Déc 12 2015

Suerte de varas

Ce à quoi sert trop souvent la phase des piques et ce à quoi elle devrait servir

Malheureusement, le tercio de piques est devenu dans la plupart des cas un mal nécessaire ou même pire, une partie de la lidia dont on ne comprend plus la fonction. Depuis 1928, avec Corchaíto (premier toro qui reçut la vuelta à Madrid malgré sa mansedumbre aux piques) et l’apparition du caparaçon, un secteur de l’afición n’a plus considéré cette phase du rite comme la manière de mesurer la bravoure et à partir de là on n’allait plus aux toros, comme on disait, même si on le dit encore, on allait voir toréer. Par la suite, le toro a évolué en ce sens, vers plus de noblesse et moins de puissance. Le plus souvent, il n’est plus nécessaire de corriger le port de tête et pour beaucoup de toros il n’y a pas besoin non plus de doser leurs forces, ce qui fait que les raisons d’être de cette épreuve ont fini par s’inverser et il semblerait qu’actuellement elle serve, plus qu’autre chose, à décongestionner l’animal en le faisant un peu saigner.

Cependant, si on veut sauver ce patrimoine culturel qu’est notre tauromachie, il ne faudra pas aller vers plus de raffinements mais vers la préservation de l’essence de la Corrida dans toute son intégrité, dont l’épicentre se trouve ici. Pourquoi ? Eh bien parce qu’on ne peut continuer vers plus de « toréabilité » quand on voit les toreros se faire passer sans grande émotion les toros devant et derrière à moins qu’on veuille qu’ils se les fassent passer sous la jambe comme font certains joueurs de tennis avec la balle, sous les applaudissements du public il est vrai.

Je veux dire qu’on perd de plus en plus le respect du toro. Je ne doute pas qu’ils peuvent toujours tuer, mais ils chargent parfois avec tant de bonté qu’un torero moyennement préparé dans une école de tauromachie n’a pas besoin de s’imposer à lui car, plus que poursuivre la muleta, le pauvre animal (c’est parfois l’impression qu’il peut donner) semble la suivre. Dans presque toutes les retransmissions, nous entendons de manière réitérative que tel toro n’a pas beaucoup de force alors qu’un taureau brave ne devrait jamais faire de la peine mais au contraire susciter notre admiration (l’homme a toujours voulu revêtir ses attributs de vitalité et de fertilité lorsqu’il était un véritable mythe et parfois une divinité). Un toro doit avoir de la puissance, un brin de sauvagerie (vouloir prendre) mais aussi de la noblesse et beaucoup de bravoure bien-sûr. Mais le fond de bravoure qui se noie car elle n’arrive pas à la surface ne sert à rien, c’est une bravoure vaine.

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Il se trouve que dans les arènes les plus importantes on ne pratique plus la suerte des piques comme elle devrait être pratiquée. Dans un mois entier de San Isidro, tous les toros ont reçu le même nombre de piques, les réglementaires, non pas qu’aucun toro n’ait pu donner du spectacle, mais parce que les acteurs cachent leur bravoure, en écourtant le tercio parce qu’ils le considèrent comme une formalité (seuls Castaño et Ferrera, exceptionnellement et avec un toro exceptionnel montrent autre chose). Je suis un aficionado fait à Séville et qui a dû découvrir la beauté de l’art de Badila en France où les primes en espèces ont permis de revaloriser le premier tiers. Tout a commencé dans des villages où quelques irréductibles ont voulu faire les choses de manière différente (un peu comme à Azpeitia) et avec un si bon résultat que cela a influé sur les arènes importantes. Et non l’inverse. Ce n’est pas que le public français aime piquer pour voir piquer, c’est que certains lui ont donné l’opportunité de voir un spectacle sans pareil. Et pour illustrer mes mots, seulement pour la saison dernière, j’ai eu la possibilité, en quelques corridas, de voir des choses incroyables qui dans plusieurs cas a mis toute une arène debout. Par exemple, à Aignan, le dimanche de Pâques, Tito Sandoval a fait un bon tercio à un toro de Concha y Sierra et un autre grandiose, en juillet, à Mont de Marsan au toro Dormilón de Cebada Gago, qui reçut quatre piques, les deux dernières depuis le toril. Dans la même grande corrida (au lendemain d’une grande corrida de toreros), Esquivel fut énorme face à Piporro avec 4 piques également. Auparavant, Iván García avait infligé autant de puyazos à Cubano de Valdellán qui reçut une vuelta à Vic, prix que reçut également, Torrealta, du même élevage qui, à trois ans à peine, fut piqué quatre fois de loin et d’une manière enjouée même s’il a peu poussé. Dans la même novillada du 1er mai, à Aire sur l’Adour, il y a eu un autre grand novillo, Quirúrgico, de Raso de Portillo, piqué DANS LE MORRILLO par son mayoral, José Agudo. Dans la grande novillada (beaucoup plus forte que la précédente) de Pedraza de Yeltes à Garlin, on fit donner la vuelta à Quitasol après un bon tercio de piques en 3 rencontres où il poussa comme à la mêlée sous le fer de Luis Miguel Neiro qui reçut le prix. Je terminerai par la caste des Granier notamment celle du 5e, pour qui le mouchoir bleu fut sorti, et qui chargea le cheval d’un Gabin Rehabi torerissime avec une vivacité hors du commun.

