PhiloStjo

Une vie sans examen ne vaut pas la peine d'être vécue

HLP Term : la recherche de soi 1

But : comprendre la nouveauté de « la recherche de soi » au XVIII et XIXè siècle.

Textes de Vernant sur la notion d’individu, utile pour inscrire le thème de la recherche de soi dans une perspective historique :

Jean-Pierre Vernant examine quels sont les sens du terme « individu » que l’on trouve dans la Grèce Antique :

Le discours où le sujet s’exprime en disant je ne constitue donc pas une catégorie bien délimitée et de portée univoque. Si je le retiens cependant, dans le cas de la Grèce, c’est qu’il répond à un type de poésie – en gros la lyrique –, où l’auteur, par l’emploi de la première personne, donne au je un aspect particulier de confidence, exprimant la sensibilité qui lui est propre et lui donnant la portée générale d’un modèle, d’un « topos » littéraire. En faisant de leurs émotions personnelles, de leur affectivité du moment, le thème majeur de la communication avec leur public d’amis, de concitoyens, d’hetairoi, les poètes lyriques confèrent à cette part, en nous indécise et secrète, de l’intime, de la subjectivité personnelle, une forme verbale précise, une consistance plus ferme. Formulé dans la langue du message poétique, ce que chacun éprouve individuellement comme émotion dans son for intérieur prend corps et acquiert une sorte de réalité objective. […]

  1. 1. Le moi. Bien entendu, les Grecs archaïques et classiques ont une expérience de leur moi, de leur personne, comme de leur corps, mais cette expérience est autrement organisée que la nôtre. Le moi n’est ni délimité, ni unifié : c’est un champ ouvert de forces multiples, dit H. Fränkel. Surtout, cette expérience est orientée vers le dehors, non vers le dedans. L’individu se cherche et se trouve dans autrui, dans ces miroirs reflétant son image que sont pour lui chaque alter ego, parents, enfants, amis. Comme l’écrit James Redfield, à propos du héros de l’épopée : « il n’est à ses propres yeux que le miroir que les autres lui présentent 1 ». L’individu se projette aussi et s’objective dans ce qu’il accomplit effectivement, dans ce qu’il réalise : les activités et œuvres qui lui permettent de se saisir, non en puissance, mais en acte, energeia, et qui ne sont jamais dans sa conscience. Il n’y a pas d’introspection. Le sujet ne constitue pas un monde intérieur clos, dans lequel il doit pénétrer pour se retrouver ou plutôt se découvrir. Le sujet est extraverti. De même que l’œil ne se voit pas lui-même, l’individu pour s’appréhender regarde vers l’ailleurs, au-dehors. Sa conscience de soi n’est pas réflexive, repli sur soi, enfermement intérieur, face-à-face avec sa propre personne : elle est existentielle. L’existence est première par rapport à la conscience d’exister. Comme on l’a souvent noté, le cogito ergo sum, « je pense donc je suis », n’a aucun sens pour un Grec.

J’existe puisque j’ai des mains, des pieds, des sentiments, que je marche, que je cours, que je vois et sens. Je fais tout cela et je sais que je le fais. Mais jamais je ne pense mon existence à travers la conscience que j’en ai. Ma conscience est toujours accrochée à l’extérieur : j’ai conscience de voir tel objet, d’entendre tel son, de souffrir telle douleur. Le monde de l’individu n’a pas pris la forme d’une conscience de soi, d’un univers intérieur définissant, dans son originalité radicale, la personne de chacun. Bernard Groethuysen résume ce statut particulier de la personne antique dans une formule, à la fois lapidaire et provocante, en disant que la conscience de soi est l’appréhension en soi d’un il, pas encore d’un je.

Jean-Pierre Vernant, L’individu, la mort, l’amour. Soi-même et l’autre en Grèce antique, Folio, p. 223-227

À quel moment le souci de soi va-t-il se transformer pour ensuite déboucher sur l’individualisme occidental ? Aux IIIe et IVesiècles, répond JP Vernant ; mais on ne trouve pas ici le modèle de l’individu-hors-du-monde sur lequel s’appuie Dumont à partir de l’Inde :

Avec le surgissement du saint homme, de l’homme de Dieu, de l’ascète, de l’anachorète, un type d’individu fait son apparition qui ne s’est séparé du commun, désengagé du social, que pour se mettre en quête de son véritable moi, un moi tendu entre l’ange gardien qui le prolonge vers le haut et les forces démoniaques qui marquent, vers le bas, les frontières inférieures de sa personnalité. Recherche de Dieu et recherche du moi sont les deux dimensions d’une même épreuve solitaire.

Peter Brown parle à ce sujet d’ « importance féroce » donnée à la conscience de soi, à une introspection implacable et prolongée, à l’examen vigilant, scrupuleux, soupçonneux des inclinations, du vouloir, du libre arbitre, pour scruter dans quelle mesure ils restent opaques ou sont devenus transparents à la présence divine. Une nouvelle forme de l’identité prend corps à ce moment : elle définit l’individu humain par ses pensées les plus intimes, ses imaginations secrètes, ses rêves nocturnes, ses pulsions pleines de péchés, la présence constante, obsédante, dans son for intérieur, de toutes les formes de tentation.

Là se trouve le point de départ de la personne et de l’individu modernes. Mais cette rupture avec le passé païen est aussi bien une continuité. Ces hommes n’étaient pas des renonçants. Dans leur quête de Dieu, de soi, de Dieu en soi, ils gardaient les yeux sur terre. En se prévalant d’un pouvoir céleste qui marquait assez profondément leur personne, au-dedans et au-dehors, pour les faire reconnaître sans contestation par leurs contemporains comme de véritables « amis de Dieu », ils se trouvaient qualifiés pour accomplir ici-bas leur mission.

De ce tournant dans l’histoire de la personne, Augustin est un bon témoin quand il parle de l’abîme de la conscience humaine, « abyssus humanae conscientiae », quand il s’interroge, devant la profondeur et la multiplicité infinie de sa propre mémoire, sur le mystère de ce qu’il est : « Cela, c’est mon esprit, c’est moi-même. Que suis-je donc, mon Dieu ? Une vie changeante, multiforme, d’une immensité prodigieuse. » Comme l’écrit Pierre Hadot : « Au lieu de dire : l’âme, Augustin affirme : je suis, je me connais, je me veux, ces trois actes s’impliquant mutuellement (…). Il a fallu quatre siècles pour que le christianisme atteigne cette conscience du moi1. »

Sens nouveau de la personne, donc, lié à un rapport différent, différent, plus intime, de l’individu avec Dieu. Mais fuite hors du monde, certainement pas. Peter Brown, dans le même livre où il signale l’ampleur des changements qui affectent la structure du moi au IVe siècle romain, note que la valeur accordée, dans cette mutation, au surnaturel, « loin d’encourager la fuite hors du monde a impliqué avec plus de force que jamais l’homme dans le monde en créant des institutions nouvelles ou réformées2 ».

Jean-Pierre Vernant, L’individu, la mort, l’amour. Soi-même et l’autre en Grèce antique, Folio, p. 231-232

(1) Pierre Hadot, « De Tertullien à Boèce. Le développement de la notion de personne dans les controverses théologiques », Problèmes de la personne, I. Meyerson (dir.), Paris et La Haye, Mouton, 1973, p. 133.

(2) Peter Brown, Genèse de l’Antiquité tardive, 1983 [1978], p. 176.

 

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  1. Ping by Plan HLP Term : La recherche de soi – PhiloStjo on 30 novembre 2020 at 12 h 27 min

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