Arrêtons se surestimer les compétences numériques de nos élèves !

Nicolas Roland, dans le webinaire ITyPA, et Perine Brotcorne, dans un article publié sur Educavox ont un point commun : ils ont observé les étudiants utiliser les outils numériques lors de leurs apprentissages.

Sur un certain nombre d’éléments, leurs observations convergent. On imagine nos élèves nés avec une souris à la main. On croit leur maîtrise des technologies innée. Or, selon Nicolas Roland, ils ne sont pas nécessairement compétents en technologie et pas nécessairement détenteurs de stratégies. Créer une page Facebook pour travailler de manière collective n’est pas nécessairement un signe de compétence. On peut y voir l’expression de leurs limites technologiques en terme de gestion de contenus. Quant à Perine Brotcorne, elle estime que les jeunes ne savent pas utiliser internet comme outil de travail. C’est en particulier la compétence informationnelle qui leur manque. Ce n’est pas parce qu’on sait ACCEDER à un contenu qu’on sait l’ORGANISER et l’EXPLOITER. Ce n’est pas parce qu’on manipule vite les touches d’un clavier qu’on gère le fond des choses de manière complexe.

Ces constats coïncident avec les expériences que je fais en classe. Par exemple, je complète le cahier de textes en ligne en mettant à la disposition des élèves les supports que j’utilise que ce soit sous forme de textes, de documents sonores ou de liens vers des sites. La plupart rencontre des difficultés à télécharger les documents audio parce qu’ils ne disposent pas de leur plateforme de téléchargement habituelle. De plus, ils n’ont pas le réflexe de classer les supports ainsi mis en ligne. Et il suffit que plusieurs enseignants procèdent d’une manière analogue à la mienne pour que leur stockage d’informations devienne illisible.

Je pense qu’il y a des risques réels à vivre dans l’illusion que les élèves maîtrisent mieux que nous les technologies.

  1. Nous risquons de ne pas leur apprendre ce dont ils auront besoin dans le monde du travail, à savoir gérer des contenus complexes avec les outils spécialisés dans leur domaine.

  2. Nous risquons de les amener à considérer l’adulte comme systématiquement incompétent et à se voir eux-mêmes comme nullement dans l’obligation d’apprendre. Danger réel ou imaginaire ? En tout cas, quand, récemment, un de mes élèves de seconde a bloqué sa session sur le réseau (justement en téléchargeant un fichier son) et que je suis venue le voir, il m’a très bien fait comprendre que les manipulations que je testais, ils les avait déjà mises en oeuvre, mieux que moi (puisqu’il me disait au fur et à mesure comment faire). Ayant toujours un plan B, je l’ai renvoyé à sa place travailler sur un lecteur MP3. Heureusement pour moi, j’ai réussi à remettre sa session en place. Dernièrement, ce même élève a rencontré des difficultés pour accéder à un site dans ma discipline. Pas ses camarades (ouf!). En tout cas, en voilà un qui est convaincu de savoir, de savoir mieux que l’autre (surtout quand l’autre est un adulte). Ne risque-t-il pas d’oublier d’apprendre ?

Interview avec Olivier Erzscheid : l’identité numérique.

L’interview donnée par Olivier Erzscheid et relayé par ItyPA2 comporte deux parties.

  1. La première est consacrée à l’identité numérique et s’appuie sur la publication récente de l’ouvrage « Qu’est-ce que l’identité numérique ? » aux éditions OpenEditionPress.

  2. La seconde traite du blog d’Olivier Erzscheid « Affordance », de ses raisons d’être, des problématiques qui y sont développées et des prises de position de l’auteur.

Pour ce qui est de l’identité numérique, l’auteur évoque d’abord les traces que nous laissons sur le web. Mais il insiste sur le remixage que subissent ces traces, avec les conséquences que cela implique : nous perdons la main sur nos données puisqu’elles sont compilées, indexées et mixées à notre insu dans le but de « faire tourner un régime économique qui est le régime publicitaire ».

Ce traitement de nos données personnelles correspond à une évolution du web. D’un outil centré autour de documents dont on espérait qu’ils nous permettraient de constituer une intelligence collective, nous passons à un outil centré autour des individus et de leur profil.

Olivier Erzscheid pense donc que nous devons reprendre la main sur nos données. Pour cela, il préconise quatre attitudes :

  1. être proactif, c’est-à-dire, être à l’origine des informations qui circulent à notre sujet sur le web

  2. mettre en place une surveillance à l’aide d’outils simples

  3. se réserver un nom de domaine

  4. bien définir son périmètre de confidentialité sur les réseaux sociaux.

