Juil 16 2016

Rivalités (IV)

Dans les années 30 deux toreros mexicains qui n’ont pas vraiment atteint les positions les plus élevées dans leur profession, ont été les protagonistes d’une rivalité qui a fortement séduit l’afición espagnole, notamment celle de la capitale.

Luis Castro “El Soldado”, est né le 25 août 1912 à Mixcoac. Il rentre comme employé des abattoirs dans la perspective de sa vocation (le maniement de l’épée y a longtemps été accepté) avant de revêtir l’habit de lumières dans sa ville natale en 1932, sans aucune préparation mais avec succès, ce qui lui vaut de se présenter dans la capitale le mois suivant avant de faire  21 paseos de plus cette saison là (!!!). Il prend l’alternative le 5 mars 1933 et arrive en Espagne où il se présente à Madrid comme novillero le 20 juillet. Le 29 juillet de l’année suivante, commence dans la capitale espagnole sa grande rivalité avec Lorenzo Garza dans une course qui se transforme en mano a mano suite à la blessure de Cecilio Barral. Il coupe la queue de son premier, de Gamero Cívico. Le 17 mars 35 il reçoit son alternative européenne à Castellón des mains de Rafael El Gallo et en présence de Garza, coupant la queue de son toro d’alternative. Il la confirme le 2 mai avec El Gallo et Lalanda à l’affiche. Il est mort dans la capitale mexicaine en 1990. Il a toréé à la cape avec variété et majesté. Il a été l’un des meilleurs capeadores de sa génération et un torero complet qui banderillait, en particulier au quiebro, et auquel il ne manquait pas du courage. Une de ses particularités étaient ses estocades portées avec un mouchoir.

El Soldado

Lorenzo Garza, est né à Monterrey le 14 novembre 1909. Il torée 5 novilladas en 1932 en Espagne puis 15 l’année suivante où il prend l’alternative le 6 août à Santander des mains de Pepe Dominguín mais y renonce l’année suivante. Son immobilité et sa témérité impressionnent parfois mais c’est le 29 juillet, à Madrid, qu’on va vraiment commencer à s’intéresser à lui. Les arènes sont remplies les 9 et 23 août pour les mano a manos avec El Soldado. Il reçoit une nouvelle alternative le 5 septembre 1934 des mains de Juan Belmonte. En 1935, à son retour du Mexique, il torée 43 courses en Espagne. Entre les conflits syndicaux des toreros mexicains et espagnols, puis la Guerre Civile, il ne torée plus en Espagne jusqu’en 1945 où il coupe une oreille à Madrid et reçoit un coup de corne à Barcelone. Il est ensuite devenu acteur et s’est éteint dans son pays en 1978. Cossío dit qu’il se passait les toros près du corps mais qu’il n’était pas un grand dominateur.

Garza


Juin 25 2016

Rivalités (III)

Cándido et Guillén ont été les protagonistes de la deuxième rivalité de l’histoire du toreo après celle de Romero et Costillares et la première du XIXe siècle. Rappelons le contexte de ces années là : Pepe Hillo venait de mourir en 1801 alors que 4 ans plus tard Carlos IV et Godoy interdisaientnt les corridas. Cette même année de 1805 sera celle de la défaite franco-espagnole de Trafalgar, au sud de Cadix – où apparaîtra rapidement la première Constitution espagnole – contre l’Angleterre. Trois années plus tard, l’ancien allié envahit le territoire espagnol et le dominera un lustre, non sans résistance, jusqu’en 1813, pendant une guerre d’indépendance qui désorganisera l’empire espagnol au point de provoquer l’émancipation des colonies américaines. Quelques années plus tard, le roi absolutiste Fernando VII, après que le général Riego n’ouvre la parenthèse libérale de 1820-1823, rachètera en 1832 l’élevage créé par José Vicente Vázquez.

