Juil 18 2014

Professionnalisme et modernité

Le milieu de la tauromachie est fait d’ombres et de lumières, de choses surannées et d’autres plus en accord avec les temps actuels.

Pour parler des points à revoir concernant une meilleure professionnalisation, l’alternative catastrophique de Mathieu Guillon à Mont de Marsan en 2012 prouve les manques concernant la formation et l’accès au doctorat taurin. Par ailleurs, les encastes minoritaires ont du mal à trouver acquéreur, en partie, comme le suggère André Viard dans son dernier opus, parce que certains novilleros se refusent à les affronter. Si on prend en compte ces différents facteurs ou peut arriver à la conclusion que les 25 novilladas exigées pour prendre l’alternative sont insuffisantes et surtout qu’il faudrait exiger d’avoir toréé un certain nombre de souches différentes comme condition indispensable au bon apprentissage du métier. D’autres ont proposé la création d’une Académie qui déciderait de qui peut prendre ou non l’alternative. Mon ami Dominique Valmary avait quant à lui proposé l’obligation de banderiller pour les novilleros sans picadors.

En tous cas en matière de reconnaissance de la tauromachie les choses avancent. Deux ans et demi après la France, l’Espagne vient d’adopter un projet de loi pour inscrire officiellement la tauromachie à son Patrimoine Culturel. Rappelons que les signatures (plus de 600 000) recueillies pour une ILP (Initiative Législative Populaire) sont à l’origine de cette déclaration. L’objectif premier était d’obtenir une déclaration de Bien d’Intérêt Culturel qui aurait supposé une obligation de protection et non une simple reconnaissance morale. Le 6 novembre 2013 est malgré tout une date historique pour la Corrida mais pour un retour de la « Fête nationale » en Catalogne il faudra attendre la décision du Tribunal constitutionnel, en sachant que la tauromachie fait partie des compétences autonomiques.

Par ailleurs, le ministre de la culture, José Ignacio Wert, a annoncé que l’Espagne allait demander officiellement l’inclusion de la Fiesta nacional au patrimoine immatériel de l’UNESCO.

De plus, le PENTAURO (plan stratégique national  pour le développement et la protection de la tauromachie mis en place à la fin de l’année 2013) a pour ambition de réfléchir pour faire avancer la tauromachie. Il se décompose en 5 axes : qualité, compétitivité, connaissance, communication et coopération et il est constitué de 46 groupes de travail dans lesquels les associations d’aficionados sont sous représentées. Les propositions ne pourront pas compter sur un quelconque financement étatique. Il reste à espérer que les dissensions apparues dans la Mesa del toro, qui était censée donner au secteur une seule voix, s’estomperont.

On sait déjà que certaines mesures vont être prises :

l’inclusion des arènes dans la loi qui oblige les collectivités à investir 1.5% de leur budget dans la conservation du Patrimoine Historique

Celles déjà en places devraient être généralisées :

– par exemple l’attribution de prix au meilleur picador qui est l’une de bases de la revalorisation du tercio de piques

D’autres ont d’autres propositions :

– réduction importante des tarifs pour les jeunes (mesure appliquée mais insuffisante) et baisse des billets les moins chers

– baisse de 20% plus gros contrats en France pour 2012 (on n’en a pas entendu reparler)

– augmentation des contrats des éleveurs (instauration d’un minimum ?)

– diminution de la base salariale des quadrilles

– réduction de la TVA pour les novilladas

– baisse de la location des arènes de la part des pouvoirs publics

– amélioration de l’image de la tauromachie et efforts de communications (certains toreros comme El Juli, Manzanares ou Talavante sont apparus dans les médias télévisuels nationaux)

tentaderos publics avec des scolaires (Perera ou Padilla récemment) et efforts de pédagogie

meilleure formation de tous les intervenants, notamment les présidents et harmonisation des critères pour l’attribution d’une vuelta ou d’un indulto

engagement direct des subalternes par les empresas

obligation généralisée de deux piques et interdiction d’appuyer à la première si le toro ne pousse pas (fin de la monopique) + obligation pour le matador de mettre le toro en suerte

Si d’aucuns ont d’autres idées bienvenu(e)s soint-ils et soient-elles.


Avr 25 2014

Faire face aux dérives terroristes des anti-taurins

Les adversaires de la corrida n’ayant rien obtenu jusqu’ici par des moyens légaux, certains d’entre eux se sont engagés, depuis une dizaine d’années, à l’imitation des sectes animalistes anglosaxonnes les plus extrêmes comme l’Animal Libération Front (ALF), dans la voie du terrorisme. C’est le cas du Comité Radicalement Anti Corrida (CRAC) de Jean-Pierre Garrigues. Son objectif est de créer assez de désordres aux abords des arènes et dans les arènes pour rendre impossible le déroulement du spectacle programmé, et, par ricochet, d’impressionner et démobiliser les aficionados, de s’attirer l’approbation des Bisounours, de lasser les pouvoirs publics… Ça a commencé en 2004, le 22 mai à Alès et le 27 juin à Tarascon, ça s’est poursuivi le 11 juillet 2010 à Céret, par des invasions de la piste avant le paseo et tentatives de s’y enchaîner. Dans ces trois cas, les manifestants en trop petit nombre furent rapidement évacués. Forts de ces premières expériences, dont nous avions alors sous-estimé ce qu’elles portaient de menaces, Jean-Pierre Garrigues et ses troupes préparèrent, avec le soin d’une opération de commando, leur intervention du 9 octobre 2011 à Rodilhan. Reconnaissons qu’ils la réussirent, parvenant à investir illégalement la piste, à empêcher le spectacle, à faire tomber quelques aficionados dans le piège de la provocation qu’ils leur tendaient, et à photographier et filmer le tout. Ils gagnent la bataille médiatique de l’image, d’agresseurs ils deviennent innocentes victimes. Ils déposent dans la foulée une trentaine de plaintes contre les « tortionnaires afiocs ». Bien qu’au nombre d’un millier, les 11 et 12 mai 2013 à Alès,

