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Une vie sans examen ne vaut pas la peine d'être vécue

Archive for février, 2017

L’insulte, l’injure, le blasphème – Peut-on tout dire ?

 La parole suffit-elle à faire échec à la violence ?

http://www.francetvinfo.fr/replay-radio/modes-de-vie/la-parole-peut-elle-etre-aussi-violente-que-les-actes_1748731.html

L’insulte est une expression, ou un acte dégradant.
Elle n’est jamais neutre. Même si le gros mot peut faire sourire, lorsqu’il est formulé avec humour.
L’insulte est une vraie agression ( un acte « performatoire » ), qui détruit le réel de celui qui est insulté.
Même la blague ou le « mot d’esprit » qu’on envoie à une femme, un noir, un musulman, ou un homosexuel.
Devant les préjugés de la société, et pour éviter l’insulte, .

Le gros mot.

Le gros mot est le mot qu’on ne doit pas prononcer quand on est gamin.
L’enfant comprend qu’il y a des mots qu’on ne peut dire.
Et dans sa construction, il en use.

Car il comprend que c’est un acte de transgression.
Le rôle des parents est bien de punir ces gros mots, et de poser les limites à l’enfant de ce qu’il peut dire, ou pas.
C’est l’apprentissage des limites, que cherche l’enfant continuellement.

Plus insidieux, dans la gradation de l’insulte :

Le mot d’esprit, ou la blague.

L’insulte est dénonçable, interdite lorsqu’elle emploie des mots crus, dégradants.
( rappelons notamment que l’insulte par exemple vis à vis des fonctionnaires de l’Etat est considéré, et puni comme « outrage » à agent ).
La définition de l’insulte est bien : une parole, ou un acte dégradant.

Peu importe la violence des mots. Et pas forcément des mots crus ( « salope, pédé, bougnoule, .. ») mais tout ce qui a ce caractère offensif. Aussi, la blague, qui véhicule une caricature ( sur les juifs, les femmes, les noirs ) est tout autant une insulte.

Comme le « mot d’esprit ». Freud définit ainsi le mot d’esprit ( et par extension la blague) comme une sorte d’exutoire pour les pulsions hostiles.

Le mot d’esprit est une « allusion » à une insulte non dite qui en constitue l’arrière plan.

Sigmund Freud, Sur la psychanalyse, cinq conférences, Paris, Gallimard 1991]

insulte_taubira_racisme_humour_facebook

L’exemple criant sur les blagues de mauvais goût, notamment véhiculée aujourd’hui sur les réseaux sociaux, tel Facebook.

Une député UMP,  Claudine Declerck, a partagé sur Facebook l’ image raciste ci-contre, à propos d’un ministre de la République, Mme Taubira. Elle pensait qu’il ne s’agissait que de l’humour.  [ novembre 2013 ].

Elle a été exclue de son parti. Démocratiquement, l’humour est bien considéré ici comme une « allusion » à une insulte non-dite, comme le précise Freud.

Les stigmatisés, l’auto-censure, ou le silence des insultés.
L’individu qui présente aux yeux des autres une caractéristique différente de la norme est stigmatisé, dans les interactions avec les autres. C’est la définition que Goffman, sociologue, donne dans son ouvrage Stigmate [ Stigmate, 1963 ].
Cette stigmatisation s’appuie sur une différence visible ( la couleur de la peau, le sexe féminin , l’handicap, l’âge )ou invisible ( une religion, la sexualité, la condition sociale, être ancien détenu, au chômage… ).

Goffman parle ainsi d’individus « discrédités » ( visibles ) ou « discréditables » ( non visibles ).
Tout le monde peut à moment ou à un autre être stigmatisé :Pourvu qu’on s’éloigne de l’image du « jeune père de famille marié blanc, citadin, nordique, hétérosexuel, protestant, diplômé d’université, employé à temps plein, en bonne santé, d’un bon poids, d’une taille suffisante et pratiquant un sport » ( pour reprendre l’idéal américain, selon Goffman ).
Dans une société où on joue un rôle, avec les autres, pour bien réussir le théâtre de la vie et de la communication interactive, il faut cacher ces stigmates.
Ce que Goffman nomme la « façade personnelle » : ne pas faire de fausse note.
Pour le stigmatisé visible, l’individu ne peut tricher : sa différence se voit.

Là tous les subterfuges sont possibles : provoquer ; s’excuser à l’avance de sa différence ( « excusez moi, je n’ai pas tout compris : je suis de condition modeste » ). Il s’agit de techniques de protection. Pour le stigmate invisible, il est de bon ton d’éviter la « fausse note » en public. Et de cacher ce que l’on est. Voilà pourquoi, comme le décrit Didier Eribon, dans [ Réflexion sur la question gay, Fayard 1999 ], l’homosexuel restera muet, et pire :

L’homosexuel qui veut cacher qu’il est « pédé », ou dont on sait qu’il est mais qui tient à donner des gages de sa normalité, rira avec ceux qui lancent des plaisanteries douteuses ou grossières sur les « pédales ».