Jerónimo José Cándido est le fils du célèbre matador José Cándido, tué par un toro au Puerto de Santa María. Il devint l’élève de Pedro Romero avant d’entrer dans son quadrille puis de devenir son gendre. De 1792 à 1800, il est demi-épée puis semble se retirer un temps des arènes avant la prohibition. En 1810, il connaît un grand succès à Madrid aux côtés de Curro Guillén puis se retire à la fin de la saison 1812 pour réapparaître en 1816, moins fringant, jusqu’en 1823. Ni rondeño ni sevillano, il emprunte aux deux écoles. Son toreo est sobre et un peu à la défensive. Il préfère le volapié mais crée l’estocade al encuentro. En1820, il reçoit un coup de corne à Madrid puis à Medina del Campo en 1822. Une fois retiré, il obtient un emploi à Sanlúcar de Barrameda avant de devenir le directeur-adjoint de l’école de tauromachie de Séville. Il torée à nouveau à Madrid en 1834 puis lors des saisons 1837 et 1838, à l’âge de 75 ans environ. Il meurt peu après, dans la capitale, le 1eravril 1839. Très varié, il fut le premier torero largo, en fait le fondateur de l’école de Chiclana où l’efficacité est aussi importante que les fioritures.

Curro Guillén, Francisco Herrera selon l’état civil, serait né à Utrera le 16 novembre 1783. Il était fils et petit-fils de matador. Cándido le prend comme banderillero en 1797-98 avant de toréer semble-t-il face à lui à Madrid ou Séville. Il se montre à son avantage dans la ville de l’ours et de l’arbousier en 1803 en tant que demi-épée, une ville où il semble s’être présenté le 3 septembre 1799. Il perd vie le 21 mai 1820, tué par un toro de Cabrera à Ronda alors qu’il s’apprêtait à l’occire en recevant sa charge, comme il convient à Ronda, selon ce que je venais de lui rappeler un spectateur. Il commence sa rivalité avec Cándido en 1810 et celle-ci se poursuit l’année suivante dans les corridas madrilènes organisées par José Ier El Botella, le frère de Napoléon Ier. Après un séjour prolongé au Portugal, il revient en Espagne en 1814. La rivalité avec Cándido reprend en 1816, mais ce dernier est à ce moment-là physiquement diminué. C’est en 1819 qu’il atteint l’apogée de sa carrière. Torero à la fois physique et technique, enjoué, en bon sévillan, complet sans être un grand estoqueador, il tuait autant a volapié qu’a recibir.

Tragabuches, le bandit torero qui a inspiré Mérimée, et Panchón, sont à ce moment là les meilleurs représentants de l’école de Ronda. Par la suite El Sombrero et Juan León, deux sévillans, élèves de Guillén tous deux, vont donner jour à une nouvelle rivalité dont on parlera une prochaine fois. Pour l’anecdote, disons simplement que Juan León a également été pris par le toro ayant tué Guillén alors qu’il tentait un quite salvateur pour son ancien maestro, l’animal portant au bout de chaque corne un torero, comme on peut le voir dans cette lithographie :

Muerte de Curro Guillén Atienza


Juin 9 2016

Il y a 15 ans

Il y a 15 ans s’est produit un grand triomphe, non pas celui d’un torero à pied mais celui d’un homme à cheval, non pas un rejoneador mais celui d’un piquero qui fait honneur à une profession de plus en plus incomprise et donc mal-aimée. Voici le récit d’un exploit rappelant celui des grands varilargueros sur lesquels nous reviendront dans les prochaines semaines :

Ce samedi 9 juin 2001, lors de la dernière corrida de la feria de San Ididro, le cartel annonçait des toros de Victorino Martín pour Luis Francisco Esplá, Manuel Caballero et Uceda Leal.

Anderson Murillo avait la responsabilité de piquer le 4e ,Bodegón, aux ordres d’Esplá, qui lui permit de réaliser l’un des tercios de piques les plus émouvants jamais réalisés à Madrid lors de trois rencontres où le varilarguero colombien a fait étalage de tout l’étendu de l’art de la puya, toréant véritablement à cheval et utilisant le regatón dans le cite avant de placer la pyramide dans le morrillo.

Non seulement don Anderson a salué pour répondre à l’ovation qui s’en est suivie mais il a été invité à accompagner le torero d’Alicante lors de la vuelta al ruedo postérieure à la lidia.  

Anderson Murillo

Anderson Murillo est né en Colombie le 1er mars 1945. Fils de vétérinaire et frère des picadors Melanio et emerson, il a un aspect plutôt svelte loin de ressembler à un 3e ligne de rugby. Il a commencé sa carrière professionnelle en 1968 avant de devenir le principal piquero de César Rincón.

Ces dernières années, il est réapparu aux ordres de Posada de Maravilla et a été coincé sous son cheval en 2013 pour la première corrida de San Isidro, souffrant une luxation du coude.


