PhiloStjo

Une vie sans examen ne vaut pas la peine d'être vécue

HLP 1ère – textes parole 1

 

Texte 1 – parole écriture Phèdre Platon

Platon, dans la bouche du roi Thamous, reproche à l’invention que Theuth lui présente en ventant « une connaissance qui donnera plus de mémoire » « L’écriture, lui répond Thamous, développera l’oubli dans les âmes de ceux qui l’auront acquise, par la négligence de la mémoire ; se fiant à l’écrit, c’est du dehors, par des caractères étrangers, et non du dedans, et grâce à l’effort personnel, qu’on rappellera ses souvenirs. Tu n’as donc pas trouvé un remède pour fortifier la mémoire, mais pour aider à se souvenir. »

la séparation de l’écrivain et du lecteur que présuppose l’écriture a deux inconvénients majeurs : d’une part le lecteur ne peut interroger l’orateur, alors même que l’écrit, enfermé dans son silence figé, « a toujours besoin du secours de son père » ; d’autre part comme le lecteur n’est pas présent lors de l’adresse de la parole écrite, celle-ci ne sait pas vraiment à qui elle s’adresse, ne peut observer comment elle est reçue. Ecrire, c’est toujours un peu comme jeter une bouteille à la mer, c’est parler à l’aveuglette : « Une fois écrit, chaque discours s’en va rouler de tous côtés, et passe indifféremment à ceux qui s’y connaissent et à ceux qui n’ont rien à en faire ; il ignore à qui il doit ou ne doit pas s’adresser. »

Texte 2-

Merleau-Ponty, extrait de la Phénoménologie de la perception (p.206)

« Si la parole présupposait la pensée, si parler c’était d’abord se joindre à l’objet par une intention de connaissance ou par une représentation, on ne comprendrait pas pourquoi la pensée tend vers l’expression comme vers son achèvement, pourquoi l’objet le plus familier nous paraît indéterminé tant que nous n’en avons retrouvé le nom, pourquoi le sujet pensant lui-même est dans une sorte d’ignorance de ses pensées tant qu’il ne les a pas formulées pour soi ou même dites et écrites, comme le montre l’exemple de tant d’écrivains qui commencent un livre sans savoir au juste ce qu’ils y mettront. Une pensée qui se contenterait d’exister pour soi, hors des gènes de la parole et de la communication, aussitôt apparue tomberait à l’inconscience, ce qui reviendrait à dire qu’elle n’existerait même pas pour soi. »

Texte 3 –

La supériorité de l’écoute et la vulnérabilité de la parole dans le Sermon XXIII de Saint Augustin

 

 

« Bien qu’en raison de la commodité pour faire entendre notre voix, nous paraissons nous tenir en un lieu plus élevé que vous, pourtant c’est d’un lieu réellement plus élevé encore que vous jugez, et que nous, nous sommes jugés par vous. On nous appelle docteurs, mais nous avons souvent besoin d’un docteur et nous ne voulons point passer pour maîtres : il y aurait danger et prévarication, car le Seigneur a dit : « Ne cherchez point à être appelés maîtres ; vous n’avez qu’un maître, le Christ » Il y a donc danger à être maître, sécurité à être disciple. Aussi est-il dit dans un psaume : « Vous ferez entendre à mon oreille la joie et l’allégresse » et l’auditeur du verbe est moins exposé en entendant la divine parole que celui qui la profère ; il reste tranquillement debout, il écoute et se réjouit à la voix de l’Époux. »

 

Texte 4

la psychagogie dans le Phèdre de Platon (271c-272b traduction de Paul Vicaire)

