Un pasito pa’lante María

J’ai essayé à certains endroits de ce blog d’expliquer en quoi consiste l’expression ‘cargar la suerte’ mais il me semble que quelques précisions s’imposent.

Dans l’ancienne manière de « charger la suerte », qu’on ne voit plus depuis belle lurette, il était indispensable de laisser le toro à une distance suffisante, avant de l’appeler puis (en deux temps donc) d’avancer la jambe de sortie, pour lui permettre de changer sa trajectoire avant de l’envoyer vers l’extérieur. Si, au contraire, on prend le sens le plus communément admis d’avancer la jambe de sortie sur la trajectoire de l’animal au moment du cite, ce qui est ensuite fondamental c’est de conduire la charge du toro pour l’emmener derrière la hanche et non de le conduire vers l’extérieur car dans ce cas la charge ne serait pas déviée et l’homme n’aurait pas pesé sur l’animal. Car là se trouve l’essentiel, rappelons-le, plus que dans la position de la jambe : de tous temps ce concept revenait à peser sur la charge de l’animal en lui imposant une trajectoire et qu’en ce sens il est possible de « charger la suerte » même avec le « compas » fermé autant que de ne pas la charger avec celui-ci ouvert.

 

Bolívar, fuera de cacho, ne charge pas la suerte malgré le compas ouvert

Dans cet exemple, Robleño, avec un toque vers l’extérieur, ne charge pas la suerte

Si je reconnais qu’il s’agit là (je parle de l’acceptation la plus répandue) de la manière classique par excellence je ne lui concède pas, comme aux concepts de parar, templar, mandar et ligar, la catégorie de canon.

Partisan du classicisme je reconnais aussi à d’autres formes de toreo leur valeur. Il me semble d’ailleurs que les dogmes conduisent à des aberrations, je veux parler de ces « carga la suerte » criés à tous vents dans les arènes, ‘me cago en la má’. Rappelons qu’il est impossible de « charger la suerte » avec tous les toros, qu’il faut un animal avec un minimum de franchise et bien-sûr de force pour le supporter, et que l’exiger systématiquement comme font certains reviendrait à sacrifier le plus vaillant des toreros. Mais ceux qui veulent cela se complairont dans leur idée qu’il n’y a plus de bons toreros.

Pour ce qui est de mettre la jambe de sortie en arrière, si ce n’est pas ma tasse de thé il faut me semble-t-il distinguer si cela s’utilise comme un recours et pour réduire la distance des cornes ou si, comme c’est parfois le cas, c’est pour mieux embarquer le toro, allonger la charge et permettre la liaison des passes. Dans ce cas le torero ne décharge pas la suerte car lorsque les cornes se rapprochent de la jambe de sortie il place le poids du corps sur cette jambe. De plus, à choisir, je préfère le toreo enchaîné où la distance se réduit normalement et où le mérite est souvent le plus grand à la troisième passe qu’un torero qui comme dans le cas premier avance la jambe pour l’emmener vers l’extérieur ou ne donner qu’une passe orpheline.

Perera appuie ici sur la charge malgré la jambe légèrement en arrière : d’une certaine manière, il charge la suerte

C’est d’ailleurs ce que rappelle André Viard dans sur son site de Terres taurines : « De la même manière, décharger la suerte ne signifie pas tenir la jambe de sortie en retrait en cours de passe, ce qui, même dans le toreo néo-classique peut se produire quand les passes sont liées entre elles et qu’il s’agit pour le torero d’accompagner le toro sur la trajectoire la plus longue possible. Décharger la suerte, comme l’explique José Mari Manzanares, c’est se placer en marge de la trajectoire du toro, fuera de cacho, et provoquer le toro sur sa corne contraire, même si on a ostensiblement avancé la jambe. »[1]

Arrêtons de tout voir en noir ou en blanc et évitons cette manie du soupçon envers le torero qui confine au mieux à une méfiance envers son espèce au pire à une certaine paranoïa qui serait la marque du soi-disant bon aficionado. Mais ces idées sur la capacité des toreros à utiliser des trucs pour nous tromper ne sont-ils pas l’aveu d’un manque de clairvoyance ? Plus que la certitude, le doute est la marque d’un début de savoir. Analysons chaque faena dans son unité et méfions nous des charias ou des paroles d’évangile ainsi que des discours évoquant une pureté trop absolue.


[1] Comprendre la Corrida/Techniques du toreo sur l’Encycopédie en ligne de Terres taurines.



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