Mai 14 2016

Tauromachies Universelles

Pour ceux qui ne l’auraient pas encore vu, voici l’excellent documentaire d’André Viard qui est le premier fruit du  plan triennal de défense de la tauromachie voulu par les villes taurines françaises (UVTF) et l’Observatoire national des Cultures Taurines et financé par les professionnels, toreros et éleveurs, mais surtout par les aficionados (50 cts sur chaque billet) :


Mar 26 2016

Le toreo de proximité

Il convient tout d’abord de faire une distinction entre le concept de tauromachie moderne qui est le cadre de la Corrida telle que nous la connaissons aujourd’hui et qui voit le jour dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle et le toreo moderne, c’est-à-dire la dernière évolution importante de l’art de toréer qui commence dans les années 80 du XXe siècle bien qu’elle prenne appui sur des formes antérieures. Bombita déjà toréaient dans la proximité et Villalta se plaçait entre les cornes comme le fit par la suite Procuna.

Depuis les années 70 et l’apparition d’un toro plus volumineux, donc moins mobile, une nouvelle manière de toréer est apparue, d’abord avec Dámaso González, dont nous nous souviendrons dans ce que nous avons appelé le “tic-tac”, avant de se développer dans les années 90; il s’agit du toreo de proximité, complètement antinomique avec le toreo classique (mais non pour autant dénué d’intérêt), dans lequel le summum est d’appeler le toro de loin. Précisons une fois de plus que, s’ils sont liés, le toreo statique et le toreo de proximité ne sont exactement pas la même chose. Ils se réalisent à des moments différents dans la faena, ce qui induit un passage de la liaison des passes à leur isolement et aussi un rapprochement des cornes.

Cette manière de toréer consiste à donner des passes d’une en une, à la fin de la faena, en réduisant les distances au maximum, en se situant entre les cornes d’un toro complètement à l’arrêt, aplomado, mais qui peut charger de temps en temps si on le laisse respirer. C’est quand l’animal n’est plus capable de courir que cette tauromachie perd tout son sens, la Corrida étant basée, dans son nom même, sur l’idée de course.

A part les passes données d’une en une, la passe circulaire, également appelée bilbaína (la muleta tenue de la main droite et placée de dos) est très pratiquée, ou la circulaire inversée (du côté gauche et de dos, donc de la main droite et terminant par une passe de poitrine), que d’aucuns appellent dosantina, bien que la passe inventée par Manuel Dos Santos n’appartenait pas à ce genre de toreo, l’appel se faisant de loin.

Dans l’actualité, outre « El Juli » qui ne rechigne pas à utiliser le toreo de proximité pour faire le travail et couper les oreilles, deux toreros importants se sont distingués ces dernières années dans cette spécialité : Castella et Perera.

Castella est un torero d’un courage froid au-dessus de la moyenne qui lui permet une quiétude impressionnante. Son répertoire de cape est assez étendu et il construit ses faenas sur la même base : un début par une passe changée dès que le toro s’y prête pour finir par manoletinas et plus souvent par le toreo de proximité qu’il affectionne. Il se maintient depuis de nombreuses années parmi les figures et il est incontestablement le plus grand torero qu’ait connu notre pays. Le fait d’avoir bien appréhendé le toro de notre temps n’y est pas étranger. Il est particulièrement apprécié à Madrid qui non seulement reconnaît son courage mais aussi l’alliance réussie d’un certain classicisme avec cette nouvelle tauromachie à l’arrêt.

 [youtube]http://www.youtube.com/watch?v=lYpnCivRQ58[/youtube]

Le torero d’Estrémadure a lui aussi un courage froid et un style qui a certaines similitudes avec celui d’Ojeda même s’il a aussi et à ses débuts surtout bu aux fontaines des tauromachies de Tomás et de Castella. Il aime alterner le toreo de distance et celui de proximité. Très varié à la cape et avec la muleta il a l’habitude de commencer par estatuarios ou pases cambiados dans le dos et il finit souvent par bernadinas. Entre les deux il est capable de toréer avec profondeur et sa tauromachie mériterait sans doute d’être confrontée à des animaux puissants car il exige beaucoup à ses adversaires. S’il sait tirer profit d’un animal à l’arrêt il a aussi besoin, en début de faena d’un toro mobile.

