Les compétences fondamentales de l’apprentissage à distance.

Pour moi, deux compétences sont fondamentales pour réussir son apprentissage à distance : l’auto-discipline et l’organisation.

C’est le bilan que je tire de mes années d’expérience. Après avoir passé le CAPES d’allemand en suivant les cours à l’Université (Paris X Nanterre), j’ai repris mes études en 1992 pour préparer l’Agrégation d’allemand. Mais en 1992, je travaillais déjà : j’ai pris un petit temps partiel passant de 18 à 15 heures hebdomadaires. Une fois par semaine, je suivais les cours magistraux dispensés à l’Université de Paris IV. En même temps, j’étais inscrite au CNED où je rendais régulièrement mes entrainements. En 2004, j’ai repris des études d’histoire à l’UCBN auprès de ce qui s’appelait à l’époque le CTEU : Centre de Téléenseignement Universitaire. Nous recevions des cours par courrier et avions une séance par trimestre en présentiel pour chacun des modules. J’ai ensuite préparé une Agrégation d’histoire uniquement avec le CNED. A partir de 2012, mon intérêt pour le numérique s’est développé et j’ai suivi des Moocs : le premier d’entre eux Itypa. Je vous invite à lire ce que j’ai pensé de ces nouvelles manières d’apprendre sur le moment.

J’ai donc une longue expérience de l’enseignement à distance. Certes elle est portée par une motivation personnelle et une grosse curiosité intellectuelle. Mais à chaque fois, ce qui a fait la différence, c’est l’auto-discipline et l’organisation.

L’auto-discipline, c’est tout simplement se lever le matin et s’y mettre. Ou se fixer des créneaux dans la semaine consacrés exclusivement à l’apprentissage. Sans se laisser interrompre ou pire encore distraire. Car seule la régularité et la persévérance payent. Une fois trouvés le rythme et l’espace, l’apprentissage se déroule facilement. C’est comme si on se fixait un rendez-vous régulier avec quelque chose, éventuellement avec soi-même quand l’apprentissage à distance est choisi. Et à un moment, ceci devient une habitude.

L’organisation, c’est fixer des limites à ce temps qu’on met à part. Une fois ce temps écoulé, on ferme la porte et on prend en compte toutes les autres facettes de sa vie, qui sont aussi importantes et vitales. L’organisation, c’est l’art de trouver son équilibre intérieur entre la tâche qu’on se donne, le quotidien et sa vie personnelle.

Quand le confinement lié à la covid 19 a été mis en place et nous a forcés à pratiquer l’enseignement à distance, ce sont ces deux compétences là, à savoir, l’auto-discipline et l’organisation que j’ai visées. Avec deux objectifs phares : premièrement mettre en œuvre tous les moyens à ma disposition pour que les élèves s’y mettent, ce qui a impliqué non seulement la mise en ligne de contenus mais aussi d’activités diverses à rendre. Deuxièmement les accompagner dans leur organisation, en publiant les contenus avec régularité, en vérifiant leur travail et en les rappelant à l’ordre en cas d’oubli. Jusqu’aux vacances de printemps, ce suivi a fonctionné. Il devient plus difficile à mesure que les jours fériés s’enchainent, que les bulletins sont faits et que les conseils de classe ont lieu. Mais je suis fière de ce que certain(e)s ont appris durant cette période. Car s’il est important de s’intéresser aux décrocheurs, ceux qui se sont challengés méritent aussi notre attention.

Enseigner par temps de confinement : pourquoi j’ai aimé.

Oui, j’ai aimé enseigner par temps de confinement pour trois raisons :

  1. D’abord parce que je considère cette expérience comme un recentrage sur le coeur de mon métier à savoir l’enseignement et l’apprentissage.

  2. Ensuite parce que ce temps m’a permis d’explorer d’autres manières de faire apprendre.

  3. Enfin parce que cette distance physique a permis des échanges individuels plus suivis avec les élèves.

Pour ce qui est du recentrage sur l’enseigner et l’apprendre, il s’est imposé dès l’annonce du confinement. Les questions essentielles à ce moment-là étaient : qu’est-ce que je vais proposer aux élèves, quel enseignement vais-je délivrer pour qu’ils conservent des habitudes d’apprentissage ? Comment vais-je m’y prendre ? Avec quels supports ? Diffusés comment ? Concrètement, c’était une libération par rapport aux tâches administratives et matérielles habituelles. Pas de photocopies à faire sur une photocopieuse en panne, par exemple. Ou pas d’information sur la prochaine portes ouvertes à faire passer aux élèves. Pas de choix cornélien non plus entre le fait d’assister à l’un de mes 17 conseils de classe ou faire cours. Juste enseigner et faire apprendre.