La suerte des piques existe malgré ce qu’on peut croire si on ne va pas dans des arènes où l’on cherche un bétail capable de donner du spectacle et où l’on exige de faire les choses comme il se doit pour mettre en valeur la bravoure des toros : engager une bonne écurie, contrôler le montage de la pique, soigner les mises en suerte, piquer de face et au bon endroit, lever la hampe dès que le toro arrête de pousser, le mettre de plus en plus loin, ne pas vriller ni boucher la sortie et le sortie rapidement. A quoi sert la suerte des piques dans les élevages qui élèvent le toro brave éternel ? A la même chose depuis toujours :

1. Mesurer la bravoure du toro

2. Doser ses forces

3. Corriger son port de tête

4. Le décongestionner (pour la plupart des professionnels il est nécessaire de faire saigner le toro mais les scientifiques sont beaucoup plus dubitatifs sur l’interêt d’une bonne saignée)


Nov 28 2015

Charger la suerte

ureña 1Il existe au moins trois manières de toréer avec profondeur et autant de concepts de charger la suerte car le moment de la charge dans une suerte correspond au deuxième temps, celui de la rencontre, où le torero pèsera ou non sur l’animal. Pour ce faire, il devra le conduire vers l’intérieur, ce qui est la première chose à regarder et non sur le passage et encore moins vers l’extérieur. C’est pourtant ce que fait parfois, le plus souvent même, un torero qui met ostensiblement la jambe de sortie entre le berceau des cornes. Très rarement, on voit le toreo idéal, en point d’interrogation, avec un double changement de trajectoire du toro mais il faut émettre deux réserves : ce n’est possible qu’avec un petit nombre de toros et cette manière de toréer impose des passes isolées dans la mesure où il est antinomique avec le toreo lié.

Domingo Ortega dans sa conférence de 1950 à l’Athénée de Madrid, disait :
« Pour moi charger la suerte ce n’est pas ouvrir le compas, parce qu’avec le compas ouvert le torero allonge mais n’approfondit pas la passe; la profondeur s’acquiert en avançant la jambe vers l’avant, pas sur le côté. […] en ne mettant pas en pratique les concepts qui définissent ces normes, on ne torée pas, on donne des passes; beaucoup de passes, c’est vrai. […] Parce que, je le répète : ce n’est pas la même chose de donner des passes et de toréer. »

Manolo Vázquez, de son côté, interprète le toreo les pieds joints et de face, derrière la hanche.

Manolete, dans une interview publiée dans El Ruedo en 1945, disait :
« Je pense que pour le toro qui charge, on ne doit pas avancer la muleta. […] Charger la suerte à la naturelle et dans les autres suertes est une facilité pour le torero, car il dévie plus facilement la trajectoire du toro. »

Personnellement, j’utilise l’expression charger la suerte lorsqu’un torero met la jambe de sortie vers l’avant, sur la ligne d’attaque du toro, pas au fil (la cuisse, pas la pointe du pied), en terminant la suerte vers l’intérieur, ce qui représente la forme la plus pure de toreo car elle est la plus difficile même si, par définition, elle n’est pas toujours possible.