[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=ReqmSAPbBlI[/youtube]

Sans cependant être de farouches partisans de cette manière de toréer, la majorité des toreros s’y adonnent, ne serait-ce que pour arracher une petite oreille avec un toro parado. Nous avons vu que même Rincón l’a utilisé dès 1992.

Par ailleurs, deux toreros ont inventé autant de nouvelles suertes qui peuvent s’inclure dans ce concept du toreo de proximité : la poncina et la luquecina.

La première est l’alliance du toreo au genou ployé si cher à Enrique Ponce et de la passe circulaire, allongeant le tracé en faisant passer le poids du corps d’un genou à l’autre. Il arrive même parfois à en lier plusieurs. 

[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=lDGqBlLugSg[/youtube] 

La deuxième est l’héritière du toreo de proximité par le haut (ou à mi-hauteur) de Dámaso González, la muleta prise à l’envers et sans l’épée avec un changement de main pour faire passer le toro des deux côtés (1’50).

[vimeo]https://vimeo.com/97537267[/vimeo]     


Mar 19 2016

L’héritage d’Ojeda

Si nombreux sont ceux qui ont vu en Ojeda un révolutionnaire, force est de constater qu’il n’a pas tout changé du jour au lendemain, c’est progressivement que les éléments de son toreo se sont imposés. D’une part, l’art de toréer, qui va toujours plus vers une absence de déplacements, a continué à évoluer dans le sens d’un toreo statique, en particulier dans l’enchaînement de la dernière passe du toreo en rond (derechazo ou naturelle) et de la passe de poitrine pratiquée par tous les grands toreros.

Mais la grande différence par rapport au toreo d’Ojeda c’est que la plupart des grands toreros actuels cherchent à s’adapter aux conditions de l’animal qu’ils ont en face d’eux, ne rechignant pas à utiliser le cite de loin lorsque celui-ci le permet ou des techniques comme perdre un pas avec un animal au parcours incomplet ou en gagner un avec un animal ayant tendance à fuir. D’autre part, le toreo de proximité de fin de faena s’est amplement développé dans les dernières années face à des animaux toujours aussi volumineux et aussi peu mobiles. Mais, au risque de me répéter, Ojeda n’a pas révolutionné le toreo du jour au lendemain. Les grands toreros des années 90 (Rincón, Joselito et Ponce) ne l’ont pas vraiment suivi dans ses fondements (il n’y a que le toreo de Jesulín au début de sa carrière qui pouvait rappeler celui de son aîné), ne serait-ce que parce qu’il n’était pas possible avec tous les toros quoi que le torero de Sanlúcar de Barrameda ait réussi à être régulier en s’exposant beaucoup dans ses années de gloire (83-88). Il n’était pas si facile de suivre ses pas. Cependant, après visionnage de vieilles cassettes VHS on s’aperçoit que le grand César, considéré comme le torero qui a remis au goût du jour les principes les plus classiques en matière de terrains, dès 1992, ne rechignait pas utiliser le toreo de proximité pour accrocher tout de même le triomphe quand son adversaire ne lui permettait pas son toreo de prédilection.

De plus, si le style de José Tomás n’a bien-sûr rien d’ojedista il y a une similitude dans l’aguante et surtout on peut se dire que si Paco Ojeda n’avait pas montré la voie dans la conquête de nouveaux terrains le torero de Galapagar ne se serait jamais mis aussi systématiquement sur la ligne d’attaque de ses adversaires. La comparaison s’arrête à peu près là (et dans le fait de se mettre au plus près des cornes) mais ce n’est pas rien.

Dans l’actualité on voit que le toreo d’El Juli évolue de plus en plus vers le toreo en 8 de la meilleure époque du sanluqueño, la muleta beaucoup plus basse cependant, comme en témoigne par exemple la faena réalisée à Olivenza (clic) en mars 2013, mais aussi le corps beaucoup plus contorsionné. Dernièrement cependant, après de nombreuses années au sommet, où il a montré une compétence outrageante et où il est apparu comme le torero le plus largo de sa génération, sa tauromachie paraît évoluer parfois (pas forcément dans les toutes premières arènes) dans la sens de la facilité, pas seulement au moment de l’estocade mais dans son invention de ce qu’on pourrait appeler le toreo carré (involution après celui en ellipse), conduisant la charge vers l’extérieur avant de renvoyer brusquement le toro vers l’intérieur avec un angle de 45°, comme il l’a fait dans certains passages de ses faenas de la feria de Hogueras d’Alicante en 2015.