Ce temps à l’écart m’a aussi permis d’expérimenter des stratégies pédagogiques différentes. J’ai fait mes premières capsules vidéo. Parce que j’avais envie que la bonne prononciation accompagne les éléments de correction ou de synthèse de travaux soumis. J’ai aussi essayé ce que j’appelle aujourd’hui des mix : soumettre aux élèves des vidéos en allemand (lexicales, grammaticales, thématiques) à partir desquels ils doivent présenter un travail personnel. Par exemple, les secondes devaient présenter leur logement à partir de deux vidéos allemandes, l’une décrivant les différents types de logement et les différentes pièces, l’autre décrivant différentes chambres. L’objectif, les préparer à me raconter comment ils ont vécu le home-schooling.

Enfin, j’ai beaucoup apprécié une nouvelle forme d’échanges avec certain(e)s élèves, plus continu en fait, grâce au chat, aux mails et aux discussions sur le cahier de textes en ligne. Car quand un élève vous envoie un message et que vous y répondez, l’échange s’instaure en continu. Et même si vous reprenez cette discussion plus tard dans le temps, l’historique en a été gardé. Ce qui n’est pas le cas en présentiel. En classe, la communication est d’abord collective et peu se hasarderont à évoquer des choses personnelles devant le groupe classe : qui, devant ses camarades, osera dire qu’il n’a pas de traitement de textes à disposition ? De plus, les instants de dialogue en fin d’heure sont toujours tronqués, rapides, un peu volés. Car autant l’élève que le professeur doit se rendre vers le cours suivant, ou libérer la salle, ce qui implique, échanger dans le couloir.

Certes, la réflexion collective, le côté ruche de la salle de classe me manque. En même temps, quand je tends un miroir attentif à la situation d’enseignement par temps de confinement, j’y trouve des éléments de satisfaction. D’autres perspectives sur la pédagogie.

FOAD en temps de confinement : les élèves sont-ils tricheurs, rusés ou pragmatiques ?

Je ne sais pas si les élèves qui reçoivent un enseignement à distance depuis le 16 mars 2020 trichent, sont malins ou ont le sens de l’efficacité. Ce que je sais, c’est que certain(e)s utilisent les fonctionnalités d’internet pour accomplir les tâches demandées par leurs enseignants. Aux dépens des apprentissages ? Parfois oui.

Quelles fonctionnalités d’internet les élèves ont-ils donc utilisées pour effectuer les travaux de langue vivante 2 que je leur ai demandés ?

  1. En tête arrivent les traducteurs (reverso, google traductions).

  2. Ils sont suivis par les sous-titres générés par les plates-formes de vidéo.

  3. Arrivent ensuite les moteurs de recherche (je veux dire google car ils n’utilisent pas les autres).

  4. Et enfin le copier-coller.

Le traducteur automatique est une fonctionnalité utile. Il y a quelques années, nous avions accueilli une jeune Tchèque qui ne parlait ni anglais ni allemand, que tchèque. Personne ne parlant tchèque à la maison, le traducteur nous a beaucoup aidés.
Mais qu’en est-il des apprentissages ? Je ne suis pas sûre que certain(e)s élèves aient d’abord réfléchi à ce qu’ils étaient capables de faire seuls avant d’utiliser les traducteurs. Par exemple dans des fiches de vocabulaire. Je leur donnais à traduire la forme verbale conjuguée « ich schickte » (présente dans le texte précédemment étudié), ce qui donnait « j’envoyais ». Ensuite, je leur demandais de trouver la forme infinitive de « ich schickte ». La réponse attendue était « schicken ». Or beaucoup de réponses ont donné « senden » qui ne ressemble en rien à « schicken » sur le plan formel mais qui signifie aussi « envoyer ». Dans cet exemple, la réflexion grammaticale sur la forme verbale est passée à la trappe. Tout le travail a été effectué via le traducteur (sans reprise du texte ou des fiches de vocabulaire préalablement fournies). Aujourd’hui, je comprends mieux pourquoi parler de « verbe à l’infinitif » ne veut plus rien dire pour un élève. Avec les traducteurs, nous n’en avons plus besoin, alors qu’avec le dictionnaire, cette connaissance était indispensable. Il s’agit là d’un des premiers effets contreproductifs du traducteur que j’ai pu observer. Le deuxième concerne les tâches de compréhension de l’écrit. Il est évident que certain(e)s élèves copient le texte qu’ils ont à travailler pour le coller dans le traducteur et ainsi penser avoir compris le texte en question. Troisième impasse : donner de la traduction à distance. Je pense que certain(e)s étudiant(e)s de prépa ont fait moins d’erreurs sur certaines difficultés habituellement mal maîtrisées. Quant aux phrases de thème grammatical, j’ai décidé de les bannir dans le travail à distance.