Autre exemple : le sexisme.
Pour ne pas contrarier le sexisme ordinaire, certaines femmes tendent à se dévaloriser naturellement.
Goffman prend l’exemple des collégiennes américaines :

les collégiennes américaines ne faisaient pas d’étalage, et sans doute ne le font elles pas davantage aujourd’hui, de leur intelligence, de leurs talents, de leur esprit de décision, lorsqu’elles se trouvaient en compagnie de garçons qui leur faisaient la cour. […] elles cachent leur force en mathématique ; elles se laissent battre in extremis au ping-pong ; grâce à diverse subterfuges, la supériorité naturelle des garçons se trouve démontrée et l’infériorité du sexe faible confirmée »

Voilà de l’auto-censure, pour éviter l’insulte.
On comprend bien que le cercle est vicieux :le comportement des stigmatisés, poursuivant le désir d’être intégré dans la société, renforce les préjugés, les caricatures qu’on véhicule à leur sujet.

L’insulte de groupe.

l’effet de foule, de groupe, et la position de force sont souvent associées à la potentialité de l’insulte.

Le nombre :

Il n’est pas possible pour un raciste tout seul d’insulter un groupe de personnes noires.
Il parait évident que c’est la position inférieure en nombre qui permet d’être soumis à l’insulte.
Ce rapport de groupe est important, car de facto, il permet de s’en prendre à n’importe quelle minorité, ou personne différente.

L’effet de foule :

Dans un groupe ( un stade de football par exemple ), le fait d’être plusieurs incite et rend légitime une insulte qui n’aurait pas été faite par un seul individu.
Dans un stade de football par exemple, insulter l’arbitre de « enculé » est possible en nombre, poussé par les autres spectateurs.
C’est le groupe en entier qui s’exprime et non plus soi individuellement.

Tout est alors possible. Il ne viendrait pas à un seul individu d’insulter individuellement l’arbitre.
La caractéristique de la foule est qu’elle est une forme de régression.
Ce que Freud évoque, ici :

Les foules humaines nous montrent l’image familière d’un individu surpuissant, au sein d’une bande de compagnons égaux, image également contenue dans notre représentation de la horde originaire. La psychologie de cette foule : disparition de la personnalité individuelle consciente, orientation des pensées et des sentiments dans des directions identiques, prédominance de l’affectivité et du psychisme inconscient, tendance à la réalisation immédiate de desseins qui surgissent ; tout cela correspond à un état de régression et une activité psychique primitive.

Freud, Psychologie des foules et analyse du moi, in Essais de Psychanalyse. ]

L’insulte comme acte performatoire.

Le langage a le pouvoir de changer le monde : c’est ce qu’Austin a vulgarisé par la formule « quand dire, c’est faire« .
Quand je dis « je lègue ma fortune à mon épouse », il s’agit bien de changer l’état du monde :je donne tous mes avoirs à mon épouse.

Il s’agit bien d’une action en tant que telle qu’une description du monde.Austin sépare ainsi le constatatif ( la description du monde, qui peut être vraie ou fausse ) du performatif ( l’exécution d’une action par mes mots ).
De la même manière, et effectivement, insulter c’est modifier l’état de celui qu’on a insulté.

Celui ci se sent dégradé, honteux.
Il peut rougir, pleurer, ou se mettre en colère ; avant de réagir.
L’insulte produit un monde coercitif, de rejet, de honte, de malaise pour celui qui se fait insulté.
Il s’agit bien d’une action sur le monde : il est modifié au moment où l’insulte est prononcée.

Il n’y a pas d’alternative à la sentence.
L’impératif, d’ailleurs, est la structure grammaticale qui ne permet aucune alternative.

Celui qui insulte ne fait pas une proposition, ou un constat.
Il ordonne en quelque sorte un état de fait.
On pourra remarquer que l’insulte est souvent fausse, mais l’impératif qu’elle utilise ne permet pas l’analyse.
Elle ne permet pas de réfléchir, de s’interroger. Elle ne permet que la réaction.

En synthèse, l’insulte a de multiples formes ( du gros mot, à la blague, le mot d’esprit ).Celui qui est insulté a intériorisé ce fait. C’est une vraie agression ( les mots ont un pouvoir). Et l’insulté trouve les défenses nécessaires. Par le silence, souvent. 
Pour ne pas faire ou éviter de « fausse note ». En face, le groupe , la société qui a trouvé ses bouc-émissaires est puissant, lorsqu’il est bloc, et en « transe » face à l’individu.L’insulte peut rapidement être déstructurée, car les préjugés, les formes de rejet sont généralement dénoncées individuellement.

