Gros Oeuvre

 Gros œuvre est un roman de Joy Sorman publié en 2009. Ce roman traite du logement et nous pose la question : qu’est-ce que signifie réellement habiter ?
Dans ce roman Joy Sorman nous parle et nous décrit différentes expériences d’habitations personnelles, rapportées ou même fictives qui montrent la nécessité d’un abri et les nombreuses formes que ce dernier peut prendre, mais aussi comment nous influençons ou comment le logement influe sur nous.
 L’auteure nous décrit très précisément chaque histoire, chaque vie et leur évolution, elle porte également un regard critique sur les lois, le gouvernement et la société.  Elle décrit les matériaux et leurs propriétés, cela nous pousse à comprendre l’influence de l’habitation sur nos vies et donc la pauvreté de ceux qui n’en ont pas.

 Qu’est-ce que signifie réellement habiter ?

     Dans le premier texte, Être un castor, elle parle d’un homme qui construit sa maison, il souhaite avoir un abri, un « chez soi ». C’est à ce moment là que l’auteure nous pose la question de qu’est ce qu’habiter et à quoi cela sert. « Je suis là : là, là, ou là, enfin quelque part, je m’y tiens, il faut bien que j’occupe l’espace, je l’occupe de toute façon, il faut bien que j’en fasse quelque chose, que je l’habite ; habiter c’est imprimer ma forme — mes contours précis, humains, mon ventre rebondi, mes épaules tombantes — à un espace indéterminé, vide avant moi. » p.10-11.

     Dans le dernier texte La conquête de l’Ouest elle nous raconte une histoire totalement opposée avec des jeunes qui aménagent les espaces vides, en tentant la vie en collectivité avec des besoin rudimentaires en vivant sur des échafaudages de façon temporaire  Ils sont joyeux et ne gardent que de bons souvenirs de cette expérience. « Habitat rudimentaire, non pas habitat d’ailleurs mais structure, emprise géométrique au sol, première trace d’un édifice à venir, modélisation en 3D, échelle réelle, de là où nous allons habiter, habiter dans un échafaudage, planchers métalliques surélevés, passerelles en hauteur, un échafaudage est comme un immeuble HLM, empilement de cubes à vivre uniforme, HLM dont on aurait fait tomber la façade, les murs, le toit, dont il ne resterait que des lignes et l’assemblage, les traces de l’habitat collectif. » p.168-169.

     Dans Devenez propriétaire, elle nous raconte en quelque sorte, de façon parodique, l’histoire du début de la propriété à travers des mythes, elle se moque des problèmes de la société, elle veut revoir les lois de propriété. « Être propriétaire c’était simple, il suffisait de creuser un trou, planter une barrière et voilà ; une pelle, un pieu et voilà. Si c’est à personne ça peut bien être à moi, éventuellement, comme à tous les autres. » p.29.

     Dans Célibataire I, elle réfléchit à la vie vagabonde, elle dit qu’elle achète un mobile home et se pose dans une ville en ruine, elle veut explorer une nouvelle sorte de vie. « Qui ça dérange ? Personne. Ça peuple, urbanise, occupe, ça vit. Pourquoi laisser des trous de solitude et de silence ? Pour qu’on tombe dedans ? » p.44.

     Dans La vie tzigane, on retrouve une histoire similaire d’une femme qui a passé sa vie à exercer un métier difficile pour pouvoir à sa retraite habiter un camping-car, pour pouvoir enfin habiter un endroit à elle avec une intimité respectée, dans ce texte elle dénonce l’argent excessif que nous devons avoir pour se loger. « Ce camion est une maison de vieux finalement, une maison pour une vieille comme moi avec son chien, une maison automatisée, insonorisée et sécurisée. » p.122.

     Ce besoin d’argent on le retrouve dans Mauvais témoin où des personnes essaient d’aider des SDF en leur fabricant des cabanes rudimentaires et éphémères qui sont détruites très rapidement. Ici se pose le problème de propriété pour installer une cabane ainsi que des problèmes politiques et de société qui veulent cacher les plus démunis. « il y a toujours, des bidonvilles ; il y eut aussi des tentes le long du canal Saint-Martin, il y a de l’habitat de fortune, de la débrouille, sous des ponts, sur des cartons. Des maisons pour rien, des machins bricolés, qui apparaissent disparaissent, qui isolent à peine, protègent que dalle, ferment pas à clé, ne résolvent rien, sont déjà ça, dérangent le bel ordre citadin, qui ne tient jamais très longtemps ; dans les villes l’ordre heureusement ne tient jamais très longtemps. Ces cabanes en carton larguées dans paris sont des niches humaines » p.137.