Passons maintenant aux sous-titres des vidéos. Ils peuvent être présents ou non. La plupart du temps, ils sont générés automatiquement, d’abord dans la langue d’origine, éventuellement ensuite dans une autre langue. Si la restitution de la langue d’origine sous forme de texte correspond plutôt à ce qui est dit, la qualité de la traduction est aléatoire. Que font certain(e)s élèves ? Ils/elles vérifient systématiquement la présence de ces sous-titres, comme ils/elles le font habituellement sur Netflix. Pour leur plus grand bien, car cela améliore nettement leur compréhension de la vidéo, dans la mesure où ils/elles peuvent comparer ce qu’ils/elles voient à l’image et ce qui est effectivement dit. Ils/elles peuvent aussi fixer des mots et faire la recherche de leur sens dans le traducteur. Les sous-titres permettent de faire avancer la compréhension et de débloquer des élèves qui ne se repèrent pas dans les données sonores.

Les moteurs de recherche jouent aussi un rôle important. Certain(e)s élèves parviennent à retrouver rapidement les sources que j’utilise. Si ces sources sont didactisées avec les bonnes réponses, je retrouve les dites bonnes réponses. Comment s’y prennent-ils ? Soit ils repèrent les morceaux d’adresses html que j’ai pu oublier sur certains documents et le reste est un jeu d’enfant. Soit, j’ai pris mes précautions, c’est-à-dire retiré tout repérage possible de l’adresse web ainsi que le titre du document. Certain(e)s, après avoir compris le titre de l’audio ainsi que des éléments de sens, retrouvent le script. J’en ai eu la preuve la semaine dernière. J’avais donné un audio à travailler (tiré de Top Thema de la Deutsche Welle). J’ai mal géré l’adresse web de la page, mais j’avais retiré le titre et certains éléments de contenus. Quelle n’a pas été ma surprise de retrouver dans le retour d’un(e) élève des phrases (et donc des informations) que j’avais ôtées du document original. Preuve que l’élève n’a pas travaillé sur les documents que je lui avais fournis.

Enfin, il y a le copier-coller. Observé sur les exercices de vocabulaire en illimité et en correction automatique avec révélation des bonnes réponses à chaque essai. Ces exercices ont pour but d’aider les élèves à s’entrainer pour apprendre. Certain(e)s élèves font une première fois l’exercice sans compléter aucune des rubriques. Toutes leurs réponses s’affichent donc en rouge. Mais après ce premier essai, ils ont récupéré les bonnes réponses, les ont copiées et les collent ensuite. Cela se voit lors du deuxième essai : tout est vert et parfaitement complété. Le travail est fait. Le vocabulaire est-il appris et su ? Je ne sais pas.

Toutefois, ces observations m’amènent à dresser le bilan suivant : certaines activités d’apprentissage doivent être faites en cours.

Certes l’enseignement à distance avec le numérique est porteur d’opportunités. Apprendre avec des vidéos sous-titrées est une chance. Pouvoir s’entrainer avec des exerciseurs en est une autre.

Par contre, la formation à distance en langue (FOAD) a des limites. Les traducteurs nous obligent à repenser notre pédagogie. Donner des exercices de traduction à distance est devenu risqué, en tout cas ne permet pas d’affirmer si la compétence est réellement acquise. La vérification de l’apprentissage du vocabulaire à distance ne garantit pas la réelle connaissance du sens des mots. Bref, pour pouvoir réellement certifier les connaissances et compétences des élèves, le présentiel en cours a encore de beaux jours devant lui.

Confinement : un dispositif pédagogique 100 % FOAD.

Depuis le 16 mars 2020 que les écoles ont fermé et que les enseignants font cours à distance à l’aide du numérique, j’ai décidé de mettre en place un dispositif correspondant aux critères de la formation à distance (FOAD).

Concrètement cela signifie :

  1. Mise à disposition de contenus disciplinaires didactisés : des cours.

  2. Remise de travaux de la part des élèves : des mises en activité des élèves.

  3. Un accompagnement : permanence ENT du lundi au vendredi de 13 à 14 heures.

  4. Un suivi sur les travaux rendus : des bilans généraux s’adressant à tous, des corrections individuelles, et des exercices en correction automatique.