 

Le blasphème 

http://www.arte.tv/guide/fr/067115-007-A/philosophie

https://www.youtube.com/watch?v=vxOkSTFNmNk

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John Austin, la parole performative – Parler est-ce le contraire d’agir ?

http://www.ultramuros.ca/documents/Austin-Theo-de-la-communication.pdf

« Oui, je te prends comme épouse« .

La phrase est solennelle. Ce ne sont que quelques mots. Mais elle change toute la vie de deux personnes : elles sont liées par les liens du mariage au moment même où les mots sont prononcés.
Ces mots prononcés lentement à l’église, devant toute l’assemblée sont un acte en soi : elles changent le monde. Ce ne sont pas que des mots qui décrivent le monde. Ils le modifient.
Dire, c’est donc faire. C’est ce que l’on appelle un acte performatoire.
C’est le philosophe anglais Austin qui a découvert ce troublant phénomène.
Focus sur cette formule célèbre « Quand dire, c’est faire »

Au départ, Austin distingue dans les jeux de langage les mots qui permettent de « constater » le monde, et les mots « performatifs », qui ont une dimension active.
Quand je dis « je te félicite », on ne rapporte pas quelque chose, mais on fait quelque chose.

  • Lorsqu’on décrit le monde de manière descriptives, les mots enregistrent un état du monde : world to word.
  • Lorsqu’on agit sur le monde par certaines locutions (performatives), les mots ajoutent un état au monde : word to world.

Les phrases affirmatives ou descriptives ( « la fenêtre est ouverte« ) peuvent être vraies ou fausses.
Les phrases performatives (« la séance est ouverte » ) peuvent réussir ou échouer dans la modification de l’état du monde : si c’est une personne dans le public qui prononce la phrase dans l’assemblée, elle n’a aucune valeur. Si c’est le président de l’assemblée, l’action réussit.

Voilà des exemples de verbes « performatifs » ( qui sont une vraie action quand on les dit ) :
baptiser, léguer, ouvrir la séance, donner un ordre, un avertissement, un conseil, un blâme …

La coupure sémiotique effacée.

La coupure sémiotique distingue le mot de la chose qu’on décrit ( « la carte du territoire » ). Les phrases descriptives utilisent des mots qui se détachent de la réalité. Les mots permettent de se couper du monde, de le maîtriser en nommant les choses.
Voilà l’importance de maîtriser le langage. Non qu’on paraisse plus intelligent en utilisant des mots compliqués, ou variés.
Mais ils permettent de saisir la réalité. Exemple : nous européens avons peu de mot pour parler de la neige, car c’est un phénomène épisodique dont on s’accommode bien. Les esquimaux, eux, ont des dizaines de mots pour le mot neige, pour pouvoir en exprimer toutes les subtiles différences. Pour les esquimaux, c’est important, dans le monde physique dans lequel ils vivent.
La maîtrise du monde passe donc par cette séparation des mots qui décrivent le monde.
Dans les phrases performatives, au contraire, la réalité se confond avec les mots :
« Je vous félicite » confond les 2 niveaux : la phrase énonce un acte qui n’est autre que cette énonciation. La représentation de ce qu’on dit et les mots se mélangent. On a là une « auto-référence ».

La découverte d’Austin a eu une grande influence lorsqu’il fit sa première conférence.
Quand dire c’est faire, la formule choc, qu’on découvrira plus longuement dans le texte original d’Austin.

Le langage décrit la chose, l’énonce. Il est extérieur au réel, et a une valeur énonciatrice. La découverte d’Austin, philosophe anglais, est ce qu’on appelle « les énonciations performatives ». Lorsque je dis « oui, je te prends pour épouse », il ne s’agit pas de décrire une chose, ou faire un reportage sur le mariage, mais il s’agit d’un acte. On ne décrit pas l’état des choses, mais on modifie l’état des choses et du monde. S’unir à jamais avec l’être aimé.

Austin découvre la distinction entre les 2 jeux de langage : le constatif et le performatif.

En ce sens, il ouvre une nouvelle réflexion sur la communication qui  n’est pas qu’échange des messages, des informations, mais produire le monde.

Sa première conférence part de l’histoire des philosophes qui se limitaient à définir si une chose est vraie ou fausse ; qu’il n’y a qu’affirmation [ statement ] qui ne pouvait que « décrire » un état des choses. Austin découvre que parler, c’est agir.

Pour les philosophes, certaines affirmations, douteuses, étaient reléguées au « non sens ». Il s’agit des affirmations, avec les auxiliaires « pouvoir » ou « devoir », souvent des phrases à la 1ere personne du singulier de l’indicatif présent. Austin considère qu’à force de les mettre de côté, ces affirmations douteuses doivent être analysées…

Catégorisation des énoncés performatifs.