Selon les qualités du toro, je crois qu’il y a deux manières de la charger. La première se voit de moins en moins : avec un toro qui vient de loin, elle consisterait à avancer la jambe de sortie après le départ du toro, sans l’attendre immobile avec le compas ouvert. La suerte est ainsi chargée en deux temps. Dans la deuxième, plus rapprochée, elle consiste cette fois à avoir la jambe de sortie avancée au moment de l’appel, sur la trajectoire, et, dans le toreo moderne (pas celui de Domingo Ortega), en terminant derrière. Ici la suerte est chargée en un seul temps.

Manolete disait que charger la suerte (il semble qu’il comprenait ce concept dans le sens d’avancer la jambe) était un « recours » mais on pourrait interpréter la manière de toréer de Manolo Vázquez, dans la mesure où le torero est « croisé », comme une forme particulière de charger la suerte, avec tout le corps.

Finalement, il vaut mieux toréer vers l’intérieur et avec profondeur, en baissant les mains dans le second temps de la suerte, la rencontre, même si cela se fait au fil de la corne que commencer à charger la suerte et conduire le toro vers l’extérieur. Malgré ce que dit Domingo Ortega, cela, aujourd’hui, n’est pas toréer, parce que, plus que la liaison en elle-même, qui peut se faire avec le toreo « changé » (d’un côté sur l’autre), ce qui est le plus important, depuis un siècle complet, c’est de toréer en rond.

Je pense qu’on peut toréer sans charger la suerte et qu’il y a un juste milieu entre la charger et la décharger. Par exemple, à la manière de toréer d’Antoñete , qui consistait à mettre le poids du corps sur la jambe de sortie, il faudrait trouver une appellation et je ne sais pas si celle, ancienne, de tendre la suerte pourrait servir. Souvent, lorsqu’on réalise ce que fait Antoñete, les chroniqueurs disent qu’on torée, simplement, ce qui n’est pas rien, mais pas que le torero à charger la suerte. C’est pour cela que le terme tendre me plaît car il exprime le fait de poser le toreo, l’allonger et donc le tendre, c’est-à-dire l’ajuster, lui donner du poids et de l’envergure.


Nov 14 2015

Le temple

Tous les bons aficionados vous le diront, le temple est la base de tout en tauromachie. La tempérance et l’une des vertus cardinales de la noblesse chevaleresque et celle qui compte le plus dans le toreo aux côtés de la vaillance. Mais il y a deux conceptions bien différentes de celui-ci : le temple magique ou le temple technique.

D’après Federico Alcázar le temple est l’adéquation entre la vitesse du toro et celle de la muleta. Mais comment expliquer qu’avec un même toro, des toreros toréent à une vitesse différente ?

De l’autre côté, nous trouvons le concept de Pepe Alameda, entre autres, qui indique que le tempérer c’est toréer plus lentement que la vitesse du toro. Pour être plus précis, il explique que pour lui il y a deux vitesses, celle du toro et celle de la muleta et que le temple est la coordination des deux bien qu’il note également une troisième vitesse qui permet de terminer, donc de conclure (dernière partie et interruption) la passes de muleta.

Pour moi, la première définition n’est ni plus ni moins que toréer avec rythme, la seconde correspondant véritablement au temple tel que je l’entends. Je rajouterai qu’avec une charge suave il pleut sembler que le torero torée avec temple quand en réalité il le fait seulement de manière rythmée. D’autres fois, et je crois qu’il s’agit de là de la version la plus belle et authentique (l’un et l’autre ne devraient pas s’opposer) du toreo, le toro arrive avec une certaine vitesse (mais avec rythme) et le torero arrive à la réduire. C’est d’autant plus clair lorsque le toro vient de loin, ce qui permet d’apprécier la différence entre la vitesse première et celle qu’il adopte dans la rencontre.

Le temple est le fondement de l’art du toreo car c’est lui qui modèle la matière brute.