Pourquoi ces choix ?

  1. Parce qu’ils permettent d’utiliser les outils fournis par l’employeur, de tester leur potentiel mais aussi leurs limites. J’utilise donc l’ENT (environnement numérique de travail) et le gestionnaire de vie scolaire (nom commercial : Pronote / cahier de textes en ligne).

  2. Parce que c’était dans le droit fil des habitudes de travail de mes élèves. Tous mes cours sont sur l’ENT depuis plusieurs années. Je les publie au fur et à mesure de leur déroulement en classe. Il y a aussi des documents qui restent là toute l’année, voire sur les trois années de lycée. Par exemple, certaines fiches de grammaire, de vocabulaire, certains exercices en auto-évaluation. Partir de la base de travail habituelle permet de mieux gérer les adaptations nécessaires à une nouvelle manière d’apprendre. C’est une forme de continuité pédagogique formelle.

Pour quels objectifs ?

  1. Le premier objectif est de maintenir le contact avec les élèves.

  2. Le deuxième objectif est de maintenir des habitudes de travail intellectuel. Penser à l’après. Comment imagine-t-on le retour à la « normale » en septembre avec un certain nombre d’élèves qui n’aura pas fait d’effort d’apprentissage construit depuis le 16 mars ? On perd vite : autant l’habitude de travailler que les connaissances qui ne sont pas réactivées.

  3. Le troisième est d’accompagner et de suivre les élèves. Ceci est toujours plus facile avec des outils déjà utilisés auparavant. Parce que installer un nouveau logiciel, ouvrir un compte sur un / des nouveaux service(s) peut singulièrement compliquer la question de l’organisation du travail à distance de l’élève.

  4. Le quatrième objectif, c’est d’évaluer le potentiel et les limites de l’ENT et du cahier de textes en ligne. A mes yeux, les avantages de l’ENT sont considérables. Les élèves retrouvent leurs cours au fur et à mesure des semaines. Par exemple, les élèves en garde alternée qui se retrouvent une semaine sur deux sans connexion, ont accès aux contenus et aux travaux à faire indépendamment du moment où ceux-ci ont été postés contrairement au cahier de textes en ligne qui défile dans le temps. De mon côté, tous les travaux se retrouvent là ce qui me permet de centraliser mes contacts avec les élèves. Je plains mes collègues qui ont choisi de suivre leurs élèves par mail.

  5. Le cinquième objectif (qui me paraît le plus important) est l’observation.

    1. Observer les manières de travailler des élèves. Comment certains décrochent petit à petit (à cause de la masse de travail) et voir comment on peut les épauler. Comment d’autres construisent une forme d’auto-discipline qui augmente leur confiance en eux. Comment un grand nombre se sert d’autres outils numériques pour se faciliter la tâche : je pense ici au rôle des traducteurs ou des sous-titres des vidéos. Travailler alors la compréhension (écrite ou orale) devient un vrai challenge

    2. Observer la fréquentation et les habitudes de travail générées. Concrètement, au cours de ces quatre dernières semaines, j’ai gardé le contact avec les élèves qui avaient au minimum donné des nouvelles la première semaine. Petit à petit, ils se sont mis au travail, peut-être en « trichant », mais ce n’est pas grave. Ils étaient là et ont appris à mieux utiliser l’internet.

    3. Expérimenter l’accompagnement et le suivi des élèves sur des dispositifs simples et connus. Certains ont eu du mal. À cause d’un manque de littéracie numérique (certains savent juste envoyer des mails mais pas publier sur internet). À cause de problèmes logistiques (rendre des productions écrites quand on dispose uniquement du traitement de textes du téléphone portable n’est pas simple!). À cause de situations familiales complexes (être l’ainé d’une famille dont les deux parents sont réquisitionnés pour le coronavirus et ainsi faire la classe aux plus jeunes n’est pas évident!). Essentiellement à cause de difficultés d’organisation (certains ont voulu suivre l’emploi du temps habituel mais ne s’en sortaient pas. À peine rentrés dans une activité, ils en sortaient et laissaient leur premier travail en jachère).

Bref, j’ai cherché la simplicité numérique. Essentiellement parce que le travail à distance exige des compétences « douces » bien solides. À savoir : l’auto-discipline, le sens de l’organisation et la persévérance : une autre manière d’aborder la question de l’autonomie.