« on peut trouver des énonciations qui satisfont ces conditions et qui pourtant :

A)     Ne décrivent, ne rapportent, ne constatent absolument rien, ne sont pas vraies ou fausses ; et sont telle que

B)      L’énonciation de la phrase est l’exécution d’une action ( ou une partie de son exécution ) qu’on ne saurait décrire tout bonnement comme étant l’acte de dire quelque chose.

Exemples :

E, a ) : Oui [ je le veux ] ( c’est-à-dire je prends cette femme comme épouse légitime ) ; ce « oui » étant prononcé au cours de la cérémonie de mariage.

E, b) : « je baptise ce bateau le « Queen Elizabeth », comme on dit lorsqu’on brise la bouteille contre la coque.

E, c) : «  je donne et lègue ma montre à mon frère », comme on peut lire dans un testament .

E,d) : «  je donne et lègue six pence parce qu’il pleuvra demain ».

Pour ces exemples, il semble clair qu’énoncer la phrase ( dans les circonstances appropriées, évidemment ) , ce n’est ni décrire ce qu’il faut bien reconnaître que je suis en train de faire en parlant ainsi, ni affirmer que je le fais : c’est le faire. »

Les énonciations ne sont ni vraies ni fausses. Austin appelle ces énonciations comme phrase performative , dérivé de l’anglais « perform », action.

D’autres termes sont possibles : énonciations « contractuelles » ( « je parie »), ou déclaratoires ( « je déclare la guerre »). Voire l’impératif.

Prononcer ces mots peut être capital ( comme le message ou la déclaration de guerre ).

Austin insiste que les circonstances doivent être appropriées. Pour se marier, il faut que je ne sois pas déjà marié ( au sens chrétien ). Pour déclarer la guerre, il faut que je sois bien la personne appropriée ( un chef d’état ). Pour un pari, il faut qu’il y ait un partenaire qui l’accepte ( je dis « d’accord » par exemple ). Austin précise encore que ces mots doivent être prononcés « sérieusement », et qu’il s’agit d’un acte intérieur, voire spirituel. «  Notre parole, c’est notre engagement ».

Austin parle des conditions de « malheurs » ( infelicities ) que rencontrent les propositions performatives. Lorsque les conditions ou contexte ne sont pas réunis, ces propositions sont « malheureuses » car déplacées, sans action. Par exemple, si la phrase « la scéance est ouverte » est prononcée par le président autorisé de l’assemblée, un nouvel état au monde apparaît ( la réunion débute ). Par contre si c’est le pompier de service qui l’annonce, la proposition performative est nulle.

L’énonciation vraie ou fausse de ces affirmations n’a pas lieu d’être. « en aucun cas nous ne disons que l’énonciation était fausse », mais plutôt que l’énonciation ou mieux l’acte ( la promesse par exemple ) était nulle et non avenue [void], ou non exécutée.

La découverte des énonciations ( et non des énoncés ) performatives a eu un grand retentissement, à l’époque, et une grande influence de John L. Austin ; bien que ce philosophe anglais soit mort à 48 ans.

Le pouvoir des mots, ou l’insulte comme agression.

L’insulte est une expression, un comportement dégradant, offensif vers celui à laquelle on l’adresse.

L’insulte est en ce sens un acte performatoire : celui qui veut insulter veut déstabiliser, anéantir celui à qui l’insulte est adressée. Et c’est le cas, souvent. A « Sale Pédé », ou « Sale noir », ou « salope », l’insulté intègre ces mots, et le change même physiquement : peur ,  suée, colère.

Les mots ont ainsi une valeur d’action réelle, ici évidemment nuisible.

Cf article sur l’insulte.

  « Quand dire, c’est faire »

On considère généralement quela théorie des actes de langage est née avec la publication posthume en 1962 d’un recueil de conférences données en 1955 par John Austin, How to do Things with Words. Le titre français de cet ouvrage, Quand dire, c’est faire (1970), illustre parfaitement l’objectif de cette théorie : il s’agit en effet de prendre le contre-pied des approches logiques du langage et de s’intéresser aux nombreux énoncés qui, tels les questions ou les ordres, échappent à la problématique du vrai et du faux. Dire « Est-ce que tu viens ? » ou « Viens ! » conduit à accomplir, à travers cette énonciation, un certain type d’acte en direction de l’interlocuteur (en lui posant une question ou en lui donnant un ordre).

