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Correction du sujet de bac blanc de Première : la dissertation sur Yourcenar

Dans une célèbre lettre, Arthur Rimbaud écrit en 1871 : « Je est un autre. »

Dans quelle mesure cette affirmation peut-elle éclairer la lecture d’un récit s’appuyant sur des faits réels ?

Des pistes de réponse :

Du côté des œuvres qui s’inspirent de la vie de l’auteur (autobiographies, certaines poésies)

Dans ce cas, les faits réels renvoient à la vie de l’auteur lui-même et à l’époque dans laquelle il a vécu.

Le « je est un autre » de Rimbaud fait percevoir l’idée qu’il serait réducteur de considérer « je » comme représentant une seule entité qui serait tout à la fois l’auteur, le narrateur et le personnage. L’expression de Rimbaud invite à lire en observant les différentes entités qui se cachent derrière ce « je ».

« je » auteur doit faire de lui-même un personnage. Ce personnage n’est pas tout à fait l’auteur car le personnage renvoie à ce qu’a été l’auteur dans un passé plus ou moins lointain, différent de l’auteur au moment où il écrit. De ce fait « je » auteur est « un autre » le personnage.

Exemple avec Sartre, Les Mots : « je » est à la fois le personnage enfant qui vit dans son monde imaginaire et n’ose aller vers les autres enfants au jardin du Luxembourg ; il est aussi l’auteur qui à plus de 60 ans écrit le récit de son enfance et parce qu’il est autre peut porter un regard critique et un peu moqueur sur ce qu’il était.

dans une autobiographie, auteur et narrateur sont intimement liés. C’est l’auteur qui raconte sa propre vie. Pourtant l’un n’est pas tout à fait l’autre.

Exemple avec Sarraute, Enfance : Sarraute raconte les premières années de sa vie sous la forme d’un dialogue entre deux personnages qui représentent deux parts d’elle-même. L’écrivaine se divise ainsi en deux narratrices ayant chacune une vision particulière. Le récit d’un moment important de son enfance est ainsi évoqué à travers deux regards, qui se complètent. Là où la narratrice naïve voyait par exemple dans un geste et une parole de sa mère un mouvement de tendresse, la narratrice plus mature y voit l’annonce de l’abandon futur et oblige l’autre part d’elle-même à reconnaitre qu’elle avait déjà ressenti une gêne, mais qu’elle avait refusé d’admettre la réalité. La confrontation fait naitre une vérité sur le passé de l’écrivaine.

– certains auteurs, par l’écriture, transcendent leur vie quotidienne. Ainsi le « je » écrivain n’est-il pas tout-à-fait le « je » homme de tous les jours.

Exemple avec Baudelaire : sa poésie « L’Albatros » dans Les Fleurs du mal symbolise bien ces deux faces du poète. L’albatros, oiseau des mers, se déplace maladroitement lorsqu’il est à terre (ou sur le pont d’un bateau) et se fait moquer (voire maltraiter) par les hommes ; mais une fois en vol il devient un être exceptionnel, roi de l’azur, qui voit au-delà de tout ce que les hommes peuvent voir. Baudelaire se voit et voit le poète comme cet albatros. Incompris par la société, mal vu par les autres, il porte pourtant un regard aigu sur le monde et voit ce que les autres ne voient pas. Ses poèmes sont le reflet de sa vision élargie. (poète voyant comme disait Rimbaud)

– autre exemple avec Chateaubriand, René : il met dans le personnage de ce court roman certaines de ses aspirations. Le personnage ressemble à son auteur (même prénom, même goût pour les voyages, une enfance solitaire dans un château, proximité avec sa sœur…) mais le transcende, devenant l’incarnation romantique de toutes les victimes du « mal du siècle ».

Garder en tête que « je est un autre » élargit notre vision de lecteur et nous permet de percevoir l’auteur derrière son personnage, l’auteur derrière le narrateur, ou l’homme derrière l’écrivain.

Du côté des récits qui s’inspirent de faits réels

Dans ce cas, « je est un autre » prend tout son sens, car l’auteur se met à la place de personnages ayant déjà existé.

– derrière le « je » du narrateur se cache le « je » auteur. Garder cela en mémoire donne plus de profondeur à notre lecture.

Exemple avec Yourcenar, Mémoires d’Hadrien : dans ce roman qui est une autobiographie fictive, Hadrien devenu vieux écrit une lettre à son successeur dans laquelle il revient sur sa vie. Pour écrire cette œuvre, Yourcenar a enquêté pendant plus de vingt ans, lisant tout ce qui s’est écrit sur Hadrien et tout ce qu’a lu Hadrien à son époque, voyageant sur les pas de cet empereur qui va devenir son personnage. Elle s’est plongée dans son histoire pour pouvoir lui redonner vie avec fidélité. Dans un passage du roman, Hadrien, qui n’a pu empêcher la guerre de Palestine alors qu’il est profondément pacifiste, remarque que « les chances de paix du monde s’avéraient médiocres dans l’avenir ». Se rappeler que « je est un autre » au moment de cette lecture permet d’entendre la voix de l’écrivaine Yourcenar derrière celle de son personnage. Les paroles du personnage empereur prennent tout leur sens quand on se rappelle qu’elles ont été écrites en 1951, juste après la seconde guerre mondiale. L’œuvre s’enrichit alors d’un autre sens, Hadrien devenant un modèle politique pour les acteurs de la reconstruction.

– dans un roman historique, le « je » du personnage est double puisque, écrit par l’auteur : il renvoie avant tout au personnage créé par l’artiste, mais il renvoie aussi à son modèle, celui qui a vraiment existé.

Exemple avec Yourcenar, Mémoires d’Hadrien : dans son œuvre, Yourcenar s’est attachée à rester fidèle aux faits, respectant les actions faites par le véritable Hadrien du II° siècle. « Je » renvoie donc à cet empereur qui a pacifié l’Empire romain. Mais lorsqu’elle rédige à la première personne, Yourcenar cherche à exprimer non seulement les actions, mais surtout les sentiments du personnage, et à ce propos il ne reste presque aucune trace historique. « Je » renvoie donc aussi à un personnage fictif, dont les pensées et les sentiments renaissent de l’imaginaire de l’écrivaine. Même si celle-ci cherche à faire entendre une voix, la plus fidèle possible à l’homme qu’Hadrien a été, celui qui parle dans le livre est bien un personnage fictif, né de l’imagination de Yourcenar.

– le lecteur lui-même, par la magie du « je », s’identifie au personnage-narrateur et le temps d’une lecture se met à la place d’un autre, d’une personne qui a vraiment existé, l’auteur ou le personnage historique.

Exemple avec J.C. Ruffin, Le Grand Cœur : le temps de la lecture de ce roman, on se retrouve plongé dans la vie et les pensées de Jacques Cœur. Propulsé dans un autre temps (XV° siècle) et d’autres lieux (Bourges, l’Orient et les îles grecques), le lecteur intériorise les pensées qui sont prêtées à ce personnage historique par l’auteur Jean-Christophe Ruffin.

Conclusion

« je est un autre » en effet, et une œuvre qui s’inspire de faits réels cache derrière l’emploi de « je » aussi bien l’auteur qui se dévoile, le narrateur qui n’est pas tout à fait l’auteur, le personnage qui a toujours une part de fiction et de réel, et le lecteur lui-même qui s’identifie au héros. La prise de conscience de cette superposition de présences rend la lecture vertigineuse, enrichissant le personnage de sa part de réel, et invitant le lecteur à une lecture plurielle.


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