Communication hiérarchique de l’Education nationale en période de confinement

Le mail a modifié la manière dont la hiérarchie de l’Education nationale communique avec ses subordonnés, en particulier avec les professeurs. Depuis une semaine, Jean-Michel Blanquer, le ministre de l’Education nationale, a communiqué trois fois par vidéo, Madame Gavini-Chevet, la rectrice de l’académie de Normandie, nous a envoyé un courrier et les corps d’inspection des mails accompagnés de nombreuses pièces jointes. En 1986, quand j’ai commencé à enseigner, nous ne recevions jamais rien du ministre, ni du recteur et seulement nos rapports d’inspection des corps d’inspection.

Pour quelle utilité ? Aujourd’hui, le confinement de la France dû au coronavirus amène à mettre en place « la France apprenante », à savoir un enseignement à distance généralisé. Il s’agit là d’une expérience inouïe au sens ancien du terme, c’est-à-dire de totalement nouveau. Que certains aient besoin du soutien de la hiérarchie, cela est indéniable.

En même temps, à mes yeux, cette communication sur le numérique éducatif peut revêtir deux aspects contre-productifs. Premièrement quand elle liste TOUT ce qu’on peut faire avec le numérique pédagogique. Deuxièmement quand elle devient prescriptive sur les manières d’enseigner.

Dans le premier cas, elle contribue à l’infobésité que génère l’internet et entraine la dispersion de l’enseignant, voire un manque de confiance en soi. A avoir trop d’outils, trop de ressources, le pédagogue ne sait plus par quel bout commencer, quelles priorités dégager. Tout simplement, il ne sait plus quoi faire… au risque de perdre des élèves qui, pour l’instant, ont avant tout besoin d’être rassurés et non pas dispersés. Comment aller à l’essentiel du besoin d’apprentissage quand on nous bombarde de pléthore d’expériences, certes toutes intéressantes, mais qui partent dans tous les sens?

Dans le second cas, elle empêche ou, au minimum, freine le partage des expériences entre les enseignants de terrain et justement leur hiérarchie. Quel professeur osera dire, après coup, qu’il ou elle n’est pas allé(e) dans le sens des prescriptions, préconisations parce que cela… ne fonctionnait pas avec les élèves et leurs moyens techniques, intellectuels et émotionnels ? Qui osera alors dire, j’ai essayé telle ou telle chose ? Si cela a bien fonctionné, quelques uns franchiront peut-être le pas. Mais ceux qui ont échoué à mettre en place ce type d’enseignement, oseront-ils le dire ? Oseront-ils faire remonter leurs besoins, leurs manques, leurs doutes ?

Aujourd’hui, je crois que cette communication descendante de la hiérarchie de l’Education nationale risque de passer à côté de la chance unique que présente ce confinement : à savoir, la possibilité d’un échange entre les enseignants de terrain et le ministère de l’Education nationale sur une vaste expérience d’enseignement à distance encore jamais tentée auparavant à l’échelle de la France.

Mes fraises

Mes fraises

Depuis deux semaines maintenant, je cultive des fraises. A distance.

Dans un espace numérique de terrain (ENT) nouvellement configuré. Avec plein de nouvelles pousses qui ont produit des gourmands partout et ainsi saturé mon ENT habituel. Car nous sommes nombreux à cultiver les fraises sur les ENT. Des milliers, des millions d’heures de cours y poussent. Tout ce qui se déroule habituellement dans des salles de classe avec des enseignants et des élèves se retrouve aujourd’hui sur les ENT et ce n’est pas rien. Je connais quelqu’un qui a investi dans un cours payant au CNED et qui, en ce moment, n’a plus accès à ses contenus. Cette culture-là, ce n’est pas de la culture hors-sol, c’est de la culture en bande passante et en zones blanches.

Alors, je me suis mise à la recherche de mes fraises. En tout, j’en ai 121. Vendredi 20 mars 2020, j’en avais retrouvé 59 : 52 m’avait rendu leur mission de fraise, les 7 autres m’avaient juste donné un signe de vie. Le mercredi 25 mars 2020, j’en avais 99, il m’en manquait 22. Pour pouvoir les suivre, je me suis fait un tableau sur mon calculateur : 0 pour celles dont je n’ai pas de nouvelles, 1 pour celles dont j’ai des nouvelles par fraise interposée, 2 pour celles qui m’ont contactée directement, 3 pour celles qui ont effectué partiellement le travail, 4 pour celles qui l’ont fait en entier. En clair, cela veut dire que j’ai récolté 99 productions de petites fraises que j’ai regardées. J’ai fait part de mes fraises manquantes à mon grand jardinier de proximité. Il est allé à leur recherche avec son téléphone et mes petites fraises sont réapparues. Parmi elles, il y en a pour qui ce n’est pas facile. L, par exemple : ses deux parents sont réquisitionnés dans le cadre du covid 19, elle est l’ainée de trois enfants. C’est la grande fraise du lot : la continuité pédagogique dans ce contexte ne sera certainement pas simple. L, est en seconde, travaille, rencontre des difficultés mais fait actuellement la classe à sa petite soeur. Quelle orientation après le covid 19 ? Pour l’instant, c’est sa santé et son moral qui comptent, mais après ? Dommage collatéral ou rebond ?

