PhiloStjo

Une vie sans examen ne vaut pas la peine d'être vécue

Rhétorique éloquence textes

1)

« Les sons émis par la voix sont les symboles des états de l’âme, et les mots écrits les symboles des mots émis par la voix. Et de même que l’écriture n’est pas la même chez tous les hommes, les mots parlés ne sont pas non plus les mêmes, bien que les états de l’âme dont ces expressions sont les signes immédiats soient identiques chez tous, comme sont identiques aussi les choses dont ces états sont les images. »

Aristote, De l’interprétation, chapitre 1, trad. J. Tricot, éditions Vrin.

 

2)

« Rien ne me semble plus beau que de pouvoir, par la parole, captiver l’attention des hommes assemblés, charmer les esprits, pousser ou ramener à son gré toutes les volontés. Chez tous les peuples libres, dans les États florissants et calmes, cet art surtout a toujours été puissant et honoré. Eh ! Qu’y a-t-il de plus digne d’admiration que de voir un petit nombre de mortels privilégiés s’élever au-dessus de la foule des hommes, et se faire une puissance particulière d’une faculté naturelle à tous ? Quoi de plus agréable à l’esprit et à l’oreille qu’un discours embelli par la noblesse de l’expression et la sagesse de la pensée ! Quel magnifique pouvoir, que celui qui soumet à la voix d’un seul homme les passions de tout un peuple, la religion des juges et la majesté du sénat ! Est-il rien de plus grand, de plus généreux, de plus royal que de secourir, de relever les malheureux suppliants et abattus, que d’arracher ses concitoyens au péril, à la mort, à l’exil ? Enfin quel plus précieux avantage que d’avoir toujours en main des armes redoutables pour se défendre soi-même, attaquer les méchants, ou se venger de leurs outrages ? Mais pour ne pas nous occuper sans cesse du barreau, de la tribune et du sénat, quel délassement plus doux, quel plaisir plus délicat, qu’une conversation aimable et élégante ? » (Cicéron, De l’orateur, I, 8)

 

3)

XXXIV. « Anciennement donc, le jeune homme qui se destinait aux travaux du Forum et à l’art oratoire, formé déjà par l’éducation domestique et nourri des plus belles études, était conduit par son père ou ses proches à l’orateur qui tenait alors le rang le plus distingué. Il fréquentait sa maison, accompagnait sa personne, assistait à tous ses discours, soit devant les juges, soit à la tribune aux harangues, également témoin de l’attaque et de la réplique, présent aux luttes animées de la parole, et apprenant, pour ainsi dire, la guerre sur le champ de bataille. De là résultait pour les jeunes gens une expérience précoce, beaucoup d’assurance, une grande finesse de tact, étudiant, comme ils faisaient, à la face du jour et sur un théâtre orageux, où il ne pouvait échapper une sottise ou une contradiction qui ne fût repoussée par les juges, relevée par l’adversaire, condamnée même par les amis de l’orateur. Aussi prenaient-ils de bonne heure le goût d’une éloquence naturelle et vraie ; et, quoiqu’ils ne suivissent qu’un seul patron, ils faisaient connaissance, dans une foule de causes et devant des tribunaux divers, avec tous les talents contemporains ; et ils entendaient encore les jugements si variés de l’opinion publique, qui les avertissait clairement de ce qu’on trouvait dans chacun à louer ou à reprendre. Ce n’était donc point un maître qui leur manquait : ils en avaient un excellent, un maître choisi, qui présentait à leurs regards l’éloquence elle-même et non sa vaine image ; ils voyaient des adversaires et des rivaux combattre avec le glaive, au lieu d’escrimer avec la baguette ; ils fréquentaient une école toujours pleine, toujours renouvelée, où l’envie prenait place comme la faveur, où les beautés n’étaient pas plus dissimulées que les fautes. Car, vous le savez, les grandes et durables réputations oratoires ne s’établissent pas moins sur les bancs opposés que sur les nôtres ; c’est même là qu’elles s’élèvent avec plus de vigueur, qu’elles poussent de plus profondes racines. Sous l’influence de tels enseignements, le jeune homme dont nous parlons, disciple des orateurs, élève du Forum, auditeur des tribunaux, aguerri et formé par les épreuves d’autrui, connaissant les lois pour les entendre expliquer chaque jour, familiarisé d’avance avec la figure des juges, habitué au spectacle des assemblées populaires, ayant remarqué souvent ce que désirait l’oreille des Romains, pouvait hardiment accuser ou défendre : seul et sans secours, il suffisait d’abord à la cause la plus importante. Crassus avait dix-neuf ans, César vingt et un, Asinius Pollio vingt-deux, Calvus n’en avait pas beaucoup plus, lorsqu’ils attaquèrent, l’un Carbon, l’autre Dolabella, le troisième C. Caton, le dernier Vatinius, par ces discours que nous lisons encore aujourd’hui avec admiration.

