Rencontre avec Didier Daeninckx

Voici les notes prises lors de la rencontre avec D. Daeninckx, ce lundi 6 octobre au lycée Rascol, avec les Secondes 1, 3 et 4.

Notes prises lors de la rencontre avec D. Daeninckx – lundi 6 octobre 2014

DaeninckxQuelle est l’origine de votre nom de famille?

Daeninckx est flamand et veut dire fils de (« ckx ») Daniel (« Daenin »). Son arrière-grand-père a fui l’armée belge à cheval, s’est installé à Lille et a fait venir toute la famille.

Que gagnez-vous sur la vente de vos livres?

Sur les livres de poche il gagne 5% (soit 25 centimes sur un livre à 5 euros) et 10% sur les livres (soit 1,50 euro sur un livre à 15 euros). On gagne un pourcentage sur les livres jusqu’à sa mort en ensuite les héritiers en gagnent pendant 70 ans. Il faut donc que le livre soit publié en de très nombreux exemplaires pour bien gagner sa vie. Peu d’écrivains gagnent bien leur vie en écrivant, mais ils écrivent quand même, par passion.

Ses livres les plus vendus : Cannibale, en 20 000 exemplaires à sa sortie mais a connu le vrai succès à sa sortie en poche surtout dans le domaine scolaire. En tout, a été vendu à un million d’exemplaires ! Meurtres pour mémoire a eu aussi beaucoup de succès.

Si vous n’étiez pas écrivain, qu’aimeriez-vous être?

Il est devenu écrivain un peu par hasard (son premier manuscrit a été refusé 9 fois et n’a été accepté par la 10e maison d’édition que plus de 4 ans plus tard alors qu’il avait abandonné toute idée de devenir écrivain), sinon peut-être aurait-il été journaliste.

Daeninckx2 Avez-vous déjà fait de la radio?

Non, mais il a déjà écrit des pièces radiophoniques (pour la radio) et aime beaucoup la radio.

Que vous apportent les rencontres avec les jeunes?

L’écriture isole, rencontrer les autres est donc très important. De plus, il a besoin de voir ce que son écriture produit comme effet sur ses lecteurs. Enfin, il en revient parfois avec des idées pour écrire.

Avez-vous des modèles en écriture?

Beaucoup ! Il a lu énormément mais aime surtout les romans policiers. Quelques auteurs très importants pour lui : Conan Doyle, l’inventeur de Sherlock Holmes, Jack London (qui s’est déguisé en clochard pendant trois mois pour vivre de l’intérieur la misère et en a rapporté le livre Le peuple de l’abîme), Dumas et le comte de Monte-Cristo.

Quelle cause vous semble la plus importante?

Celle de la planète, l’écologie, la survie de l’espèce mais aussi le combat contre toutes les formes de racisme.

Qu’est-ce qui est vrai dans « matin de canicule »?

Il a vraiment vécu l’épisode du bras humain sur le périphérique ; il est souvent allé dans un bar flamenco de Montreuil. A partir de ces détails vrais, il a construit son histoire.

Daeninckx3 Pourquoi y a-t-il souvent des morts dans vos nouvelles?

La mort oblige les gens à faire face à la vérité, elle impose une rupture qui met les gens face à eux-mêmes. De plus, on reconstitue tout le passé de la victime à travers ses traces et on lui rend hommage.

Pourquoi le titre « mères glorieuses, mères angoissées »?

L’histoire se passe le jour de la fête des mères et c’est le maréchal Pétain qui a instauré cette fête, puisque la famille (« travail, famille, patrie » avait remplacé « liberté, égalité, fraternité » pendant le 2e guerre) était très importante. Ces mots ont été prononcés par lui dans son discours. Le titre est ironique.

Sur Willy Ronis

Un photographe qui a fait des photos pendant 70 ans, d’une mère lituanienne et d’un père russe, il a beaucoup photographié le quartier de Pigalle, il voulait être musicien ; à 85 ans, il saute pour la première fois en parachute et se prend en photo durant le saut. Ses photos racontent des histoires. Elles sont le plus souvent prises sur le vif, sauf les nus féminins et les portraits de commande.

Pourquoi avoir parlé de la Nouvelle-Calédonie?

Première fois en 1980, à la suite d’une guerre civile en Nouvelle-Calédonie, des Kanaks ont été arrêtés et mis en prison en France. Daeninckx a accepté de parrainer un des prisonniers kanaks. En 1997, un de ses amis, bibliothécaire à Nouméa, lui a proposé de venir parler aux lecteurs kanaks (car cet ami avait développé un système de « cases bibliothèques »). Il a été reçu royalement, on lui a même fait un arc de triomphe en fleurs de frangipaniers ! Les kanaks lui ont alors raconté ce qui s’était passé durant l’exposition coloniale de 1931 : 100 kanaks avaient été forcés de prendre le bateau pour l’exposition universelle et, une fois en France, après un temps passé à l’exposition coloniale, avaient été échangés contre des crocodiles allemands avant d’être renvoyés dans leur pays. Sur le bateau, ces gens qui parlaient français, étaient croyants et mangeaient de la viande bouillie, ont été obligés d’apprendre une sorte de langue sauvage, une danse sauvage, de manger de la viande rouge et de se comporter comme des animaux. Son ami lui a ouvert les archives de la bibliothèque de Nouméa. Là, il a trouvé des photos de ces hommes, dont un certain « Willy Karembeu ». Il a alors téléphoné à Christian Karembeu le footballeur pour voir si cet homme était de sa famille. Ce dernier l’a invité à venir le voir après la coupe du monde et a confirmé qu’il s’agissait bien de son arrière-grand-père.

Réaction après la lecture d’une nouvelle d’un élève sur la télévision :

Il a grandi sans télé, en a eu une pour la première fois à 16 ans. Il a écrit un recueil de nouvelles, Zapping, il y a 23 ans. La télé le questionne. En 1985, une fillette avait été coincée à cause d’un tsunami dû à un volcan en éruption sur des pentes enneigées. La fillette avait été filmée par le monde entier et était pratiquement morte en direct… comment on pouvait transmettre cette mort et ne rien pouvoir faire ? Il se demande aussi ce que ces écrans, partout, ont comme effet sur nos cerveaux. Il s’est rendu compte aussi que notre sensibilité s’émoussait à voir autant d’images choquantes, en voyant sa fille pleurer devant des scènes de guerre alors que lui ne pleurait plus.

Pourquoi écrire sur les parties cachées de l’histoire?

Il est issu d’une famille d’ouvriers et cette histoire n’est pas connue dans la littérature, il a donc voulu la faire vivre, cette histoire, d’autant que c’était des gens ordinaires mais qui se souciaient de l’état du monde. Ses nouvelles sont nées aussi des injustices qu’il ne supporte pas. Ecrire, pour lui, c’est alerter.

Vous considérez-vous comme un « écrivain engagé »?

Il n’aime pas ce terme, qui lui paraît trop définitif et sectaire. Il lui rappelle l’injonction « engagez-vous » pour l’armée. Il préfère l’expression d’A. Camus, « écrivain embarqué ». Le monde va mal, et l’écrivain est obligé de dire le malheur du monde, en essayant de voir tous les aspects, par exemple en se mettant, dans une de ses nouvelles, « corvée de bois », dans la peau d’un tortionnaire en Algérie. Il veut redonner de la force aux mots communs et banals, pour lui c’est cela, le style d’un écrivain.