     On retrouve également cet aspect dans Cabanes Calais, elle y parle des migrants, des problèmes de logements, elle dénonce les mauvais traitements, elle explique comment on passe d’un abri temporaire, rudimentaire à une installation fixe avec le temps, contrairement au texte la Conquête de l’Ouest ici ils n’ont pas choisi cette vie et en souffrent. Elle nous montre les problèmes de confort et de sécurité, elle nous montre que l’on peut être enfermé à l’extérieur. « Habiter c’est juste se couvrir la tête, s’isoler d’un sol boueux et froid, quelques centimètres au-dessus de la terre humide et carré de plastique pour se protéger, se désolidariser du ciel. » p.75.

     Cet enferment on le retrouve dans le texte Célibataire II mais cette fois-ci à l’intérieur, un cadre de Tokyo ne peut pas rentrer chez lui, il dort dans une capsule rudimentaire, où dormaient les forçats, il s’y sent enfermé, la pièce influe sur sa personnalité, il en devient fou et nous montre que le bien être dans une habitation est essentiel, rien ne lui ressemble dans cet endroit où il ne se sent pas à l’aise et ne peut pas l’aménage à sa façon. « Habiter seul dans cette cellule suspendue où tout est soudé, intégré, d’un seul tenant, comme pour éviter tout accès de folie, balancer son lit par la fenêtre et soi avec. » p.50.

     Dans Gros œuvre, l’habitant transforme sa maison en l’habillant entièrement de carreaux blancs, ce travail de personnalisation est puissant mais il veut atteindre son but, faire que sa maison devienne une œuvre d’art, la personnaliser, l’améliorer pour qu’elle lui appartienne. Mais il en devient fou car dans ce cas également l’habitation a de l’emprise sur l’habitant, il est comme prisonnier, possédé. On voit l’évolution de la pensée de l’homme, on a ses ressentis, ses remises en question et enfin l’aboutissement à la destruction de cet édifice qui le tenait. « Il faut imaginer cette maison d’ordre, sa folie apaisante pour l’esprit, l’état de crise de l’artiste. Ou se procurer des photos. On verra qu’on arrive au même résultat. Tant cette maison est simple et autoritaire. Il faut imaginer y vivre, y respirer. On a du mal, gorge serrée, on tousse, on crie, y’a quelqu’un ? » p.63.

     En chantier est un texte dans lequel un ouvrier architecte a décidé de faire l’inverse de sa première vocation, il ne cherche plus à construire mais il démolit, il creuse les murs des maisons abandonnées, fait des formes artistiques, il donne un côté esthétique et artistique à un monument en ruine, un monument que personne ne veut voir, que l’on essaie d’oublier. Il dénonce l’inutilité des murs et vit sur son chantier . Il s’y donne corps et âme pour achever son entreprise tout comme dans le texte Gros œuvre. « Les murs tombent aussi facilement que des parois polystyrène, maison maintenant dénudée, murs protecteurs abattus, enfin ouverte, qui se laisse voir par la rue, par tout le monde. Maison collective, entrée libre. Plus de frontière, plus de seuil entre bâtiment et ville. » p.144.

     Dans Ouvrier perché, l’homme qui réalise des travaux, est couvreur, il effectue son travail dans Paris et ne trouve aucun logement adéquat (dans son budget et près de son lieu de travail) alors il dort sur place clandestinement. Il ne peut donc pas espérer une vie de famille. « Samir habite un algeco de chantier, pas toujours le même, habite l’algeco du chantier où temporairement il travaille. À l’œil, au chaud, il squatte. La nuit, le week-end, il y reste, s’y enferme en clandestin ; se fait discret le soir au moment de la ronde des gardiens, se cacher dans un vestiaire, et attendre. Samir a vingt-trois ans, pour le moment vivre dans un container lui va. » p.109-110.

     Dans Habitation Machine non plus il n’y a pas de place pour la famille, ici aussi Joy Sorman replace un contexte historique, celui de la seconde guerre mondiale où des soldats allemands doivent habiter en collectivité dans un bunker, ils s’y sentent enfermés, en insécurité, c’est la guerre. Ce bâtiment ne répond à aucun critère de confort, il doit être invisible et solide, il est triste et vide, les soldats s’y sentent seuls malgré la communauté.  « Il a songé une nuit à tout faire sauter, allumer en réseau grenades à main, lance-mines, lance-grenades, barils de poudre, munitions, fusils, canons, mitrailleuses et même ventilateurs, citernes à eau et groupe électrogène, et faire sauter tout ça. Voir si le bunker résiste, qui est censé résister. Voir si l’explosion est contenue à l’intérieur du bloc de béton blindé, si elle s’échappe en gerbes par le périscope qui surmonte la coupole d’acier de l’observatoire, voir si l’acier fond. » p.162.