Il recommande aussi un changement d’approche de l’ouverture par défaut des sites. Fixer un délai limite d’archivage de nos données. Laisser, dans le cadre du délai précédemment nommé, à l’usager la définition des paramètres d’utilisation. Maintenir des services personnalisés mais uniquement dans le cadre des deux conditions précédemment citées.

Pour ce qui est du blog et de la deuxième partie de l’interview, il commence par expliquer le pourquoi de celui-ci. D’abord, il ressentait la nécessité de mettre en forme les résultats de ses recherches et de les diffuser. L’intérêt et les attentes de ses lecteurs l’ont ensuite encouragé à poursuivre. Aujourd’hui, il y développe à la fois des problématiques actuelles telles que celles du droit d’auteur, mais aussi des problématiques qu’il considère poindre à l’horizon. Il cite alors l’importance croissante des objets connectés et des capteurs qui se répandent dans nos environnements ou bien la philosophie transhumaniste qui conduit Google à mettre au service de la recherche sur le génome sa puissance de calcul afin de mieux traiter certaines maladies.

Mais ce blog est aussi celui d’un chercheur engagé. Il insiste par exemple autant sur la nécessité de protéger le droit des auteurs que sur celui des lecteurs de faire valoir leurs droits à la réalisation de copies privées. Il proteste contre les pratiques autour du livre numérique qui consistent à restreindre le nombre de prêts pour un ouvrage qu’on a acquis en espèces sonnantes et trébuchantes. Son objectif est alors de lutter contre les « systèmes qui ajoutent une couche de fermeture ».

En l’écoutant, je me demande s’il ne s’agit pas d’un plaidoyer pour notre liberté d’apprendre, de connaître, de savoir et de rencontrer.

Internet, une révolution du doux qui bouleverse pas nécessairement en mal nos manières de connaître.

Le 20 décembre 2007, Michel Serres donnait à Lille, pour les quarante ans de l’INRIA, une conférence s’intitulant « Les nouvelles technologies, révolution culturelle et cognitive ».

En introduction, il définit ce qui pour lui caractérise un être vivant. Un être vivant stocke de l’information, traite de l’information, émet de l’information et reçoit de l’information. Et pour cela, il utilise un support.

Le couplage support-information est donc fondamental pour déterminer comment l’homme connaît, c’est-à-dire comment il stocke, traite, émet et produit de l’information. Et ce couplage a une histoire qui comprend quatre stades. Le premier stade est celui de l’oral où les informations étaient stockées dans le corps, la mémoire et la voix de l’homme. Le deuxième stade commence avec l’apparition de l’écriture. Le troisième apparaît avec l’invention de l’imprimerie. Nous vivons actuellement le quatrième stade avec l’émergence des nouvelles technologies. Que nous apprennent les stades 2 et 3 ? Nous apprenons qu’à chaque fois que le couplage support -message change, tout change, à savoir l’organisation de l’espace, les échanges entre les hommes, le savoir scientifique, la pédagogie aussi.

Ces changements ont des répercussions sur l’espace. C’est ce que Michel Serres analyse en prenant l’exemple de l’adresse. Autrefois, notre adresse désignait le point géographique où nous nous trouvions. Aujourd’hui, notre adresse mail est accessible de partout : elle ne correspond plus à un lieu avec une longitude et une latitude données. Ce qui implique qu’entre nous, nous ne nous rencontrons plus dans les mêmes lieux.

Mais ces bouleversements ont aussi des répercussions sur nos manières de connaître. Michel Serres développe alors l’exemple de la mémoire. Car, avec l’écriture et l’imprimerie, nous avons perdu la mémoire. Tout ce que les contemporains du stade oral apprenaient par coeur, aujourd’hui, nous le prenons en note. Et quand le livre est apparu, il n’y avait plus de raison valable d’apprendre des choses par coeur. Il valait mieux avoir une tête bien faite qu’une tête bien pleine.

Nous avons donc au cours du temps perdu la mémoire. Mais pour quel gain ? Celui que procure l’outil universel qui libère l’homme de ses contraintes de fonctionnement. Il cite alors l’exemple de la bipédie. Cela a conduit à l’atrophie des membres antérieurs. Mais sans cette atrophie, la main, outil universel, ne serait pas ce qu’elle est devenue. Et sans cette atrophie, la bouche, qui n’avait d’abord qu’une fonction de préemption, n’aurait pas été libérée et la parole n’aurait pas existé.