 



Mar 12 2016

Le classicisme : toreo éternel?

Après Belmonte, à l’instar des avant-gardes artistiques de la même époque, la tauromachie bouillonne de créativité. Le classicisme se forge mais il n’est pas encore. Sans doute faut-il dater sa naissance aux années 50.

Dans la dernière partie de la Guerre Civile, alors que Manolete n’était encore qu’un novillero, le toreo était encore en train de changer et dès les années 40 il n’y aurait plus de retour en arrière possible.

Le toreo de Manolete allait être repris dans ses fondements mais pas dans son style, à part peut-être Mondeño et Luis Miguel, pour créer ce qu’on nomme de nos jours le toreo classique.

Sans doute faut-il voir dans les frères Vázquez, Pepe Luis et Manolo, puis les deux grands Antonio, Bienvenida et Ordóñez, ainsi que dans Manolo González, Rafael Ortega puis « Antoñete » les premiers grands classiques.

Le classicisme réunit donc différentes écoles et pour parler de style classique il faut déjà du style (pas un style de lidia campera dépourvu de toute classe) qu’il soit rondeño, sevillano ou castellano. Il n’est pas un dogme, encore moins une manière toute faite de toréer. De la même manière que la Renaissance italienne et le classicisme à la française sont deux styles équilibrés qui ont chacun leur valeur il existe des classicismes dans « l’art de Cúchares ».

Qu’est-ce donc que le classicisme ? Dans un premier temps, il s’agit de la synthèse des grands : le duo Gallito-Belmonte déjà réuni avec Chicuelo, les mains basses et le temple de Gitanillo de Triana, la domination de Domingo Ortega (qu’on oublie parfois, moi en premier, je bats ma coulpe) et les enchaînements de Manolete.

On en revient donc toujours aux grands canons : parar, templar, mandar puis ligar et aux grands concepts : attendre la charge du toro les pieds bien ancrés au sol (avec quiétude et aguante), baisser la main et gagner du terrain vers le centre de la piste (pour mandar), conduire la charge avec suavité, rythme et cadence (templar), en allongeant la charge en jouant avec la ceinture (pas avec tout le tronc) et en « chargeant la suerte »  (mandar encore), tracer des passes avec le plus de naturalité possible : avec une parcimonie de gestes en prenant bien le toro vers l’avant et en le conduisant derrière la hanche par un mouvement de poignet qui permettra de le replacer avant que le torero ne pivote sur lui-même pour se resituer et enchaîner une deuxième passe (ligar). Le classicisme c’est la simplicité et la mesure, c’est aller à l’essentiel sans à–coups et sans ostentations. Certaines manières sont considérées les plus pures : de loin, de face, dans la ligne d’attaque du toro (croisé), le leurre présenté bien de face et tenu à la moitié de l’estaquillador pour la naturelle, le toque le plus léger possible, la muleta traînant à moitié. Dans la faena idéale le début se ferait par doblones pour dominer le toro en l’amenant vers le centre et la fin par ayudados pour relever un peu sa tête et le « fermer » vers les talanqueras avant la mise à mort. Entre les deux, deux séries à droite et deux à gauche, entre trente et quarante passes, guère plus, le tout agrémenté de quelques détails : trincheras, changements de main, un molinete ou un autre ornement et un desplante pour couronner le somment de l’œuvre et c’est la perfection.

Mais pour réaliser tout cela encore il est pour le moins préférable, sinon indispensable, d’avoir un toro dont les cornes rentrent dans la muleta.

A partir des années 60 El Viti, Paco Camino ou Curro Romero ont repris le flambeau du classicisme puis Teruel, Manzanares, Capea ou Muñoz par la suite tout en notant que le toreo classique a besoin du mouvement. Et si le toreo pur est un art cinétique le toro à l’arrêt qu’on produit majoritairement depuis 40 ans ne l’a pas vraiment favorisé.

Cela dit le classicisme reste aujourd’hui vivant, à un degré plus ou moins grand de pureté (la pureté n’existant pas, il faut s’en convaincre) : Tomás, Morante, Fandiño ou Urdiales le font perdurer… D’autres encore, dans leurs grands jours.


