Sur quels aspects la description de Kolia insiste-t-elle ?
« Je sentais se dégageant de Kolia, de ses joues arrondies, de ses yeux myopes, de ses mains potelées, une douceur, une bonhomie… J’aimais l’air d’admiration, presque d’adoration qu’il avait parfois quand il regardait maman, le regard bienveillant qu’il posait sur moi, son rire si facile à faire sourdre. Quand il voulait, dans une discussion avec maman, marquer son désaccord, il employait toujours, d’un ton gentiment impatient, ces mêmes mots : « Ah, laisse cela, s’il te plaît » … ou : « Ce n’est pas du tout ça, rien de pareil » … sans jamais de véritable mécontentement, l’ombre d’une agression. Je ne saisissais pas bien ce qu’ils disaient, je crois qu’ils parlaient le plus souvent d’écrivains, de livres… il m’arrivait d’en reconnaître certains qui figuraient dans mon « quatuor ».
Ce qui passait entre Kolia et maman, ce courant chaud, ce rayonnement, j’en recevais, moi aussi, comme des ondes… »
Cette description passe rapidement sur les éléments physiques (lignes 1 et 2) et s’intéresse surtout à son caractère et à la manière dont l’enfant le perçoit :
– C’est une personne toujours calme, douce et bienveillante (Cf. le champ lexical « douceur, bonhomie, regard bienveillant, rire facile »)
– Même lorsqu’il n’est pas d’accord, il sait l’exprimer sereinement (« d’un ton gentiment impatient » ; des paroles mesurées « laisse cela, s’il te plaît » – un ordre, mais avec une formule de politesse ; « sans jamais de véritable mécontentement, l’ombre d’une agression » : importance de la négation !)
– il est amoureux (« air d’admiration, presque d’adoration quand il regardait maman »)
– l’enfant apprécie cet homme calme et qui aime sa mère (« j’aimais » ; « ce courant chaud, ce rayonnement, j’en recevais, moi aussi, comme des ondes »)
Quel incident est raconté ici ? Que révèle-t-il des relations entre la mère et l’enfant ?
Sarraute raconte ici un épisode de sa vie qui l’a marquée :
Sa mère et son beau-père jouent, et l’enfant s’interpose. Sa mère l’écarte.
Il n’y a pas eu de violence de la mère. La violence est dans la réaction de l’enfant et son ressenti.
Quand on sait que sa mère va finir par l’abandonner à son père pour suivre son mari, on comprend mieux cet épisode qui contient en germe cet abandon.
La mère a déjà choisi entre sa fille et son nouveau mari.
Quel est le lien entre ce texte et le titre du parcours ?
– Ce texte est extrait d’une autobiographie. Sarraute auteure (83 ans) (soi-même) raconte ce qu’elle a vécu enfant (une autre). Elle fait revivre ce qu’elle a été mais qu’elle n’est plus. Cela correspond bien à l’idée contenue dans ce parcours « soi-même comme un autre ».
– Elle rédige d’une manière originale sous forme d’un dialogue avec elle-même : l’une plus naïve et l’autre plus réaliste. Elle doit ainsi se mettre à la place de deux autres.
– Enfin elle cherche à décrypter les paroles de la mère, à comprendre ses sentiments. Encore une fois elle se met à la place d’une autre.
Comment transparaissent les deux regards : Sarraute enfant et Sarraute adulte ?
Elle écrit sous la forme d’un dialogue mais les deux interlocuteurs correspondent à la même personne, simplement avec une vision différente, l’une plus naïve que l’autre. Peut-être que l’une correspond plus au regard de l’enfant tandis que l’autre correspond au regard de l’adulte.
Proposition de problématique :
Comment Sarraute observe-t-elle un épisode de son passé pour en faire surgir la vérité ?
Tableau d’étude du texte :
Interprétation | Citation | Analyse |
La narratrice raconte un épisode passé, lié à son enfance. | 1ère ligne : « maman, je »
« faisaient » |
Emploi 1ère personne sg + désignation enfantine « maman » sans déterminant + imparfait |
La narratrice s’exprime d’une manière simple, enfantine. | Lignes 1 à 3 | Succession de propositions courtes, juxtaposées ou coordonnées par « et ». |
Elle raconte ce qui s’est passé, mettant en valeur les relations entre les personnages. Sa mère et son beau-père, très complices, jouent. Elle veut participer mais est écartée par sa mère. | Lignes 1 à 3 : faisaient, s’amusaient, j’ai voulu, j’ai pris, elle m’a repoussée » | Nbx verbes d’action
et jeu des pronoms (« ils, elle, je, m’ ») |
La narratrice rapporte au discours direct les paroles de la mère, preuve qu’elles l’ont marquée, puisqu’elle ne les a jamais oubliées. | l.3 « Laisse donc … même parti » | Discours direct |
Une deuxième voix interrompt la première et poursuit sa phrase.
