Mai 16 2020

Joselito « el Gallo »

Il y a 100 ans, « le plus grand torero de l’histoire » mourait sous la corne. Portrait.

José  GÓMEZ ORTEGA  “GALLITO”

[1]

Il est né à Gelves (Séville) le 8 mai 1895. Sa mort survint à Talavera de la Reina (Tolède) le 16 de mai 1920.

Son père, le torero Fernando “El Gallo”, meurt alors que Joselito n’a que deux ans. A 8 ans, il torée sa première vachette et il s’habille pour la première fois de lumières le 19 avril 1908 à Xérès. Il fera ensuite partie d’un quadrille d’enfants toreros. Le 24 octobre 1911, sans encore avoir reçu l’alternative, il tue le toro Avellanito de Moreno Santa María, à Séville. Il se présente à Madrid le 13 de juin 1912 pour toréer une corrida de toros, la novillada ne lui paraissant pas suffisamment sérieuse : les critiques déjà voient en lui un torero d’exception. Le 23 du même mois, il triomphe également à Séville. Joselito reçoit un coup de corne le 1er septembre à Bilbao et prend l’alternative dans sa ville natale des mains de son frère Rafael le 28 septembre 1912 avec le toro Caballero de Moreno Santa María. Ce n’est que le lendemain qu’il triomphera pour la première fois à la Maestranza.

Il la confirme le 1er octobre à Madrid face à Ciervo de Veragua. Il rivalise avec Bombita lors de la Feria d’Abril 1913. Le 1er  juin Rafael “el Gallo”, Machaquito et Gallito sortent par la grande porte à Madrid. Le 5 juin le plus jeunes des gallos coupe un appendice auriculaire d’une grande valeur dans la capitale espagnole. Jusqu’à cette date, seuls Bombita, Machaquito, Vicente Pastor (deux fois) et Rafael “el Gallo” avaient obtenu une oreille dans lesdites arènes. Il obtient en outre d’importants triomphes à Saint Sébastien et à Saragosse. A partir de la saison 1914 commence sa rivalité avec Juan Belmonte. Il torée admirablement lors de la Feria d’Abril  le toro Almendrito de Santa Coloma, alors qu’il affronte pour la première fois en mano a mano celui qu’on appellerait « el Pasmo de Triana » (ils s’étaient rencontrés face à des miuras quelques jours avant). Il coupe une oreille à Madrid le 2 mai dans le premier épisode de leur opposition  dans la capitale. Il sort ensuite a hombros des arènes de la route d’Aragon le 3 juillet dans une corrida en solo. Il fut blessé à Barcelone le 5 du même mois par le toro Coletero de Pérez de la Concha et il triomphe à Bilbao où il est à nouveau blessé. En 1915, à Séville, il réalise un faenón au toro Napoleón de Gamero Cívico, tant à la cape, qu’aux banderilles, qu’avec la muleta et l’épée. Il coupe aussi des oreilles à Madrid puis revient dans l’ancienne Hispalis pour y triompher face aux miuras le 29 avant de s’enfermer face à 6 toros 6 le lendemain : la présidence lui accordera l’oreille du cinquième Cantinero, de Santa Coloma, une première dans ces arènes. Il termine la saison avec 102 corridas au compteur, un record qu’il battra l’année qu’il dépassera encore  suivante (105) et qu’il dépassera encore deux ans plus tard (103). Le 15 mai 1916, à Madrid, il parvient à enchaîner sept naturelles (apparemment, seul Florentino Ballesteros avait réussi à en enchaîner plus, à Barcelone, en 1913)[2]. Le 8 octobre de la même année, il triomphe dans les mêmes arènes avec du bétail de Gamero Cívico, en coupant les oreilles de ses deux toros. En 1917 il connaît un grand succès à Barcelone et surtout à Séville où il coupe les oreilles à quatre des six toros qu’il tue en solitaire. Il reçoit un coup de corne à Saragosse en 1918 et un autre le 1er mai 1919 à Madrid, mais il connaît l’autre face de la monnaie à Séville, Valence et Bilbao.

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En cette année 1919, après avoir perdu sa mère, le caractère mélancolique de José Gómez s’accentue. Le toro Bailador, de l’élévage connu comme celui de “la veuve Ortega”, fut la cinquième à sortir en piste à  Talavera de la Reina le 16 mai 1920. Ce toro supposément burriciego[3] allait mettre fin à la vie de cet immense toreo nommé Joselito “El Gallo”, pour beaucoup le plus grand de tous les temps, en lui introduisant toute la corne dans le ventre. Il avait à peine 25 ans.

Torero très dominateur, Joselito commencera à bien toréer avec la cape à partir de 1916. Il fut un spécialiste de la larga cambiada à genoux et des recortes avec la cape pliée sur le bras. C’était également un torero avec un répertoire très large et un banderillero exceptionnel. Ses naturelles en rond, ce qui fait de lui un des précurseurs du toreo lié en séries, étaient célèbres. Sans être un matador hors du commun, il tuait avec une rapidité, une agilité et une sécurité exceptionnelles. Ses meilleures estocades sans doute furent-elles données dans la suerte a recibir. Statistiquement, il a coupé un total de 17 oreilles dans les arènes de Madrid. Il était en quelque sorte le Miquel Ange des toreros, un mythe de perfection.


[1] et [1bis] Photos 6 TOROS 6.

[2] Cf. l’article “El ritmo por dentro” de J.C. Arévalo dans la revue 6 TOROS 6 n°720 p.62.

