Fév 14 2015

Toristes et toreristes (II)

LES AFICIONES

La carte taurine européenne a une claire division est-ouest avec quelques exceptions tout de même. Dans le centre et le nord de l’Espagne ainsi que dans le sud-ouest français le public est majoritairement « toriste » avec des nuances plus ou moins importantes. En revanche dans le sud, la côte méditerranéenne et dans le sud-est français la sensibilité est plutôt « toreriste » là aussi avec un certain nombre de nuances. Je vais prendre 5 exemples, 5 manières de voir la tauromachie :

Valence : cette ville est la capitale du Levante (toute la façade méditerranéenne) où il est de mise de faire une pause au milieu de la corrida pour faire un goûter (souvent salé et arrosé). L’esprit y est festif, superficiel peut-être, généreux sans doute envers les toreros. Le toreo varié et enjoué y est particulièrement apprécié et les élevages les plus durs peu programmés.

Séville : dans les interviews il est souvent coutume de demander aux toreros s’ils préfèrent Madrid ou Séville, considérées comme les deux arènes les plus importantes d’Espagne. Certains grands toreros ont été ‘torero de Séville’ (Pepe Luis et Manolo Vázquez puis Curro Romero ont été les 3 toreros dans lesquels elle s’est sentie incarnée ces 70 dernières années) ou ‘torero de Madrid’ (par exemple, Paco Camino, bien que sévillan, était plus un torero de Madrid). Au-delà de son rôle premier dans l’histoire de la tauromachie moderne et contemporaine ou d’une histoire de rang, c’est sa sensibilité et sa conception de la tauromachie qui la singularise. Ici le temple est la base de tout, même de la domination. Elle raffole également des détails inspirés. De réputation « toreriste », elle est de plus en plus décriée par les ultras pour son toro harmonieux mais respectable (voir faena de Manzanares lors de feria de San Miguel 2012). Le toro de Séville (mais on peut toujours critiquer certains exemplaires qui sortent en-dessous du trapío exigé comme les 2 premiers de la corrida d’El Pilar pour l’alternative d’Esaú Fernández en 2011) ne va pas dans la course effrénée pratiquée depuis quelques années dans certaines arènes au toujours plus haut, plus gros, plus lourd, plus armé. Ceci dit sur les deux semaines de la feria d’Avril au moins 4 ou 5 fers qu’on compte parmi les plus difficiles sont toujours annoncés même si ce chiffre a tendance à baisser depuis le début de l’ère Canorea. Le niveau d’exigence est peut-être inférieur à celui de Madrid mais le fait de couper 3 oreilles pour triompher rendent les sorties par la mythique Porte du Prince assez exceptionnelles, permettant une répercussion importante. D’une taille relativement modeste pour des arènes de première catégorie (c’est aussi la plus ancienne avec un peu moins de 13 000 places) ses gradins se divisent actuellement et à mon sens en 3 parties : les tendidos 1 et 2 en particulier (3 et 4 en partie), qui essaient de faire respecter le traditionnel silence d’attente de ces arènes et vont aux « toros » comme on va à l’opéra, sont composés majoritairement de familles taurines (le pourcentage d’éleveurs et de toreros de la région est plus élevé que n’importe où ailleurs) et le reste des arènes est partagé entre spectateurs plus ou moins aficionados selon les affiches et les touristes, notamment étrangers, étant une destination très prisée. Faire jouer la musique pour une série de passes de cape remarquable y est une tradition, ce qui n’empêche pas que les picadors y soient encore régulièrement applaudis.

Madrid : objectivement les premières arènes d’Espagne, le toro y apparaît imposant mais souvent trop volumineux sous la pression du célèbre tendido 7. Elle est considérée comme une ville « toriste » même si pendant le mois de la feria de San Isidro il n’y a tout au plus qu’une semaine réservée aux ganaderías de cette tendance. La sensibilité du public est variée mais dans l’ensemble on peut affirmer qu’il y a un certain équilibre entre les valeurs du nord, en particulier basques et celles du sud, andalouses surtout, ce qui fait que des toreros aussi marqués que Curro Romero ou Rafael de Paula y aient été très aimés (parfois haïs aussi). Si une bonne lidia y est appréciée, c’est avant tout voir toréer que veut Madrid et les toreros besogneux (El Fundi en est un exemple) peuvent y être estimés mais non idolâtrés. Le niveau d’exigence fait que le toro doit avoir un minimum de qualités pour que le torero puisse s’exprimer.  Le tendido 7, très brailleur, a des élevages et des toreros fétiches (José Tomás en est un) et d’autres qu’il ne porte pas dans son cœur (El Juli en fait partie), la passion l’emportant sur la rationalité, les critères peuvent varier. Mais ce que veut voir Madrid ce sont des cites de loin, des passes profondes et enchaînées, les mains basses, bref le toreo classique dans son plus simple appareil.