ils n’impressionnent pas les aficionados qui remplissent les arènes, ils sont contenus par les forces de l’ordre, ils n’empêchent rien. Le 24 août 2013, ils sont 80 à Rion des Landes. Ils parviendront à envahir l’arène d’où ils seront péniblement expulsés par les gendarmes. Ils auront retardé d’une bonne heure le

début de la novillada mais ils ne l’empêcheront pas. Elle se déroulera jusqu’à son terme grâce à la détermination exemplaire du maire, Joël Goyheneix. La FSTF l’en a félicité et lui a décerné son prix « El Tio Pepe ». Le 27 octobre 2013, ils sont 400 à 500 à Rodilhan. Galvanisés par leur gourou, Jean-Pierre Garrigues, ils y dépassent les bornes passant des insultes et des provocations aux violences physiques. Après cette manifestation, une quarantaine d’aficionados ont déposé des plaintes à l’encontre des terroristes du CRAC, l’inverse de 2011. Des manifestants ont été interpellés, l’un d’eux est déjà condamné “pour menace réitérée” à 1000 euros d’amende et dommages et intérêts, d’autres vont l’être.

À Rodilhan, les antis du CRAC ont montré leur vrai visage et commencé à se faire condamner. Jean-Pierre Garrigues, lui-même, est cité à comparaître devant le tribunal de Dax le 24 mars prochain[1]. Ça devient de plus en difficile pour lui. Pour éviter de se mettre et de mettre le CRAC en situation de récidive, il vient, il faut le savoir, de changer de stratégie. En 2014, le CRAC s’affichera moins mais suscitera des mouvements de rue qualifiés “d’actions citoyennes”. Il n’organisera officiellement que trois manifestations, le 31 mai à Alès, le 8 juin à Vic Fezensac, le 9 août à Bayonne. Pour le 20 avril à Arles, il s’en déchargera sur son antenne locale, la BAC (Brigade Anti Corrida Marseille) et pour le 30 août à Carcassonne, sur son antenne audoise, le CAAC (Comité Audois pour l’Abolition des Corridas).Tout le reste s’inscrira dans le cadre de ces “actions citoyennes”, en principe spontanées, donc non déclarées et tout à fait illégales, mais curieusement déjà programmées pour la plupart et dont la liste s’affiche sur le site du CRAC : 16/02/14/ Magescq – 23/02/14/ Arzacq – 09/03/14/Samadet – 26/04/14/St-Martin-de-Crau – 27/04/14/Palavas-les-Flots – 07/05/14/Vergèze – 07/06/14/Nîmes – 14/06/14/Istres – 2 8 / 0 6 / 1 4 / R i e u m e s – 1 7 / 0 8 / 1 4 /Bé z i e r s – 23/08/14/Maubourguet.

Nous avons déjà vu ce que ça donnait à Magescq, Arzacq et Saint-Gilles (qui ne figurait pourtant pas sur la liste). Notre patience va donc être mise à rude épreuve par ces actions sauvages, plus ou moins annoncées, qui vont impacter pratiquement tous les festejos de la temporada 2014. Notre devoir est d’être encore plus nombreux dans les arènes, surtout dans les petits endroits que les terroristes considèrent comme des points faibles. Montrons-leur que nous ne les craignons pas et qu’ils ne nous font pas fuir. Répondons à leurs provocations, par le calme et même par le sourire. Rien ne peut les ennuyer davantage. Par contre, ne nous privons pas de réagir légalement, nous ne l’avons pas assez fait jusqu’ici. Si nous nous estimons agressés ou insultés en public, a fortiori si nous avons reçu des bousculades obstructives, des traumatismes sonores douloureux (trompes de brume à bout portant), des jets de peinture, de lacrymogènes ou de fumigènes, des coups,… portons plainte auprès du Procureur de la République de l’endroit où les faits ont eu lieu. Il est encore juste temps de le faire pour Rodilhan 2013. Les avocats de l’ONCT peuvent nous y aider bénévolement. Et puis, que ceux qui disposent de caméras n’hésitent pas à photographier et filmer sans crainte ces fauteurs de trouble réciproquement à ce qu’ils font à notre égard. Devant les tribunaux, des images peuvent constituer de précieux témoignages. Quant à nos associations taurines, elles risquent d’être amenées à tout moment à entrer en justice. La plupart du temps leurs statuts ne le permettent pas, aussi doivent elles, à l’exemple de ce qu’a fait la FSTF, les modifier pour s’en donner les moyens. Restons surtout optimistes. Les anti-taurins s’enfoncent de plus en plus dans l’illégalité, ils seront de plus en plus poursuivis et condamnés. Leur position deviendra intenable. En six ans d’existence, l’ONCT, dont la FSTF est une composante active, a contré les antis sur les plans judiciaire et politique, a blindé la légalité de la corrida, a obtenu son inscription à notre patrimoine culturel, a défendu victorieusement sa conformité à notre constitution. Il est, aujourd’hui, notre porte-parole auprès du Ministère de l’intérieur. Les autorités ne peuvent perdre de vue que face à des hors-la-loi sectaires, venus très souvent d’ailleurs, nous sommes un peuple taurin, à la fois large et rassemblé, attaché indéfectiblement à sa culture, épris de liberté, respectueux de la démocratie et de la légalité républicaine. Nous aurons l’occasion de le manifester solennellement, le 19 avril prochain à Arles, au cours d’un grand rassemblement unitaire.