Avr 25 2015

La passe de liaison

Dans les différents traités de tauromachie en ma possession il est un aspect pourtant fondamental du toreo, auquel je confère le statut de suerte à part entière tant son importance est grande, qui est passé sous silence. Il s’agit de ce que j’appelle la passe de liaison, soit ce qui permet le passage du toreo naturel au toreo changé, donc du derechazo ou natural au pecho.

 – la manière la plus naturelle est sans doute une passe par le haut, come celle que pratique Manzanares avec un certain style. Le problème est qu’elle ne peut s’exécuter qu’avec un toro ayant un minimum de fijeza car dans le cas contraire cela faciliterait sa fuite.

 – la manière probablement la plus ancienne consiste à effectuer un déplacement avec plus ou moins de torería, savoir se déplacer devant les toros étant, rappelons-le, un élément fondamental du savoir-être torero.

 – la manière sans doute la plus classique, dans l’idéal du toreo pausé, s’exécute en écourtant la passe naturelle et en ramenant le leurre sur le côté opposé. Suivant les cas, elle pourra se donner immobile ou en avançant d’un pas.

Manzanares continue à toréer dans cette passe de liaison, à mi-chemin entre les deux manières précédentes, donnant à la série une unité

 – la manière la plus contemporaine est l’enchaînement « ojediste », le torero ramenant à lui la muleta à la fin de la passe naturelle, absolument immobile, obligeant le toro à le contourner pour donner la passe de poitrine (photo ci-dessous).

El Juli dans un toreo « moderne » mais pas moins engagé. Photo Arjona.

– un dérivé de cette dernière serait une passe interrompue enchaînée sans bouger mais dans un terrain moins difficile (la passe naturelle n’étant pas conduite à son extrême) que dans la passe « ojediste » où le toro doit contourner le torero pour suivre la muleta.

– la manière la plus spectaculaire est le martinete, souvent exécuté comme un recours face à un animal un tant soit peu tardo. Le torero y effectue un tour sur lui-même.

– le changement de main dans le dos est certainement, lorsqu’il est bien exécuté, la façon la plus esthétique de pratiquer le passage évoqué.

– il est également possible de faire un changement de main simple en laissant la muleta où elle se trouve à la fin de la passe en rond. Du côté gauche ce changement de main peut s’enchaîner à une passe aidée à la fin de la quelle la muleta et l’épée sont tenues par la main droite.

Bien sûr le passage du toreo naturel à la passe de poitrine peut se faire par le truchement d’une suerte du toreo accessoire : passe du mépris, afarolado, molinete