« Puisque le propre du discours est d’être une psychagogie, un art de conduire les âmes, celui qui se propose d’être un habile orateur doit nécessairement savoir combien il y a d’espèces d’âmes. Or il y en a un tel et tel nombre, avec telles et telles qualités – et par suite se constituent en telles et telles personnalités. Une fois ces distinctions établies, on passe aux discours : il y en a telle et telle espèce, et chacun a tel et tel caractère. Dès lors tels hommes, en vertu de la relation causale dont je parlais, sous l’action de tels discours, sont faciles à persuader de telle chose ; et tels autres hommes, pour cette même raison, sont difficiles à persuader. Quand on a suffisamment réfléchi sur tout cela, il faut après en considérer l’effet et l’application pratique, avec un sens assez fin pour en suivre le développement. Autrement on ne gagnerait rien par rapport aux discours entendus naguère, à l’école. Mais quand on est à même de dire par quels discours est persuadé tel homme, et qu’on peut, étant à ses côtés, voir clair en lui et se faire à soi-même la leçon : « Voilà l’homme, voilà la nature dont naguère on parlait à mes cours ; à présent, cette nature est devant moi, et il faut lui appliquer les discours que voici, pour faire naître la persuasion que voici », – lors donc qu’on est en possession de toutes ces données, qu’on y ajoute la connaissance des conjectures dans lesquelles il faut parler ou se taire, qu’on sait en outre discerner l’opportunité, ou l’inopportunité tout aussi bien, du style concis, du style apitoyant, du style véhément, et de toutes les formes de discours qu’on aura apprises – alors la beauté et la perfection de l’art sont atteintes ; auparavant, c’est impossible. Mais si en parlant, en écrivant, une partie de ces conditions vient à faire défaut, on a beau prétendre parler avec art : celui qu’on ne réussit pas à persuader a l’avantage. »

Texte 5

Marcel Détienne, Les maîtres de vérité dans la Grèce archaïque : changement de l’autorité de la parole

Dans la Grèce archaïque, trois personnages, le devin, l’aède, le roi de justice, ont en commun le privilège de dispenser la vérité du seul fait d’être pourvus des qualités qui les distinguent. Le poète, le voyant et le roi partagent un même type de parole. Grâce à la puissance religieuse de mémoire, de Mnémosyné, le poète ainsi que le devin ont directement accès à l’au-delà, ils perçoivent l’invisible, ils énoncent « ce qui a été, ce qui est, ce qui sera. » Doté de ce savoir inspiré, le poète célèbre par sa parole chantée les exploits et les actions humaines qui entrent ainsi dans l’éclat et la lumière et qui reçoivent force vitale et plénitude de l’être. De façon homologue, la parole du roi, se fondant sur des procédures ordaliques, possède une vertu oraculaire ; elle réalise la justice, elle instaure l’ordre du droit sans preuve ni sans enquête. […] le discours vrai, c’est « le discours prononcé par qui de droit et selon le rituel requis », ainsi que le dira Michel Foucault [dans L’ordre du discours]. […]

Quelle est donc la place du philosophe et du sophiste dans la lignée des « Maîtres de vérité » ? Comment la parole de l’un et de l’autre se différencie-t-elle de la parole efficace et porteuse de réel que profèrent devin, poète et roi de justice ? Comment se fait le passage d’une pensée marquée par l’ambiguïté et par sa logique à une autre qui semble ouvrir un nouveau régime intellectuel, celui de l’argumentation, du principe de non-contradiction, ainsi que dialogue avec le sens, avec l’objet d’un énoncé et de sa référence ?

Il nous a semblé que le contexte socio-historique pouvait contribuer à une généalogie de l’idée de vérité. […] Nous avons relevé les marques d’un procès de laïcisation de la parole […] dans l’assemblée militaire apportant le droit égal à la parole pour tous ceux qui font partie du cercle des guerriers et peuvent ainsi discuter des affaires communes. Quand la réforme hoplitique, par l’imposition d’un nouveau type d’armement et de comportement à la guerre, entre dans les usages de la cité, aux environs de 650 avant notre ère, quand cette réforme favorise l’apparition des citoyens-soldats « égaux et semblables », la parole dialogue, la parole profane, celle qui agit sur autrui, la parole qui cherche à persuader et se réfère aux affaires du groupe, ce type de parole gagne du terrain et, peu à peu, rend désuète la parole efficace et porteuse du vrai.

Par sa fonction nouvelle et qui est fondamentalement politique, en rapport avec l’agora, le logos, parole et langage, devient un objet autonome, soumis à ses propres lois. Deux grandes directions vont s’ouvrir dans la réflexion sur le langage. d’une part, le logos, comme instrument des rapports sociaux : quel est son mode d’action sur autrui ? Rhétorique et sophistique vont analyser les techniques de persuasion, développer l’analyse grammaticale et stylistique du nouvel instrument. Tandis que l’autre voie, explorée par la philosophie, s’ouvre sur le logos comme moyen de connaissance du réel : la parole est-elle le réel, tout le réel ? Et qu’en est-il du réel exprimé par les nombres, celui que découvrent les mathématiciens et les géomètres ?

Marcel Détienne, Les maîtres de vérité dans la Grèce archaïque, p. 6-8

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One comment

  1. Ping by Plan du cours HLP 1ère – PhiloStjo on 5 novembre 2020 at 15 h 11 min

    […] Textes parole problématique […]

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