Sinon, dans le cadre des épreuves communes de contrôle et de confinement (E3C), j’ai revu la configuration de mon grand jardin (ENT). En élaguant, selon le principe d’Umberto Ecco : pratiquer « l’art du filtrage », en pédagogie. Un dépôt par semaine, pour que mes petites fraises puissent s’organiser plus facilement, surtout si leurs parents sont en télétravail, surtout aussi parce que 25 % d’entre elles n’ont pas d’ordinateurs mais seulement un smartphone. Avec des formats facilement téléchargeables pour que les connexions ne s’épuisent pas (la 4G non plus) et que les petites fraises puissent accomplir leur mission de petites fraises tranquillement toutes seules et qu’elles me les renvoient en une seule fois sur l’ENT. Avec des corrections et des corrigés en retour. Et pour celles qui ont de la chance (la chance de pouvoir se connecter) une permanence à l’heure du dessert (de 13 heures à 14 heures) du lundi au vendredi : l’occasion de chatter en temps réel. C’est une façon non contagieuse de les saupoudrer de mots de présence.

Voilà donc comment ces deux dernières semaines, j’ai cultivé mes fraises. J’avais envie de vous les servir sur un plateau. Je vous laisse maintenant déguster.

L’ergonomie des outils numériques : un sujet sensible.

L’ergonomie des outils numériques est un sujet sensible pour deux raisons. D’abord parce qu’il s’agit d’une interface, donc d’une zone de friction qui implique rencontre et résistance . Ensuite parce que cette rencontre se fait entre deux identités qui doivent s’adapter l’une à l’autre : celle de l’usager et celle de l’entreprise qui conçoit l’outil numérique.

Quand l’usager reproche son manque d’ergonomie à un service web, il veut dire qu’il n’arrive pas à l’utiliser ou qu’il n’arrive pas à le faire facilement. Si on lui dit alors qu’il se trompe et qu’en fait, l’objet est ergonomique, cela revient ni plus ni moins à le déclarer, lui, l’usager, incompétent. Et d’ailleurs, c’est ce qu’on lui fait implicitement comprendre quand on lui suggère de faire une formation, d’aller voir un tutoriel ou en osant la phrase assassine « il faut s’habituer ». En terme de sentiment d’auto-efficacité ou de confiance en soi, cela n’est pas la meilleure expérience qui soit.

De l’autre côté, pour l’entreprise qui a conçu l’outil numérique, l’enjeu est important. Une critique argumentée peut avoir des effets ravageurs. Parce qu’elle verse de l’eau au moulin des détracteurs de la solution concernée, qu’elle paralyse les hésitants et détournent les audacieux vers d’autres offres. Or derrière une entreprise, il y a des emplois. Chez certaines, il y a aussi des valeurs et une réelle envie de donner le meilleur.

Comment dès-lors aborder la question de l’ergonomie et surtout de ses manques ?

Personnellement, ne pas aborder les sujets qui fâchent, ne montrer que le bon côté des choses, heurte mon côté pragmatique et surtout mes valeurs. J’ai besoin d’être honnête avec moi-même.

Cette honnêteté, elle me permet aussi de nouer des relations de confiance avec les autres. Or, cette confiance est d’autant plus importante qu’elle libère la parole. Je ne fais pas mystère de ce que j’apprécie dans un outil numérique. Pourquoi devrais-je taire mes difficultés ? D’autant qu’ensuite, dans des cadres informels, des échanges fort intéressants s’instaurent où certains osent « avouer » ce qu’ils ignorent ou tout simplement demander de l’aide, souvent en commençant par «  Toi aussi tu as du mal avec ce truc-là. ».

Par ailleurs, je ne veux pas mettre à mal des entreprises dont j’apprécie la qualité d’écoute, la réflexion professionnelle et l’implication. D’où la double question suivante :

Comment trouver, concernant l’ergonomie des outils numériques, les mots qui respectent les uns et les autres ? Comment évoquer des désagréments qui, une fois discutés et réfléchis ensemble, permettront d’avoir de meilleurs outils avec une ergonomie améliorée profitant à tous ? A l’heure où le numérique pédagogique est en cours d’élaboration et pas encore bien stabilisé, trouver les conditions d’un dialogue optimal entre les différents partenaires me paraît fondamental.