 

Jean-Jacques DHOMPS

Membre du Bureau de la FSTF

Vice-président de l’ONCT


[1]Il a été condamné à payer au total 1 700 euros pour injure publique.


Sep 7 2013

Le jargon taurin

Tout domaine a son jargon. La tauromachie utilise comme on pouvait s’y attendre un grand nombre de termes certes espagnols mais plus particulièrement un vocabulaire spécialisé difficilement traductible, à commencer peut-être par la notion de temple. Il est toutefois surprenant de constater que les aficionados aiment utiliser des termes à la traduction pourtant simple : campo, reseña, revistero, ganadería, cartel, tercio

Cependant lorsqu’on ouvre un dictionnaire français certains termes taurins apparaissent : toréer, corrida, matador, torero, banderillero et banderilles, picador, muleta, feria. L’usage de novillada et novillos est aussi très répandu.

D’autres sont entrés dans le langage courant, comme aficionado ou mano a mano.

Il y a aussi un certain nombre de mots francisés : les verbes « lidier » ou « citer » ou l’adjectif « encasté » en sont des exemples caractéristiques. Le verbe « pincher » paraît plus surprenant et disgracieux aussi.

Des termes bien français comme alternative, caste, noblesse ou bravoure ont pour nous une acception différente que celle qu’on peut trouver dans un petit Larousse ou un petit Robert. Il en va un peu de même pour a véronique, la droitière ou la naturelle, les aidées et les changées… Quant au mot grâce, il est de façon surprenante boudé au profit de l’espagnol indulto (sans parler du verbe gracier au profit de l’horrible « indulter »). Il en va de même pour quadrille au profit de cuadrilla. Et pourquoi ne pas utiliser des mots aussi simples que clore ou achever à la place de l’hispanisme « remater ».

Il existe aussi un certain nombre d’expressions taurines : prendre le taureau par les cornes, se jeter à l’arène, recevoir une pique…

Nos instances (FSTF, ONCT, Union des bibliophiles, presse spécialisée…) devraient proposer à l’Académie française au moins deux mots, pas plus, les deux que je me refuse à mettre en italiques tant ils me paraissent essentiels : toro et toreo.


Juin 15 2013

Le mérite et le résultat

Lors de la dernière San Isidro, à la fin de la lidia de son second toro de Cuadri qu’il avait tué d’un grand volapié Fernando Robleño est apparu dépité devant les caméras de Canal+ disant en substance que l’effort qu’il avait réalisé n’avait pas été valorisé à sa juste mesure. Et comme l’an passé il repartait de Madrid les mains vides alors qu’en 2012 il avait été peut-être encore plus méritant face à un animal de Pepe Escolar.

Après le Cuadri il n’y eut même pas une ovation. Tout ça pour rien ! Même le tendido 7 n’a pas réagi. Et c’est qu’apostar, comme on dit, miser, en français, est par définition à double tranchant, on peut gagner comme perdre. Malgré l’effort le résultat ne fut jamais au rendez-vous.

Certains publics mettent en avant le mérite au point qu’ils préfèrent généralement une faena a más qui suppose une domination progressive de l’homme sur l’animal mais sans les fondements de ce qui fait le toreo : l’immobilité, le temple, la longueur des passes et leur répétition. C’est souvent le cas dans mon sud-ouest. Peut-être la notion de mérite est-elle plus française, dans le sens de républicaine alors qu’en Espagne on aime plus (et plus on descend dans le sud et plus cela paraît flagrant) l’idée de grâce, de don et d’inspiration.

Cette année, à Vic, nous avons deux très bons exemples de deux conceptions opposées pourtant menées par deux excellents lidiadors : l’oreille arrachée à un Cebada par Robleño (encore lui) dans une faena ô combien méritoire mais sans éclat et le macheteo élégant (voire gracieux) d’Urdiales à un toro de Murteira Grave comme une façon élégante et torera (car là aussi il y a domination) d’abréger lorsqu’à l’évidence rien ne sert de continuer. Il y avait là deux réminiscences d’époques passées : le XIXe pour Urdiales ou l’essentiel du travail du matador consistait encore à préparer le toro pour la mise à mort et pour Robleño la volonté de faire, avec un toro qui aurait pu sortir du siècle évoqué, le toreo de Belmonte sans y parvenir vraiment. Mais bien-sûr, on n’est pas obligé d’être d’accord avec moi.

