Fév 25 2015

Les phrases de don Rafael

El Gallo vu par Canito, le plus célèbre des photographes taurins, toujours en activité à plus de 100 ans

Si « Joselito » est considéré par beaucoup comme le plus grand de tous les toreros, son grand-frère (¡Vaya familia!), Rafael « El Gallo » est assurément le plus grand artiste de l’histoire de la tauromachie. Il est l’inventeur d’un certain nombre de suertes mais il est aussi l’anti-torero, l’inventeur de l’espantá, la fuite par peur panique. Il disait que « les broncas s’oublient mais les coups de cornes c’est le torero qui les garde ». Il est tour à tour l’humain dans ce qu’il a de plus misérable et puis dans ce qu’il a de plus grand. Et cette grandeur, malgré le fait que notre passion soit éphémère, elle est restée jusqu’à nous, survivant tout un siècle. Il était né torero et pour cet homme peu instruit il n’y a que cette vie qui était concevable, le reste ne comptait pas.

Il nous a laissé un certain nombre de phrases et d’anecdotes qui disent beaucoup de choses sur sa personne mais aussi sur son époque, des mots d’un autre temps qui ont une texture patinée qui, même s’il disait que « le toreo c’est ce qu’on ne peut pas expliquer », le disent.

Une de ces plus célèbres anecdotes concerne une phrase qui est passée à la postérité dans le langage courant de la langue de Cervantès : « Hay gente pa tó ». Cette phrase, une espèce de kirikikí langagier, il l’a prononcé après avoir rencontré le philosophe espagnol (le plus grand sans doute dans un pays peu cartésien où la passion l’emporte souvent sur la raison) Ortega y Gasset. José María de Cossío venait justement de lui expliquer qu’il s’agissait du plus grand penseur espagnol suite à quoi le premier torero de veine gitane (avant Cagancho, Gitanillo de Triana ou Rafael de Paula) s’exclama : « C’est incroyable, il y a des gens pour tout ! ».

 Un jour où « le Divin Chauve » toréait à Madrid, après une bronca monumentale qui faisait elle-même suite à une de ses célèbres espantás, Vicente Pastor était allé le voir pour lui dire un mot de soutien : « Faut voir comment est le public aujourd’hui ! », ce que à quoi don Rafael aurait répondu sur un ton un brin sarcastique de torero blessé là où les blessures sont invisibles : « Pour vous il est extraordinaire, maintenant que je les ai rendus aphones ! » (¡Ole!).

 Un banderillero lui demandait chaque fois qu’il le croisait de le prendre dans son quadrille ce à quoi El Gallo répondait à chaque fois que même s’il le voulait ce n’était pas possible car celui-ci était au complet. Mais un jour un membre de l’équipe de Rafael Gómez Ortega partit pour une meilleure vie et lors de la veillée funèbre l’homme revint à la charge demandant à nouveau au maestro de prendre la place du défunt, ce à quoi le génial Rafael répondit à peu près ceci : « On va essayer de convaincre les gens des pompes funèbres ! »

De retour de la feria de Cordoue, il rencontra un jour une connaissance dans le train qui le ramenait à Séville. Celui-ci lui demanda comment il avait été accueilli parle public, ce à quoi il répondit qu’il y avait eu une division d’opinions. « Entre toi et Bombita ? », demanda l’autre. Mais « El Gallo » rétorqua la chose suivante : « Non, en fait certains s’en prenaient à mon père et d’autres à ma mère ! »

En dehors de son métier Rafael « El Gallo » aimait uniquement 4 choses : le café, le vin, les cigares et la sieste.

Lors d’une corrida à Barcelone, après avoir refusé de tuer son premier toro qui ne lui plaisait pas, il s’était réfugié à l’infirmerie pour échapper à la colère des gens. Manolo Belmonte, le frère de Juan, était venu le chercher et l’avait trouvé étendu sur la table d’opération en train de fumer un Havane. Il lui expliqua que le public était déchaîné et qu’il exigeait qu’il assumât son contrat. « El Gallo » se laissa convaincre, réapparut alors que le toro était en train d’être piqué puis réalisa une faena des siennes conclue d’un coup d’épée a recibir. Le geste fatal accompli, sans attendre quelque récompense que ce soit il retourna placidement, d’une phrase muette, à l’infirmerie, pour terminer son cigare.

Le lieutenant-frère (appellation bizarroïde pour un français qui renvoie aux confréries militaro-religieuses de la Reconquête qu’on traduirait simplement dans notre pays laïque par président, sauf que là ils s’élisent entre eux : j’espère me faire comprendre car c’est important pour l’anecdote) de la Real Maestranza sévillane voulut lui faire un cadeau et lui demanda donc ce qui lui ferait plaisir. « El Gallo » répondit qu’il ne voulait pas qu’on dépense de l’argent pour lui et rajouta : « Mettez-moi sur la liste des maestrantes ! » – J’ai publié récemment un article qui s’intitule ‘La plèbe aspire à la noblesse’ mais j’ai bien peur qu’il ne s’agisse que d’une vaine aspiration.