Les compétences fondamentales de l’apprentissage à distance.

Pour moi, deux compétences sont fondamentales pour réussir son apprentissage à distance : l’auto-discipline et l’organisation.

C’est le bilan que je tire de mes années d’expérience. Après avoir passé le CAPES d’allemand en suivant les cours à l’Université (Paris X Nanterre), j’ai repris mes études en 1992 pour préparer l’Agrégation d’allemand. Mais en 1992, je travaillais déjà : j’ai pris un petit temps partiel passant de 18 à 15 heures hebdomadaires. Une fois par semaine, je suivais les cours magistraux dispensés à l’Université de Paris IV. En même temps, j’étais inscrite au CNED où je rendais régulièrement mes entrainements. En 2004, j’ai repris des études d’histoire à l’UCBN auprès de ce qui s’appelait à l’époque le CTEU : Centre de Téléenseignement Universitaire. Nous recevions des cours par courrier et avions une séance par trimestre en présentiel pour chacun des modules. J’ai ensuite préparé une Agrégation d’histoire uniquement avec le CNED. A partir de 2012, mon intérêt pour le numérique s’est développé et j’ai suivi des Moocs : le premier d’entre eux Itypa. Je vous invite à lire ce que j’ai pensé de ces nouvelles manières d’apprendre sur le moment.

J’ai donc une longue expérience de l’enseignement à distance. Certes elle est portée par une motivation personnelle et une grosse curiosité intellectuelle. Mais à chaque fois, ce qui a fait la différence, c’est l’auto-discipline et l’organisation.

L’auto-discipline, c’est tout simplement se lever le matin et s’y mettre. Ou se fixer des créneaux dans la semaine consacrés exclusivement à l’apprentissage. Sans se laisser interrompre ou pire encore distraire. Car seule la régularité et la persévérance payent. Une fois trouvés le rythme et l’espace, l’apprentissage se déroule facilement. C’est comme si on se fixait un rendez-vous régulier avec quelque chose, éventuellement avec soi-même quand l’apprentissage à distance est choisi. Et à un moment, ceci devient une habitude.

L’organisation, c’est fixer des limites à ce temps qu’on met à part. Une fois ce temps écoulé, on ferme la porte et on prend en compte toutes les autres facettes de sa vie, qui sont aussi importantes et vitales. L’organisation, c’est l’art de trouver son équilibre intérieur entre la tâche qu’on se donne, le quotidien et sa vie personnelle.

Quand le confinement lié à la covid 19 a été mis en place et nous a forcés à pratiquer l’enseignement à distance, ce sont ces deux compétences là, à savoir, l’auto-discipline et l’organisation que j’ai visées. Avec deux objectifs phares : premièrement mettre en œuvre tous les moyens à ma disposition pour que les élèves s’y mettent, ce qui a impliqué non seulement la mise en ligne de contenus mais aussi d’activités diverses à rendre. Deuxièmement les accompagner dans leur organisation, en publiant les contenus avec régularité, en vérifiant leur travail et en les rappelant à l’ordre en cas d’oubli. Jusqu’aux vacances de printemps, ce suivi a fonctionné. Il devient plus difficile à mesure que les jours fériés s’enchainent, que les bulletins sont faits et que les conseils de classe ont lieu. Mais je suis fière de ce que certain(e)s ont appris durant cette période. Car s’il est important de s’intéresser aux décrocheurs, ceux qui se sont challengés méritent aussi notre attention.

Trace écrite et numérique.

Grâce à ma stagiaire qui rencontre des difficultés à gérer le tableau et la trace écrite, je me suis rendu compte à quel point le numérique avait, de mon plein gré mais à mon insu, modifié mes pratiques dans ce domaine.

Car depuis maintenant un an, toutes mes séances en plénière dont l’objectif est de mettre en commun les travaux des uns et des autres se déroulent accompagnées de l’ordinateur. En effet, je nomme un secrétaire de séance chargé de prendre en note le vocabulaire nouveau et les éléments pertinents du contenu. Il peut être amené à utiliser soit le traitement de texte, soit la carte mentale et le tout est vidéo-projeté. Ce qui veut dire que la trace écrite du cours, chez moi, est instrumentée. Sans ma stagiaire, je n’en aurais pas pris conscience. Il va sans dire que ce processus ne s’est accompagné d’aucune évaluation.