Les énoncés auxquels Austin s’est intéressé en tout premier lieu sont les énoncés dits performatifs. Un énoncé performatif, par le seul fait de son énonciation, permet d’accomplir l’action concernée : il suffit à un président de séance de dire « Je déclare la séance ouverte » pour ouvrir effectivement la séance. L’énoncé performatif s’oppose donc à l’énoncé constatif qui décrit simplement une action dont l’exécution est, par ailleurs, indépendante de l’énonciation : dire « J’ouvre la fenêtre » ne réalise pas, ipso facto, l’ouverture de la fenêtre, mais décrit une action. L’énoncé performatif est donc à la fois manifestation linguistique et acte de réalité.

Les exemples d’énoncés performatifs sont nombreux : « Je jure de dire la vérité », « Je te baptise », « Je parie sur ce cheval », « Je t’ordonne de sortir », « Je vous promets de venir », etc. Dans le détail, l’identification et la caractérisation des énoncés performatifs se heurte à un certain nombre de difficultés. D’une part, les performatifs ne sont tels que dans des circonstances précises, car ils doivent répondre à des conditions de « succès » : seul le président devant l’assemblée réunie peut dire avec effet « Je déclare la séance ouverte »

Ainsi, lorsque le maire prononce la formule rituelle « je vous marie », il marie par la seule énonciation de cette phrase ; même chose lorsqu’on baptise un enfant ou un navire, lorsqu’on fait une promesse, etc. Mais seules les personnes habilitées et dans le contexte prévus assurent la « félicité » de l’action.

http://philocite.blogspot.fr/2016/03/commentaire-dans-quand-dire-cest-faire.html

https://fr.wikipedia.org/wiki/John_Langshaw_Austin

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Parler au nom du peuple …

http://www.europe1.fr/emissions/la-morale-de-linfo/le-reve-du-candidat-du-peuple-cest-le-pouvoir-absolu-2870749

Pourquoi pas le populisme ?

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1984 Orwell- Le discours totalitaire

https://www.franceculture.fr/litterature/la-novlangue-de-george-orwell-donald-trump

https://www.librairal.org/wiki/George_Orwell:1984_-_Appendice_-_Les_Principes_du_Novlangue

https://www.youtube.com/watch?v=MUsBJyMtrFs

Béatrice Turpin. Le langage totalitaire au prisme de l’analyse de discours. Synergies Monde, GER- FLINT, 2013. hal-02403470

 

Le philologue allemand Victor Klemperer a tenté de répondre à cette question en analysant les discours nazis de 1933 jusqu’à la chute de régime hitlérien. Il recense les principaux processus observés et montre comment le discours totalitaire en vient à transformer la langue et la manière de penser à partir d’une rhétorique du consentement qui tire sa force de son « effroyable homogénéité » et de son caractère plurisémiotique.

C’est un discours total, ou du moins une de ses caractéristiques, qui est de ne souffrir d’autre interdiscours que du même – d’où censure, emprisonnements, meurtres, voire autodafés qui visent à exterminer à la fois symboliquement et dans le réel toute parole qui ne serait pas conforme. Là encore, Klemperer commente :

« [La LTI] s’empara de tous les domaines de la politique, de la jurisprudence, de l’économie, de l’art, de la science, de l’école, du sport, de la famille, des jardins d’enfants et des chambres d’enfants. (La langue d’un groupe ne recouvrira jamais que les domaines sur lesquels s’étendent ses liens, et non la totalité de la vie). (LTI : 45) »

Le discours totalitaire serait donc un discours qui vise à abolir une interdiscursivité ouverte sur la pluralité des discours possibles, ouverture qui permet une pensée créative ou contestataire – les deux étant non dissociables. Il s’agit, comme l’écrit Klemperer, de « transformer l’individu en tête de bétail, sans pensée ni volonté, dans un troupeau mené dans une certaine direction et traqué, faire de lui un atome dans une pierre qui roule (LTI : 49). »

la répétition du même dans toutes ses dimensions lui est nécessaire pour enfermer la pensée, d’où l’importance de l’organisation. Klemperer parle de la « manie de tout organiser et de tout centraliser » (LTI : 143) et de l’importance de la mise en scène : un « mélange de mise en scène théâtrale et religieuse » (LTI : 62).

En un certain sens, on peut considérer la place du marché solennellement décorée, la grande salle ou l’arène ornée de bannières et de banderoles, dans lesquelles on parle à la foule comme une partie constitutive du discours lui-même, comme son corps. Le discours est incrusté et mis en scène dans un tel cadre, il est une œuvre d’art totale qui s’adresse simultanément à l’oreille et à l’œil, et à l’oreille doublement, car le grondement de la foule, ses applaudissements, ses protestations agissent sur l’auditeur aussi fortement, si ce n’est plus, que le discours en soi (LTI : 83-84).