     Dans Du béton le bâtiment étudié est le siège du parti communiste, entièrement en béton, il a une architecture précise qui sert aussi à se fondre dans le paysage tout en s’en démarquant par sa posture imposante. Ici c’est d’une habitation impersonnelle dont nous parle l’auteure, un bâtiment qu’elle apprécie particulièrement pour diverses raisons, elle montre un endroit politique, sécurisé qui lui rappelle de nombreux souvenirs qu’elle met en lien avec les nôtres. « Demandez vous, de toutes les pièces que vous avez non pas seulement habitées mais où vous vous êtes tenu, laquelle a votre préférence, dans laquelle seriez-vous resté le plus longtemps, vous êtes-vous senti le mieux. » p.94.

 Avec ces nombreux exemples, Joy Sorman dénonce de nombreux problèmes et nous montre la multitude de définitions que l’on peut donner au fait « d’habiter ». Par la même occasion elle critique notre société actuelle ainsi que la politique et le besoin absolu d’argent pour vivre car oui sans argent et sans abris on remarque que l’on ne vit plus on survit simplement comme l’on peut, dans la clandestinité, le mépris des personnes qui nous entourent, le besoin permanent et l’insécurité.

     J’ai fortement apprécié ces récits car ils traitent de thèmes d’actualité, de problèmes réels et nous poussent nous même à nous poser des questions sur ce qu’est vraiment « habiter », quelle définition nous en avons  et comment nous, nous habitons un milieu.

     En lisant ce livre on se remet en question nous et la société qui nous entoure, on ne sait pas réellement si les histoires racontées sont réelles mais peu importe au final car ce qui compte c’est comment  nous allons utiliser ce livre : comment nous allons chacun interpréter chaque histoire, comment peut-être nous allons changer notre définition du verbe « habiter », peut être allons nous remettre en question notre manière d’habiter et pourquoi pas, alors la changer.

Marjorie

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Suite à la lecture de votre livre Paris Gare du Nord nous avons tenté de réaliser un travail similaire, c’est à dire se placer dans un lieu de passage et observer, analyser ce qu’il se passe et écrire. Pour ma part, j’ai choisi de réaliser mon travail dans le bus. J’ai donc pris le bus tous les matins et tous les soirs pendant une semaine, comme à mon habitude, mais cette fois-ci avec un cahier sur lequel je notais tout ce que je pouvais observer et tout ce que cela m’évoquait. Pour vous donner un aperçu de ma production voici trois passages extraits de celle-ci :

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LUNDI 5 MARS 2018,   17h23

Autre univers

  Contrairement au matin, à cette heure-ci le bus est très agité, il est rempli, toutes les places sont occupées, il ne doit en rester que trois ou quatre, impossible de s’entendre parler. Les gens qui ont encore une place seule veulent à tout prix la garder, ils mettent sur la place à côté d’eux leur sac, leur manteau, leurs jambes pour certains, jusqu’à ce que le bus s’arrête de nouveau et qu’une nouvelle personne monte et demande : « Bonjour, je peux m’asseoir s’il vous plait ?  » ou pour un jeune homme moins poli qui s’est assis derrière moi un simple « pardon » suffira.
Le soir, avoir une place, seule, est un privilège dont peu de passagers bénéficient. Une personne qui était assise seule s’apprête à quitter le véhicule, commence une bataille de regard entre trois garçons assis aux alentours de cette place, les trois la veulent. L’homme remet son manteau, prend son sac et descend du bus. Un des trois garçons se lève spontanément, comme pris d’une pulsion et se dirige à la place de l’homme parti. Les deux autres ne tentent même pas de le doubler, ils savent que c’est trop tard, ils finiront leur trajet assis à côté d’un étranger.

MARDI 6 MARS 2018,   7h44

Bonheur

  Le bus est en avance, personne ne dit rien, bizarre, il y a toujours une ou deux critiques habituellement : « je vais être en retard », « il est quelle heure là ?  »
Tout le monde l’a remarqué, l’homme devant moi vient de regarder sa montre deux fois d’affilé. Les passagers ne sont pas plus heureux, ils restent passifs mais pour une fois ils ne râlent pas, tout simplement.

MERCREDI 7 MARS 2018,   7h26

La ville fantôme

  Les gens ont l’air… « vides » ?, des visages morts, inexpressifs, le regard vide et flou comme des robots, des fantômes, des morts vivants possédés par le temps, dès que le bus s’arrêtera à leur arrêt et qu’ils descendront leur regard s’illuminera et ils reprendront conscience et vie. Même le chauffeur semble dans cet état, il ne prononce pas un mot et fixe d’un air obnubilé et stupide la route qu’il suit, tout comme les passagers fixent un point et leur regard n’en dévie plus, ils le tiennent et ne le lâchent plus, une bataille de regards entre eux et du vide, ils sont comme endormis.

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  Durant ce travail je me suis rendue compte de nombreuses choses comme la routine, nos habitudes, le comportement des personnes qui m’entourent et le mien par la même occasion, ce que je ne remarquais pas avant. Ce travail m’a surprise finalement car en analysant comme cela ce qu’il se passe autour de nous, on change de point de vue, on se rend réellement compte de ce qui nous entoure.

Marjorie