Quel avenir pour la Corrida ? (I)

Il y a quelques semaines, je suis tombé sur une interview de l’éleveur Gerardo Ortega qui expliquait en substance que tout en étant favorable à la lidia intégrale il trouvait qu’ « il vaut mieux Quito que Barcelone », c’est-à-dire qu’il vaut mieux accepter une lidia sans mise à mort que pas de lidia du tout. Il a rajouté qu’il fallait accepter les évolutions de sensibilité donnant comme exemple sa fille de 14 ans qui ne voulait pas aller voir ses toros se faire tuer et le sien aussi en expriment sa souffrance lorsque le matador n’en finissait plus avec le maniement du descabello. Il disait aussi ne pas comprendre pourquoi la disparition de la mise à mort devait en soi entraîner la disparition de la tauromachie.

Avant lui, un autre éleveur de renom, ancien torero à cheval, j’ai nommé Alvaro Domecq pouvait donner à penser (c’est en tout cas une interprétation même s’il ne l’affirme pas aussi clairement) que dans un avenir plus ou moins proche la Corrida pourrait se passer des piques : « Le concept « toro » se basait sur l’émotion et le danger. Il s’agissait d’un spectacle plus dur, comme la vie d’alors, qui induisait que le public même réclamait et exigeait cette dureté, cette sensation de force et de danger, qu’ils avaient dans leurs propres vies avec le manque de confort et les difficultés de l’époque »[1].

Encore une fois le mundillo semble ne voir les choses que par le petit bout de la lorgnette, seulement à court terme. Comment les antis après s’être attaqué à la mise à mort ne s’attaquerait t-il pas aux autres suertes qui infligent une blessure au toro : piques et banderilles ? Et qui s’intéressera encore à un spectacle avec un animal sans force de deux à trois ans où un cercle sans fin avec la muleta sera la seule finalité ?

Parodie récente de corrida à Denver

En revanche, pour échapper à cette perspective tragique qui devient de plus en plus plausible, pourquoi ne pas essayer des voies ou des formes nouvelles. Sans doute, comme souvent, faudra-t-il chercher la nouveauté dans le passé, dans une voie laissée de côté à un moment donné et qui peut ressurgir. Il s’agit seulement de l’un des chemins possibles que la Corrida peut emprunter, mais José Bergamín écrivait : 

« Juan Belmonte est resté la seule figure magistrale. Et le toreo a suivi ses traces douloureuses sur l’arène. Il est devenu lourd, lent, alambiqué, d’une sensibilité excessive, sentimental… sans grâce, sans joie : triste, mélancolique, mélodramatique. La figure torera d’El Gallo n’a pu compenser à elle toute seule cette décadence mortelle, cette chute ténébreuse »[2].

On n’apprécie pas toujours à leur juste valeur les galleos et le toreo enjoué (alegre en espagnol, joyeux, se basant sur la grâce et le jeu de jambes, soit un retour à l’art de l’esquive), qui seront d’ailleurs sans doute plus adaptés à la charge de certains animaux si on souhaite effectivement un retour généralisé vers un toro plus nerveux et moins noble. Dans de nombreuses expressions artistiques originaires du monde hispanique apparaissent côte à côte des notions apparemment contradictoires : fête et tragédie, joie et sérieux. En musique, par exemple, il n’est pas exceptionnel de mélanger un rythme endiablé et des paroles tristes (bulerías, sévillanes, rumba, salsa…), comme pour exprimer l’idée que ce qui est important c’est de surmonter toutes les peines, les misères et les drames. Si la tauromachie est une tragédie, nous avons également vu qu’elle porte aussi et surtout aux nues la vie. Peut-être est-il nécessaire de rappeler que la joie n’est pas la même chose que le comique et qu’elle ne s’oppose pas au sérieux ou seulement dans son sens restrictif de gravité.


[1] In El toro bravo de Álvaro Domecq (p. 291); Madrid, Espasa Calpe, 2001 (1ère édition : 1995).

[2] In La claridad del toreo (p. 105); Madrid, Turner, 1994.


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