En fait, il y a une perte, mais contrebalancée par un gain. L’imprimerie, par exemple, a libéré l’homme de « l’écrasante obligation de se souvenir » et a permis, entre autres, l’émergence des sciences physiques. Nous perdons une partie de notre mémoire subjective que nous externalisons objectivement. Cela libère notre créativité. Cela démontre aussi que la mémoire n’est pas une faculté cognitive donnée et permanente mais qu’elle s’adapte au support dont elle dispose.

Nous est ainsi annoncé un bouleversement de la cognition, et par voie de conséquence de la pédagogie. Un bouleversement positivement vécu car plutôt que de regretter la puissante mémoire du passé, Michel Serres décide de mettre en évidence la créativité libérée. Loin de ce que mettent en exergue Messieurs Meirieu, Kambouchner et Stiegler dans « L’Ecole, le Numérique et la Société qui vient ». De quoi donner une bouffée d’air frais dans ce que tous reconnaissent comme un bouleversement de l’acte d’apprendre et de la façon de connaître.

A la découverte de Danah Boyd.

Merci à Place de la Toile pour le grand entretien avec Danah Boyd diffusé le 16 mars 2013. Danah Boyd est une ethnographe américaine qui consacre ses travaux aux nouvelles technologies et à la manière dont les gens les utilisent, en particulier les adolescents.

D’elle même, elle raconte qu’ « elle a grandi en ligne » et que cela fut pour elle une riche expérience de socialisation . Cependant, elle reconnaît que cette expérience présentait des aspects contradictoires. D’une part, elle n’éprouvait ni le désir ni la volonté consciente de prendre des risques. D’autre part, ce qu’elle faisait n’était quand même pas sans danger.

Toutefois, cela l’a amenée à beaucoup réfléchir à l’usage des technologies, en particulier chez les jeunes. Pour cela, elle part d’un double questionnement :

  1. Qu’est-ce que les jeunes font réellement sur le web ?
  2. Qu’est-ce qu’on imagine qu’ils font sur le web ?

Elle confronte donc la réalité avec nos représentations de cette même réalité (où l’on trouve beaucoup d’anxiété et de mythes) pour tenter de définir les risques et les enjeux réels.

Ses premiers travaux de recherche ont porté sur l’usage que les jeunes faisaient de my space. La problématique en était : comment les jeunes construisent-ils leur identité (expression, socialisation et rapport aux pouvoirs) sur le web. La méthode consistait à se connecter régulièrement au hasard sur des profils inconnus et à rencontrer des jeunes en vrai. Pour en arriver à la conclusion que sur le net, les jeunes trainent comme autrefois les générations précédentes trainaient devant le supermarché du coin. Internet est donc un espace public où les jeunes se rencontrent sans rien faire de plus. On peut dès-lors se demander pourquoi ils ont quitté l’espace physique du supermarché pour rejoindre l’espace virtuel du web. Les raisons en sont diverses, mais les principales sont l’interdiction parentale de sortir, l’accroissement du nombre d’activités en dehors de l’école et donc de temps disponible et enfin l’absence de voiture. Cependant, il y a des différences notoires entre l’espace public et l’espace web. Dans ce dernier, le contenu est durable, reproductible , traçable, il peut aussi être amplifié ce qui peut conduire à un brouillage entre vie publique et vie privée.

Doit-on en conclure que les jeunes se désintéressent de ce qui relève de la vie privée ? D’après la chercheuse, non. Mais les jeunes rencontrent de nombreuses difficultés à défendre leur espace privé. D’abord parce qu’il est particulièrement compliqué de se retrouver dans les paramètres de confidentialité des sites dans la mesure où ils changent tout le temps. Ensuite parce que le contrôle exercé par les mères devient plus serré. Enfin, elle pose la question de l’idéologie de la transparence mais ce point mérite approfondissement.