XXXV. « Maintenant nos jeunes élèves sont conduits aux théâtres de ces comédiens, nommés rhéteurs, qui apparurent peu avant l’époque de Cicéron et ne plurent pas à nos ancêtres, puisqu’un édit des censeurs Crassus et Domitius ferma, comme parle Cicéron, cette école d’impudence. Nos enfants donc, pour revenir à notre propos, sont menés à ces écoles, où je ne saurais dire ce qui, du lieu même, ou des condisciples, ou du genre d’études, est le plus propre à leur gâter l’esprit. D’abord le lieu n’inspire aucun respect ; tous ceux qui le fréquentent sont également ignorants. Puis nul profit à tirer de condisciples, enfants eux-mêmes ou à peine sortis de l’enfance, devant qui l’on parle, comme ils écoutent, avec toute la sécurité de cet âge. Quant aux exercices, ils vont en grande partie contre leur but. Deux sortes de matières sont traitées chez les rhéteurs, les délibératives (suasoriae) et les judiciaires (controbersiae). La première espèce, comme plus facile et demandant moins de connaissances, est abandonnée aux enfants. Les controverses sont réservées aux plus forts ; mais quelles controverses, bons dieux ! et quelles incroyables suppositions ! Or, avec des sujets où rien ne ressemble à la vérité, on ne doit attendre qu’un style déclamatoire et faux. C’est ainsi que les récompenses des tyrannicides, l’alternative offerte aux filles outragées, les remèdes à la peste, les fils déshonorant le lit maternel, et toutes ces questions qui s’agitent chaque jour dans l’école, rarement ou jamais devant les tribunaux, sont discutées par les élèves en termes emphatiques.

Dialogue des orateurs Tacite, 34-35

 

4)

En Rhétorique on apprend d’abord à étendre une pensée, à circonduire et allonger des périodes, et peu à peu l’on en vient enfin à des discours en forme, toujours, ou presque toujours, en langue Latine. On donne à ces discours le nom d’amplifications ; nom très-convenable en effet, puisqu’ils consistent pour l’ordinaire à noyer dans deux feuilles de verbiage, ce qu’on pourrait et ce qu’on devrait dire en deux lignes. Je ne parle point de ces figures de Rhétorique si chères à quelques pédants modernes, et dont le nom même est devenu si ridicule, que les professeurs les plus sensés les ont entièrement bannies de leurs leçons. Il en est pourtant encore qui en font grand cas, et il est assez ordinaire d’interroger sur ce sujet important ceux qui aspirent à la maîtrise-es-Arts.

D’alembert L’Encyclopédie art. « Collège »

 

5)

J’ai vu autrefois dans les collèges donner des prix d’amplification. C’était réellement enseigner l’art d’être diffus. Il eût mieux valu donner des prix à celui qui aurait resserrer ses pensées, et qui par là aurait appris à parler avec plus d’énergie et de force.

Voltaire, Dictionnaire philosophique, « Amplification », 1764)

 

6)

CHAP. XVI. Vient ensuite cette question : Si la rhétorique sert à quelque chose? Certaines gens se déchaînent contre elle, et ne rougissent pas de s’armer des forces de l’éloquence contre l’éloquence. C’est elle, disent-ils, qui soustrait le coupable au châtiment, et par ses artifices fait quelquefois succomber l’innocent; qui fait prévaloir les mauvais conseils; qui excite non seulement les séditions et les troubles populaires, mais jusqu’à des guerres inexpiables; dont enfin le pouvoir n’est jamais plus efficace que lorsqu’elle protège le mensonge contre la vérité.

Les poètes comiques reprochent, en effet, à Socrate d’enseigner comment on rend bonne une mauvaise cause; et, de son côté, Platon dit que Tisias et Gorgias font profession d’enseigner la même chose. On ajoute à cela des exemples pris chez les Grecs et les Romains; on énumère ceux qui, par un usage funeste de l’éloquence, ont non seulement nui aux particuliers, mais ont encore troublé la paix ou causé la ruine des États. C’est pour cela qu’elle fut bannie de Sparte, et qu’à Athènes on la réduisit à l’impuissance, en interdisant l’emploi des passions dans les plaidoyers.

Avec ce raisonnement, il faut aussi proscrire les généraux, les magistrats, la médecine, et jusqu’à l’étude de la sagesse; car parmi les généraux 75il s’est rencontré un Flaminius; parmi les magistrats, des Gracques, un Saturninus, un Glaucia; parmi les médecins, des empoisonneurs, et parmi les philosophes, des hommes qui abusent de ce nom, et se livrent quelquefois aux plus honteux désordres. Ne touchons point aux mets de nos tables, car ils ont souvent occasionné des maladies; n’entrons jamais dans nos maisons, elles s’écroulent quelquefois sur ceux qui les habitent; ne fabriquons plus d’épées pour nos soldats, des brigands pourraient s’en servir. Qui ne sait que le feu et l’eau, sans lesquels on ne peut vivre, et même jusqu’aux choses célestes, le soleil et la lune, les premiers des astres, ont quelquefois des influences nuisibles?