Elle oppose au geste de la mère décrit par la première voix (« repoussée doucement » l3) la réaction de l’enfant, en inadéquation avec la réalité (irréel du passé) |
l.4 …
l.5 « aussi vite que » « Si elle t’avait repoussée violemment » |
Points de suspension
Comparatif d’égalité Expression de la condition, irréel du passé |
Cette 2° voix laisse sa phrase en suspens, incitant la première à réfléchir sur ce qui s’est passé ce jour-là. | L5 … | Points de suspension
|
La 1ère voix ne remet pas en question les paroles de la 2° mais la concession montre que sa réaction paraît contradictoire par rapport à ce qu’elle a ressenti alors. Elle exprime son ressenti par une comparaison qui veut évoquer la légèreté mais qui évoque aussi la fragilité de l’enfant et sa vulnérabilité. | L6 et 7 « et pourtant »
« sur le moment » « ce que j’ai ressenti » « très léger » « comme le tintement d’un verre doucement cogné » |
Marque de concession
CCT Expression de sentiment Comparaison > léger, fugace mais fragile |
La deuxième voix semble en savoir plus que la première et l’oblige à voir la vérité (cf. l’adv « vraiment »). Elle ne donne pas de réponse mais oblige par ses questions à formuler ce qui a été ressenti enfant. | L8 « crois-tu vraiment ? » | Interrogation totale adressée directement « tu » à la première voix |
La 1ère voix, qui correspond plutôt à l’enfant, cherche à exprimer le plus exactement possible ce qui a été ressenti. Pour elle, la réaction de sa mère exprime une bonne intention (rassurer sa fille). Cela transparaît dans le jeu des pronoms, dans le choix des mots « elle a voulu me rassurer » ainsi que dans la traduction des paroles de la mère :« ne crains rien ». | L9 à 11 « semblé, pensé, voulais, croyais, rassurer, crains »
« maman, la, elle »/ »je, me » |
Champ lexical des sentiments
Jeu des pronoms |
Avec ses questions, la 2° voix, qui correspond plutôt à la narratrice adulte, met en doute ce qu’a dit la 1°. Est-ce bien la vérité ? | L12 « Et c’est tout ? Tu n’as rien senti d’autre ? » | Interrogations, interro-négation pour la 2° |
Elle oblige à ouvrir les yeux sur la vérité, sur ce qui s’est réellement passé | L12 « mais regarde… » | impératif |
Elle propose ensuite sa propre version des faits, au présent pour que cela paraisse plus réel, plus vrai, reprenant les paroles de la 1° voix, mais traduisant différemment les paroles de la mère. | L12 à 15
L13 « font semblant de se battre/ « faisaient semblant de lutter » l1 « tu enserres de tes bras la jupe de ta mère » l14 / « j’ai passé mes bras autour d’elle » l2 |
parallélismes |
Selon la 2° voix, la mère n’a pas apprécié l’intervention de sa fille. | L15 « l’air un peu agacé » | Expression d’un sentiment d’impatience et d’énervement |
La première voix reconnait que la 2° voix a raison, ce qui l’amène à exprimer elle-même la vérité : elle gênait. | L16 et 18 « c’est vrai » + « dérangeais, immiscer, insérer » | Verbes désignant une gêne, une interruption |
La 2° voix accompagne la 1°, la pousse à aller plus loin dans l’analyse de ce qui s’est passé. | L17 et 19 « allons, fais une effort » « continue »
+ points de suspension |
Verbes à l’impératif |
Avec hésitation, la 1° voix finit par analyser que pour sa mère elle était de trop.
Le « je » narratrice enfant se désigne comme un « corps étranger », mettant ainsi l’accent sur ce qu’elle représente réellement pour sa mère. |
L20 « j’étais un corps étranger … qui gênait… » | Points de suspension
Sujet /attribut du sujet |
La 2° voix rebondit sur les paroles de l’enfant, soulignant la vérité enfin atteinte, et allant encore plus loin à travers une métaphore : il faut éliminer le corps étranger > un jour sa mère l’abandonnera. | L21 à 23« corps étranger »
« Oui » « c’est cela »
|
Répétition
Formules d’acquiescement Métaphore filée du corps étranger éliminé par l’organisme |
La 1° voix refuse d’aller si loin. Dans la fin du chapitre, la 2° voix reconnaitra que l’enfant n’a pas pu penser cela, mais qu’elle en aura eu comme une vision fugace. | L24 « non »
« je ne l’ai pas pensé » |
Formule de refus
négation |
Conclusion
C’est donc le dialogue de ces deux voix qui permet à l’auteur de faire apparaitre la vérité sur des souvenirs lointains. Ces deux voix, qui représentent toujours Nathalie Sarraute, désignent plus exactement deux parts d’elle-même. L’une correspond plutôt à l’enfant qui vit des événements avec toute sa sensibilité, mais sans vraiment avoir conscience de toutes les implications de ces événements. L’autre correspond plutôt à l’adulte, qui peut avoir un regard plus critique sur les événements, ayant une vision plus globale (elle sait ce qui est arrivé ensuite ; sa mère s’est éloignée d’elle, comme un abandon). De ce fait ce texte illustre bien le thème soi-même comme un autre, l’auteure âgée cherchant à découvrir la vérité sur son enfance, en observant ce qu’elle était petite. On retrouve cette recherche de vérité, mais sous une autre forme, dans Les mots de Sartre.
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