Comme souvent, ce qui compte à mon sens, entre le mérite et le résultat, c’est l’équilibre : il est essentiel de regarder les qualités d’un toro pour juger d’une faena, certes, mais ne tombons pas dans l’excès de considérer que rien n’est valable avec un toro « facile ». Contrairement à ce qu’on entend parfois le toreo « templé », long, qui joue avec la ceinture et permet la construction d’une faena massive et structurée a aussi ses risques, ne serait-ce que ceux inhérents à l’abandon de soi qu’il suppose (même s’ils sont moins apparents qu’avec un toro moins facile les statistiques sont là). Mais encore une fois il n’est valide qu’avec un animal à la codicia et aux forces suffisantes.


Fév 14 2013

Tout indulto est un contre-sens (par Jean-Jacques Dhomps)

Pour moi, si la grâce est progressivement accordée, par une majorité de spectateurs, baignés d’anthropomorphisme et plus ou moins influencés par les promoteurs de la corrida-light et leurs relais médiatiques, à tous les toros jugés bons avec le concours d’un bon maestro, cela revient à considérer que seuls les moins bons, les mauvais et même les mal toréés, seront tués aux yeux de tous. Nous serons passés du transcendant sacrifice rituel, au pouce levé ou abaissé, au châtiment public infamant, ce qui est un contresens insoutenable !

Ce renversement de perspective est ce qui nous arrive de pire !

La mort est la clef de voûte de la corrida. Elle constitue sa mystérieuse justification métaphysique, elle lui impose une éthique exigeante. Si cette mort dans l’arène était supprimée, tout l’édifice s’écroulerait.

La grandiose conclusion d’un grand combat livré à un grand toro est une grande estocade. C’est l’honneur du matador de s’engager, de toute son âme et au péril de son corps, pour couronner l’œuvre que le brave et noble animal a permise, c’est lui manifester un suprême respect !

Tout torero (ne disons plus matador) qui « indulte », comme il se dit de façon ridicule, devrait être privé de tout trophée puisqu’il laisse un sublime travail amputé de son indispensable et métaphysique conclusion, la mort.

Jazmin [photo] était un excellent toro particulièrement digne de cette respectueuse issue.

Et que mon ami Zocato ne vienne pas me raconter que, comblé d’herbe tendre et de jeunes vaches aux grands yeux langoureux, il sera, à perpétuité, n’envisageons surtout pas sa mort, même naturelle, étalon choyé chez Fuente Ymbro. Un tel scénario serait mieux à sa place chez Euro Disney.

A la limite, je préfèrerais que l’indulto soit réservé aux très mauvais taureaux, surtout aux pauvres invalides qui ne tiennent pas debout, et constitue une sanction pour leurs éleveurs : « Ce mouchoir orange signifie que votre taureau est trop pitoyable pour être tué dans une arène, il ne le sera, ni en piste, ni dans les corrals, reprenez-le vivant, remboursez-le et faites-en ce que vous voudrez, un abandon à la S.P.A. ne serait pas mal venu. »


Fév 2 2013

Quel avenir pour la Corrida ? (II)

Il n’y a aucune raison que la tauromachie reste dans une forme pétrifiée. Nous l’avons vu, la tauromachie a connu une évolution et nous ne voyons pas de raison pour que celle-ci s’arrête. C’est pour cela que nous exprimerons maintenant quelques idées en relation avec son futur. Elles sont lancées en l’air sans prétention aucune, à partir de la solitude de l’esprit d’un aficionado sincère et indépendant. Elles pourront paraître quelque peu extravagantes et utopiques mais nous pensons qu’il est plus insensé de ne penser à rien et de se laisser emporter par le courant, face aux attaques de plus en plus pressantes de nos opposants.

En l’an 2000, j’ai eu la chance d’assister, à l’intérieur de la programmation de la Biennale de flamenco de Séville, dans l’enceinte même des arènes de la Maestranza, le spectacle total de Salvador Távora intitulé Don Juan, qui m’a fait réfléchir sur l’avenir de la Corrida. Le chant flamenco pendant la faena de muleta me paraît par exemple très pertinent, au lieu des traditionnels pasodobles, ce qui s’est d’ailleurs pratiqué en d’autres occasions, certaines spontanées et d’autres préparées comme dans une corrida à Priego de Córdoba, un 28 février, jour de l’Andalousie. Mais ce qui m’a semblé le plus intéressant, c’est la réunion des toreos à pied et à cheval. En effet, dans ce spectacle à mi-chemin entre un opéra, un festival de flamenco, une représentation théâtrale ou un gala d’ouverture (comme pour les manifestations sportives ou les commémorations historiques) et les corridas, le rejoneador Diego Ventura et le matador Javier Conde sont intervenus ensemble avec deux novillos sans pointes (comme pour les festivals). Cette réunion des toreos ibériques modifie beaucoup l’esthétique de la tauromachie, dans un sens favorable, pensons-nous.