[3] Animal ayant un problème visuel.

[4] Demi-véronique de “Gallito”. Photo 6 TOROS 6.


Août 1 2019

Rivalités IX

Gallito vs Belmonte ou l’Âge d’Or du toreo

La première rencontre entre les deux matadors eut lieu dans les arènes barcelonaises de Las Arenas le 15 mars 1914 face à des animaux de Moreno Santamaría (et un sobrero de Concha y Sierra) et avec Cocherito en guise de Célestine; à noter que Joselito coupa une oreille. Ce premier agarrón, comme disent les Mexicains, fut complété jusqu’en 1920 par 257 autres dont 43 furent en mano a mano. La tragédie de Talavera mit fin à ce binôme on ne peut plus complémentaire qui n’aura donc pas été la rivalité la plus longue de l’histoire du toreo mais assurément la plus intense et la plus cruciale pour l’évolution de l’art taurin.

Les deux hommes avaient l’un pour l’autre un grand respect et la rivalité n’en était une que parce qu’ils avaient compris que le contact direct pourrait être bénéfique pour la carrière de l’un et l’autre et bien-sûr parce que au-delà d’accords de carrières il s’agissait de deux monstres, deux colosses. Le destin a toutefois renversé celui des deux qui semblait invincible et laissé dans la plus grande solitude celui qui paraissait avoir des pieds d’argile.

Belmonte était pathétique et irréel alors que Joselito était cérébral et apparemment facile. L’un était la tragédie incarnée, l’autre le héros triomphant. Lutte de l’impossible et du possible, de l’intuition et de la raison. Le deuxième l’emporta le plus souvent, comme les Romains l’emportèrent sur les Grecs, mais le savant Gitan vit dans son ami payo la voie, la lumière par où sa perfection pouvait se transcender. Belmonte apprit de Joselito, cela ne fait aucun doute mais José Goméz Ortega s’est belmontisé en se croisant, s’immobilisant et en templant d’abord. Et c’est là que le génie galliste a fonctionné en dépassant cette proposition pour quelquefois enchaîner les passes su même côté (ce que ne faisait pas Belmonte) et établir ainsi un début de ligazón qui sera la base du toreo moderne. José ne fréquentait pas autant les intellectuels que Juan mais il pensait le toreo et surtout il avait les moyens de mettre en pratique ses concepts. Juan se transcendait, qui plus est au contact de José mais compensait ses limitations par une personnalité et une esthétique jusqu’alors inconnues.

***

Le 2 mai 1914 eut lieu le premier affrontement madrilène. Là encore Joselito coupe une oreille (cela n’arrivait une fois toutes les 10 corridas pour un torero de cette trempe et encore…) mais Juan lui donne la réplique même s’il tue mal. Les toros étaient de Contreras et le compagnon de cartel Rafael, le grand-frère.

Le 21 avril c’est le sable ocre de la Maestranza sévillane qui est le témoin du premier face à face (sur un total de 19) des deux futurs colosses dans leur ville natale. Rodolfo Gaona les accompagne face à des toros de Miura et cette fois c’est Juan Belmonte qui l’emporte en sortant par la Porte du Prince. Lors de cette même feria Gallito coupera une oreille à Almendrito de Santa Coloma devant les yeux de son rival.

La rivalité se poursuit aussi à distance : quatre jours plus tard Belmonte triomphe face à un toro de Murube alors que Gallito tue en solitaire une corrida de Vicente Martínez le 3 juillet.

Le 15 août, à Saint-Sébastien dans une corrida de 8 toros 8 de Murube et Santa Coloma, c’est Gaona qui touche du poil (El Gallo ouvrait l’affiche).

Joselito termine la saison avec 75 courses à son actif (mais une trentaine perdues pour blessure) contre 72 à Juan.

Les plus beaux passages de cette rivalité torera auront toutefois lieu la saison suivante.

Après un premier mano a mano à Malaga, les 17 et 18 avril 1915 ils en offrent deux autres consécutifs à l’afición à Séville avec des toros de Santa Coloma et Gamero Cívico; Ils en feront de même les 8 et 10 du mois suivant à Madrid.   

Le 1er août, à Santander, encore accompagnés de Rafael, Joselito coupe les deux oreilles de son premier Saltillo contre une à Juan.

En 1916, Gallito est imparable. Il torée 105 corridas contre 43 pour Belmonte. La suivante en revanche mettra les deux matadors pratiquement à égalité : 103/97.

Le 21 juin 1917 Belmonte triomphe pleinement à Madrid pour la corrida du Montepío devant Gaona et Gallito retournant complètement la tarde au dernier, Barbero, de Concha y Sierra.

En 1918 on sait que Juan Belmonte ne toréa pas en Espagne, laissant seul son rival qui coupa la première queue concédée dans la capitale espagnole.

Il faut attendre le 7 juillet 1919 pour que les deux phénomènes toréent ensemble à Pampelune : une fois de plus cette rencontre tourne à l’avantage de Joselito qui obtient un trophée.

Le 28 avril 1920 Joselito coupe sa dernière oreille à Séville dans un mano a mano avec Juan et devant des toros de Gamero Cívico.

Le 3 mai il en fait de même à Bilbao face à des toros de Tamarón. Ils toréent ensemble deux jours plus tard à Madrid et dix plus avant à Valence avant le tout dernier épisode de la capitale le 15 mai, accompagnés de Sánchez Mejías, où Joselito est conspué comme máxima figura qu’il est.