Mar 5 2016

Les autres écoles

A part les écoles de Ronda et de Séville, on a pu parler d’autres écoles tout au long de l’histoire du toreo : celle de Castille, que nous avons évoqué précédemment serait évidemment la plus importante. On pourrait la considérer comme une émanation de l’école rondeña, dans la mesure où elle représente un toreo d’efficacité qui s’accorde aux canons les plus classiques mais en se différenciant de ce qu’on appelle le toreo andalou par son côté plus austère. Même si l’éventail du toreo castillan va d’un toreo campero, propre aux purs « lidiadors », à un toreo plus raffiné, il reste en effet peu inspiré et il ne met l’esthétique qu’au second plan.

Des autres écoles il faudrait mentionner celle de Chiclana ou de Cadix, étant donné l’importance que le “coin du sud” a eu dans l’histoire du toreo, ainsi que les écoles de Cordoue ou du Mexique.

La première est due en premier lieu à Jerónimo José Cándido et surtout à Paquiro. El Chiclanero fut ensuite son héritier naturel. Dans le “Cossío” il est écrit à son propos : « Il a mis en pratique tout ce que son maître [Montes] lui a appris de l’école de Chiclana, éclectique et complète, en la raffinant encore plus et en la rendant plus spectaculaire ».1 Elle sera l’école des toreros largos, équilibrés dans le sens de la lidia et du toreo. Dans cette école, à mi-chemin entre celles de Ronda et de Séville, la réalisation brillante serait aussi importante que l’efficacité mais sans se cantonner à la plus stricte orthodoxie dans le but de développer sa propre personnalité. Après Montes, un autre roi solitaire apparaîtra, Guerrita, bien que Cordouan. Ne pourrait-on pas considérer Manolete et après lui Luis Miguel comme leurs successeurs ? Le toreo de Paco Ojeda ne pourrait-il pas être inclus dans la définition de cette conception du toreo ? J’ai moins de doutes envers un torero comme Paquirri et dans l’autre extrême Espartaco, avec plus de technique que d’éthique. Et El Juli ? Ne pourrait-il pas être dans l’actualité l’élève devenu maître de ce courant ? Faut-il sinon les considérer comme des cas particuliers ? Les situer dans une catégorie n’empêche évidemment pas que chacun ait sa propre personnalité, d’autant plus quand les distances temporelles sont importantes.

Ce n’est pas qu’il soit tellement important de vouloir les mettre dans des cases prédéfinies et il est vrai qu’on parle peu aujourd’hui d’écoles en dehors de la sévillane et du style castillan, mais certains parallélismes peuvent être tentés lorsqu’on essaie de comparer différentes époques. Par exemple, Lagartijo, premier grand torero Cordouan, a laissé sur la tauromachie la marque de l’esthétique tout en étant un torero dominateur. José Bergamín et Francisco de Cossío, duquel nous transcrivons ce qui suit, faisaient référence à cette école de Cordoue : «En ce qui concerne Lagartijo, il a pris des deux écoles ce qui s’adapte le plus à sa manière particulière de toréer, au point qu’on a prétendu voir en lui le créateur d’une nouvelle : la cordouane, qui serait une synthèse de l’une et de l’autre. »2 En fait assez proche de la conception de la précédente, mais moins ample et donnant plus d’importance à l’esthétique, sans la profondeur de celle de Ronda ni l’allégresse et les détails inspirés de celle de Séville mais beaucoup moins sobre que celle de Castille, cette école cordouane correspondrait assez bien, d’après moi, aux formes et au fond de la tauromachie d’Enrique Ponce.

Des Mexicains et de leur toreo jovial et très varié, en particulier à la cape, traditionnellement bons banderilleros, il faudrait écrire quelque chose à part mais je ne voudrais pas être ici trop prolixe. Le fondateur est indubitablement Gaona, dont les grands héritiers sont Armillita, Solórzano, Liceaga, El Soldado, le très créatif Ortiz, avant Arruza puis Martinez sans parler de la nouvelle génération. Le toreo d’Esplá également, tout Espagnol qu’il est, pourrait parfaitement rentrer dans la définition de cette école.

Les toreros Basques ont également leurs caractéristiques, proches de celles de l’école castillane, le style est dépouillé et ils sont de grands « estoqueadors » : Mazzantini, Cocherito, Fortuna ou Martín Agüero même si les Aragonais Villalta o Nacional II, par exemple, pourraient compléter cette liste.

