problème peut donc recevoir une solution technique. Il s’agit de s’entraîner systématiquement à reformuler les problèmes sous une forme éthique et à proposer systématiquement ces formulations.

De la résistance éthique à la désobéissance éthique

La résistance éthique consiste donc à s’interroger systématiquement sur la portée éthique des actes et à le faire savoir. Certaines professions comportent dans leur cadre déontologique une référence explicite à l’éthique sur laquelle il est possible de s’appuyer. En France, par exemple, le référentiel de compétence des enseignants mentionne: «agir en éducateur responsable et selon des principes éthiques».

La désobéissance éthique, pour sa part, a été théorisée en particulier par Elisabeth Weissman1, et a été revendiquée récemment en France par 100 médecins opposés au fichage des gilets jaunes2. Cette désobéissance consiste à opposer à un ordre, provenant d’une autorité hiérarchique et considéré comme injuste, l’éthique professionnelle.

La revendication d’un droit à la désobéissance éthique pour un professionnel revient philosophiquement à considérer que l’éthique du professionnel ne se limite pas au cadre juridique en vigueur, mais peut se référer à des principes éthiques que le droit positif ne saurait remettre en question.

NOTES

1. E. Weissman, La désobéissance éthique, Enquête sur la résistance dans les services publics, préface de Stéphane Hessel, éd. Stock, 2010.
2. «‘Un devoir de désobéissance éthique’: 100 médecins contre le fichage des gilets jaunes», tribune publiée dans L’Express du 8 mai 2019.