Pampelune : sa ‘feria du toro’ est appelée ainsi pour les cornes surdimensionnées des animaux qui foulent l’arène (même si certaines corridas de figuras sont moins impressionnantes) et parce que les élevages y sont traditionnellement annoncés avant les toreros. Dans les faits, la moitié de la semaine des sanfermines a un profil plutôt « toreriste ». Le toro de Pampelune est (en moyenne) le plus impressionnant de toute l’Espagne et si ses arènes sont de deuxième catégorie, du 7 au 14 juillet elles sont considérées de première concernant les rémunérations des toreros (il faut y aller !). Les célèbres encierros du matin à 8h attirent une foule cosmopolite où se trouvent beaucoup d’émules d’Hemingway, ce qui en fait une feria médiatisée mondialement. L’exigence y est nettement inférieure à des arènes comme Madrid mais pour un torero il s’agit d’un des 4 endroits où la répercussion d’un triomphe sera la plus importante après Madrid, Séville et Bilbao. Moins sérieuse dans l’ensemble que sa voisine basque, les arènes sont séparées en deux : au soleil, les peñas, habillées en rouge et blanc, qui boivent et chantent et ne fixent leur attention que lorsque le spectacle en vaut vraiment la peine (une ambiance absolument unique), à l’ombre un public beaucoup plus sérieux et attentif. Dans l’ensemble, comme dans le reste du nord de l’Espagne (le substrat de la tauromachie basquo-navarraise est là), le public apprécie les toreros vaillants et complets et il aime bien ce qui est spectaculaire (le toreo à genoux par exemple et ce n’est pas pour rien si Padilla a été une idole à Bilbao) tout en sachant apprécier le bon toreo. Il est souvent très pointilleux sur la position de l’épée.

Peñas imbibées (c’est un pléonasme)

Vic Fezensac : arènes de moins de 7000 spectateurs où un triomphe peut permettre à un torero obscur de se faire connaître mais où la répercussion sera sans commune mesure avec les précédentes. Elle est néanmoins la capitale du « torisme » à la française, une des 7 grandes arènes françaises et sa feria de la Pentecôte est une des 25 plus importantes du circuit franco-espagnol. Le public, constamment à la défensive, y manque souvent de sensibilité, en particulier artistique. Le toro de Vic n’a souvent rien à envier à celui de Pampelune (l’influence basque est indéniable) ou de Madrid et ici la lidia prime sur le toreo. De plus la suerte des piques a la primauté sur les autres. Ici on ne fait pas de concessions et les figuras n’y vont généralement pas (d’ailleurs on n’est pas prêt à leur payer leurs cachets exorbitants).

N.B. : Le paragraphe ‘Artistes et lidiadors’ dans la page Canons, manières et styles (clic) peut compléter cet article.


Mar 27 2013

Au pays des toros (4)

A quelques jours de l’ouverture de la saison à Séville pour le corrida du Dimanche de Résurrection, une des plus prestigieuses de la saison, un petit tour s’impose du côté de la capitale andalouse qui vit actuellement, plus encore que pendant sa feria, sa semaine faste. Voici quelques endroits souvent méconnus des touristes, même taurins :

Dans le quartier de Triana, rue Castilla, se trouve un des bars taurins les plus anciens de l’ancienne Hispalis : le Sol y Sombra, tapissé de vieilles affiches.

Le film Blancanieves a ressuscité les arènes de La Monumental de Séville (La Colosal dans le film). Ce projet désiré par « Gallito » n’a été une réalité qu’entre 1918 et 1921 avant d’être détruite por, dit-on, des problèmes de structure. Elle pouvait contenir 23 000 spectateurs.

Voici ce qui en reste face aux jardins de la Buhaira du quartier de San Bernardo, de l’autre côté de l’avenue Eduardo Dato : la porte des quadrilles.

Tout près de Séville se trouve Camas, le village de Curro Romero et de Paco Camino. Le premier y conserve une peña dynamique où les joueurs de dominos n’interrompent leur partie que pour regarder les corridas diffusées par Canal+ Toros.