Puisque nous sommes dans un jeu de classement, il faudrait aussi parler de l’école « trémendiste » (Arruza et Carnicerito de México pourraient aussi y figurer, en plus de Litri, El Cordobés, Palomo ou Chamaco) ou celles des téméraires (Frascuelo, El Espartero, Reverte, Freg, Gitanillo de Ricla… et maintenant Padilla, parfois).

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  1. In Los Toros deux volumes : tome II p. 682.
  2. In Los Toros deux volumes : tome II p. 91.

Fév 26 2016

L’école castillane

Si les écoles de Ronda et de Séville ont été les deux grandes écoles du toreo au début de la tauromachie à pied moderne, on a aujourd’hui l’habitude d’opposer les toreos andalous et castillans, comme deux concepts bien différenciés. On continue encore à parler avec une certaine fréquence du toreo sévillan, même s’il faut bien reconnaître qu’il a perdu une grande partie de sa force par rapport aux époques précédentes. Le deuxième est encore plus dilué et il est vrai qu’on parle actuellement peu de lui. Et il faut reconnaître que la plupart des toreros importants ne sont plus originaires d’Andalousie comme cela était le cas par le passé.

Encore une fois, le concept d’école correspond à une image du toreo qui a pu coïncider à un certain moment avec des toreros d’une zone géographique déterminée mais cela n’implique pas forcément que les matadors de cette zone suivent ce concept ni que ceux d’autres latitudes de puissent pas s’y retrouver.

Un des premiers toreros castillans a été sans aucun doute le madrilène Cayetano Sanz qui, vers la moitié du XIXe siècle, a été un torero de classe, en particulier à la cape (le principal instrument du toreo à cette époque) bien qu’il tuait de manière déficiente. Il a vécu une tragédie semblable à celle de Padilla et a été le premier torero, précisément en 1856, à rester seul en piste lors de la faena de muleta.

Mais c’est Vicente Pastor qui, au début du XXe siècle, sera réellement l’initiateur de ladite école, de par sa sobriété et la recherche de l’orthodoxie.

Nous retrouverons cette sobriété dans les années 30 avec Domingo Ortega et sa domination basée sur le principe de charger la suerte qu’il défendra comme un concept fondamental que l’afición de Madrid continue à exiger dans l’actualité. Nous pourrions inclure à cette époque des toreros comme Antonio Márquez, Marcial Lalanda (qu’on peut aussi considérer proche de l’école de Chiclana par certains aspects : son esthétique et sa variété) et pourquoi pas le valencien Manuel Granero.

Domingo Ortega

Domingo Ortega

Mais le grand torero castillan des années 50 est certainement Rafael Ortega qui était un autre grand défenseur du concept de charger la suerte. Il faudrait aussi inclure dans cette liste Julio Aparicio qui fut un bon lidiador au style dépuré.

Dans les années 60, le torero de Salamanque El Viti reprendra le flambeau du toreo castillan, fin mais sec, sans doute avec plus de liaison que les précédents, aux côtés de Gregorio Sánchez et Ángel Teruel.

A partir de la décennie suivante, et plus encore dans les années 80, Niño de la Capea et Julio Robles seront les toreros correspondant le mieux aux critères que nous avons définis.

Dans la dernière décennie du siècle, les toreros les plus castillans auront été Joselito et El Fundi, tous deux élèves de l’Ecole de Madrid, et surtout un colombien qui était chez lui dans le temple taurin de la capitale espagnole, le grand César Rincón.

Parmi les toreros actuels, José Tomás est l’exemple du toreo castillan le plus pur mais des toreros classiques comme Diego Urdiales, Iván Fandiño et le jeune López Simón sont de dignes représentants de cette école.


Fév 20 2016

L’école sévillane

Selon Francisco de Cossío (neveu de José María et auteur des tomes VIII, IX, et X de Los Toros) : «(…) on peut parler de deux techniques et de deux finalités distinctes pour chacune des deux écoles: conserver la force et la mobilité du toro pour le moment de la mise à mort, pour tuer a recibir, dans la première, ou être brillant dans le toreo de cape et de muleta pour dominer le toro et le tuer a volapié, dans la seconde».1 

« C’est de ces deux manières de réaliser la mise à mort que naissent pour moi l’école de Ronda et l’école de Séville. Quiétude face à mobilité ? Toreo sobre face à un toreo de fioritures? ».2 

La première école sévillane apparaît avec Costillares et Pepe-Hillo puis ce sera Cúchares (celui qui inventa le toreo de la main droite) qui contribuera, vers la moitié du XIXe siècle, à la faire perdurer puis Antonio Fuentes au début du XXe.