Nous constatons cependant qu’il est très difficile d’apporter des idées neuves en tauromachie. En ce sens, Claude Pelletier a transcrit quelques paroles d’Antonio Ordóñez qui eut une idée intéressante qui n’a malheureusement pas pu se concrétiser en réalité : « J’ai regretté de n’avoir pu un jour établir comme règle, dans une corrida goyesque par exemple, de n’employer que la cape. »[1]

J’imagine quant à moi un spectacle plus court avec 4 « cornus » d’élevages différents (pourquoi pas Victorino, Cuadri, Alcurrucén et Cuvillo pour commencer) avec des quadrilles réduits à 2 banderilleros et des picadors (Que diriez-vous de Sandoval et Rehabi ?), tout en restant aux ordres du matador, engagés par les organisateurs. Ensuite, dans mes pensées oniriques, je vois deux banderilleros (David Adalid et Juan José Trujillo) chargés de poser 2 fois 2 paires, la troisième étant à la charges des peones du matador. Mes songes me montrent aussi un rejoneador (Francisco Palha par exemple) chargé d’apposer les rejones de châtiment à 2 des novillos, réinventant de la sorte l’ancienne manière de piquer les toros, en mouvement et sans contact avec le cheval. Pour finir j’engagerais un lidiador et estoqueador de premier rang, comme Iván Fandiño, pour « lidier » et occire les 4 bestiaux mais j’inviterais en guest-star un de ces toreros de détails qui sont souvent de piètres  matadors (mettons un Javier Conde, pas quelqu’un qui coûte trop cher), pour qu’il réalise, s’il voit SON toro, un quite de cape et même (oh blasphème !) un quite de muleta (il serait indemniser pour les frais plus un forfait pour chaque intervention non huée). Il faudrait aussi un sobresaliente en cas de blessure du matador principal (Medhi Savalli). Je crois que ce spectacle coûterait moins cher qu’une course habituelle mais bien sûr il s’agit d’un raisonnement quichottesque.

Par ailleurs, comme je l’ai déjà suggéré les amateurs de la pique pour la pique pourrait inventer le concours de varalargas (non pas la corrida avec concours de piques) et même revenir au temps des courses de 12 toros avec l’engagement de 3 picadors et autant de peones de brega, ce qui aurait au moins l’avantage de réduire les émoluments des matadors. Tuer ou ne pas tuer les toros, à vous de voir, là n’est pas la question. Comme on dit, je dis ça, je dis rien.


[1] In L’heure de la corrida p. 160; [Paris], Gallimard, s.d..


Jan 31 2013

Quel avenir pour la Corrida ? (I)

Il y a quelques semaines, je suis tombé sur une interview de l’éleveur Gerardo Ortega qui expliquait en substance que tout en étant favorable à la lidia intégrale il trouvait qu’ « il vaut mieux Quito que Barcelone », c’est-à-dire qu’il vaut mieux accepter une lidia sans mise à mort que pas de lidia du tout. Il a rajouté qu’il fallait accepter les évolutions de sensibilité donnant comme exemple sa fille de 14 ans qui ne voulait pas aller voir ses toros se faire tuer et le sien aussi en expriment sa souffrance lorsque le matador n’en finissait plus avec le maniement du descabello. Il disait aussi ne pas comprendre pourquoi la disparition de la mise à mort devait en soi entraîner la disparition de la tauromachie.

Avant lui, un autre éleveur de renom, ancien torero à cheval, j’ai nommé Alvaro Domecq pouvait donner à penser (c’est en tout cas une interprétation même s’il ne l’affirme pas aussi clairement) que dans un avenir plus ou moins proche la Corrida pourrait se passer des piques : « Le concept « toro » se basait sur l’émotion et le danger. Il s’agissait d’un spectacle plus dur, comme la vie d’alors, qui induisait que le public même réclamait et exigeait cette dureté, cette sensation de force et de danger, qu’ils avaient dans leurs propres vies avec le manque de confort et les difficultés de l’époque »[1].

Encore une fois le mundillo semble ne voir les choses que par le petit bout de la lorgnette, seulement à court terme. Comment les antis après s’être attaqué à la mise à mort ne s’attaquerait t-il pas aux autres suertes qui infligent une blessure au toro : piques et banderilles ? Et qui s’intéressera encore à un spectacle avec un animal sans force de deux à trois ans où un cercle sans fin avec la muleta sera la seule finalité ?

Parodie récente de corrida à Denver

En revanche, pour échapper à cette perspective tragique qui devient de plus en plus plausible, pourquoi ne pas essayer des voies ou des formes nouvelles. Sans doute, comme souvent, faudra-t-il chercher la nouveauté dans le passé, dans une voie laissée de côté à un moment donné et qui peut ressurgir. Il s’agit seulement de l’un des chemins possibles que la Corrida peut emprunter, mais José Bergamín écrivait : 

« Juan Belmonte est resté la seule figure magistrale. Et le toreo a suivi ses traces douloureuses sur l’arène. Il est devenu lourd, lent, alambiqué, d’une sensibilité excessive, sentimental… sans grâce, sans joie : triste, mélancolique, mélodramatique. La figure torera d’El Gallo n’a pu compenser à elle toute seule cette décadence mortelle, cette chute ténébreuse »[2].