Cependant je vois de nombreux avantages à cette pratique.

  1. D’abord, je suis plus détendue. En déléguant la prise de notes aux élèves, je peux me consacrer davantage à l’animation du cours, à la régulation de la prise de parole et au contenu. Cela diminue le stress du dos tourné systématiquement lié à des chuchotements dont on ignore l’origine.

  2. Ensuite, cela me permet de garder une trace de ce qui s’est dit en classe, de cette part d’imprévu qu’on a oublié en fin de journée.

  3. Enfin, il suffit d’un copier-coller pour publier une trace écrite fiable sur le blog, bien utile aux dys, aux absents et aux sérieux qui veulent vérifier s’ils ont bien tout noté.

Que du confort pour moi. Et les élèves dans tout ça ? En fait, je ne sais pas bien car je n’ai pas évalué cette façon de travailler ni chercher des critères pertinents pour le faire. Mais je constate un certain nombre de choses.

  1. D’abord, le secrétariat de séance est un puissant révélateur des compétences des élèves en matière de traitement de texte. Elles sont indigentes. Par exemple, rares sont ceux qui savent mettre un tréma sur une voyelle. Quant aux touches de navigation, mises à part la suppression avant et arrière, elles sont tout bonnement ignorées. Ce qui est en contradiction avec les pratiques qu’ils peuvent avoir sur les jeux en ligne pour faire avancer leurs personnages. Autre point : ils ne regardent pas l’écran quand ils écrivent et ne voient pas que certains mots, en général les plus complexes, apparaissent en surbrillance et qu’il suffit d’appuyer sur la touche « entrée » pour ne pas avoir à la saisir. Si bien que si j’étais prof de technologie en collège, je leur ferais recopier un texte en mode plein écran sans souris sous l’intitulé « maîtriser le clavier ».

  2. Par ailleurs le secrétariat de séance permet de se faire une idée de la capacité des élèves à prendre des notes. Certains écrivent tout tout de suite de peur de perdre le fil. D’autres attendent que je leur donne le feu vert en faisant répéter X fois la même phrase à leur camarade. Certains, rares, trouvent le tempo exact entre ce qui est dit, ce qui est corrigé et ce qui reste à garder pour l’écrit.

  3. Le troisième point est le climat d’échange que cela génère autour de l’exactitude de la mise par écrit. Les erreurs sont corrigées collectivement, découvertes aussi et réexpliquées dans une atmosphère d’entraide. On observe aussi que le secrétaire devient plus attentif aux erreurs qui s’avèrent redondantes chez lui même si cela ne se fait pas sans un peu d’agacement parfois.

Et l’évaluation dans tout ça ? Pour l’instant, je n’ai pas du tout envie de m’y atteler. Il me paraît trop lourd d’évaluer le secrétariat de séance lors de chaque séance, surtout dans les groupes à 29 élèves que je vois deux fois par semaine, donc au maximum 60 heures par an. Ensuite, j’aime cet espace de libre erreur où l’on apprend ensemble des trucs dont on sent bien qu’ils nous resserviront un jour. Libérer une tâche de la pression évaluative me permet alors d’ouvrir tout grand la barrière du champ de l’erreur, ce qui est une façon comme une autre de réhabiliter celle-ci dans les apprentissages. Et je le vis comme une grande bouffée d’air frais.

Et le blog alors ?

Il y a un temps pour tout : un temps pour réfléchir, un temps pour agir. Le blog « Au fil des Tice », c’est la réflexion.

Actuellement, je suis dans l’action, mais dans une forme d’action que je n’avais pas envisagée lors de l’ouverture du blog. A l’origine, la partie « action » devait être consacrée à mes pratiques dans la classe avec mes élèves.

Mais la participation au mooc #ItyPA (j’avais annoncé très vite que je n’étais pas quitte de cette expérience) m’a fait prendre conscience de la nécessité de m’approprier davantage les possibilités et potentialités du numérique.

Pour le moment donc, je m’informe et surtout je me forme. En préparant le C2i2e où je teste, côté étudiant, l’usage d’une plateforme de cours en ligne. Où je tente aussi de réutiliser l’expérience collaborative d’ITyPA pour approfondir ce qui me fait défaut, à savoir le sens de la collaboration dans ce qu’elle a de positif.