La question des arborescences sur les plateformes de cours en ligne (ENT).

Depuis décembre, je « patine » avec l’ENT. L’une des raisons est la modification des arborescences de cours. En effet, les élèves rencontrent deux types de difficultés. La première est liée à l’usage de la version mobile de l’ENT. Plus l’arborescence est longue, moins elle est immédiatement visible sur l’écran petit format du smartphone et surtout moins on s’y retrouve. L’idéal est donc une arborescence complète qui tient en entier sur un seul écran. Le problème n’est pas mineur quand on sait qu’un quart des élèves n’ont pas d’ordinateur chez eux pour travailler. La seconde difficulté tient à la mauvaise maîtrise des arborescences par certains élèves. Un collègue avait attiré mon attention là-dessus. Cela se confirme et constitue une surcharge cognitive. Un apprentissage que l’on croit acquis ne l’est pas. Ainsi certains élèves ne retrouvent pas le cours sur lequel ils doivent travailler même si le chemin pour y accéder leur a été clairement expliqué et détaillé, même si un lien mène directement du cahier de textes en ligne au dossier.

J’ai donc repensé mes arborescences. J’en ai diminué la longueur. Désormais, elle ne dépasse pas cinq éléments, et si possible, j’essaie de m’en tenir à quatre éléments. Pour y arriver, j’ai créé un dossier archivage en fin de liste. C’est là que les élèves retrouvent leurs anciens cours qu’il m’arrive d’utiliser même en fin d’année. En tête de liste se trouve le dossier consacré au cours du moment. Entre les deux peuvent se trouver des dossiers spécifiques tels que grammaire ou compréhension orale. A l’intérieur du cours du moment, je procède de la même façon : quatre éléments, pas plus.

Cela signifie que sur l’Educ de Normandie, je n’utilise quasiment plus les utilitaires « fichier » ou « remarque », mais que je les ai remplacés par l’utilitaire « page » qui permet de faire des montages. Une première « page » donc accueille tous les documents utiles au cours. Une deuxième intitulée « Wörter » consigne les fiches de vocabulaire sous leurs différentes formes (audio en MP3 ou listes en PDF). Vient ensuite, si besoin, un dossier « exercices » et enfin une « remarque » qui permet de faire le secrétariat de cours.

Depuis deux semaines, je teste. Ce genre de test n’est pas évident car une organisation modifiée du cours et de son arborescence peut gêner les élèves à cause du changement d’habitude que cela génère. Comme par ailleurs, l’accès à nos salles informatiques est compliqué, voire impossible à certaines heures, je ne peux que difficilement voir par moi-même en situation réelle comment les élèves s’en sortent. Je peux encore moins les observer quand ils utilisent leurs portables car ils ne le font que de chez eux ne disposant pas de forfaits illimités. Il va donc falloir encore quelque temps avant d’obtenir un retour et de pouvoir évaluer l’impact de cette modification.

Je suis donc confrontée à trois problèmes. Le premier relève des compétences des élèves que nous croyons acquises et qui ne le sont pas, ici le repérage dans les arborescences. Le deuxième est didactique : il s’agit de trouver des solutions pour permettre aux élèves d’acquérir les compétences en question. Le troisième est purement et bêtement matériel : disposer des équipements permettant l’acquisition des dites compétences. Pour toutes ces raisons, l’expérimentation pédagogique de terrain prend donc souvent plus de temps qu’on ne l’imagine. D’autant que la question de la maîtrise des arborescences par les élèves me paraît encore plus complexe que ce que j’ai pu en percevoir pour l’instant.

Arborescence (à gauche) et « page » (à droite)

L’ami (e) critique

J’ai découvert la figure de l’ami (e) critique grâce à François Muller et sa présentation du conseiller pédagogique. D’après lui, l’ami (e) critique est « une personne de confiance qui pose des questions dérangeantes, propose des données à étudier avec un autre regard et critique le travail déjà réalisé comme un vrai ami. »

Depuis quelque temps, il y a une personne de mon entourage à qui il arrive de jouer ce rôle. Le sait-elle ? Je l’ignore. Mais grâce à un jeu de miroirs numériques, elle me montre ce que je suis à travers ce que je fais et me donne à voir des chemins auxquels je n’avais pas pensé.

