Détricoter la pédagogie inversée.

Echantillon de point mousse.
Echantillon de point mousse.

Dans « inversée », il y a envers, ce qui implique un endroit. Au tricot, il y a aussi la maille endroit et la maille envers. Quel motif obtient-on quand on tricote toutes les mailles à l’endroit sur tous les rangs ? Du point mousse. Et quand on fait l’inverse : tricoter toutes les mailles à l’envers sur tous les rangs ? Aussi du point mousse. La richesse du tricot, c’est le mélange des points, envers et endroits.

Que la pédagogie inversée enrichisse les pratiques, oui. Mais la pédagogie « à l’endroit » a aussi ses atouts. Pratiquer la pédagogie dans tous les sens, surtout dans le sens du vent de celui qui apprend et avec bon sens alors ? Oui… mais.

Mais, car le véritable enjeu de la pédagogie inversée, ce n’est ni l’endroit ni l’envers. C’est la manière dont est posé et imposé le postulat selon lequel est devenu incontournable ce que l’on appelait autrefois les devoirs à la maison et qu’il est de bon ton aujourd’hui de qualifier de « travail personnel ». Avec la pédagogie inversée, plus question de discuter de la pertinence du travail scolaire en dehors de l’école. Dans certaines classes de l’enseignement primaire, il est innovant et de bon ton de pratiquer la pédagogie inversée, c’est-à-dire d’avoir des devoirs à la maison, certes pas n’importe lesquels, mais tout de même du travail personnel. Il y a quelques années, la suppression de ces mêmes devoirs était considérée comme un progrès pédagogique et était censée contribuer à une amélioration du bien-être de l’enfant.

Mais observons de plus près ce qui se passe en France. Chez nous, l’intérêt pour la pédagogie inversée s’accroît à mesure que le nombre d’heures de cours diminue et que les TICE se développent. Dans ce domaine, les langues vivantes ont été pionnières. En 2000, les horaires hebdomadaires ont été amputés d’un tiers passant de 3 heures à 2 heures en LV2. Les inspections nous ont alors recommandé de faire faire à la maison ce que nous n’avions plus le temps de réaliser en cours.

Un rapport remontant à 2009 mérite notre attention. Son titre : « Modalités et espaces nouveaux pour l’enseignement des langues ». Y sont évoqués des nouveaux modes d’organisation permettant « dans une sorte d’extension du domaine de la classe, de sortir de l’espace public du cours de langue, de l’accroître et ainsi de rédéfinir le temps de l’élève, du moins son temps privé de travail ». L’accent est aussi mis sur la « médiation pédagogique mise en œuvre par les professeurs utilisateurs à l’intérieur et a fortiori au-delà de la classe en cas d’externalisation des activités ».

Le vocabulaire est choisi. Il y est question d’externalisation des tâches scolaires dans le champ de la vie privée des élèves. En d’autres termes, ce qui, autrefois, était fait en classe, ne l’est plus. Il est reporté dans un autre temps et dans un autre lieu. Il est alors évident que l’objectif visé par l’articulation entre travail personnel et travail en classe n’est pas nécessairement de permettre une meilleure maîtrise des savoirs et des savoir-faire des élèves, mais d’obtenir un gain de productivité du côté de la plus-value enseignante. Ceci étant revendiqué au nom de l’autonomie des élèves.

La pédagogie inversée est alors sans doute une pratique pédagogique intéressante. Elle peut aussi s’avérer être un leurre idéologique pour masquer une diminution des pratiques scolaires où les élèves peuvent bénéficier d’un encadrement enseignant. Peu importe dès-lors que cet encadrement vise le cours en lui-même ou les applications du cours. Peu importe dès-lors que les choses se fassent à l’envers ou à l’endroit. C’est la taille de la pièce de tricot qui a diminué.