Je viens de me créer un compte « Twitter ». Il m’a fallu le temps. Etait-ce de la procrastination ? En partie, certes. Mais l’autre partie, c’était de la réflexion consacrée au fonctionnement de Twitter (allez-donc voir ma perle de « Pearltrees » consacrée à ce réseau social!) et à la recherche de personnes que je souhaitais réellement suivre. Il y avait aussi l’élaboration de quelques principes de fonctionnement que je voulais mettre en place. Me lancer, au risque de commettre erreurs et impairs. Ne pas compter le nombre de tweets, mais peser le contenu de chacun. Prévenir les risques d’addiction (je n’ai pas envie de renoncer ni au blog, ni au pearltrees, ni au feedly et surtout pas à la recherche via la lecture de longs articles). Ne tweeter ou retweeter que des choses vraiment lues.

Au passage, merci à tous ceux qui m’ont aidée sur le chemin (Itypiens et Itypiennes que j’ai le plaisir de retrouver) et à ceux qui m’encouragent aujourd’hui (l’initiative « Twittmooc »).

La question de l’outil.

Les cartes heuristiques sont un outil numérique pédagogiquement intéressant. Elles gagnent d’autant plus en efficacité que les élèves les élaborent eux-mêmes.

Sauf que, techniquement et dans le cadre de l’institution, les choses ne sont pas aussi simples.

  • D’abord parce que, si les ordinateurs personnels des lycéens sont tous équipés d’une plateforme de téléchargement musical, il n’y a jamais dessus de logiciels de carte heuristique par défaut. Dans ce domaine, l’enseignant est prescripteur. Et comme chacun, en pédagogie, a ses habitudes de travail, le risque de prescriptions multiples n’est pas négligeable.

  • Ensuite parce que les postes du réseau de l’établissement où j’enseigne sont équipés d’une version de Freemind compatible avec Windows XP. Or je viens d’installer ce logiciel sur mon Windows 7. Il s’avère que le Freemind installé sur mon poste ne lit pas la version du lycée et vice-versa. Le travail des élèves risque alors d’être réduit à néant.

  • L’interopérabilité ne fonctionnant pas, il devient nécessaire de surmonter les difficultés techniques avant toute mise en oeuvre pédagogique.

Selon quels critères, dès-lors, choisir les outils ?

  • Ils doivent être premièrement faciles à utiliser et disposer d’une ergonomie conviviale et intuitive.

  • Ils doivent deuxièmement être aisément accessibles, sans installation fastidieuse.

  • Car nous devons être réalistes. Les compétences techniques de la majorité de nos élèves ne sont pas si importantes que cela, surtout depuis que les ordinateurs sont vendus pré-installés et que l’informatique dans le nuage permet d’accéder à de nombreux services uniquement sur la base d’un compte gmail.

Il est donc grand temps que nous, enseignants, investissions l’Accompagnement personnalisé afin de réellement former nos élèves au numérique. Ce ne serait pas non plus un luxe si, au moins à l’échelle de l’établissement,

  • nous engagions une réflexion et une mise en pratique collectives et cohérentes,

  • nous nous mettions d’accord, par exemple, sur UN logiciel de carte heuristique commun.

Car il y a des jours où j’ai le sentiment de piétiner et de passer à côté d’expériences intéressantes et constructives. Des jours avec trop d’obstacles ! Des jours aussi où l’on constate que l’enseignant doit aussi penser technique.

Arrêtons se surestimer les compétences numériques de nos élèves !

Nicolas Roland, dans le webinaire ITyPA, et Perine Brotcorne, dans un article publié sur Educavox ont un point commun : ils ont observé les étudiants utiliser les outils numériques lors de leurs apprentissages.