On n’apprécie pas toujours à leur juste valeur les galleos et le toreo enjoué (alegre en espagnol, joyeux, se basant sur la grâce et le jeu de jambes, soit un retour à l’art de l’esquive), qui seront d’ailleurs sans doute plus adaptés à la charge de certains animaux si on souhaite effectivement un retour généralisé vers un toro plus nerveux et moins noble. Dans de nombreuses expressions artistiques originaires du monde hispanique apparaissent côte à côte des notions apparemment contradictoires : fête et tragédie, joie et sérieux. En musique, par exemple, il n’est pas exceptionnel de mélanger un rythme endiablé et des paroles tristes (bulerías, sévillanes, rumba, salsa…), comme pour exprimer l’idée que ce qui est important c’est de surmonter toutes les peines, les misères et les drames. Si la tauromachie est une tragédie, nous avons également vu qu’elle porte aussi et surtout aux nues la vie. Peut-être est-il nécessaire de rappeler que la joie n’est pas la même chose que le comique et qu’elle ne s’oppose pas au sérieux ou seulement dans son sens restrictif de gravité.


[1] In El toro bravo de Álvaro Domecq (p. 291); Madrid, Espasa Calpe, 2001 (1ère édition : 1995).

[2] In La claridad del toreo (p. 105); Madrid, Turner, 1994.


Déc 24 2012

Division d’opinions (II)

Le toreo vertical, voire en ligne, est discutable, mais parfois nécessaire et aucunement censurable, dans la mesure où les passes sont enchaînées sans perdre du terrain. Toréer c’est avant tour parar, templar, mandar et ligar. Le troisième est peut-être le canon le plus controversé, mais un torero baissant la main, conduisant l’animal au bout de la passe, ne torée-t-il pas (même en ligne et je suis le premier à ne pas apprécier ce genre de toreo) ? Mais si l’animal est conduit avec temple, et que les passes ne sont pas mécaniques, mais profondes, en déviant l’animal, en « vidant » la suerte, au moins en quart de cercle, en captant sa charge bien devant puis autour des jambes, jusque derrière la hanche, n’y a t-il pas de domimation ? Et si le toro le permet et que l’homme torée avec le compás ouvert et en chargeant la suerte, il est certain que la passe n’en sera que plus longue et plus profonde et la tauromachie atteindra son summum, d’autant plus s’il est capable de casser la ceinture et de jouer du poignet.

Il y a différentes classes de grands toreros : basiquement les courageux purs, les purs lidiadores, les toreros longs (ou larges si l’on préfère), les toreros complets (dans le sens d’un équilibre entre les trois valeurs fondamentales : courage, science et art), et pour finir, les artistes. Ils méritent tous un grand respect, quels qu’ils soient et il est impératif de mettre fin au mythe d’un âge d’or illusoire. Les toros d’antant n’étaient pas aussi braves ni toujours aussi armés que ce que certains prétendent, loin s’en faut. Ils étaient même généralement beaucoup plus mansos, plus forts aussi, c’est certain, mais ne supportaient pas le châtiment actuel avant l’apparition du caparaçon, en 1928, et la soumission du toreo moderne. Et pourtant on exige systématiquement de charger la suerte, de baisser la main, de conduire l’animal derrière la hanche, loin, dans une contorsion contre-nature pour l’animal. Si l’on recherche le toro d’autrefois (celui de l’époque de Belmonte et Joselito ?), on doit accepter une lidia qui lui correspond. Mais pourquoi ne prime-t-on quasiment jamais une lidia à l’ancienne à base de macheteo, de passes de châtiment, de pitón a pitón, avec un toro manso et « encasté », se défendant, donnant des coups de tête, chargeant, lorsqu’il daigne avancer, d’une manière décomposée et violente ? Est-il raisonnable d’exiger la même chose avec des animaux différents ? Lors de la dernière saison, de la faena de Manzanares face à un Garcigrande à Dax ou de celle d’Alberto Aguilar face à un José Escolar dans les mêmes arènes, quelle est la meilleure ou la plus méritoire ? A chacun de répondre, mais l’une et l’autre, avec toutes leurs différences n’en sont pas moins respectables.

Si la tauromachie aurait pu se passer d’un certain Manuel Benítez elle a eu besion d’un Lagartijo et d’un Frascuelo, d’un Chicuelo et d’un Granero, d’un Gitanillo et d’un Domingo Ortega, ou bien encore d’un Diego Puerta et d’un Curro Romero, et aujourd’hui, bien qu’étant de générations différentes d’un Castaño et d’un Morante (cette liste ne se veut évidemment pas exhaustive ni représentative de l’histoire du toreo).

Dans ce même souci de défendre la variété, il me semble qu’il faudrait préserver l’éventail des suertes car si certaines sont à la mode et répétées jusqu’à satiété, d’autres sont devenues surannées.