Juin 6 2014

Technique, Art et Toreo

Pourquoi certains toreros impactent-ils le public alors que d’autres le ravissent? Imaginons deux Toreros parmi les meilleurs, deux Figuras.
Supposons que le premier souhaite privilégier, l’arabesque, la fluidité, l’esthétique et la continuité tout en privilégiant l’intégrité corporelle. Pour y arriver, il pourrait se munir d’une muleta plus grande que la moyenne pour pourvoir citer plus loin de son corps, en donnant des toques vers l’extérieur, assurant ainsi les meilleures conditions pour préserver l’esthétique, réduire l’exposition aux risques, le tout sans avoir à se contorsionner ou à courber son corps exagérément. Il entrerait progressivement dans sa faena par des essais à petits pas, quelle que soit la difficulté du toro. Cette tactique aurait l’avantage de donner la sensation d’une faena qui va en se construisant, une faena réfléchie. De plus la faena serait plus longue et le public aurait l’impression d’en avoir plus pour son argent. Aussi, le Torero ayant évité d’obliger le Toro, en maintenant, la plupart du temps, la muleta a mi hauteur et en la maniant avec amplitude, pourrait terminer ses tandas et sa faena par des adornos personnels au moment ou le toro est le moins susceptible de le mettre en difficulté. Cette stratégie ne serait pas facile à mettre en œuvre et serait l’apanage d’un Torero aux capacités exceptionnelles. Imaginez-vous! Il devrait avoir la régularité d’un métronome et une persévérance hors norme pour arriver à continuellement maitriser ses gestes ainsi. Pas facile à faire, sinon tous les toreros le feraient. Pour le torero qui réussirait un tel exploit ce serait l’assurance de ravir le public plus sensible à l’esthétisme, de réduire le risque de blessures, de durer dans le temps.
Imaginons maintenant un Torero qui privilégierait l’intensité, l’audace, et une confiance absolue dans les techniques classiques du toreo. Pour assurer l’impact de son Art sur le public il privilégierait le rapprochement entre son corps et celui de l’animal, le tout dans une recherche d’une gestuelle simple, dominatrice et risquée. La meilleure preuve de sa confiance absolue dans sa technique serait de l’exécuter sans marge de manœuvre. Pas de chorégraphie, car il faut s’adapter à chaque toro, juste l’art de toréer dans sa plus grande simplicité. Il se munirait d’une muleta de taille normale et la manierait pour citer les Toros en avant de son corps, imprimerait une trajectoire dont l’embroque se produirait dans un axe parallèle ou rentrant, passant au plus près du corps, puis renvoyée vers l’intérieur. Risque maximum, avec une faena plutôt courte et la nécessité de préserver la mobilité du toro en soignant la lidia . Dans cette conception il n’y a pas de petits pas pour développer une période d’essai. La faena démarre tout de suite et donne l’impression qu’elle est du type ça passe ou ça casse. La marge de sécurité est réduite au minimum. Le risque de se faire accrocher, de se faire mettre en difficulté est élevé. Sincérité et risque sont, dans cette hypothèse, indissociables pour un triomphe de haut niveau. L’Adorno est ici dans chaque refus de rompre, dans chaque desplante improvisé. Comme pour la première description , on peut arguer que seul un Torero aux capacités exceptionnelles peut toréer ainsi. Il devrait accepter de payer de son sang, avec la contre partie de pouvoir impacter le public par une mise en danger palpable.
En guise de conclusion mentionnons que celui qui arriverait à combiner cette mise en danger maximale en appliquant les préceptes du toreo classique tout en exprimant une gestuelle d’un grand esthétisme pourrait être considéré comme un génie. Mais serait-il en mesure de répéter jour après jour comme le ferait le Torero de la première description. C’est fort improbable. Il serait très certainement beaucoup plus irrégulier.
Mon ami Michel, à qui je viens de faire lire ces quelques lignes, me dit que mes descriptions s’appliquent à Ponce, Jose Tomas et Morante. Il est perspicace ce Michel. Mais c’est lui qui a deviné.
On torée comme on est. On négocie les contrats comme on torée.

Niño de San Rafael

TOREO y ARTE


Juil 27 2013

Tijera et tijerilla

La première est une suerte disparue, seulement occasionnellement ressuscitée ces dernière années par le grand Espla (photo). Elle est également appelé a lo catre. Il faut « citer » le toro les bras croisés puis décroiser le bras pour faire passer le toro. Par ailleurs, Pepe Ortiz qualifiait son orticina de « tijerilla en rond, faisant passer le toro dans une rotation complète (comme pour la navarre) »[1].

La deuxième n’est rien d’autre qu’une tafallera dont la sortie se fait par le bas. Elle débute comme la véronique mais elle consiste à croiser les bras après le démarrage du toro, en plaçant un bras sur l’autre pour défaire la croix (c’est donc l’inverse de la suerte qui est sans doute son ancêtre). On l’appelle aussi cordobina.

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[1] Cf. Tauromachies à l’usage des aficionados de J.L. Ramón p. 61.


Juin 1 2013

L’école sévillane

Selon Francisco de Cossío (neveu de José María et auteur des tomes VIII, IX, et X de Los Toros) : “(…) on peut parler de deux techniques et de deux finalités distinctes pour chacune des deux écoles: conserver la force et la mobilité du toro pour le moment de la mise à mort, pour tuer a recibir, dans la première, ou être brillant dans le toreo de cape et de muleta pour dominer le toro et le tuer a volapié, dans la seconde” (Los Toros en deux volumes : tome II p. 85).

« C’est de ces deux manières de réaliser la mise à mort que naissent pour moi l’école de Ronda et l’école de Séville. Quiétude face à mobilité ? Toreo sobre face à un toreo de fioritures? » (Los Toros en deux volumes : tome II pp. 88-89).