Sur un certain nombre d’éléments, leurs observations convergent. On imagine nos élèves nés avec une souris à la main. On croit leur maîtrise des technologies innée. Or, selon Nicolas Roland, ils ne sont pas nécessairement compétents en technologie et pas nécessairement détenteurs de stratégies. Créer une page Facebook pour travailler de manière collective n’est pas nécessairement un signe de compétence. On peut y voir l’expression de leurs limites technologiques en terme de gestion de contenus. Quant à Perine Brotcorne, elle estime que les jeunes ne savent pas utiliser internet comme outil de travail. C’est en particulier la compétence informationnelle qui leur manque. Ce n’est pas parce qu’on sait ACCEDER à un contenu qu’on sait l’ORGANISER et l’EXPLOITER. Ce n’est pas parce qu’on manipule vite les touches d’un clavier qu’on gère le fond des choses de manière complexe.

Ces constats coïncident avec les expériences que je fais en classe. Par exemple, je complète le cahier de textes en ligne en mettant à la disposition des élèves les supports que j’utilise que ce soit sous forme de textes, de documents sonores ou de liens vers des sites. La plupart rencontre des difficultés à télécharger les documents audio parce qu’ils ne disposent pas de leur plateforme de téléchargement habituelle. De plus, ils n’ont pas le réflexe de classer les supports ainsi mis en ligne. Et il suffit que plusieurs enseignants procèdent d’une manière analogue à la mienne pour que leur stockage d’informations devienne illisible.

Je pense qu’il y a des risques réels à vivre dans l’illusion que les élèves maîtrisent mieux que nous les technologies.

  1. Nous risquons de ne pas leur apprendre ce dont ils auront besoin dans le monde du travail, à savoir gérer des contenus complexes avec les outils spécialisés dans leur domaine.

  2. Nous risquons de les amener à considérer l’adulte comme systématiquement incompétent et à se voir eux-mêmes comme nullement dans l’obligation d’apprendre. Danger réel ou imaginaire ? En tout cas, quand, récemment, un de mes élèves de seconde a bloqué sa session sur le réseau (justement en téléchargeant un fichier son) et que je suis venue le voir, il m’a très bien fait comprendre que les manipulations que je testais, ils les avait déjà mises en oeuvre, mieux que moi (puisqu’il me disait au fur et à mesure comment faire). Ayant toujours un plan B, je l’ai renvoyé à sa place travailler sur un lecteur MP3. Heureusement pour moi, j’ai réussi à remettre sa session en place. Dernièrement, ce même élève a rencontré des difficultés pour accéder à un site dans ma discipline. Pas ses camarades (ouf!). En tout cas, en voilà un qui est convaincu de savoir, de savoir mieux que l’autre (surtout quand l’autre est un adulte). Ne risque-t-il pas d’oublier d’apprendre ?

Les compétences clés pour l’éducation et la formation tout au long d’une vie : quelle vision de la démocratie européenne ?

Si je comprends bien les textes tels que ceux qui sont parus au Journal officiel de l’Union européenne le 18 décembre 2006, c’est désormais l’UE qui définit les objectifs d’éducation et de formation.

Cette décision a été prise lors du Conseil européen de Lisbonne les 23 et 24 mars 2000. Jacques Chirac, alors Président de la République française, était présent et a donné son accord au nom de la France.

Depuis 2000 a donc été adopté, dans ce qu’on appelle désormais la stratégie de Lisbonne (à ne pas confondre avec le Traité de Lisbonne), un « cadre européen devant définir les nouvelles compétences de base à acquérir par l’éducation et la formation tout au long d’une vie. » Je cite ici le Journal officiel.

Ce qui me gêne, ce n’est pas la décision qui a été prise ni les motifs qui la justifient. Ce qui me gêne, c’est l’absence de débat avant, pendant et après la décision. Car s’il est vrai qu’à l’époque, les journalistes ont relayé l’idée de passage à la « société de la connaissance », il n’a pas été question des implications qui s’ensuivraient, à savoir un enseignement pas compétences.

Comment est-ce que je me situe par rapport à tout cela ? Soit j’ai « zappé » des informations, mais dans ce cas, je ne suis pas la seule. Soit les décisions ont été prises sans véritable volonté de susciter le débat. Et dans ce dernier cas, j’y vois des germes de tension à venir

  1. d’abord parce que se crée une rupture démocratique entre les décideurs et les citoyens

  2. ensuite parce que cela génère une entrave pour les citoyens à s’approprier le futur de leur monde et à y réfléchir

  3. enfin parce que cela élude la question de savoir si l’Education nationale est encore « nationale ».