Par la suite, Danah Boyd développe son point de vue sur le big data. Elle estime qu’une idéologie sous-tend l’évocation de ce nouvel univers de données. On imagine qu’en collectant beaucoup de données, on comprendra enfin l’humanité et qu’on en résoudra les problèmes. Mais pour l’instant, ce sont les entreprises qui le font et elles le monnayent . A ce sujet, Danah Boyd délaisse le registre du quantitatif pour poser la question en terme de pouvoirs et constate une différence entre l’Europe et les Etats-Unis. Si les Européens craignent l’intrusion des entreprises dans leur vie, les Américains redoutent celle de l’Etat. Mais pour elle, le danger est ailleurs. Quant on parle de liberté, on raisonne à l’échelle de l’individu. Or le changement introduit par le net, c’est la dimension réticulaire. Elle clarifie son propos en citant deux exemples. Celui du génome : quand je diffuse mon génome sur la toile, je le fais à titre individuel certes. Mais j’engage aussi toute ma famille, les enfants que je n’ai pas encore aussi. Quant à Facebook, quand un ami m’annonce l’ouverture de son compte, même si moi je n’en possède pas, je suis déjà quelque part sur le site comme ami (e) de, donc comme celui ou celle qui ressemble à. Danah Boyd estime donc qu’à partir de tous ces éléments, nous nous trouvons dans une situation tendue entre l’évolution du marché, les normes sociales, la loi et l’architecture sociale.

C’est alors dans ce cadre qu’elle définit son positionnement. Beaucoup lui reprochent de travailler pour Microsoft. Mais elle se considère comme une activiste dont la mission est de mettre en relief les complexités, les tensions et les peurs suscitées par un monde nouveau afin de faire de nous un public éclairé capable d’exercer son sens critique.

Pour ce qui me concerne, deux points ont particulièrement attiré mon attention :

  1. ses tentatives pour faire la distinction entre les changements réels liés aux nouvelles technologies et ce que nous en fantasmons
  2. ses interrogations sur les pouvoirs qui émergent de ces technologies et sur notre liberté vraie qui est une question qu’on ne se pose sans doute pas assez aujourd’hui.

Les jeunes qui passent leur temps devant des ordinateurs sont-ils sur le point de devenir incultes ?

C’est la question que pose l’émission « Place de la Toile » du 2 février 2013 et dont le titre est « Culture numérique et Jeunesse inculte ».

En effet, c’est un des problèmes que soulève actuellement le discours ambiant (tenu par qui?). Apparemment, nos jeunes ne lisent plus, ne savent faire que du copier-coller, chatter avec les copains, s’adonner à des jeux violents et errer de lien en lien.

Or, pour les participants à la discussion (il ne s’agit pas d’un débat puisqu’il n’y a pas de défenseur de l’idée d’un déclin de la culture), il y a une redéfinition de la culture et de l’accès à la culture.

Avant le numérique, le bien culturel était rare. Il avait été laborieusement construit par les générations précédentes. Seule, une minorité le détenait et le transmettait à un nombre nécessairement limité de représentants de la génération suivante et ceci dans des lieux dédiés.

Aujourd’hui, « on trouve tout sur internet ». D’où une autre approche de la culture et de la manière dont elle se construit. D’autres parcours entrent en concurrence avec les lieux dédiés à l’enseignement. Si 75% des jeunes font des recherches pour l’école, ils sont aussi 80% à en faire pour leur propre compte. Et ils se bâtissent ainsi des connaissances en parcourant, non pas le sentier balisé du cadre légitime, mais les sinuosités des hyperliens et de leurs propres associations d’idées. A cette occasion, ils ne se contentent pas de réunir des contenus : ils en produisent. 60% d’entre eux, en effet, utilisent vraiment les applications qu’ils ont téléchargées telles que les logiciels photos. Ils mettent ainsi en place une culture de l’amateur, par exemple à travers des mix. Ainsi impliqués, ils se regroupent souvent dans des communautés autour de leurs centres d’intérêt. Pas question ici de solitude devant l’écran, mais de l’émergence d’une culture populaire qui interroge la culture classique.

Au bout du chemin, peut-on dire que cette jeunesse devient inculte ? L’émission ne répond pas directement à la question telle que je la pose, mais sous-entend que non. Cependant, je m’interroge : les jeunes, que savent-ils au juste faire de et avec ces technologies ? Que puis-je et dois-je leur apprendre?

Place de la toile sur France Culture.

L’émission « Place de la toile » est diffusée le samedi à 18 heures 10 sur France Culture et est animée par Xavier Delaporte. C’est un rendez-vous incontournable pour ceux qui s’intéressent à PLUS qu’à la dimension technique du numérique. On entre dans le social, l’économique, le philosophique, en bref, dans l’humain (même si l’étude du langage mathématique n’est pas occultée) C’est l’occasion d’acquérir une véritable culture du web, dans un sens humaniste du terme.

A très vite découvrir donc… le samedi… ou tous les jours en version podcast sous le lien : http://www.franceculture.fr/emission-place-de-la-toile