Nous pouvons tous être d’accord sur le fait de dénoncer bon nombre d’arènes de moindre catégorie, en particulier les transportables et autres arènes balnéaires où sont souvent annoncés les toreros faisant les choux gras de la presse people et toréant du sous-Domecq (Jesulín, El Cordobés, Rivera Ordóñez, Conde et un certain nombre de toreros sur le retour) mais réagissons avec nuance pour tout le reste. Les sensibilités différentes de Séville, Madrid et Bilbao sont tout aussi nécessaires les unes que les autres et triompher en leur sein a incontestablement une valeur même si l’on pourra toujours discuter sur l’attribution ou le refus d’un trophée.

 Il ne paraît pas raisonnable de vouloir revenir au début du siècle, ni aux années postérieures à la guerre civile espagnole, et encore moins aux années 60. Les temps passés ne sont pas toujours les meilleurs et l’époque actuelle est sans doute la meilleure depuis au moins 25 ans. On peut bien sûr regretter que les grandes figuras ne fassent pas plus de gestes mais El Cid a ouvert une voie en prouvant qu’on peut atteindre le firmament en provenant desdites corridas dures et Ponce, El Juli ou José Tomás ont démontré leurs capacités devant des animaux pas toujours faciles. À part ces toreros plus ou moins complets, il y a, comme il y en a toujours eu, des toreros artistes, capables de sublimer le toreo devant un nombre réduit d’animaux (mais pas systématiquement devant le « toro idiot ») et des « lidiadors », capables de dominer tout type de bétail. Mais ne demandons pas l’impossible : la richesse de la tauromachie, c’est sa diversité.


Déc 22 2012

Division d’opinions (I)

Un constat s’impose : l’afición est divisée. Toutes les opinions sont respectables du moment qu’elles sont fondées. Et il serait sans doute bon de considérer que la variété de points de vue est une richesse. Cependant, la division actuelle de l’afición ne peut être que préjudiciable à la tauromachie, surtout en ces temps difficiles. Il me semble que nous devrions pouvoir nous réunir sur un certains nombres de points essentiels.

En premier lieu, il faudrait ne pas stigmatiser systématiquement un encaste ou des arènes, même s’il est légitime d’avoir des préférences. C’est vrai, 90% environ du bétail actuel est d’origine Vistahermosa et plus de 40% des élevages actuels sont de sang Domecq, mais tous les animaux et tous les élevages de cette famille ne sont pas identiques. On est parfois trop critique avec des animaux de cette souche et, inversement, parfois trop indulgent avec certains victorinos, par exemple. Cebada Gago a prouvé que, plus que la lignée, ce qui est important, c’est la sélection. Ceci dit, il est indispensable de préserver la diversité, encore une fois, du cheptel brave, du sang Vázquez des Prieto de la Cal et Concha y Sierra jusqu’à celui de Cabrera (pour être shématique) des Miura et de celui de Gallardo des Pablo Romero, en passant par le sang Vistahermosa des Murube de l’élevage éponyme ou de celui de Baltasar Ibán (bien que croisé), le sang Parladé des Conde de la Corte, Atanasio, Flores, Núñez, Torrestrella et María Luisa, le sang Villamarta des Guardiola, le sang santacolomeño des Pérez Tabernero, Buendía, Coquilla, ou des Vega-Villar de Barcial, par exemple, ou bien encore le sang Saltillo même s’il est croisé avec du Santa Coloma comme chez Victorino Martín.

Pour continuer sur le chapitre du toro, il est également primordial que l’afición, et plus particulièrement celle qui se réclame du « torisme » unifie ses critères et soit plus consciente des caractéristiques de la grosse vingtaine d’encastes qui existent à l’heure actuelle. Tous les toros ne peuvent pas supporter le poids d’un miura et tous n’ont pas les cornes pour Pampelune, ce qui ne doit pas empêcher de réitérer le rejet de l’afeitado.

Ce qui est certainement insupportable pour tous, public occasionnel ou aficionado, c’est le manque de force absolu qui entraîne des situations désespérantes avec des bêtes qui ne tiennent pas sur leurs pattes. Contrairement à l’affirmation de Belmonte, les éleveurs non seulement ont enlevé à leurs produits du tempérament, de la caste, mais aussi, par la même, de la force, du poder, et ce qui en a résulté, ce que l’on a appelé le toro bobo (le taureau idiot) ne peut plus être considéré comme un toro brave. Tous en sont conscients, même Juan Pedro Domecq. Tous ne proposeront pas les mêmes solutions et pour ce dernier, en particulier, rectifier le tir sera d’autant plus dur que des sommets de désolation ont été atteints dans les années 90. Le diagnostic a été fait, il y a déjà quelques années et c’est déjà un point positif, saluons-le ensemble, même si on n’est pas encore sorti du tunnel. Soyons optimistes sans perdre le sens critique car la récupération est possible, certaine même, mais lente.