Gallito, tueur somme toute moyen, aimait la variété et les ornements pour embellir son toreo profondément dominateur. Avant d’être influencé par son grand rival il a pu être considéré comme l’aboutissement de l’ancienne tauromachie et donc également de l’ancienne école sévillane. Belmonte, sévillan comme lui et artiste s’il en est, avait, quoi que dans un style, une personnalité et une technique toute différente, des détails on ne peut plus sévillans, notamment dans sa demi véronique ou son molinete, mais on peut néanmoins se demander si son toreo aux déplacements minimalistes n’allait pas vers l’idéal rondeño. Quoi qu’il en soit, avec lui tous les schémas se brouillaient et en réinventant le toreo il allait imposer de tout revoir à zéro.

C’est donc Chicuelo qui réaliserait la synthèse des deux maestros. En faisant évoluer le toreo vers plus de liaison tout en reprenant les grands principes du « belmontisme » il serait aussi à l’origine de ce qu’on peut considérer comme la nouvelle école sévillane. Même si à cette époque, Despeñaperros, la frontière naturelle de l’Andalousie sépare en deux le monde taurin, ce qui a fait dire à Cagancho qu’au-dessus de celle-ci on ne toréait pas, on travaillait,  un torero de la castillane Ségovie, Victoriano de la Serna, peut parfaitement s’inscrire dans cette école, tout comme, mais c’est plus naturel, Manolo Bienvenida.

Dans l’après-guerre Pepe Luis Vázquez, à une époque où les toreros artistes toréaient régulièrement des miuras, dignifiera et dépurera cette école. Ensuite son frère Manolo ou Pepín Martín Vázquez puis Curro Romero (dans un répertoire plus limité et face à des toros au tempérament plus apaisé) reprendront le flambeau. Diego Puerta sera le torero le moins sévillan de sa génération nés dans la capitale andalouse (le plus rondeño des sévillans peut-être) mais il l’est pour son toreo de compas fermé et pour certains ornements.

Media faraónicaDemi véronique pharaonique. Photo ABC.

Emilio Muñoz dans un style baroque portera les couleurs de sa ville dans son esprit puis Julio Aparicio fils quoi que sporadiquement et surtout à Madrid.

Depuis quelques années c’est Morante de la Puebla qui est son meilleur représentant. Il a su puiser dans les différentes sources qui se rejoignent dans le lit de son toreo.

MoranteLa particulière torería de Morante. Photo 6 toros 6.

Actuellement Antonio Nazaré ou Pepe Moral, les nouveaux matadors Lama de Góngora et Posada de Maravillas ou encore le novillero Ruiz Muñoz entretiennent l’espoir de cette école fragile et difficile qui propose le toreo dans ce qu’il a de plus grand, le don absolu de soi. Rappelons que les grands artistes, quoi qu’on en dise, sont souvent blessés. C’est le prix du sublime.

Mais à l’intérieur de cette école sévillane il y a la veine gitane qui reprend ses fondements mais avec plus d’emphase et de fioritures : El Gallo est son créateur. Il sera suivi, à l’époque de Chicuelo, de Gitanillo de Triana et de son voisin Cagancho puis de Rafael «Albaicín», pourtant madrilène, dans les années 40 et de Rafael de Paula à partir des années 60 pour arriver au « payo » Javier Conde et dans l’actualité à Oliva Soto, qui a plus de courage que le commun des mortels n’en accorde aux représentants de celle-ci. Certains ont inclus le « Pharaon de Camas » dans cette branche de l’école sévillane pour son côté tout ou rien, mais ce ne sont pas ses origines non-gitanes qui m’empêchent d’en faire de même mais son toreo somme toute très sobre comparé à celui d’un Paula. Le Mexicain Lorenzo Garza pourrait également avoir sa place ici, eu égard aux caractéristiques de son toreo.

Media PaulaLe génie de Rafael de Paula

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  1. Los Toros en deux volumes : tome II p. 85.

 nn2. Los Toros en deux volumes : tome II pp. 88-89.