 La première école sévillane apparaît avec « Costillares » et « Pepe-Hillo » puis ce sera « Cúchares » (celui qui inventa le toreo de la main droite) qui contribuera, vers la moitié du XIXe siècle, à la faire perdurer puis Antonio Fuentes au début du XXe.

 « Gallito », tueur somme toute moyen, aimait la variété et les ornements pour embellir son toreo profondément dominateur. Avant d’être influencé par son grand rival il a pu être considéré comme l’aboutissement de l’ancienne tauromachie et donc également de l’ancienne école sévillane. Belmonte, sévillan comme lui et artiste s’il en est avait, quoi que dans un style, une personnalité et une technique toute différente des détails on ne peut plus sévillans, nptamment dans sa demi véronique ou son molinete, mais on peut néanmouins se demander si son toreo aux déplacements minimalistes n’allait pas vers l’idéal rondeño. Quoi qu’il en soit, avec lui tous les schémas se brouillaient et en réinventant le toreo il allait imposer de  tout revoir à zéro.

C’est donc « Chicuelo » qui réaliserait la synthèse des deux maestros. En faisant évoluer le toreo vers plus de liaison tout en reprenant les grands principes du « belomontisme » il serait aussi à l’origine de ce qu’on peut considérer comme la nouvelle école sévillane. Même si à cette époque, Despeñaperros, la frontière naturelle de l’Andalousie sépare en deux le monde taurin, ce qui a fait dire à « Cagancho » qu’au-dessus de celle-ci on ne toréait pas, on travaillait,  un torero de la castillane Ségovie, Victoriano de la Serna, peut parfaitement s’inscrire dans cette école, tout comme, mais c’est plus naturel, Manolo Bienvenida.

 Dans l’après-guerre Pepe Luis Vázquez, à une époque où les toreros artistes toréaient régulièrement des miuras, dignifiera et dépurera cette école. Ensuite son frère Manolo ou Pepín Martín Vázquez puis Curro Romero reprendront le flambeau dans un répertoire plus limité et face à des toros au tempérament apaisé.

Demi véronique pharaonique. Photo ABC.

Emilio Muñoz dans un style baroque portera les couleurs de sa ville dans son esprit puis Julio Aparicio fils quoi que sporadiquement et surtout à Madrid.

Depuis quelques années c’est « Morante de la Puebla » qui est son meilleur représentant. Il a su puiser dans les différentes sources qui se rejoignent dans le lit de son toreo.

La particulière torería de Morante. Photo 6 toros 6.

 Actuellement Antonio Nazaré et les novilleros Lama de Góngora et Posada de Maravillas entretiennent l’espoir de cette école fragile et difficile qui propose le toreo dans ce qu’il a de plus grand, le don absolu de soi. Rappelons que les grands artistes, quoi qu’on en dise, sont souvent blessés. C’est le prix du sublime.

 Mais à l’intérieur de cette école sévillane il y a la veine gitane qui reprend ses fondements mais avec plus d’emphase et de fioritures : « El Gallo » est son créateur. Il sera suivi, à l’époque de « Chicuelo » de « Gitanillo de Triana» et de son voisin « Cagancho » puis de Rafael “Albaicín”, pourtant madrilène, dans les années 40 et de « Rafael de Paula » à partir des années 60 pour arriver au « payo » Javier Conde et dans l’actualité à Oliva Soto, qui a plus de courage que le commun des mortels n’en accorde aux représentants de celle-ci. Certains ont inclus le « Pharaon de Camas » dans cette branche de l’école sévillane pour son côté tout ou rien, mais ce ne sont pas ses origines non-gitanes qui m’empêchent d’en faire de même mais son toreo somme toute très sobre comparé à celui d’un Paula.

Le génie de Rafael de Paula


Mai 4 2013

Un pasito pa’lante María

J’ai essayé à certains endroits de ce blog d’expliquer en quoi consiste l’expression ‘cargar la suerte’ mais il me semble que quelques précisions s’imposent.