La LTI « imprègne les mots et les formes syntaxiques de son poison, elle assujettit la langue à son terrible système, elle gagne avec la langue son moyen de propagande le plus puissant, le plus public et le plus secret ». (LTI : 41) Des mots nouveaux font leur apparition, ou des mots anciens acquièrent un nouveau sens particulier, ou de nouvelles combinaisons se créent, qui se gent rapidement en stéréotypes […] On pourrait faire le lexique de cette nouvelle langue. (LTI : 57)

L’exemple de Volk « peuple » illustre bien ce phénomène. À partir de ce terme on passe, par dérivation et glissement sémantique, à la notion de race avec Volksgemeinschaft « communauté du peuple », volksfremd « étranger au peuple », volksentstammt « issu du peuple » (LTI : 58) – ainsi s’introduit, à partir d’une forme et de ses nombreuses déclinaisons, toute la pensée völkisch, avec l’assimilation du peuple à la race3. Parmi ces constellations de vocables qui se renforcent mutuellement, car appartenant à la même formation discursive (« tout nageait dans la même sauce brune » (LTI : 36)), l’ouvrage mentionne également Volksgenosse « camarade du peuple », Rassegenossen « camarades de race » (LTI : 58), artvergessen « perdues pour l’espèce » (LTI : 142) ou artfremd « étranger à l’espèce » (LTI : 57). Relèvent de ce même champ, par association à partir du signi é ou du signi ant, la partition « aryen », « non aryen » ainsi que les concepts de « pureté » [Reinhaltung], « juif complet » [Volljuden], « demi-juif » [Halbjuden], « juifs de souche » [Judenstämmlinge] (LTI : 224), « racialement inférieur » [niederrassig], « souillure raciale » [Rassenschande], « de sang allemand » [deutschblütig], « nordique » [nordisch] (LTI : 134). Les processus morphosyntaxiques qui sont à la base de la créativité linguistique permettent à l’idéologie nazie d’essaimer dans la langue et d’être ainsi naturalisée dans son lexique. Klemperer parle d’un « poison » qui s’in ltre et de « formations analogiques mécaniques » (LTI : 165).

L’attention est particulièrement portée sur les mutations des valeurs induites, voire leur inversion. Un exemple marquant est celui de fanatique : « jamais, avant le Troisième Reich, il ne serait venu à l’esprit de personne d’employer «fanatique» avec une valeur positive […] «Fanatique» a été durant toute l’ère du Troisième Reich un adjectif marquant, au superlatif, une reconnaissance officielle […] toute connotation péjorative, même la plus discrète a disparu dans l’usage courant que la LTI fait de ce mot » (LTI : 92). Cette valeur superlative est renforcée quand un substantif intensif est lui-même suivi d’un adjectif à valeur évaluative intensive comme dans « fanatisme sauvage (LTI : 93). Toujours à propos de fanatique, Klemperer écrit : « Dans la presse quotidienne, le mot fut employé sans plus de limites […]. Cette fréquence du mot dans le champ politique allait de pair avec son emploi dans d’autres domaines, chez des nouvellistes ou dans la conversation quotidienne » (LTI : 93). Maintes fois réitéré, de signe plein, le mot en arrive ensuite à devenir vide car répété mécaniquement. Ainsi Göring est-il quali é d’« ami fanatique des animaux » (LTI : 93). Klemperer cite également le verbe aufziehen « monter », dont le sens métaphorique de négatif est devenu positif – ainsi dans groß aufgezogen « monté de toutes pièces » : « à présent aufziehen exprimait un acte parfaitement sincère » (LTI : 78). Nous citerons également l’exemple d’« humanité » [humanität] qui le plus souvent est accompagné d’une épithète à valeur infamante, comme dans eine giftige Juden-humanität « humanité juive empoisonnée » (LTI : 189). Ces mutations sémantiques, dont nous n’avons relevé ici que quelques exemples, affectent des termes dont le sémantisme est souvent vague. La profusion des formations relevées souligne l’emprise de l’idéologie et leur rôle dans la persuasion4.

Le terme historique, avec une valeur superlative, est également abondamment répété, comme le sont les « cérémonies of cielles » (LTI : 154) : « une cérémonie of cielle a une signi cation «historique» particulièrement solennelle […], chaque vétille […] acquiert une signi cation «historique» » (LTI : 75-76). Au sein de ces termes à valeur intensive, Klemperer note l’importance des superlatifs visant à la divinisation de l’ère hitlérienne (LTI : 165). Parmi ceux-ci il relève le quali catif éternel « on pourrait citer «éternel» comme l’ultime barreau sur la longue échelle des superlatifs numériques nazis, mais sur ce dernier barreau, le ciel est atteint. «Éternel» est l’attribut du Divin uniquement ; ce que je nomme éternel, je l’élève dans la sphère du religieux » (LTI : 154). Les dérivés du terme font également partie du vocabulaire de base du discours nazi, de même que tous ceux appartenant au champ sémantique de la religion : Hitler, présenté comme le « Sauveur », les références à la Providence, aux « apôtres », le vocable de « Troisième Reich » lui-même ; toutes ces appellations ont une dimension d’emphase religieuse (voir LTI : 154).