Cette présence n’est pas toujours confortable. Elle perturbe les habitudes de solitude installées depuis des années dans la salle des machines des préparations de cours. Elle observe l’économie du cours (au sens de structure, d’organisation), la questionne, en interroge les présupposés et les ressorts théoriques.

Mais cet éclairage est salutaire. Grâce au recul qu’il me procure, j’ai découvert que ma progression n’était pas aussi linéaire que je le croyais. En réalité, je commence par mettre à disposition des élèves un environnement de travail pour aboutir à un écosystème d’apprentissage dont l’objectif est la mise en autonomie des élèves.

Les propositions que me fait cette personne sont aussi appréciables. Récemment, elle m’a suggéré d’exploiter en mode inversé les captures d’écran que je fais de la prise de notes des élèves quand ils s’entrainent à la compréhension orale. Bonne idée mais pas pour tout de suite. J’ai, en effet, d’abord besoin d’une approche frontale pour mieux sentir le positionnement des élèves. Et c’est seulement ensuite que je les place en mode inversé pour un travail individuel qui nourrira un travail de groupe.

Toutefois, cette présence d’un (e) ami (e) critique m’interpelle sur la solitude des enseignants et leurs besoins en formation. « Nous ne sommes pas formés », disent-ils en choeur. En réalité, je n’aime pas cette formulation qui fait usage de la voix passive. Depuis de nombreuses années, je préfère dire « je me forme ». Toutefois, j’apprécie d’avoir cette nouvelle source d’inspiration ainsi que sa bienveillance critique. Peut-être devrait-on alors, quand les enseignants disent qu’ils ne sont pas formés, entendre plutôt le message : « Il y a des jours où j’aimerais cheminer moins seul (e), mais en confiance, pas pour être noté (e), mais pour être regardé (e), écouté (e) et inspiré (e). » Ce qui serait aussi un magnifique chantier pour notre encadrement.

En tout cas, merci à cette personne.

Compréhension orale en allemand : améliorer la stratégie d’écoute des élèves avec l’ENT.

L’utilisation de l’ENT pour faire travailler la compréhension orale en allemand présente un double gain : sur le plan du temps et de la méthodologie.

Une compréhension orale se déroule au moins en deux temps. Elle commence obligatoirement par un temps d’écoute et de prise de notes et aboutit à une restitution.

Ce qui caractérise la phase d’écoute, c’est qu’elle est individuelle et solitaire. Elle ne nécessite pas l’apport du collectif ni celui de l’expertise enseignante. Elle peut être réalisée en toute autonomie. L’usage personnel de l’ENT peut alors suppléer le travail en classe en présentiel.

Sur l’Educ de Normandie, j’utilise l’outil « devoir » à cette fin. Car il me permet d’insérer le document audio à écouter et de demander aux élèves de réaliser la prise de notes directement sur l’ENT ainsi qu’éventuellement la restitution de l’audio.

Le premier intérêt est d’économiser du temps de cours. Le deuxième, c’est d’obtenir une trace lisible de la prise de notes… qui s’avère intéressante à exploiter sur le plan méthodologique. Car les élèves qui réussissent dans cette compétence n’ont pas les mêmes stratégies ni les mêmes pratiques que ceux qui rencontrent des difficultés. D’abord, ils reconnaissent plus de lexique avec plus d’exactitude. Ensuite, ils organisent leur prise de notes en parties et sous-parties en laissant des blancs là où il leur manque des éléments. Par contre, les plus à la peine prennent des notes au fil de la plume, alignent les éléments les uns à la suite des autres et notent des « bouillies de sons » qui ne donnent aucun sens. A un niveau intermédiaire, les élèves vont à la ligne à chaque nouvelle idée repérée avec des éléments lexicaux bien reconnus.

Montrer les différentes manières de prendre des notes est alors riche d’enseignement. Car les élèves peuvent s’inspirer de ce qu’ont fait leurs camarades pour progresser et échanger des conseils avec eux. Quant à moi, je peux cibler plus précisément mes exercices de remédiation. Proposer des exercices types « dictée de mots » pour pallier le psittacisme, par exemple.

Techniquement, cet exercice me demande très peu de temps à préparer et ne requiert pas de compétences techniques particulières. Mais il me permet, à moi et aux élèves, de visualiser les tâches intermédiaires qui mènent au résultat attendu. De quoi permettre aux élèves de se donner des objectifs de progression plus clairs. Pour les plus faibles : travailler le lexique et la discrimination auditive. Pour les moyens : réfléchir à la manière d’organiser son écoute. Pour ceux qui n’ont pas de difficultés : se risquer sur les supports plus exigeants.