Etude comparative entre le Règlement Taurin Municipal et ses homologues espagnols

INTRODUCTION

La planète taurine n’a qu’une seule frontière, celle qu’on connaît par la litote de la « marre », c’est-à-dire la séparation naturelle entre les continents européen et américain. La saison du premier a lieu de manière continue entre les différentes régions taurines, même s’il est certain qu’elle se déroule fondamentalement entre deux Etats, la France et l’Espagne, si nous nous référons à la tauromachie espagnole à pied avec mise à mort (ce qui n’est rien d’autre qu’un pléonasme dans sa forme moderne).
Celle-ci est apparue avec force dans le pays de Voltaire dans la période connue comme Second Empire, c’-est-à-dire à l’équateur du XIXe siècle, et elle s’est étendue depuis lors sans discontinuité jusqu’à l’actualité, s’enracinant sur la base d’une tauromachie autochtone, dans deux zones principalement, la basquo-landaise et la camarguaise.
Durant longtemps, la France taurine a été considérée d’une manière quelque peu condescendante (et même moqueuse) par une partie du mundillo et ce regard était repris par les aficionados français eux-mêmes qui prenaient en exemple tout ce qui se faisait en Espagne avec très peu d’esprit critique (il ne faudrait pas non plus maintenant revenir à l’esprit expansionniste d’une autre époque et vouloir donner des leçons) en copiant en particulier, presque au pied de la lettre, le règlement espagnol.
Plus personne (de bonne foi), aujourd’hui, si tant est qu’il connaisse quelque peu la réalité taurine française, ne peut considérer « l’art de Cúchares » comme une anomalie culturelle mais comme quelque chose appartenant à la culture de ces territoires qui sont, cependant, une extension de ce qu’on appelle la « peau du toro », et ce malgré les barrières naturelles ou artificielles. Mais la France a-t-elle empruntée enfin son propre chemin ?
Quand la Corrida fut attaquée en Catalogne, notre pays a été le premier à réagir, avec l’inscription au Patrimoine Culturel Immatériel, en 2011, qui a surpris autant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Si une partie du territoire espagnol rejetait cette culture aussi séculaire que barbare, comment n’allait-il pas en aller de même dans cette terre d’accueil ?, pensèrent quelques-uns, et en effet le danger guettait. Cependant, malgré cette grosse pique, la tauromachie continuait à être forte de ce côté des Pyrénées. Dans la deuxième partie du XXe siècle, le nombre d’élevages s’est multiplié, des toreros de premier rang sont apparus, des ferias ont été créées et en ce début de XXIe siècle l’effet de mode ne s’estompe pas, le public continuant même à venir en masse aux spectacles taurins malgré la conjoncture économique que nous connaissons.
Dans cette même période, l’Espagne, submergée par une crise dévastatrice, voyait son marché taurin s’écrouler (donnant proportionnellement à son voisin une importance accrue) en même temps qu’apparaissait une dispersion règlementaire et s’instaurait le débat prohibitionniste auquel nous avons fait référence. Il y a eu une réaction et celle-ci continue mais on ne voit pas toujours (à mon avis en tous cas) les fruits du brainstorming, comme disent nos amis anglais, en partie parce que les professionnels veillent sur leurs intérêts particuliers plus que sur ceux de la Fiesta nacional.
Ceux qui font vivre ce spectacle devraient être plus pris en considération, ceux qui l’aiment d’un amour pur et véritable, complètement désintéressé, cette partie du public qui parle par elle-même et qu’on appelle Afición, qui va aux arènes contre vents et marées, et non ce public muet de flux aléatoires dont les professionnels se font les porte-paroles en expliquant à qui veut l’entendre, leur manière d’interpréter ce silence : en détruisant des encastes parce que la véritable bravoure ne se trouve que dans un seul, en diminuant la force (et parfois les cornes) du toro, parce que les gens veulent, disent-ils, un spectacle écrit à l’avance (eh bien, qu’ils aillent au théâtre !), et en pervertissant également la magnifique suerte des piques, voulant faire croire que le piquero est le méchant du film, et finalement en réduisant les risques, pour toréer ou occire, invoquant une meilleure efficacité (parfois vraie, d’autres moins) que ce grand muet, soi-disant, lui demanderait.
Qui, sinon l’Administration, peut ramer à contre-courant et adopter une posture impartiale pour imposer une limitation des abus ? Les responsables du Ministère de l’Intérieur avaient, dit-on, l’habitude de dire à leur successeur : « Ne vous immiscez pas dans les affaires taurines !». Je ne sais pas si la phrase est exacte mais il est certain qu’il y a bien dû y avoir un certain laisser-aller, peut-être dû au mépris que ceux qui « se mettent devant » ont envers ceux qui n’avons pas ce courage, ce qui leur permet de croire qu’il sont les détenteurs de la vérité absolue, qu’ils sont les seuls à même de parler de notre sujet. Cependant, si n’importe qui peut comprendre qu’ils veuillent moins souffrir, la tauromachie ne s’élève que quand se résout dans l’arène une situation compliquée digne d’admiration (et sinon, personne n’est obligé à « se la jouer ») qui ne peut être confondue avec le simple fait, bien que méritoire en lui-même, d’appliquer une technique face à une bête à cornes (c’est la base, non la finalité).
Il est de notoriété publique que quelque chose est en train de se produire en France en matière d’exigences bien que, comme nous le verrons dans la partie correspondante, tout ne soit pas rose, en particulier car il faut trouver un juste milieu entre la rusticité d’une lidia pure (que beaucoup appellent « combat »), recherchée dans certains secteurs, et le raffinement excessif sans émotion ou les contorsions contre-natures et sans âmes, poursuivies par d’autres. Mais parmi les avancées indiscutables se trouve la revalorisation du premier tiers et l’accent mis sur la diversité du cheptel brave, la France étant pour de nombreux encastes minoritaires, avec Madrid et quelques autres rares arènes, la bouffée d’air salvatrice qui leur permet tout simplement de survivre.
Quelles sont les similitudes et les différences entre les règlements espagnols et le Règlement Taurin Municipal (RTM)? Dans quelle mesure ces progrès sont-ils dus à cette règlementation ?
Après avoir constaté quel est le cadre légal et la structure du règlement français, nous essaierons de répondre à cette problématique en étudiant les points sur lesquels il correspond au contenu du règlement espagnol de 1996 avant d’analyser dans quelle mesure ils divergent et nous termineront par une rapide confrontation avec les règlements régionaux sur les grandes lignes.
A partir de là, nous pourrons tirer les conclusions pertinentes pour apprécier le grade d’indépendance auquel le RTM a pu arriver et voir s’il continue à être une transposition du règlement espagnol, s’il s’inspire ou s’il est comparable aux règlements régionaux, ou bien s’il est en tous points novateur et précurseur.


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