Dans l’ancienne manière de « charger la suerte », qu’on ne voit plus depuis belle lurette, il était indispensable de laisser le toro à une distance suffisante, avant de l’appeler puis (en deux temps donc) d’avancer la jambe de sortie, pour lui permettre de changer sa trajectoire avant de l’envoyer vers l’extérieur. Si, au contraire, on prend le sens le plus communément admis d’avancer la jambe de sortie sur la trajectoire de l’animal au moment du cite, ce qui est ensuite fondamental c’est de conduire la charge du toro pour l’emmener derrière la hanche et non de le conduire vers l’extérieur car dans ce cas la charge ne serait pas déviée et l’homme n’aurait pas pesé sur l’animal. Car là se trouve l’essentiel, rappelons-le, plus que dans la position de la jambe : de tous temps ce concept revenait à peser sur la charge de l’animal en lui imposant une trajectoire et qu’en ce sens il est possible de « charger la suerte » même avec le « compas » fermé autant que de ne pas la charger avec celui-ci ouvert.

 

Bolívar, fuera de cacho, ne charge pas la suerte malgré le compas ouvert

Dans cet exemple, Robleño, avec un toque vers l’extérieur, ne charge pas la suerte

Si je reconnais qu’il s’agit là (je parle de l’acceptation la plus répandue) de la manière classique par excellence je ne lui concède pas, comme aux concepts de parar, templar, mandar et ligar, la catégorie de canon.

Partisan du classicisme je reconnais aussi à d’autres formes de toreo leur valeur. Il me semble d’ailleurs que les dogmes conduisent à des aberrations, je veux parler de ces « carga la suerte » criés à tous vents dans les arènes, ‘me cago en la má’. Rappelons qu’il est impossible de « charger la suerte » avec tous les toros, qu’il faut un animal avec un minimum de franchise et bien-sûr de force pour le supporter, et que l’exiger systématiquement comme font certains reviendrait à sacrifier le plus vaillant des toreros. Mais ceux qui veulent cela se complairont dans leur idée qu’il n’y a plus de bons toreros.

Pour ce qui est de mettre la jambe de sortie en arrière, si ce n’est pas ma tasse de thé il faut me semble-t-il distinguer si cela s’utilise comme un recours et pour réduire la distance des cornes ou si, comme c’est parfois le cas, c’est pour mieux embarquer le toro, allonger la charge et permettre la liaison des passes. Dans ce cas le torero ne décharge pas la suerte car lorsque les cornes se rapprochent de la jambe de sortie il place le poids du corps sur cette jambe. De plus, à choisir, je préfère le toreo enchaîné où la distance se réduit normalement et où le mérite est souvent le plus grand à la troisième passe qu’un torero qui comme dans le cas premier avance la jambe pour l’emmener vers l’extérieur ou ne donner qu’une passe orpheline.

Perera appuie ici sur la charge malgré la jambe légèrement en arrière : d’une certaine manière, il charge la suerte

C’est d’ailleurs ce que rappelle André Viard dans sur son site de Terres taurines : « De la même manière, décharger la suerte ne signifie pas tenir la jambe de sortie en retrait en cours de passe, ce qui, même dans le toreo néo-classique peut se produire quand les passes sont liées entre elles et qu’il s’agit pour le torero d’accompagner le toro sur la trajectoire la plus longue possible. Décharger la suerte, comme l’explique José Mari Manzanares, c’est se placer en marge de la trajectoire du toro, fuera de cacho, et provoquer le toro sur sa corne contraire, même si on a ostensiblement avancé la jambe. »[1]

Arrêtons de tout voir en noir ou en blanc et évitons cette manie du soupçon envers le torero qui confine au mieux à une méfiance envers son espèce au pire à une certaine paranoïa qui serait la marque du soi-disant bon aficionado. Mais ces idées sur la capacité des toreros à utiliser des trucs pour nous tromper ne sont-ils pas l’aveu d’un manque de clairvoyance ? Plus que la certitude, le doute est la marque d’un début de savoir. Analysons chaque faena dans son unité et méfions nous des charias ou des paroles d’évangile ainsi que des discours évoquant une pureté trop absolue.


[1] Comprendre la Corrida/Techniques du toreo sur l’Encycopédie en ligne de Terres taurines.