Niera-t-on que, par la force de sa parole, l’aveugle Appius n’ait fait rejeter la paix honteuse proposée par Pyrrhus? la divine éloquence de Cicéron ne parut-elle pas plus populaire que les lois agraires qu’il attaquait? n’est-ce pas cette même éloquence qui brisa l’audace de Catilina, et mérita à un magistrat le plus grand des honneurs réservés aux généraux victorieux, des prières publiques décrétées en son nom? N’est-ce pas par des harangues qu’on ranime souvent le courage abattu du soldat, et qu’en face du danger on lui persuade que la gloire est préférable à la vie. Que m’importent les Lacédémoniens et les Athéniens? J’ai pour moi l’autorité du peuple romain, chez qui les orateurs ont toujours joui de la plus grande considération. Enfin, comment les fondateurs des villes auraient-ils pu, sans le secours de l’éloquence, rassembler en corps de peuple une multitude éparse et sauvage? Comment les législateurs auraient-ils pu, sans la puissance de la parole, amener les hommes à se soumettre volontairement au joug des lois? Les préceptes mêmes de la morale, quoique naturellement beaux, touchent plus vivement les âmes, lorsque l’éclat de l’éloquence vient en relever la beauté. Quoique les armes de l’éloquence servent également au bon et au méchant, il n’est pas juste de regarder comme mauvaise une chose dont il dépend de nous de faire un bon usage.

Au reste, laissons ces questions à ceux qui veulent que la fin de la rhétorique soit dans la persuasion. Mais si la rhétorique est l’art de bien dire, définition qui est la nôtre, et qui suppose que l’orateur doit être avant tout homme de bien, il faut bien convenir qu’elle a son utilité. Certainement si le Dieu souverain, père des choses et architecte du monde, nous a distingués en quelque chose des autres animaux mortels, c’est par la faculté de parler. Car il est certain qu’ils nous surpassent en grandeur, en force, en durée, en résistance, en vitesse. Ils se passent mieux que nous de secours étrangers. Sans autres leçons que celles de la nature, ils apprennent en moins de temps à marcher, à manger, à traverser les rivières à la nage. Presque tous naissent avec des vêtements contre le froid, avec des armes pour se défendre; ils rencontrent leur nourriture presque sous leurs pas. Que n’en coûte-t-il pas à l’homme pour se procurer tout cela? Aussi l’auteur de la nature a-t-il compensé cette infériorité en nous donnant la raison, et en nous associant par elle aux dieux immortels. Mais cette raison nous servirait peu, et ne se manifesterait guère en nous, si nous ne pouvions exprimer nos pensées par la parole. Car c’est plutôt cette faculté qui manque aux animaux, qu’une sorte d’intelligence et de réflexion : en effet, se bâtir 76 des retraites, construire des nids, élever leurs petits, les faire éclore, amasser des provisions pour l’hiver, faire certains ouvrages que toute l’industrie humaine ne saurait imiter, tels que la cire et le miel, tout cela est peut-être en eux l’effet de quelque raisonnement. Mais parce que, tout en faisant cela, ils sont privés de la parole, nous disons que ce sont des êtres muets et irraisonnables. Enfin, voyons parmi nous ceux à qui la parole a été refusée : de quel faible secours est pour eux cet esprit céleste qui les anime ! Si donc la parole est le plus beau présent des dieux, qu’y a-t-il que nous devions cultiver et exercer avec plus de soin? et en quoi pourrions-nous être plus jaloux de l’emporter sur l’homme, que parce qui met l’homme au-dessus des autres animaux? ajoutez à cela qu’il n’est pas de travail qui nous paye plus largement de nos peines. Il ne faut que considérer de quel point est partie l’éloquence, à quelle hauteur elle est parvenue, et jusqu’où elle peut s’élever encore. Car, sans parler de ce qu’il y a d’utile et de doux pour l’homme de bien à pouvoir défendre ses amis, éclairer le sénat par ses conseils, entraîner le peuple, l’armée, au gré de sa volonté; n’est-ce pas quelque chose de beau en soi que de pouvoir, par des moyens communs à tous, l’intelligence et la parole, acquérir tant de supériorité et de gloire qu’on ne paraisse plus parler et discourir, mais, comme Aristophane l’a dit de Périclès, lancer des foudres et des éclairs?

Quintilien Institution oratoire Livre II Chapitre 16 http://remacle.org/bloodwolf/orateurs/quintilien/instorat2.htm#XVI

 

 

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  1. Ping by Plan du cours HLP 1ère – PhiloStjo on 8 octobre 2020 at 13 h 26 min

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