Inauguration de la Chaire UNESCO Ethique, Science et Société à Toulouse

Inauguration de la Chaire UNESCO Ethique, Science et Société de l’Université Fédérale de Toulouse – 13 juin 2019

 

Texte rédigé par Christian Byk, président du comité d’éthique des sciences de la Commission nationale française pour l’UNESCO et président du Comité international de bioéthique de l’UNESCO.

« Ma mémoire conserve encore avec une netteté photographique l’image de la chaire et du cahier de classe sur lequel nous ne cessions de loucher parce que nos notes y étaient consignées », Stefan Zweig (traduction Dominique Tassel, Le Monde d’hier, Gallimard, 2013, page 64).

Si pour beaucoup d’entre vous l’UNESCO n’est qu’un acronyme bien difficile à déchiffrer et la Commission française pour l’UNESCO une grande inconnue, en revanche, la place que la science et les techniques prennent dans nos vies individuelle et sociale est une réalité qui nourrit et transforme avec célérité aussi bien les disciplines scientifiques que les sciences sociales et humaines.

Nous sommes entrés dans une période que les plus optimistes pourraient qualifier d’olympiade des sciences parce qu’elle s’inspire de la devise olympique : « Citius, Altius, Fortius » (« plus vite, plus haut, plus fort »). Quant aux plus pessimistes, ils nous annoncent une nouvelle apocalypse, nous avertissant que nous jouons à la roulette russe avec l’humanité et la planète ;


Pour ma part, je me contenterai de l’expression que Gilbert Hottois, remarquable et discret philosophe des sciences, que nous venons de perdre un an après le décès de Jean Gayon, a étudié et développé, celle de « technoscience ». La technoscience marque, en effet, le passage, à partir de la fin du XX ème siècle, de la « Big science », résultant de la seconde guerre mondiale, à « la focalisation sur les produits et les artefacts, sur les actions transformatrices de la nature et de la société » (G.Hottois, « La technoscience : de l’origine du mot à ses usages actuels », Recherche en soins infirmiers, 2006/3 (N° 86), p. 24-32), faisant de la technoscience un enjeu qui nous concerne tous, dans une diversité, voire une complexité, de pratiques, de cultures et d’interrogations, parfois angoissantes et souvent sans réponse unitaire malgré la mondialisation. C’est pourquoi « le monde décrit par les technoscience studies n’est guère réjouissant » (G.Hottois, op.cit.)

C’est précisément « la nature pluriel et conflictuel de la technoscience » (G.Hottois, op.cit.) qui justifie qu’au niveau international, l’Organisation des Nations Unies en charge de l’Education, de la Science et de la Culture mobilise sa capacité de transversalité disciplinaire pour élaborer des politiques susceptibles de se diffuser universellement et de s’insérer dans l’idée que la science et la technique doivent, par leur dimension sociétale, contribuer au projet d’un développement durable.

Les chaires UNESCO sont un outil essentiel d’une action qui ne peut simplement être normative et, si elles ont pour but d’augmenter la capacité institutionnelle pour élaborer des politiques, elles doivent aussi disséminer des connaissances et participer par leurs recherches à une meilleure compréhension, dans toutes les couches de la société, du sujet qu’elles étudient.

C’est à la Commission nationale française pour l’UNESCO, instance qui associe des représentants des pouvoirs publics, du monde académique et de la société civile, qu’il revient de proposer à l’UNESCO la création de nouvelles chaires.

A cet égard, nous sommes particulièrement fiers que l’Université fédérale de Toulouse se voit attribuer la première chaire mondiale créée sur le thème de l’éthique des sciences et des techniques. Fidèlement enracinée dans l’histoire depuis 1229, l’Universitas magistrorum et scholarium Tolosiensis s’inscrit ainsi pleinement dans le monde présent et futur, qui nous impose de dégager des perspectives à partir de l’histoire et de nos connaissances. C’est à la diversité de ses formations, à ses réseaux et à sa capacité de dialogue entre chercheurs et, plus largement, avec la société dans laquelle ils vivent qu’elle le doit.

L’ambition et l’audace que je souhaite à cette nouvelle chaire me conduisent à citer un auteur qui vous paraitra peut être incongru pour la cause que nous célébrons aujourd’hui mais qui, indirectement, nous rappelle que l’esprit de la présente chaire est celui du questionnement, de la pluridisciplinarité et de l’ouverture aux cultures du monde. Joseph Proudhon , faisant allusion à d’autres temps, écrivait ainsi (De la Justice dans la Révolution et dans l’Église, tome I, p.70) :
« Nous sommes arrivés, de critique en critique, à cette triste conclusion : […] ; que tous ces mots Droit, Devoir, Morale, Vertu, etc., dont la chaire et l’école font tant de bruit, ne servent à couvrir que de pures hypothèses, de vaines utopies, d’indémontrables préjugés ; […] ».

Nous avons pleinement confiance que la Chaire UNESCO Ethique, Science et Société réponde aux exigences de recherche, d’enseignement et de partage qui, confrontées au numérique, obligent à réinventer le métier d’enseignant comme le soulignait si bien Michel Serres. Mais la devise de la ville de Toulouse n’est-elle pas « Per Tolosa totjorn mai » (« Pour Toulouse, toujours plus ») ?

Article entier repris depuis le site de la Commission nationale française pour l’UNESCO