Nous devrions être d’accord également qu’un véritable toro brave doit prendre un minimum de deux piques, mais ne tombons pas dans l’excès de mépriser l’animal qui prend un gros puyazo, en poussant. Considérons le toro bobo pour ce qu’il est sans parler à tout bout de champ d’animaux collaborateurs pour certains encastes (il y a des degrés, tout n’est pas ou tout blanc ou tout noir) quand les faits sonts là : il ne s’agit pas de chèvres, mais d’animaux qui blessent durement les hommes qui pratiquent un vrai toreo quand celui-ci est offensif, même si leur soit-disant collaborateur est, ou semble, dans l’absolu, moins dangereux. Si le but de la pique est de mesurer la bravoure de l’animal – mais ce n’est pas le seul critère -, elle doit aussi et surtout doser les forces du toro. Si voir un « cornu » prendre plusieurs piques est impressionnant ce n’est pas non plus un gage de véritable bravoure, tout au plus de force et de caste, ce qui n’est pas la même chose. Sans doute est-il important de reconnaître que la pique n’est pas une finalité et qu’il faut s’inquiéter de savoir dans quel état arrive la bête au troisième tiers.

Rappelons-le encore, un toro véritablement brave doit croître sous le châtiment et donc prendre au moins deux bonnes piques. Il doit donc avoir un minimum de poder, et par conséquent un minimum de tempérament et de transmission, mais il doit aussi charger sans répit tout au long de la lidia, avec codicia donc, avec fijeza, noblesse et recorrido, donc avec franchise et un rythme constant. S’il s’agit là du toro idéal, il n’en est pas moins compliqué. Les grands toros ont toujours découverts les grands toreros. Malheureusement, certains ont oublié cette vielle phrase taurine et ne valorisent pas le travail du torero, croyant que tout est très facile avec un animal boyante, et ne voulant voir un brave que dans un celoso.


Déc 4 2012

La tauromachie et l’amour

« Mais ces deux déchirés, superbes de chagrin,

Abandonnent aux chiens l’Espoir de les juger.

Tout encastrés qu’ils sont,

ils n’entendent plus rien que les sanglots de l’autre.

Et puis infiniment, comme deux corps qui prient,

Infiniment lentement, ces deux corps se séparent,

Et en se séparant, et en se séparant,

Ces deux corps se déchirent, et je vous jure qu’ils crient.

Et puis ils se reprennent, redeviennent un seul,

Redeviennent le feu.»

Orly, Jacques BREL

Le rapt d’Europe

Si la mort se trouve au centre de la tauromachie, nous pouvons également la considérer comme une métaphore de l’amour, et des luttes que celui-ci entraîne, et par conséquent, de la vie. Sans doute peut-on trouver d’autres sens, métaphores et symbolismes, mais ceux de vie et de mort, origine et destin, sont sans nul doute les principaux. Il est intéressant de comparer l’Art de « Lagartijo » avec certains comportements amoureux, ainsi qu’avec l’acte sexuel. Juan Belmonte y faisait déjà référence :

« je suis arrivé à établir une série de similitudes totales entre l’art et l’amour, de sorte que si j’étais essayiste au lieu d’être torero, j’oserais ébaucher une théorie sexuelle de l’art; en tout cas de l’art de toréer. On torée et on passionne les publics de la même manière qu’on aime et qu’on tombe amoureux, grâce à une source secrète d’énergie spirituelle, qui à mon avis a son origine au même endroit, dans la profondeur de l’être. » [1]

Ce n’est pas par hasard si on parle d’« accouplement » (acoplamiento) lorsqu’un toro et un torero finissent par collaborer ensemble, par s’unir, semblant former une seule entité servant l’œuvre d’art. Le toreo est un accouplement, un mouvement langoureux de va-et-vient qui conduit l’être humain à une euphorie proche de l’orgasme. Et si le torero est la verticalité et l’intelligence, et le toro l’horizontalité et l’animalité, il existe assurément une certaine ambiguïté au moment d’attribuer à chacun son genre. ¿Si le toro représente la virilité, que représente le torero avec ses bas roses et ses manières parfois pleines de délicatesses (cf. trincherilla de Curro Romero) ? Il me semble que l’homme – ou la femme, puisqu’il y en a aussi – et l’animal changent de sexe tout au long de cette lutte presque amoureuse : en s’unissant ils rentrent dans la peau de l’autre. Juan Luis Suárez Granda dans un article intitulé « Les taureaux et la langue », publié dans Cuadernos Cervantes, mettait en relief l’ambiguïté sexuelle du toro :

« Plus concrètement, quand nous nous approchons de la culture hispanique, le toro a des valeurs symboliques qui l’identifient avec la virilité, mais aussi avec la féminité: par exemple, le langage machiste voit dans le toro un double de la femme (les seins sont les cornes, etc.), et toute femme attrayante, selon le code machiste, doit être séduite-dominée-« lidiée ». La devise avec laquelle se synthétise l’art de la tauromachie -templar, parar et mandar- peut facilement être extrapolée vers la conquête à la Don Juan. » [2]

Pour moi, le torero ne récupère définitivement son pouvoir phallique qu’au moment de la mise à mort, et n’est jusque là, ni plus ni moins qu’un être androgyne, à moins qu’il n’exploite seulement, au maximum et alternativement, les deux facettes (masculine et féminine) de l’être humain. Tout n’est pas testostérones en tauromachie, même quand l’artiste est un vrai « torero macho ».


[1] In Juan Belmonte, matador de toros de Chaves Nogales, p. 236.

[2] In Cuadernos Cervantes, mai-juin 1997 p.30.