La généralisation ou l’amalgame : Dans son ouvrage, il relève l’omniprésence des discours sur « le » juif. L’emploi de l’article catégorisant permet d’universaliser le rapport posé entre sujet et prédicat auquel est attribué dans le cas présent un contenu stigmatisant. Il permet alors de déterminer l’autre comme problématique et donc de donner une valeur dévaluative au nom qu’il détermine. C’est cette catégorisation qui permettra à l’Allemagne nazie d’amalgamer tous les adversaires en un seul ennemi (LTI : 232). L’adjectivation avec amalgame, que l’on pourrait également appeler cadrage par association, a une même fonction. Klemperer cite les exemples de « judéo-maçonnique, judéo-bolchevique, judéo-marxiste, judéo- capitaliste, judéo-anglais… » (LTI : 232 ; 234).

Le recadrage : ici ce n’est pas la valeur des termes qui est affectée, mais le rapport sujet-prédicat. Ainsi la victime devient-elle coupable et inversement. Les nazis « se défendent » « ripostent » (LTI : 232) ; il s’agit d’une « guerre juive » [jüdische Krieg] (LTI : 135), à l’encontre des « pacifiques nazis » [friedliebenden], de l’« insondable haine des juifs » [abgrundtiefe Hass] (LTI : 232). Peut entrer dans cette catégorie le syntagme « expédition punitive » [Strafexpedition] : punir présuppose un coupable et il y a quelque idée de bravoure derrière le terme « expédition » ; Klemperer commente : « Tout ce que je pouvais imaginer d’arrogance brutale et de mépris envers ce qui est étranger à soi se trouvait condensé dans ce mot (LTI : 73). Il en est de même du terme « propagande » qui désigne le discours de l’adversaire

-référence à l’organique

Ce qui est propre à l’idéologie totalitaire, c’est son caractère fermé à toute altérité. Rêve de totalité et de fin de l’histoire. C’est également le détournement du raisonnement dans la violence par la naturalisation du mortifère et une rhétorique du consentement

Klemperer a pu se demander comment cette influence s’est exercée et parler des efforts constants de la rhétorique nazie pour mystifier et engourdir les esprits (LTI : 194).

Par la répétition d’abord, comme nous l’avons vu, par la simplification ensuite et l’effacement de toute manière alternative de dire, par le vague et le recours aux émotions.

Cf La psychologie des foules de Gustave Lebon, parue en 1895 et largement diffusée dans les pays de langue allemande depuis sa traduction en 1908. Dans cet ouvrage, Le Bon mentionne les facteurs permettant de mobiliser une foule : l’affirmation, la répétition, la simplification, l’uniformisation, le vague et l’appel aux sentiments.

-L’affirmation pure et simple, dégagée de tout raisonnement et de toute preuve, constitue un sûr moyen de faire pénétrer une idée dans l’esprit des foules. […] Les livres religieux et les codes de tous les âges ont toujours procédé par simple af rmation. […] Les hommes d’État appelés à défendre une cause politique quelconque, les industriels propageant leurs produits par l’annonce, connaissent la valeur de l’af rmation. […] La chose af rmée arrive, par la répétition, à s’établir dans les esprits au point d’être acceptée comme une vérité démontrée. (Le Bon : 73)

-Plus l’information est concise, dépourvue de preuves et de démonstration, plus elle a d’autorité. […] À force de voir répéter dans le même journal que A… est un parfait gredin et B… un très honnête homme, nous arrivons à en être convaincus, pourvu, bien entendu, que nous ne lisions pas souvent un autre journal d’opinion contraire. (Le Bon : 73)

 -La puissance des mots est liée aux images qu’ils évoquent et tout à fait indépendante de leur signification réelle. Ceux dont le sens est le plus mal défini possèdent parfois le plus d’action. Tels par exemple, les termes : démocratie, socialisme, égalité, liberté, etc. dont le sens est si vague que de gros volumes ne suf sent pas à le préciser. (Le Bon : 60) La foule n’étant impressionnée que par des sentiments excessifs, l’orateur qui veut la séduire doit abuser des affirmations violentes. (Le Bon : 26)

-Le type du héros cher aux foules aura toujours la structure d’un César. Son panache les séduit, son autorité leur impose et son sabre leur fait peur. (Le Bon : 28)Le merveilleux et le légendaire sont, en réalité, les vrais supports d’une civilisation […] Aussi est-ce une bien inutile banalité de répéter qu’il faut une religion aux foules. Les croyances politiques, divines et sociales ne s’établissent chez elles qu’à la condition de revêtir toujours la forme religieuse, qui les met à l’abri de la discussion. (Le Bon : 35 ; 41)

Le mot soigneusement choisi ou une formule fréquemment répétée ont une grande puissance de suggestion :

La puissance des mots est si grande qu’il suffit de termes bien choisis pour faire accepter les choses les plus odieuses. (Le Bon : 62)La raison et les arguments ne sauraient lutter contre certains mots et certaines formules. (Le Bon : 60)

Parmi les procédés observés par Klemperer pour modeler les esprits et les comportements, nous retrouvons ceux répertoriés par Le Bon : simplification, élimination de la contradiction, répétition, stéréotypie, mise en scène, emphase et appel aux sentiments. Ainsi :

Le slogan assène directement, à main nue, un coup de poing sur la raison de celui qu’il interpelle et veut le subjuguer. (LTI : 317)
La répétition constante semble être un effet de style capital dans leur langue. (28 juillet 1933, LTI : 59-60)La LTI sert uniquement à l’invocation. (LTI : 49)
Le sentiment devait supplanter la pensée, et lui-même devait céder devant un état d’hébétement, d’aboulie et d’insensibilité ; où aurait-on pris sinon la masse nécessaire des bourreaux et des tortionnaires ? (LTI : 314)
Le fait qu’elle culmine dans sa dimension religieuse vient d’une part de certaines tournures spécifiquement imitées du Christ, et dans une proportion plus grande, de la déclamation de longues séquences de discours sur le ton du sermon et de l’enthousiasme. (LTI : 155)
La « très grande époque pour l’Allemagne » est un superlatif presque modeste comparé aux superlatifs visant à la divinisation de l’ère hitlérienne, qui étaient alors en vogue. (LTI : 165)

Dans son essai, Victor Klemperer analyse les courants qui ont pu mener au totalitarisme en Allemagne. Il distingue le courant du positivisme scienti que avec le classement des races et le courant romantique, particulièrement du romantisme allemand :Le nazisme se trouve déjà en germe dans le romantisme : le détrônement de la raison, la bestialisation de l’homme, la glorification de l’idée de puissance, du prédateur, de la bête blonde. (LTI : 190)À cela il faut ajouter le passage à la communication de masse, avec les nouvelles technologies de diffusion que sont la radio, la télévision, le cinéma et l’imprimé jointes à une rhétorique débarrassée de toute morale pour fabriquer le consentement :Le romantisme et le business à grand renfort publicitaire, Novalis et Barnum, l’Allemagne et l’Amérique : dans la Schau et la Weltanschauung de la LTI, les deux coexistent et sont aussi indissociablement mêlés que la mystique et le faste dans la messe catholique. (LTI : 195)9

– le langage totalitaire investit tous les canaux, tous les supports
– il investit les sphères tant publiques que privées ;
– ce langage a une « effroyable homogénéité » (LTI : 34) ;
– il est irréductiblement lié à la violence et à la mort. C’est un langage qui « sent le sang et la mort », dira Klemperer ;

– c’est un langage forcé, a-historique, entièrement idéologique ; – il désinvestit le sujet de sa propre pensée ;
– c’est un langage de type mystique.

Klemperer parle du « caractère rhétorique de la LTI » (LTI : 108). Ces genres de discours relèvent principalement d’une rhétorique émotionnelle, essentiellement préoccupée de séduire le destinataire, de le « ravir ». La propagande totalitaire nous semble pourtant avoir des caractéristiques qui lui sont propres : elle joue notamment sur le mythe et la violence, violence qui n’est pas seulement symbolique, mais qui vise à susciter la peur, à asservir ou à tuer. Plus fondamentalement, Klemperer montre comment ce langage contribue à inscrire le totalitarisme au sein même de la langue et de la pensée. La pensée totalitaire (ou son mythe) devient la pensée même, c’est-à-dire qu’il n’y a pas d’autre pensée possible.

Le livre du philologue allemand sous-entend une théorie linguistique implicite selon laquelle la valeur d’un signe est avant tout une valeur sociale. De ce point de vue, ce qu’il énonce ici pour le totalitarisme est valable pour tout contexte idéologique. La langue enferme les valeurs d’une société et, en ce sens, celles-ci nous sont imposées ; mais la langue a toujours de l’équivoque, du jeu, par définition. Toute idéologie est tension, le calque peut donc sans cesse se défaire. Une langue devient « totalitaire » quand le signe est privé de ce jeu et de sa possibilité de signifier dans une interaction ouverte à la contradiction. En cela l’idéologie totalitaire, comme nulle autre, est absence de parole propre – la parole vide y rejoint la censure ou le silence.

 

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